Texte intégral
Le Parisien, 30 juin 1998
Le Parisien : Depuis quand vous passionnez-vous pour le foot ?
François Hollande : Depuis mes années de collège. J’ai passé mon enfance à Rouen, et, à l’époque, j’étais membre d’un club. Le foot, c’était ma passion. Il faut dire qu’il y avait également dans ma ville le FC Rouen, un grand club pour lequel j’avais beaucoup d’admiration. Je dévorais « France-Football », j’adorais les articles, je suivais et je commentais les notes que l’hebdomadaire attribuait aux joueurs. À partir de 1967, je connaissais tous les joueurs de tous les clubs.
Le Parisien : Vos parents encourageaient-ils cette passion ?
François Hollande : Pas du tout. C’est mon grand-père maternel qui m’emmenait au stade. Avec lui, j’ai vu France-Roumanie en 1969. Mon grand-père partageait donc ces moments avec moi, mais ce qui a surtout attisé cette passion c’est, je crois, une immense frustration.
Le Parisien : Laquelle ?
François Hollande : Quand j’ai commencé à vibrer pour le foot, dans les années soixante, l’équipe de France traversait une période très difficile. Au moment de la Coupe du monde de 1966, j’avais 11 ans, et il m’a fallu attendre 12 ans pour que la France se qualifie à nouveau. Je gardais l’espoir de voir la France revenir au niveau mondial, et je me consolais en reportant mes rêves de gloire sur Gondet, l’avant-centre de Nantes. Et puis, un jour, la grande équipe de Saint-Étienne a émergé ! Enfin.
Le Parisien : Quel est votre plus beau souvenir de spectateur ?
François Hollande : Je sais, c’est banal, mais ça reste la demi-finale France-Allemagne de 1982. Aucun match avant ni après ne m’a laissé une telle impression.
Le Parisien : Êtes-vous confiant pour l’équipe de France ?
François Hollande : Oui et non. Individuellement, il y a bien sûr de très bons joueurs. Mais, désormais, tout se joue sur un match. Il faut donc qu’à chaque fois la mayonnaise prenne. Ce qui m’inquiète le plus, c’est la perspective d’une demi-finale contre l’Allemagne. Je sais bien qu’on dit l’équipe vieillissante et pas au mieux de sa forme. Mais c’est l’Allemagne.
Le Parisien : Êtes-vous sûr de ne pas avoir été traumatisé par la demi-finale de 1982 ?
François Hollande : C’est bien possible. Mais je n’en démords pas : l’Allemagne, c’est notre bête noire. Il y a deux façons de surmonter cette espèce de malédiction : décider que cette fois-ci nous tenons notre revanche, ou se dire qu’il ne faut pas être superstitieux. De toute façon, cette rencontre ne sera pas simple pour nous. Moi, je ne suis pas serein.
Le Parisien : Avez-vous eu peur pendant le match France-Paraguay ?
François Hollande : Pas trop. Je sais que Chilavert est une forte personnalité, qu’il avait dit qu’il nous battrait « tranquille ». Mais Chilavert a des ambitions politiques dans son pays. Je crois même qu’il veut devenir président. Donc, il a appris à mentir !
Le Parisien : Que pensez-vous des polémiques sur les choix d’Aimé Jacquet ?
François Hollande : Elles ne m’étonnent pas. Un sélectionneur n’est jamais populaire. On cite toujours Michel Hidalgo, mais il a eu son lot de critiques lui aussi. Lui aussi, on l’a pris longtemps pour un éternel second, un type peu brillant. Il a fallu la qualification en Coupe du monde, l’arrivée en demi-finale, puis la victoire en championnat d’Europe pour qu’il soit accepté.
Le Parisien : Cette contestation, c’est une tradition française ?
François Hollande : Elle est permanente et inhérente au monde du football, tout simplement parce que chaque supporter est un sélectionneur. On a tous, au café, expliqué aux copains quelle était l’équipe idéale. Ce qui est bien, c’est qu’on n’est jamais d’accord ! Aimé Jacquet m’inspire confiance parce que je sens en lui une très grande solidité. Il était déjà comme ça quand il était joueur. Solide. Ce type reste placide face aux sarcasmes et il bosse.
Le Parisien : Quel est le joueur français qui vous impressionne le plus dans cette Coupe du monde ?
François Hollande : J’ai un petit faible pour Thierry Henry. Mais à mon avis, pour l’instant, c’est Desailly qui fait le meilleur parcours en Coupe du monde.
Le Parisien : Y a-t-il beaucoup de socialistes passionnés, comme vous, par le foot ?
François Hollande : Oh oui. Je vais souvent aux matchs avec les gens de Matignon, c’est sympa. Et puis, j’ai souvent discuté avec Delors, qui est un excellent connaisseur du football européen.
Le Parisien : Votre compagne, Ségolène Royal, vit-elle la Coupe du monde comme Bernadette Chirac, sans parler devant la télévision ?
François Hollande : Pas vraiment ! Ségolène ne s’intéresse pas au football, mais elle va parfois voir des matchs avec nos deux fils. On avait peur qu’elle ne sature, alors on lui a dit que c’était exceptionnel. Du coup, cela se passe très bien.
Le Parisien : Vous emmenez vos enfants au stade ?
François Hollande : Le plus souvent possible. Pas seulement pour l’ambiance, bien que ce soit important. Quand j’emmène mes enfants, y compris ma fille, j’essaie de leur faire comprendre ce qu’est une action, comment un but a été anticipé, pourquoi une attaque a abouti. Le foot, c’est aussi un jeu d’intelligence.
Le Parisien : Vous jouez encore de temps en temps ?
François Hollande : Oui, en vacances, avec les enfants. J’essaie de temps en temps de jouer avec des copains. Je tape dans la balle avec Jouyet (NDLR : conseiller de Lionel Jospin à Matignon) qui est un bon joueur.
Le Parisien : À quel poste ?
François Hollande : J’ai commencé ma carrière comme attaquant mais, l’âge venant, je préfère distribuer le jeu !
France 2 le mardi 30 juin 1998
France 2 : Est-ce qu’on peut dire actuellement que si la majorité plurielle était une équipe, elle aurait quelques problèmes de collectif ?
François Hollande : D’abord elle s’est qualifiée, ce qui est déjà pas mal et elle doit aller en finale, elle aussi. Donc il faut essayer de jouer plus collectif et, en même temps, il faut que les talents individuels puissent se donner libre cours.
France 2 : Pour être un petit peu plus précis, Dominique Voynet s’est retrouvée un petit peu seule à l’Assemblée face aux chasseurs. Comment allez-vous faire maintenant pour à la fois respecter les textes de Bruxelles sans complètement désavouer le vote du Parlement ?
François Hollande : Je pense qu’un compromis pouvait être trouvé avant cette échéance législative et il aurait été possible, à mon sens, de convaincre et les chasseurs et les associations de protection des oiseaux pour qu’une solution soit trouvée. On n’a pas pu, peut-être faut-il le regretter, mais en tout cas c’est ainsi. On n’a pas pu trouver ce compromis, la loi a été votée, elle fixe des dates de chasse. On sait très bien que Bruxelles ne laissera sans doute pas passer une telle loi puisqu’il y a une directive européenne. Alors on a encore quelques semaines, quelques mois peut-être, pour trouver ce compromis qui permettra une bonne fois et une fois pour toutes de régler en France, conformément à nos engagements européens, cette pratique qui est celle de beaucoup de Français, qui est condamnée par d’autres Français, mais qui devrait à mon avis être une pratique relativement consensuelle dès lors qu’elle se fait dans le cadre des directives européennes et des lois de la République aussi.
France 2 : Alors quand on parle de réforme du mode de scrutin régional, là vous avez les Verts et les communistes d’accord contre vous ?
François Hollande : Non, pas pour les régionales. Les Verts ont été favorables. Ce sont les communistes qui ont été hostiles. Cela a été un texte adopté en première lecture. Nous, nous voulions absolument que ce mode de scrutin des régionales soit changé. On voit bien la situation dans certaines régions, notamment celles où un président de droite a été élu avec les voix du Front national. Donc il fallait changer. Quel était le meilleur mode de scrutin, celui qui est accepté, bien compris par les Français ? C’est celui des municipales. Donc notre proposition était toute simple : on reprend le mode de scrutin des municipales et on l’applique pour les régionales. On aura donc des majorités et en même temps, tout le monde sera représenté. C’était quand même l’idéal. Alors nos amis communistes ont pensé qu’il valait mieux baisser un peu les seuils pour faire que le plus de forces possibles soient représentées. Nous avons dit : attention, si on élargit encore les formes de représentation, on n’aura peut-être pas les majorités. Alors la droite, elle, vous savez qu’elle a trouvé un nouveau slogan – il fallait y penser –, « l’opposition s’oppose ». Donc elle s’est opposée aussi à ce mode de scrutin qui était un progrès. Alors ce mode de scrutin a néanmoins été adopté en première lecture à l’Assemblée nationale et si, en seconde lecture, il faut trouver encore quelques (inaudible), on les trouvera, mais on doit garder l’esprit du texte, faire que ce mode de scrutin des municipales qui correspond tout à fait à ce que l’on veut puisse s’adapter aux régionales.
France 2 : On parle beaucoup du budget 99, est-ce que vous allez faire un geste vis-à-vis de vos amis communistes comme vous dites, à propos de l’impôt sur la fortune ?
François Hollande : Il ne faut pas faire des gestes à telle ou telle formation politique, il faut faire des gestes par rapport aux attentes des Français. Qu’est-ce que veulent les Français ? Ils veulent payer moins d’impôts pour ce qui les concerne, et notamment par rapport aux impôts les plus injustes, la TVA ou la taxe d’habitation. Donc nous, forces de gauche qui soutenons le gouvernement, nous demandons à Lionel Jospin et à son gouvernement de baisser les impôts qui touchent le plus les Français. Et pour financer cela, on peut faire des économies, je crois que certaines sont en vue, on peut mieux dépenser, mais on doit aussi augmenter les impôts de ceux qui ne sont pas toujours appelés à la solidarité. Et c’est vrai que, notamment pour l’impôt sur la fortune, on a découvert, il y a encore peu de temps, que certains gros patrimoines y échappaient. Alors on essaiera de corriger ce point. Robert Hue y insiste et il n’a pas tort.
France 2 : Et vous toucherez à l’outil de travail ?
François Hollande : Ça, c’est une question qui devra être réglée par le gouvernement Nous, nous souhaitons que l’impôt sur la fortune ait un meilleur rendement. Alors il faut trouver la modalité. Mais il n’y a pas que l’impôt sur la fortune, il y a d’autres impôts, notamment à mes yeux certaines plus-values qui sont rapidement réalisées et qui ne donnent pas toujours lieu à fiscalité suffisante. Donc il faut avoir une fiscalité des prélèvements plus juste. C’est quand même ce que veulent les socialistes en tout cas et ce que veut la gauche. C’est-à-dire que certains doivent payer plus quand d’autres, beaucoup plus nombreux, doivent payer moins.
France 2 : Est-ce que la grande difficulté n’est pas, d’une part, d’écouter les communistes sans trop fâcher Ernest-Antoine Seillière et le CNPF en particulier qui sont déjà assez agités sur le thème de l’ISF ?
François Hollande : Si on voulait ne pas fâcher le président du patronat, on aurait beaucoup de mal car il est toujours fâché : il est mécontent que l’on puisse toucher à l’impôt sur la fortune. Sans doute est-il redevable de cet impôt et inquiet. Deuxièmement, il est fâché parce qu’il ne voulait pas les 35 heures, le législateur l’a néanmoins souhaité. Il est inquiet et fâché parce qu’il ne voudrait pas que le gouvernement s’attribue les mérites de la croissance retrouvée et pourtant, c’est quand même depuis un an que la croissance reprend. Notre objectif n’est pas de rendre gai et joyeux M. Seillière.
France 2 : Pour revenir au football, un mot sur l’entraîneur. J’ai lu quelque part, la semaine dernière, qu’il y avait quelque chose de la stratégie d’Aimé Jacquet dans la méthode Jospin ?
François Hollande : Je ne sais pas. Je ne crois pas qu’il faille faire trop de comparaisons. Ce que je souhaiterais, c’est que le gouvernement réussisse et je souhaiterais aussi que l’équipe de France soit en finale. Voyez que j’ai deux objectifs qui ne sont pas forcément contradictoires.
France 2 : Mais ça, c’est l’avis d’un spécialiste parce qu’on va le voir, on a même un document qui prouve que vous avez quand même un joli geste côté football, c’est dans « Le Parisien » ce matin et c’était quand vous étiez supporter du FC Rouen, non ?
François Hollande : Oui, j’ai été supporter du FC Rouen. Hélas je ne lui ai pas porté chance car maintenant il est en amateur.
France 2 : Vous avez un pronostic pour vendredi ?
François Hollande : Ça sera dur vendredi. Il faut vraiment s’appliquer. Mon pronostic, c’est 2-1, mais après prolongations.