Interviews de Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication, à France 2 le 29 septembre 1998, à France Inter le 1er octobre et à Europe 1 le 7, sur la limitation de la publicité sur les chaînes de télévision publiques prévue dans le projet de loi sur la réforme de l'audiovisuel et sur la levée de l'immunité parlementaire de M. Jean-Marie Le Pen par le Parlement de Strasbourg.

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Intervenant(s) : 

Média : Europe 1 - France 2 - France Inter - Télévision

Texte intégral

France 2 : mardi 29 septembre 1998

Q - Avec quoi allons-nous faire une télévision publique de qualité, dont vient de parler M. Jospin, puisque vous allez nous retirer de l'argent ?

- « D'abord je voudrais bien dire que c'est une réforme majeure, et qui est très importante pour l'ensemble des Français puisqu'il s'agit d'abord de répondre à leur attente. Les Français consacre en moyenne trois heures par jour devant leur écran de télévision : une réforme ambitieuse en matière de service public est donc très sensible. Supprimer les tunnels de publicité sur France 2 et France 3, c'est… »

Q - Les tunnels de publicité, ça veut dire pour les téléspectateurs qu'au lieu de voir 14 minutes, ils en verraient combien ?

- « Ils en verront cinq minutes par heure, c'est la limitation, au lieu de 12 au maximum autorisées aujourd'hui. Cela veut dire plus de fluidité des programmes… »

Q - Il faut savoir que cette publicité nous rapportait de l'argent et nous permettait de faire des programmes, de faire de l'information. Alors avec quoi allons-nous financer ce que nous faisons, nous, télévision publique ?

- « Nous allons financer ce manque à gagner de recettes publicitaires par des crédits budgétaires inscrit au budget de l'Etat. Je rassure tout de suite les téléspectateurs, cela ne veut pas dire pour autant qu'ils paieraient plus d'impôt pour la télévision ou la radio publique, puisque la somme qui va compenser cette baisse de crédits publicitaires représente un millième du budget de l'Etat. Donc pas d'impôt, mais en même temps pas d'augmentation de redevance pour autant, puisque nous estimons que la redevance doit avoir un niveau raisonnable et une progression limitée pour les téléspectateurs ».

Q - Vous connaissez bien l'Allemagne, en Allemagne la redevance est quasiment le double de la nôtre. Pourquoi est-ce qu'on n'augmente pas franchement la redevance, et qu'on dit très franchement qu'une télévision publique ça nécessite de l'argent et ça se paie. Pourquoi est-ce que vous n'allez pas jusque-là ?

- « D'abord il faut donner les moyens à la télévision publique d'être une télévision qui prend des risques, qui est créative et qui peut affronter avec tous ses moyens la révolution technologique. Il y a à la fois la créativité, l'innovation, et la réduction de la publicité va permettre d'avoir plus tôt par exemple ces émissions du soir, d'avoir un meilleur enchaînement des émissions. Mais il faut en même temps aussi répandre : on l'a vu, les autres télévisions européennes veulent exporter leurs programmes, nous devons le faire aussi. Nous n'avons aucune raison de ne pas être fiers de nos programmes ».

Q - Vous ne m'avez pas répondu sur la redevance ?

- « Si la redevance : pourquoi ne pas l'avoir aussi élevée que d'autres pays ? Tout simplement parce que nous partons d'une situation différente aujourd'hui en France. Le choix qui a été fait, à un moment donné, c'est de limiter les crédits de l'Etat, et l'Etat n'a plus rempli ses responsabilités. Aujourd'hui, lorsque l'Etat dit : je compense la baisse des ressources publicitaires payer des crédits budgétaires, il assume sa responsabilité d'actionnaire. C'est ce que l'on doit aux téléspectateurs ou à l'auditeur qui paye sa redevance, et c'est donc justice de procéder ainsi ».

Q - On a fait un petit calcul : vous allez remettre sur le marché publicitaire entre 1 et 2 milliards à peu près ?

- « Cela représente environ 2 milliards de francs ».

Q - Deux milliards qui vont aller directement chez nos concurrents et amis de TF1 et M6 : ils vont être très contents. Et la télévision publique va faire comment pour combler cet écart qui va s'agrandir ?

- « Je pense que vous avez fait comme moi, vous avez peut-être lu ce matin un article dans Le Figaro qui indiquait les propos d'annonceurs qui envisagent très clairement une redistribution, pour une part de ces sommes et des annonces, vers la presse écrite vers les chaînes thématiques ou vers la radio ».

Q - Cela ira inévitablement vers les gros médias.

- « Ces médias manquent de ressources, et c'est une bonne chose s'ils peuvent en bénéficier. Pour le reste, ce qui apparaîtrait comme un enrichissement sans cause, c'est-à-dire comme des recettes qui viendraient en quelque sorte spontanément vers les chaînes privées, nous y avons pensé. Le Gouvernement prévoit un dispositif qui permettra, au vu des sommes qui seraient collectées ainsi, d'en reprendre une partie et de consacrer ces recettes à la production, à la création audiovisuelle ».


France INTER : jeudi 1er octobre 1998

Q - Le grand service public de télévision que le Gouvernement souhaite mettre en place sera-t-il sous hypothèque, celle de la croissance ? En réduisant de 12 à 5 minutes par heure le temps de la publicité – ce que les téléspectateurs souhaitent unanimement – France 2 et France 3 vont perdre plus de 2 milliards de francs que l'Etat décide de compenser au franc près. Or il n'est pas question d'augmenter la redevance au-delà de l'inflation, les sommes seront prélevées sur le Budget général de la nation. Ce projet, qui a pour but de redonner tout son sens et tout son contenu à l'audiovisuel public et qui veut mettre fin à toute tentation de privatisation de France 2, n'est-il pas directement exposé à la conjoncture économique ? Et en cas de crise, n'y aurait-il pas la tentation de réduire la contribution de l'Etat et de rouvrir le robinet de la pub ? Un choix politique mais j'allais dire, un peu comme le Budget, on en parlait il y a quelques jours ici-même avec D. Strauss-Kahn, un peu comme pour la Sécu : vous ne contrôlez pas la croissance ?

- « Non. La croissance, on ne la contrôle pas. Mais ce que je peux dire, c'est que l'Etat a un devoir. Il faut qu'il fasse un choix et cela fait des années qu'il ne l'a pas fait. En réduisant les crédits budgétaires destinés à la radio, à la télévision, on n'a pas vraiment respecté l'attente du public. Ce que propose cette loi, de façon ambitieuse et précise, c'est de mieux répondre à l'attente du public parce qu'il est nécessaire, s'il y a concurrence entre radios, télévisions, secteur privé et secteur public, que le téléspectateur, l'auditeur soient assurés de pouvoir faire un choix, d'avoir un service public qui peut aussi ne pas être sous la conduite, sous la férule de la nécessité de rechercher des recettes de publicité. Parce qu'au bout d'un certain temps, et c'est ce qui s'est passé, on raccourcit le temps des émissions pour pouvoir passer de la pub avant et après et on pense le contenu des programmes en fonction des annonces que l'on veut glaner. A un moment donné, on peut se poser la question : est-ce que si l'on dépasse un certain seuil – c'est la question que je me suis posée -, c'est-à-dire si l'on dépasse 50 % de recettes de publicité, on n'est pas en train de changer profondément la nature du service public ? L'Etat s'est engagé à apporter les recettes, faire son devoir et donc compenser entièrement la différence avec la réduction de la publicité, des crédits qui pourraient manquer, mais en même temps, il s'est engagé à la pluriannualité, c'est-à-dire à l'évolution positive des ressources pour faire face à l'autre défi qui est le défi technologique ».

Q - C'est quand même un très, très grand changement parce que jusqu'ici, la ligne, à Bercy, on la connaît bien. Chaque fois que l'on connaissait une période un peu difficile, à Bercy on disait : on réduit un petit peu la contribution de l'Etat et on augmente la pub. On jouait sur cette carburation-là. Vous pensez que ça va vraiment changer ça ?

- « Ce qui va changer, c'est de l'inscrire dans la loi. C'est-à-dire que cela oblige absolument chacun, non seulement le ministère de la Culture et de la Communication mais en même temps le ministère de l'Economie et des Finances, avec qui nous avons préparé cette loi, de prévoir les moyens. Pourquoi est-ce que la télévision, la radio ont été moins considérés dans notre pays que tout ce qui représentait les tuyaux : le câble, les télécommunications, bref tous les supports de communication ont été jusqu'ici davantage valorisés. C'est fini, avec le numérique, nous passons à l'ère des contenus. La première révolution est d'abord celle des dates. C'est de comprendre que le défi technologique devant lequel on est, non seulement nous demande des moyens financiers mais en même temps nous demande des programmes. Nous devons gagner le défi des programmes. Car c'est à partir des émissions, à partir des débats, à partir des fictions, à partir de tout ce que l'on peut apporter d'éducatif et de culturel, une ouverture à toutes les cultures par exemple, sur la radio et à la télévision, c'est ainsi que l'on pourra répondre à l'ouverture et à la multiplication des supports de transmission. Et ça, c'est pouvoir aussi prendre en considération le fait que les Français – pour la télévision – passent en moyenne trois heures par jour devant l'écran. Est-ce qu'il n'est pas normal que l'Etat réponde à ce défi technologique en changeant les structures qui soutiennent la production des télévisions publiques et en même temps apporte à tous. Parce qu'on a beaucoup parlé de la télévision mais il y a aussi la radio, ou les radios auxquelles s'adresse exactement le même engagement ; c'est-à-dire un contrat d'objectifs où on dit précisément, en même temps le rendez-vous. Si l'Etat assure la pluriannualité des moyens, la croissance des moyens, régulière, pour que radios, télévisions puissent remplir leur mission, cela veut dire qu'il y a une contrepartie, c'est l'exigence du service public ».

Q - Mais pour le contribuable, où est la différence entre une augmentation de la redevance et le recours au Budget. Est-ce qu'au fond, ça n'est pas un peu la même chose ?

- « Non, parce que les crédits budgétaires, c'est un millième du Budget de l'Etat, ça ne change pas le niveau de la fiscalité et ça n'augmente pas l'impôt. La redevance, c'est ce que les Français paient directement pour la télévision, pour la radio et les autres entreprises audiovisuelles. C'est donc beaucoup plus sensible. Et c'est la raison pour laquelle j'ai plaidé pour une évolution raisonnable et modérée parce que je pense que si on demande une contribution aux Français, il faut qu'ils puissent en voir le résultat, la contrepartie, eux aussi. La contrepartie, c'est la qualité des programmes, c'est le fait qu'on puisse avoir des émissions à l'heure, c'est le fait que l'on ne soit pas obligé de subir les tunnels de pub avant son journal : c'est ça qui commençait à les agacer. Et quand le téléspectateur ou l'auditeur n'a plus le sentiment d'être respecté, là il commence à rouspéter en disant : pourquoi est-ce je paie pour ça ? Donc, c'est ça. Au fond, je veux tout à fait rassurer les auditeurs : le choix est bien assumé par un choix porté par le Premier ministre ».

Q - C'est un choix politique, c'est clairement un choix politique ?

- « Absolument, parce qu'il y a des arbitrages. Cela veut dire que l'on privilégie l'instrument d'information, d'éducation, de divertissement aussi, que sont les radios et les télévisions publiques parce qu'on estime qu'il est absolument indispensable, aujourd'hui, quand on a multiplication des chaînes, des radios, de pouvoir avoir une référence qui est, au fond, celle qui est pensée pour des raisons de service public et non pour des raisons commerciales ».

Q - Pardonnez-moi, la formule est un peu triviale : c'est un choix politique assez culotté, vous prenez des risques, là, vous le savez bien ?

- « Oui ! »

Q - Et même que L. Jospin lui-même monte au créneau sur une réforme de cette nature ?

- « Oui, je plaide pour cela. Je pense que si l'on n'assure pas l'avenir du service public, ce n'est pas la peine. On ne va pas défendre un service public à qui on confierait des tâches dont il s'acquitterait en pensant que c'est une corvée, avec une qualité moyenne. Aujourd'hui, ce que je souhaite, c'est que les télévisions publiques regagnent davantage de liberté, s'ouvrent aux créateurs, soient à la pointe de l'innovation, la radio aussi. Ce défi technologique, nous pouvons le remplir, nous avons les personnels et les compétences. Mais encore faut-il que l'on y croit. Si l'Etat passe son temps à fragiliser ce qu'il doit financer, on ne peut pas penser qu'on y trouve une vraie sécurité. Donc on apporte la sécurité mais on prend des risques. Mais je demande aux entreprises publiques de prendre le risque de la qualité parce que ça, c'est extrêmement important. Il est vrai que l'on peut toujours dire, lorsque l'on est obligé de chercher des recettes ailleurs, c'est-à-dire sur le marché de la pub : je suis obligé de faire un programme comme ci et comme ça parce que sinon je n'aurai pas mes recettes. Là, on est en train de discuter de ce que l'on met à l'écran ».

Q - Mais vous faites un cadeau royal à TF1, à M6. Vous leur demanderez des contreparties ou pas ? Parce que moins d'espace de pub coûte plus cher, donc là, ils vont…

- « Un peu plus cher, parce que vous savez, le marché est mondial et tributaire de la croissance. Donc ça fait un petit peu des hauts et des bas. Là-dessus, nous y avons pensé. Il est hors de question de dire, dès lors que l'on baisse le recours à la pub des télévisions publiques, on laisse se faire tout simplement un transfert automatique vers les chaînes privées. Il est question de constater les suppléments de ressources qui seraient liés à l'effet de la loi et qui seraient en soi une sorte de rupture d'équité entre télévision privée et télévision publique. Une fois ce constat fait, ces sommes supplémentaires sont orientées vers la production, nous devons exporter nos programmes, nous devons faire des émissions plus nombreuses et meilleures pour la jeunesse, nous devons en même temps soutenir la production audiovisuelle si l'on veut réussir là encore ce défi technologique. Donc c'est une perspective à la fois d'augmentation de ressources pour le secteur, c'est en même temps la possibilité de redistribuer vers des médias, qui se plaignent de ne pas avoir assez de moyens de ce type, c'est-à-dire les radios, c'est-à-dire les chaînes thématiques ou la presse écrite surtout, c'est la possibilité pour les annonceurs là aussi de se répartir mieux. S'il y a moins d'écran, on fera peut-être aussi des publicités différentes, c'est-à-dire que l'on choisira de passer peut-être moins souvent mais avec des images – la pub aussi est un métier créatif – qui seront aussi de qualité ».


EUROPE 1 : mercredi 7 octobre 1998

Q - Le Parlement de Strasbourg, c'est-à-dire votre ville, a levé l'immunité de J.-M. Le Pen qui va affronter maintenant la justice allemande. Le Pen avait offert votre tête sur un plateau au Front national, est-ce que, ce matin, vous vous sentez vengée et satisfaite ?

- « Pour moi, il ne s'agit pas de vengeance mais il s'agit d'un combat politique qui doit être mené de façon continue. Je me réjouis que le Parlement européen ait levé cette immunité parlementaire avec un vote unanime, sauf les voix du Front national. Il faut qu'un député européen comme J.-M. Le Pen, qui a choisi de nier l'histoire et de faire une provocation scandaleuse en Allemagne soit jugé comme n'importe quel citoyen ».

Q - Le Front national attaque partout sur la culture. A votre avis quelle est la meilleure réponse à J.-M. Le Pen et à ses successeurs possibles ?

- « Il y a une double réponse à apporter à la bataille qui est menée par J.-M. Le Pen : faire vivre le débat démocratique et la République, montrer que son alternative et les solutions qu'il préconise sont absolument contraires à l'intérêt des Français. La deuxième chose est d'être exigeant et de ne rien laisser prendre. J.-M. Le Pen a été condamné récemment par le tribunal d'instance de Paris sur la tête qu'il avait offerte ; c'est la première fois, et je pense que cela fera jurisprudence. La violence symbolique, les propos auxquels il se livre sont aujourd'hui considérés comme une incitation à la haine ou à la violence. Ceci est aujourd'hui fixé par le droit, et je pense que chaque citoyen de ce pays pourra s'en servir ».

Q - Est-ce que je peux vous demander pourquoi vous n'avez pas manifesté, samedi, à Lyon, contre C. Millon ?

- « J'étais en Égypte où je devais participer à l'inauguration de l'exposition organisée par la France ».

Q - Vous voulez dire que sinon vous auriez manifesté ?

- « J'ai envoyé un message de soutien. Je pense que cette manifestation était importante. Ce qui est aujourd'hui en jeu, c'est le risque de banalisation du Front national et le poison que le Front national a décidé d'instiller dans les partis de droite. Je pense que c'est leur intérêt de se séparer de ce risque ».

Q - Mais Millon et Le Pen, c'est la même chose ?

- « Si ce n'est pas tout à fait la même chose, au moins dans ce qui est prétendu, cela devient une prise d'otage par le Front national de C. Millon ».

Q - La loi sur la réforme de la télévision publique va pratiquement être bouclée aujourd'hui. Elle prévoit de limiter la publicité. Les Français s'en réjouissent d'après un sondage publié hier par Le Figaro qui n'a jamais caché son hostilité à la publicité télé. Pourquoi êtes-vous restée à mi-chemin, pourquoi ne la supprimez-vous pas totalement, dans ces conditions ?

- « Supprimer la publicité n'est pas le problème. Ce que souhaitent les Français, c'est de pouvoir avoir des émissions qui commencent à l'heure, une programmation et une grille de programmes beaucoup plus fluides, que les programmes du soir, les émissions du soir commencent plus tôt. Et puis, tout simplement avoir une meilleure télé. Donc, le service public est là, non pas pour faire la télé des annonceurs mais la télé des téléspectateurs ».

Q - Autrement dit la publicité gêne la qualité de la télé ?

- « Oui parce qu'aujourd'hui, le contenu des programmes et la qualité des programmes sont choisis pour pouvoir disposer des annonces qui sont faites de publicité. Or je pense que c'est d'abord en remplissant ses missions de façon plus inventive, plus créative que la télévision publique peut justifier d'être financée par les téléspectateurs ».

Q - Les Français auront de toute façon à payer, est-ce que vous confirmez que la redevance ne va pas augmenter ?

- « La redevance va évoluer de façon tout à fait raisonnable parce que la baisse des crédits liés à la publicité sera entièrement compensée par le budget de l'Etat ».

Q - C'est-à-dire 2,5 milliards environ ?

- « C'est plus de deux milliards puisqu'on y ajoute également le coût des programmes supplémentaires puisque l'on gagne 350 heures de programme par an ».

Q - Et si un jour la droite vous succède et qu'elle ne se sent pas engagée par vos promesses, qu'est-ce qui se passe pour le service public ?

- « Elle sera obligée de repasser devant le Parlement car la réduction horaire, les cinq minutes de publicité par heure seront inscrites dans la loi. Il faut donner au service public de l'audiovisuel, la pérennité, la constance, la stabilité. Il faut renforcer l'audiovisuel public au moment où les télés, les radios doivent affronter une vive concurrence internationale ».

Q - Est-ce que MM. Bouygues, Monod et Mestrallet vous ont déjà dit merci ?

- « Ils ne m'ont pas dit merci parce que, comme vous l'avez remarqué, lorsque les Français disent qu'ils ne sont pas satisfaits d'avoir des tunnels de pub, cela vaut aussi bien pour la télé privée que pour la télé publique. Et par ailleurs, s'il y a transfert de crédits par l'effet de cette loi, nous y avions pensé. Il n'est pas question de faire un cadeau aux télés privées ».

Q - C'est-à-dire qu'il y aura une taxe pour aider la production et la création. Cette taxe, qui va l'établir ?

- « Il y aura un prélèvement ».

Q - A partir de quels résultats d'audience, et comment ça sera versé ?

- « C'est tout simplement une modification du compte de soutien actuel. On rajoute, par un calcul assez complexe, cette ponction supplémentaire sur ce surcroît de recettes en cherchant à soutenir tout ce qui peut aider l'internationalisation des programmes, les nouvelles images. Parce que, l'un des enjeux pour nous, aujourd'hui pour la France, c'est de relever le défi technologique, lorsqu'on va avoir une télévision nouvelle, une télévision numérique à partir de l'an 2000. Il faut la préparer et réussir. C'est l'enjeu ».

Q - Vous croyez que votre échafaudage va faire peur à M. Murdoch ou aux grandes compagnies américaines ?

- « Quand j'entends la critique du retour à l'ORTF, je me dis que ce qu'on veut éviter ou ce que veulent éviter certains, c'est un groupe puissant, un groupe fort qui peut tenir tête non seulement aux autres groupes de télévision publique en Europe et dans le monde, mais aussi chercher un nouvel équilibre. On sort de la télévision commerciale, par contre la concurrence se jouera sur les programmes ».

Q - Pour vous, l'argent de la publicité ce n'est pas, finalement, de l'argent sale ?

- « Ah non, je n'ai pas vis-à-vis de la pub une attitude négative. La pub est aussi créative, elle fait partie aujourd'hui de notre société. C'est bien la raison pour laquelle les Français disent : la pub on l'accepte ; mais trop c'est trop ».

Q - On dit qu'il y aura une deuxième loi, et qui concernera plus le privé ?

- « Ce n'est pas seulement un “on dit”. C'est la réalité. Car j'ai engagé une grande réforme de la communication pour préparer la France à cette révolution technologique. Et cette deuxième loi sera en principe examinée avant le débat à l'Assemblée nationale sur la loi sur l'audiovisuel public. Elle permettra de donner le cadre d'évolution technologique, les mesures qui concernent la concentration – la lutte contre la concentration -, l'indépendance des rédactions, mais en même temps, les nouveaux services. Puisqu'il faut bien le rappeler aux auditeurs : on aura bientôt entre soixante, quatre-vingt – peut-être au-delà – chaînes, qui pourront aussi bien être les chaînes généralistes qu'ils connaissent bien, que des chaînes nouvelles que l'on appelle thématiques ou payantes ».

Q - C'est-à-dire les chaînes que va permettre, par exemple, le numérique terrestre. A qui allez-vous donner les fréquences qui vont être bientôt dégagées ou créées ? Vous avez récemment inauguré, à Rennes, une plate-forme expérimentale de numérique terrestre. A qui allez-vous donner les nouvelles fréquences : aux chaînes qui existent déjà -TF1, France 2, France 3, etc – ou à d'autres ?

- « Il y aura les deux. C'est-à-dire à la fois une extension des services possibles pour les chaînes existantes – publiques, privées. Et en même temps, je pense que ce sera une opportunité pour les télévisions régionales ou les télévisions locales qui devraient trouver la possibilité de se lancer grâce à la loi que je vais proposer au Parlement ».

Q - Beaucoup disent qu'il s'agit de la dernière loi avant la privatisation.

- « Je pense que c'est, en effet, la dernière opportunité. Et cette loi est ambitieuse, et nous prenons le risque de la qualité du service public pour offrir un véritable équilibre entre télévision commerciale et télévision de service public. Mais si cette loi est combattue, et si on ne donne pas les moyens… »

Q - Si elle échoue.

- « Moi, je pense qu'elle n'échouera pas. Je pense que ça ne peut être que parce que certains penseraient qu'il faudrait privatiser France 2, qu'il y aurait un risque de faire échouer cette loi. Elle est ambitieuse et elle est cohérente puisqu'il y a, à la fois, un groupe fort et des moyens importants. C'est normal, jusqu'à présent l'Etat n'a pas complètement rempli son devoir. Aujourd'hui, il va le remplir ».

Q - C'est-à-dire que l'Etat garde la main sur le service public.

- « Non, il ne garde pas la main ».

Q - Ce n'est pas une loi politique, ce n'est pas une loi idéologique ?

- « Non, ce n'est pas une loi politique. Donner plus pour que le service public soit bon, ce n'est pas un problème idéologique. C'est un problème, tout simplement, de cohérence et de responsabilité ».

Q - Est-ce que c'est vous, Mme Trautmann, qui défendrez la loi jusqu'au bout ?

- « Je la défendrai jusqu'au bout. Et j'ai réussi à convaincre le Premier ministre sur les orientations que j'ai proposées. J'ai son soutien, le soutien du Gouvernement, je suis donc bien décidée à aborder ce débat jusqu'au bout ».

Q - Qu'est-ce qui serait une réussite pour vous ?

- « La réussite ça sera la satisfaction des téléspectateurs, contents de leur télé ».