Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mes Chers Collègues,
Mes tous premiers mots seront pour saluer le Président de l'UDF, Valéry Giscard d'Estaing, dont je voudrais dire combien j'ai été impressionné par les récentes interventions sur le problème du chômage et par la contribution aussi éminente que courageuse qu'il apporte au grand débat national qui s'est ouvert. Je voudrais également remercier les groupes parlementaires de l'UDF et leurs Présidents, Charles Millon, Maurice Blin, Marcel Lucotte et Ernest Cartigny pour leur invitation à participer à ces journées. J'ai été d'autant plus sensible à ce geste qu'il s'adresse tout autant au Président de l'Assemblée nationale qu'à l'élu de ce département, où vous avez choisi de tenir à nouveau cette rencontre, ce dont je ne saurais assez vous féliciter.
Ce département, vous le savez, a une histoire qui se confond assez largement avec celle de la République. C'est son patriotisme, son adhésion aux nouvelles institutions que la Convention, puis le Corps Législatif, souhaitèrent mettre en exergue en donnant son nom à l'une des plus belles places de Paris. Songez, pour m'en tenir à un critère dont vous comprendrez que je le retienne entre tous, qu'il n'a pas donné moins de 7 présidents à l'Assemblée nationale – cette circonscription se taillant la part du lion puisqu'elle porta au perchoir 4 de ses représentants.
En tout cas, nul dans les Vosges et dans cette ville de Vittel, dont notre ancien collègue Hubert Voilquin est le maire, n'a oublié la réunion commune des groupes UDF et RPR qui s'y tint il y a huit ans, au lendemain du succès des élections législatives de mars 1986. Et chacun se réjouit sincèrement de vous accueillir.
Je viens donc en voisin, puisqu'Épinal est très proche de Vittel. Je viens également en ami, dans la circonscription de Jean-Pierre Thomas : son élection à l'âge de 36 ans est à l'image de notre Assemblée où siègent, depuis 1993, nombre de talents nouveaux et éminents. Je viens en ami, heureux tout particulièrement de retrouver parmi vous un Albert Voilquin en pleine possession de ses moyens. Je viens enfin en témoin, pour m'interroger avec vous, brièvement, sur la place du Parlement dans nos institutions et, plus largement, dans notre société. Tant il est vrai que cette réflexion est nécessaire, qu'il serait opportun qu'elle ait sa part dans le débat présidentiel à venir, et que, déjà, nos deux assemblées s'attachent, de leur mieux, à la promouvoir.
Chacun peut en effet constater, au-delà des procédures et des styles nécessairement propres à chacune d'entre elles, la communauté d'analyse et d'objectifs qui anime et justifie tant l'action de vos Présidents, mon ami René Monory et moi-même, que le soutien que vous nous avez apporté, soutien sans lequel rien n'aurait été possible. Permettez au Président de l'Assemblée de saluer à ce propos la contribution qu'apporte le groupe UDF de l'Assemblée à la qualité du débat parlementaire et à la modernisation de nos méthodes de travail. Je m'en voudrais ainsi de ne pas exprimer ma gratitude aux Vice-Présidents issus de l'UDF, Gilles de Robien, Loïc Bouvard, et Pierre André Wiltzer, ainsi qu'à son questeur, Ladislas Poniatowski, pour leur constante disponibilité comme pour l'efficacité de leur action, qui ne sont pas pour peu dans les premiers résultats obtenus.
Je m'en voudrais de ne pas dire, aussi, à Charles Millon tout le prix que j'attache à ses avis et plus encore à l'amitié fidèle – et exigeante – dont il m'honore. Pour autant, il m'est difficile de citer tous ceux des députés présents qui se sont illustrés depuis le début de cette législature. Je souhaite néanmoins souligner combien le talent et la hauteur de vue de rapporteurs tels que Jean-François Mattei sur la très délicate question de la bioéthique, ou de Nicole Ameline, à propos du rôle des Parlements nationaux en Europe, ont servi l'image du Parlement. Nous attendons avec d'autant plus d'impatience l'aboutissement des réflexions engagées sur nos méthodes de travail par François Sauvadet ou Laurent Dominati, sans oublier pour autant l'activité inlassable, courageuse et tenace de José Rossi.
La rénovation du Parlement, en effet, est indissociable de la crise culturelle que traverse notre société, et de la dérive de nos institutions qui en est à la fois la conséquence directe et l'une des causes majeures. Au fil des ans, et tout particulièrement depuis 1981, a tendu à s'instaurer une grande confusion des pouvoirs : la présidentialisation et le fait majoritaire se sont combinés pour limiter, de manière regrettable, les contrôles exercés par le Parlement sur l'exécutif ; la hiérarchie des normes a été bouleversée par la montée en puissance du droit européen mais aussi des circulaires, qui se font souvent loi quand la loi n'est pas le moyen de les légaliser; les juges ont pu parfois sembler céder à la tentation de se substituer aux politiques, et les politiques aux juges.
Bref, les citoyens ont pu considérer à bon droit que les repères essentiels de la vie publique s'estompaient fâcheusement. Dans cette perspective, la rénovation du Parlement apparaît centrale, non seulement pour les institutions mais pour la citoyenneté, non seulement pour la légitimité de nos assemblées mais pour le maintien à son rang de l'État Républicain.
Que le Président préside, que le Parlement légifère, débatte et contrôle, que les magistrats instruisent et poursuivent, que chacun des pouvoirs utilise à plein ses compétences dans les limites que lui assigne la Constitution de la Vème République, tels sont les principes simples mais trop souvent perdus de vue, qui doivent guider la marche de notre démocratie.
De fait, le respect de notre Constitution exigerait d'abord que nous votions moins de lois, mais de meilleures lois, car chacun sait bien que trop de loi tue la loi. Les textes législatifs sont trop nombreux, insuffisamment préparés et, comme le dénonçait le Conseil d'État dans son Rapport de 1991, trop souvent composés de dispositions réglementaires.
La réforme de notre règlement à laquelle vous avez tous, mes Chers Collègues, apporté un soutien déterminant apparaît de ce point de vue encourageante. En distinguant plus clairement le travail technique effectué au sein des commissions et la discussion politique réservée à la séance publique, nous ne pourrons que renforcer l'efficacité du travail parlementaire. Je voudrais à cette occasion rendre hommage à Pascal Clément, ministre délégué aux relations avec l'Assemblée nationale, pour l'esprit de coopération et de responsabilité dont il a constamment fait preuve dans la mise en œuvre de cet important changement. (…)
Rendre hommage également à la manière dont les présidents de commission, notamment Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Barrot, François-Michel Gonnot, ont su appliquer avec volonté et courtoisie les nouvelles dispositions qui, sans leur appui personnel, seraient restées lettre morte.
La revalorisation du rôle du Parlement passe également par un véritable contrôle de l'Assemblée, et donc des citoyens, sur l'action du Gouvernement comme sur les actes de l'Union européenne. Sur ces deux aspects, des avancées importantes ont été enregistrées.
Diverses initiatives ont été prises pour permettre à l'Assemblée d'exercer plus pleinement les pouvoirs que lui confie la Constitution.
Une seconde série d'innovations majeures est intervenue avec la mise en œuvre de l'article 88-4 de la Constitution, qui fait obligation au Gouvernement de soumettre au Parlement les propositions d'actes communautaires comportant des dispositions de nature législative. La décision du Premier ministre de ne pas accepter une délibération du Conseil des ministres de l'Union avant leur examen par la Délégation pour l'Union européenne représente un progrès considérable qui nous place en la matière au tout premier rang des Parlements européens. Il demeure cependant un regret, celui que malgré les demandes que nous avions formulées, René Monory et moi-même, le Gouvernement ait maintenu une lecture par trop littérale des dispositions de l'article 88-4, excluant de son champ d'application les accords inter institutionnels et les propositions d'actes relevant des 2ème et 3ème piliers du Traité de Maastricht. Mais je ne désespère pas que des solutions satisfaisantes soient trouvées.
Il nous reste à nous tourner vers l'avenir et vers les grandes évolutions qui, tout en servant de clef de voûte aux réformes déjà engagées, devraient, je le répète, se trouver au cœur du grand débat qu'appellent les élections présidentielles. Au plan intérieur, nul ne conteste la nécessité de poursuivre un rééquilibrage des pouvoirs au profit du Parlement. Dans cette perspective, je continue à plaider pour l'adoption d'une autre organisation de nos sessions, qui permettrait de rationaliser définitivement l'emploi du temps des Assemblées et des parlementaires. Sans remettre en question les choix effectués en 1958, ce changement placerait le Parlement en situation d'interlocuteur crédible et permanent du gouvernement.
Il est un deuxième volet qui appelle le développement de nos réflexions la recherche des moyens de réduire la suspicion qui peut entourer les parlementaires. Suspicion illégitime, au demeurant : jamais, au cours de ces dernières années, un parlementaire n'aura été soupçonné, inquiété ou poursuivi à raison des fonctions nationales qu'il exerce. Il demeure qu'un parlementaire qui exerce d'autres mandats ou fonctions doit être encore plus exemplaire que tout autre.
À cet égard, j'ai pris bonne note des diverses propositions qui ont émané de vos rangs. Du Président Giscard d'Estaing, du Président Millon, de Philippe Vasseur ou encore de Raymond Barre qui fait de cet objectif le premier des sept objectifs qu'il a défini pour la France.
Elles ont trait à la transparence des patrimoines, au problème du financement par les entreprises, notamment. J'y rajouterai volontiers le renforcement des incompatibilités.
En tout cas, quelle que soit sa forme, une initiative me paraît indispensable. Il serait impensable, inacceptable que nous ne prenions pas notre part à la réflexion qui doit s'engager. Pour l'heure y sont seulement conviés les juges et les représentants du monde économique. C'est-à-dire l'arbitre supposé et le corrupteur présumé. Quant au troisième partenaire du trio qui défraye la chronique c'est-à-dire nous, le tenir plus longtemps à l'écart donnerait à penser qu'il est, par définition, le seul suspect, le seul coupable des trois – ce n'est pas loin de là –, mon sentiment.
Nous sommes confrontés à un problème de crédibilité de la chose publique et de ses responsables. Nous avons le droit et le devoir de le traiter.
Dès lors qu'il s'agit d'un sujet où la préoccupation est partagée et transcende les clivages, je suis prêt, pour ma part, à mettre en place, sur le modèle de celui qui a œuvré avec succès sur la réforme du règlement, un groupe de travail réunissant les représentants de l'ensemble des groupes et chargé de déboucher sur un texte commun. Tant il est vrai que dans un tel domaine, l'initiative parlementaire est probablement irremplaçable. Ce groupe de travail ne concurrencera en rien celui mis en place par le Premier ministre. Mais j'ai la conviction qu'il le complétera utilement.
Restera, j'en demeure convaincu, le problème de l'immunité parlementaire. Le système actuel confine à l'absurde. Il ne donne pas seulement à penser à l'opinion qu'il s'agit d'une protection exorbitante du droit commun et du bon sens, il produit des effets strictement inverses à ceux qui sont recherchés.
La procédure de levée de l'immunité n'est plus une garantie, elle est l'occasion d'une mise en accusation à grand spectacle. Elle n'est plus un garde-fou, elle est un pré-jugement. Nous serions bien inspirés, selon moi, de nous en tenir à l'autorisation d'arrestation et de décider de la suppression de tout le reste. Et je forme le vœu que cette session ne nous donne pas de nouvelles occasions de vérifier l'urgence d'une telle réforme.
Mais si nous devons être prêts à renoncer à ce que, en session, la mise en examen soit soumise à notre autorisation, en revanche nous devons nous interroger sur l'extension de l'acception de la notion d'arrestation. La garde à vue devient aujourd'hui symbole d'infamie, alors même qu'elle est dans une enquête un acte banal. Nous devrions avoir, selon une procédure allégée, à définir, à l'autoriser en permanence.
Pour le reste, tout le reste, c'est aux groupes ou à l'initiative individuelle de jouer. À eux d'aborder, avec prudence, le problème du rapport de l'exécutif et des parquets, tout en demeurant conscient que la crainte de l'étouffement demeure une des principales raisons alléguées de la violation du secret de l'instruction. À eux d'aborder, de même, le sempiternel problème de la solitude du juge d'instruction. Pourrons-nous accepter longtemps qu'avant tout jugement, l'honneur d'un homme puisse, objectivement, dépendre des foucades éventuelles d'un seul autre ?
Le troisième grand chantier est européen. Au-delà des difficultés d'application de l'article 88-4 de notre Constitution, il m'apparaît indispensable d'impliquer directement les Parlements nationaux dans le processus de décision de l'Union européenne, afin de résorber ce déficit démocratique qui est désormais unanimement admis et critiqué.
Pour cela, deux voies devront être empruntées. Il me semble tout d'abord indispensable que les Parlements soient associés aux négociations institutionnelles qui vont s'ouvrir en 1996 et qui auront pour principal objectif de redéfinir les institutions européennes. De manière complémentaire, l'un des objectifs prioritaires qui doit être assigné à cette négociation consiste à placer les Parlements nationaux en position de jouer tout leur rôle dans la construction européenne. Nous constatons en effet que la majeure partie des règles nouvelles introduites dans notre corpus juridique est d'origine européenne, et ce y compris dans des domaines traditionnellement considérés comme régaliens. Dans ces conditions, les Parlements nationaux, représentants légitimes des peuples de l'Europe, ont naturellement vocation à s'affirmer sur la scène européenne. Ceci passe assurément par l'organisation d'une coopération plus étroite entre les Assemblées des États membres ; ceci passera peut-être aussi, un jour, par l'organisation d'une représentation permanente de ces Assemblées à Bruxelles.
Ce combat ne m'appartient pas. L'immense majorité des Présidents des Parlements des pays membres de l'Union est arrivée à la même conclusion et s'est prononcée en faveur du renforcement de leur rôle en Europe. C'est la raison pour laquelle, lors de la rencontre qui s'est tenue à Bonn le 12 septembre dernier, un appel a été lancé pour qu'à l'instar du Parlement européen, les Parlements nationaux participent aux travaux du Comité d'experts, préparatoires à la Conférence intergouvernementale de 1996, afin de faire entendre leurs voix et prendre en compte leurs légitimes préoccupations.
Tels sont, mes Chers Collègues, les grandes questions qui vont se présenter devant nous et dont les clefs résident pour partie seulement entre nos mains. En revanche, pour ce qui concerne la crédibilité et le sérieux de nos travaux, il nous revient de continuer à combattre la démagogie antiparlementaire qui fait rage, en sachant poursuivre avec fermeté et constance le travail de réforme interne qui a été engagé par nos deux Assemblées.
Mes chers collègues,
La rénovation du Parlement ne saurait être dissociée à la fois des grandes échéances qui s'ouvrent devant nous et de l'entreprise générale de redressement du pays que mène le gouvernement avec le soutien de sa majorité. Nos deux Assemblées, comme chacun d'entre nous, ont vocation à animer le débat public, à faire part de leurs propositions, en un mot à conjurer par la qualité des hommes et la hauteur des propos la déconsidération du politique, la perte du sens de l'intérêt général, le mépris du droit et l'indifférence pour la démocratie qui sont autant de facettes de l'antiparlementarisme.
L'institution parlementaire demeure, j'en ai la conviction, la clef d'une démocratie vivante et concrète dans le monde d'aujourd'hui, pour peu que le Parlement remplisse effectivement les fonctions qui lui sont déléguées par le peuple. Il existe en effet formellement des Parlements presque partout dans le monde, y compris dans les régimes dictatoriaux. C'est la capacité des Parlements à exercer véritablement leur rôle, et notamment leur rôle de contrôle du gouvernement, qui fait les Nations libres.
Je ne doute pas que dans cette entreprise de longue haleine, le groupe UDF, par sa force de proposition et sa capacité de conviction, continuera à ne pas ménager son soutien.
Si j'en crois Charles Millon, nous avons à refonder la République. Je ne doute pas que vous saurez y prendre toute votre part.