Déclaration de M. Michel Barnier, ministre de l'environnement, sur les décrets d'application des lois d'environnement déjà votées et sur le nouveau projet de loi sur la protection de l'environnement, Paris le 11 mai 1994.

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Circonstance : Congrès des notaires de France du 8 au 11 mai 1994

Texte intégral

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi de vous remercier d'avoir organisé ce congrès sur le thème de l'environnement. J'y vois l'un des signes témoignant du statut majeur qu'ont gagné, en dépit de la crise, les préoccupations environnementales dans notre société.

Depuis un an, à la tête de ce ministère, j'ai tenté de montrer loin du bluff médiatique, que l'écologie était affaire de gens sérieux, qu'elle devait, et savait être très concrète. Je suis heureux aujourd'hui de constater que vos préoccupations rejoignent les miennes et que vous avez su, par un travail de préparation exemplaire, donner à votre réflexion toute l'ampleur que réclame le sujet.

Il est donc temps de faire le point avec vous sur l'état du droit de l'environnement et de répondre aux vœux que vous avez exprimés. Mais, au-delà de vos connaissances juridiques, vous êtes des témoins de notre société, de son évolution comme de ses difficultés. Le droit, en matière d'environnement comme dans les autres domaines, n'est qu'un moyen, ce n'est pas une fin. Son évolution doit reposer sur une analyse de notre société et sur l'identification des directions dans lesquelles nous souhaitons qu'elle progresse.

Je souhaiterais vous faire part de quelques-unes de mes idées sur ce sujet.

I. – Le droit de l'environnement : bilan et évolutions nécessaires

A. – Bilan du droit de l'environnement

Maintes fois les faiblesses du droit de l'environnement ont été soulignées : il s'agirait d'un droit dispersé constitué d'une juxtaposition de grands domaines sans véritables liens entre eux, d'un droit technocratique reflétant le difficile compromis entre les exigences du développement et celles de la protection de la nature, d'un droit mal appliqué et enfin d'un droit inachevé.

Ce ne sont là que les caractéristiques d'un droit récent. J'ai pour ambition de le rendre adulte et il fallait pour cela achever l'œuvre législative de mes prédécesseurs, codifier le droit et le clarifier.

1. Les décrets d'application des lois d'environnement sont en bonne voie

Comment nier que les 6 grandes lois votées lors de la précédente législature (eau, déchets, Organismes Génétiquement Modifiés, bruit, carrières et paysages) ont été souvent préparées à la hâte et sans concertation ? Certaines de leurs dispositions sont inapplicables, voire contradictoires. Ainsi, la loi sur les installations classées et la loi sur l'eau sont sur certains points incompatibles. Mon projet de loi tente de remédier à ces incohérences.

Je me suis en outre attelé à la rédaction des décrets d'application nécessaires dont douze seulement avaient été publiés lors de ma prise de fonctions.

Nous en sommes aujourd'hui à vingt-cinq, et une vingtaine sont de plus sur le point de paraître (au Conseil d'État ou en cours de signature). Au total, compte-tenu des dispositions inapplicables, seule une dizaine de décrets restent à élaborer. Ils le seront d'ici la fin de l'année.

Enfin, je veillerai à ce qu'une telle situation ne se reproduise pas : les décrets d'application de mon projet de loi seront prêts moins de six mois après le vote du texte. Certains sont déjà en cours d'élaboration.

Le projet de loi, actuellement au Conseil d'État, harmonise, simplifie et remet de l'ordre dans le droit de l'environnement et fait également quelques percées significatives pour faire progresser la protection de la nature.

Le contenu du texte

Quatre thèmes prioritaires ont été retenus :

Une plus grande participation et démocratisation, notamment en matière d'enquête publique. Il suit en cela les conclusions du rapport Bouchardeau en proposant par exemple la création d'une commission nationale du débat public pour veiller à la bonne organisation des débats en amont (des enquêtes publiques) pour les grandes opérations d'infrastructure. Enfin, les possibilités d'action des associations sont étendues, mais la procédure d'agrément est renforcée.

Les risques naturels majeurs : il crée une possibilité d'expropriation et d'indemnisation pour les risques naturels majeurs imminents (mettant en danger la vie humaine), simplifie les procédures en matière de délimitation des zones à risques (fusion PER, PSS, R111-3) et renforce la législation sur l'entretien des cours d'eau.

La protection des espaces naturels : les moyens des départements en matière d'espaces naturels sensibles sont accrus. Les compétences du conservatoire du littoral sont élargies aux communes des estuaires et des deltas et celles des parcs nationaux sont renforcés en zone centrale, tandis que les agents des parcs marins disposeront désormais de pouvoirs de police sur le domaine public maritime.

Les déchets : un transfert de compétence en matière d'élaboration des plans départementaux d'élimination des déchets ménagers, de l'État aux départements, et des plans régionaux des déchets industriels spéciaux, de l'État aux régions, renforce la décentralisation. Ce transfert ne sera opérationnel qu'au terme de l'élaboration des plans par les préfets en 1996. La taxe sur la mise en décharge des déchets ménagers est augmentée afin d'aider plus efficacement aux financements des dépenses des collectivités locales dans ·ce domaine.

Nous sommes donc désormais mieux armés en matière juridique.

B. – Réponses aux vœux

Mais je ne voudrais pas vous donner l'impression que je cherche à éviter de répondre aux questions très directes et très précises que vous me posez par l'intermédiaire des vœux que vous avez votés. Aussi j'ai choisi, parmi ces vœux, quatre exemples, à mon sens, les plus représentatifs de l'évolution nécessaire et en cours, du droit de l'environnement. Je vais m'efforcer d'y apporter quelques réponses, trop rapides, je m'en excuse à l'avance.

1. Les risques naturels

En cette matière, en parfaits défenseurs de la propriété privée vous souhaitez que les propriétaires d'immeubles inclus en zones exposées d'un plan de prévention des risques naturels bénéficient d'un droit de délaissement (c'est-à-dire d'un droit pour ce propriétaire d'obliger l'État à acheter le terrain concerné) dès lors que l'existence des servitudes d'utilité publique vient à rendre impossible l'utilisation du bien ou aboutit à vider de son contenu le droit de propriété.

Les plans de prévention des risques constituent juridiquement des servitudes d'utilité publique et non des servitudes d'urbanisme pour lesquelles le code de l'urbanisme exclut expressément toute possibilité d'indemnisation.

On pourrait imaginer par conséquent que l'État soit obligé de racheter les terrains grevés de telles servitudes. Une telle proposition ne peut cependant à mon avis être retenue :

En effet ce n'est pas la servitude qui prive de sa valeur le terrain mais bien le risque naturel qui le menace. Le plan ne crée pas le risque. D'autre part les conséquences financières en seraient très lourdes et rendraient impossible la poursuite de la politique des plans de prévention des risques naturels (songeons que les seules études préalables à la réalisation d'un tel plan coûtent environ 300 000 F).

La solidarité nationale ne doit donc s'exercer que dans les cas extrêmes, pour lesquels les délais d'alerte sont trop courts pour permettre l'évacuation. C'est ce que prévoit le projet de loi.

2. La charte sur l'eau

Portant un regard particulièrement critique sur la loi sur l'eau vous avez souhaité que soit réalisée une véritable charte de l'eau traitant des problèmes de gestion et de conservation de la ressource et des écosystèmes et fixant clairement les pouvoirs de police et de contrôle de ces pouvoirs.

La loi sur l'eau, si elle n'est pas parfaite, réalise pourtant des avancées substantielles et concrètes. En outre, sa mise en œuvre est trop récente pour que l'on puisse en tirer réellement des enseignements. Je constate cependant une grande motivation des acteurs, un foisonnement de réflexions à l'occasion de l'élaboration des Schémas d'Aménagement et de Gestion de l'Eau (SAGE) et des Schémas Directeurs d'Aménagement et de Gestion de l'Eau (SDAGE). Je m'en réjouis mais je suis néanmoins conscient qu'il est possible d'apporter des améliorations aux textes actuels notamment pour éviter les incohérences dont je vous parlais tout à l'heure. Les dispositions pour y remédier sont prévues dans le projet de loi.

De plus, le livre II du code de l'environnement permettra de rassembler tous les textes existants sur le problème de la gestion de l'eau, ce qui simplifiera la lecture et la connaissance de ces textes.

3. Les principes généraux du droit

Vous aviez souhaité que le travail de codification ne se limite pas à la compilation des textes existants mais constitue une véritable mise en cohérence des textes autour de principes généraux clairement affichés.

C'est l'un des buts du projet de loi qui vise dans certaines de ses dispositions à mettre en cohérence le droit avant de le codifier. En outre, et c'est un point très important de ce texte, il introduit en droit français, à l'instar d'autres grandes nations, des principes généraux du droit de l'environnement. En effet, nul texte ne reconnaît en France le droit de chacun à un environnement sain. Ce sera chose faite avec l'adoption de ce texte. Ces principes se trouveront donc dans la nouvelle codification, comme vous le souhaitiez et comme je l'avais moi-même promis il y a quatre ans.

4. La participation du notariat à la protection de l'environnement

Vous avez également souhaité participer aux structures régionales d'information et de concertation sur les sites et sols pollués créés sous l'égide du Préfet de région, au futur conseil départemental de l'environnement et aux commissions locales d'information et de surveillance de l'environnement en matière de traitement des déchets.

Il me semble en effet nécessaire que vous puissiez bénéficier de l'information élaborée dans le domaine du droit de l'environnement et j'accède bien volontiers à votre vœu de participer aux structures régionales sur les sols pollués.

Quant au Conseil Départemental de l'Environnement et aux Commissions Locales d'information sur les Installations de traitement de déchets, ils ne comptent que des acteurs exclusifs de l'environnement. Le corps notarial ne peut donc y être associé en tant que tel mais certains d'entre vous peuvent tout à fait faire partie des personnalités qualifiées qui seront appelées à y siéger. Je n'y verrais pour ma part aucun inconvénient.

Plus largement, ce congrès a montré que la circulation de l'information était par-dessus tout nécessaire.

Cependant la circulation peut avoir lieu dans les deux sens : juristes de proximité, vous êtes particulièrement bien placés pour informer le Gouvernement dans le domaine juridique – et je sais combien Pierre Méhaignerie est soucieux de vous écouter. Vous l'êtes aussi, plus généralement, pour comprendre l'évolution d'une société dont vous êtes les témoins. Votre capacité d'écoute et de conseil prend alors toute sa valeur.

Je voudrais donc vous présenter quelques réflexions que m'inspire, à mon niveau, l'état d'esprit de nos compatriotes.