Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Le thème du rapport de M. Marc Didierjean pour lequel vous avez sollicité mon analyse est vaste puisqu'il s'agit du bilan et des perspectives financières de la décentralisation.
Ce rapport demandé au Conseil Économique et Social en mai 1993 par le Premier ministre est le complément de celui établi par la Cour des Comptes sous la présidence de M. François Delafosse, sur les relations financières entre l'État et les collectivités locales.
Je voudrais vous dire dès à présent que j'en partage très largement à la fois les analyses et les conclusions.
Plus de douze ans après les premières lois, le système financier sur lequel repose la décentralisation est devenu trop complexe et d'une gestion délicate. De simples ajustements ne suffisent plus.
Mais les réformes à venir, notamment celles initiées par le projet de loi d'orientation pour le développement du territoire qui va être examiné à partir de jeudi à l'Assemblée nationale, doivent toujours s'inscrire dans la logique de décentralisation qui consiste à rapprocher la puissance publique du citoyen et à donner à la première les moyens de ses actions.
Du point de vue financier, peut-on considérer que la décentralisation est réussie ?
À titre d'exemple, je rappellerai que les départements et les régions ont consacré entre 1986 et 1992 près de 150 milliards de francs à la construction, à la rénovation et au fonctionnement de lycées et collèges, soit un effort représentant le double de celui que consentait l'État auparavant.
Cependant, la critique la plus souvent entendue à l'encontre de la décentralisation est relative au dérapage des budgets locaux. Pourtant, la part de ceux-ci dans le PIB n'a que peu évolué entre 1982 et 1992. L'augmentation des budgets locaux a été financée pendant cette période par une croissance de la fiscalité et des concours de l'État dont on mesure aujourd'hui les limites. Je note néanmoins que l'État a rempli son rôle en augmentant ses concours de 8 % par an en moyenne entre 1982 et 1992.
Enfin, à l'exception de quelques dizaines de communes, l'endettement des collectivités est très raisonnable et globalement proche d'un taux de 8 %, stable de 1982 à 1992.
Ce bilan est donc très largement positif, même si les ressources des collectivités, comme les mécanismes financiers établis entre ces dernières et l'État, restent fragiles.
Aujourd'hui, on note une certaine dérive des dépenses de fonctionnement des collectivités, et en particulier des départements, par un très classique effet de ciseaux : la crise économique limite les recettes fiscales et accroit les dépenses d'aide sociale et en particulier le RMI qui augmente de 15 à 20 % par an.
Pour les mêmes raisons, le Gouvernement est contraint de conduire un effort de rigueur budgétaire dans le cadre du plan de redressement des finances publiques auquel sont associées les collectivités locales.
Cette période pourrait justifier une politique conservatrice dans l'attente d'un retour à la croissance. Le choix du Gouvernement est tout autre. Cette période est, selon nous, propice aux clarifications et aux réformes de fond.
S'agissant de la clarification, de telles réformes doivent – le rapport l'a souligné – être menées dans le cadre d'une grande transparence et d'une grande lisibilité des comptes locaux. La loi du 22 juin 1994 qui porte réforme du système comptable des collectivités locales, fournit d'ores et déjà ce cadre.
En outre, ces réformes supposent une bonne connaissance des rapports financiers entre l'État et les collectivités locales, à laquelle votre rapport contribue, comme demain les travaux qui seront menés par la commission consultative pour l'évaluation des charges.
S'agissant des réformes de fond, je voudrais prendre trois exemples qui illustrent bien la volonté de réforme du Gouvernement : le FCTVA, la DGF et la taxe professionnelle.
Il s'agit dans le premier cas d'une simple adaptation à court terme pour tenir compte des besoins concrets des collectivités locales, dans le second d'une réforme à moyen ternie de mécanismes financiers existants et dans le dernier cas, de l'initiation d'une profonde réforme à long terme.
1. Ainsi, le FCTVA qui est un élément essentiel de l'équilibre des budgets d'investissement des collectivités locales, devait être adapté.
Le montant du fonds a connu une évolution très importante sur la dernière période. Entre 1984 et 1990, les crédits ont augmenté de 81 %. En 1993, les crédits effectivement consommés au titre du FCTVA s'élevaient à 22,5 au lieu des 21 milliards prévus en loi de finances initiale. Cette évolution est bien entendu en relation directe avec le volume et l'accroissement des investissements, mais force est de constater que cette corrélation n'a pas toujours été très étroite.
Je sais que les collectivités sont de plus en plus sollicitées par des tiers pour réaliser tel ou tel équipement qui correspond le plus souvent à un besoin.
Mais, face à cette dérive budgétaire, la loi de finances rectificative pour 1993 a confirmé les exclusions du bénéfice du FCTVA, retenues en 1988, en matière d'immobilisations réalisées par les collectivités et mises à la disposition de tiers non bénéficiaires du fonds.
Pourtant, dans ce cadre législatif contraignant, le Gouvernement a retenu certains aménagements, compte tenu du rôle décisif des collectivités en matière d'investissement.
Ainsi, des instructions seront données aux préfets afin qu'ils ne considèrent pas comme mise à disposition, au sens de la loi, la location ou la remise à titre gratuit d'un bien à un tiers lorsque cette utilisation ne fait pas obstacle, pour le plus grand nombre des usagers potentiels, à la possibilité d'y avoir accès dans des conditions d'égalité caractéristiques du fonctionnement du service public.
Nous sommes allés, je crois, en assouplissant ces règles d'éligibilité, à l'extrême limite de ce qu'autorisent les textes, peut-être même sommes-nous allés un peu au-delà.
2. Deuxième exemple, la DGF, dont l'objectif est de favoriser un développement harmonieux en resserrant les écarts de ressources entre collectivités territoriales.
Une réforme d'ensemble de cette dotation était devenue indispensable, car la DGF ne remplissait plus les objectifs de solidarité qui lui avaient été assignés, lors de sa création en 1979.
La multiplication des dotations particulières ces dernières années, comme le maintien d'une garantie de progression de ressources à un niveau trop important, avaient rigidifié le système en rendant toute redistribution impossible. Ainsi, en 1993, 30 000 communes, soit 5 sur 6, avaient vu leur dotation augmenter de façon uniforme.
Il y avait donc urgence à réformer.
La nouvelle DGF des communes, prévue par la loi du 31 décembre dernier, s'articule autour d'une dotation forfaitaire, assurant la stabilité des finances locales, et d'une dotation d'aménagement en faveur des collectivités en difficulté.
Afin de contribuer à un meilleur aménagement du territoire, cette dotation d'aménagement apporte une aide particulière à trois catégories de collectivités et d'établissements publics : les communes urbaines et banlieues à quartiers difficiles ; les communes rurales ; les groupements de communes à fiscalité propre.
Le montant de la dotation d'aménagement est, en 1994, d'environ 6 milliards de F. En outre, il a été prévu que cette dotation progresserait chaque année plus vite que la dotation forfaitaire.
D'ores et déjà, le projet de loi d'orientation pour le développement du territoire prévoit qu'à partir de 1995, la dotation globale de fonctionnement de la région Ile-de-France sera chaque année diminuée de 120 millions de francs afin de disparaître progressivement, permettant ainsi d'abonder la dotation de solidarité urbaine.
Ce prélèvement fera pour la région Ile-de-France l'objet d'une compensation par l'affectation du produit du fonds d'aménagement de la région Ile-de-France (FARIF), actuellement perçu par l'État.
On renforcera ainsi l'effort en faveur des quartiers défavorisés, tout en donnant à la région Ile-de-France la maîtrise de crédits dont la vocation est précisément de servir à l'aménagement du territoire.
Vous le voyez, cette réforme souple et évolutive de la DGF constitue un premier pas dans la voie d'une meilleure solidarité financière entre communes. Mais cette réforme à moyen terme ne suffit pas ; une véritable solidarité financière, comme une réelle efficacité économique, suppose aussi une réflexion sur la fiscalité locale.
3. C'est l'objet de mon dernier exemple relatif à la réforme de la taxe professionnelle qui constitue un enjeu majeur pour la politique de développement local.
Sous sa forme actuelle, la taxe professionnelle a, entre autres défauts, celui de pénaliser à la fois les industries de main d'œuvre et les communes les plus pauvres, en dissuadant les entreprises de s'y installer, parce qu'elles y trouveront souvent les taux les plus élevés.
Ce sujet est d'une grande difficulté technique. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement propose au Parlement de se donner le temps de la réflexion pour que soient faites toutes les simulations indispensables à une réforme ambitieuse.
Trois pistes de réforme sont actuellement envisagées :
a) Un développement de la taxe professionnelle intercommunale, dans le prolongement du régime de la taxe professionnelle d'agglomération prévue pour les communautés de ville ;
b) Une évolution progressive sur une longue période vers un taux unique fixé au plan national, avec péréquation ;
c) Une transformation de la taxe professionnelle en une imposition à deux niveaux, une tranche nationale assortie d'un taux tenant compte de critères tels que la densité démographique et dont le produit fera l'objet d'une péréquation, une seconde tranche pour laquelle le taux restera fixé par les collectivités territoriales.
Ces trois options de réforme tiendront compte d’une possibilité de substitution de la valeur ajoutée aux bases actuelles.
L'enjeu financier porte sur 130 milliards de francs, ce qui justifie que les simulations soient parfaites. L'expérience du remplacement de la patente par la taxe professionnelle en 1975 est encore dans toutes les mémoires.
Vous le voyez, le processus financier de la décentralisation n'est pas achevé.
Il ne le sera peut-être jamais s'agissant des relations entre l'État et les collectivités locales qui doivent s'adapter aux besoins évolutifs de la solidarité entre collectivités.
S'agissant de la réforme d'envergure de la fiscalité locale, maintes fois demandée, voire annoncée, elle demeure, dans une large mesure, une pétition de principe à vertu incantatoire. Je souhaite que le débat au Parlement à la fin de la semaine sur la réforme de la taxe professionnelle, dans le cadre du projet de loi d'orientation, nous apporte la preuve du contraire.