Texte intégral
Force Ouvrière Hebdo : 14 septembre 1994
Les salariés oubliés les « intouchables » épargnés
Reprise. Le mot est à la mode.
Un taux de croissance économique de 3 % est pronostiqué par les pouvoirs publics pour 1995, 2 % pour 1994.
Dans le même temps, sont annoncées une reprise de l'emploi et une diminution du chômage. Tout irait donc pour le mieux. Est-ce bien le cas ?
Les salaires continuent à piétiner. Un salarié sur cinq n'a eu aucune augmentation de salaire, collective ou individuelle, en 1993.
La Sécurité sociale est menacée, ce qui justifie que nous lancions notre campagne (voir l'édito du n° 2215 de HO Hebdo du 7/09/1994).
Le chômage de longue durée s'accroît en volume et en gravité. Par ailleurs, les mesures de traitement social (CES – exonération pour temps partiel – retraits d'activité en particulier) gomment artificiellement l'importance du chômage.
Quant à l'emploi, outre le fait que de plus en plus la précarité s'installe – ce qui nous fait dire que la flexibilité joue clairement contre l'emploi – il suffit de savoir que la Sécurité sociale n'a pas encore perçu de « remontée » dans les recettes en terme de cotisations.
Au passage cela montre également que la flexibilité joue aussi contre la Sécurité sociale, les exonérations diverses de cotisations patronales pénalisant son budget.
Pour les salariés, la reprise se confirmera quand deux éléments seront conjoints :
– une augmentation du pouvoir d'achat des salaires ;
– la création d'emplois normaux, a contrat traditionnel.
Or, nous n'en sommes malheureusement pas là.
Pourtant, qui peut nier qu'un soutien à la consommation serait efficace ?
L'exemple de la prime automobile, même limitée, le prouve. Les ventes ont augmenté ce qui a permis à l'État de récolter 400 millions de francs supplémentaires au titre de TVA. C'est-à-dire qu'un soutien de la consommation a aussi pour effet de réduire les déficits budgétaires et publics, objectif présenté comme prioritaire par le gouvernement et les économistes orthodoxes.
Retrouver des marges de négociation pour relever le pouvoir d'achat des salaires est aujourd'hui une triple nécessité :
– économique, car en soutenant l'activité cela conduit les entreprises à embaucher ;
– sociale, car cela aborde les caisses des régimes de protection sociale collective,
– psychologique, car cela redonne confiance aux salariés qui pourront accroître leur consommation.
Visiblement, c'est-à-dire officiellement, le gouvernement et le patronat ne l'entendent pas ainsi. Tout se passe comme si, dans leur esprit, après la rigueur ne pouvait survenir que la boulimie entraînant inflation, pertes de compétitivité, etc. C'est en quelque sorte l'image de la personne faisant un régime strict et qui du jour au lendemain se gaverait…
C'est dans ce contexte qu'il faut interpréter les propos du Premier ministre dimanche soir à 7/7 rien sur les salaires, rien sur la Sécurité sociale. En revanche, M. Balladur suggère l'idée de « pacte social » qui n'est rien que la volonté de faire cogérer aux syndicats la crise et, par déduction, la responsabilité du chômage.
Nous entendons déjà les nouveaux appels à l'effort en matière de salaires et de Sécurité sociale pour obtenir, soi-disant, une diminution du chômage !
En annonçant un objectif : une diminution du chômage d'un million a raison de 150 000 par an, le Premier ministre aurait besoin de… sept ans. C'est-à-dire de la durée d'un septennat…
Pas plus qu'hier, Force Ouvrière ne s'engagera dans un « pacte social ». À nouveau nous rappelons que nous sommes des interlocuteurs, pas des partenaires, nous ne sommes pas les cogestionnaires du chômage, il ne faut pas confondre les responsabilités.
Au lieu de répondre aux revendications, le Premier ministre cherche à limiter l'action des syndicats en les « ficelant » dans un pacte.
En un mot nous deviendrons ses auxiliaires nous l'avons refusé à d'autres, nous le refuserons à celui-ci.
D'autant que le gouvernement oublie de rappeler le très fort développement des inégalités sociales. Pour lui, la répartition des richesses ne vaut qu'entre les salariés, comme s'il y avait des intouchables dans d'autres catégories sociales d'initiative en faveur des employeurs, de personnels de service est révélatrice en la matière.
Interrogés par sondage les Français ont plus de bon sens (1). Ils pressentent que le chômage va continuer à s'aggraver, que la Sécurité sociale est menacée, que leur pouvoir d'achat continue à être pressuré. Ils se prononcent pour une relance de l'activité économique, y compris si cela doit avoir un effet sur l'inflation.
Il nous appartient, en revendiquant partout des augmentations de salaires, de contraindre le gouvernement et le patronat à passer de l'illusion à la réalité.
C'est cela aussi le rôle du syndicalisme indépendant. Les salariés ne vivent pas de mirages mais d'espoirs concrétisés.
(1) Le journal « La Tribune » du 5/09/1994
Force Ouvrière Hebdo : 21 septembre 1994
Ça fait beaucoup
Dans une interview aux Échos, le Directeur général de l'ANPE – qui est, rappelons-le, un service public ! – a peut-être fait de la provocation comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, sans s'en rendre compte. Il n'en reste pas moins que ses propos ont un mérite, celui de la clarté, rappelons-les : On n‘échappera pas à une réflexion plus large sur les contreparties à demander aux chômeurs indemnisés. La collectivité n'est-elle pas en droit, comme c'est le cas en Allemagne, de lui proposer d'accomplir une tâche d'intérêt général en échange de son indemnisation.
Puis, évoquant la nécessité d'agir sur le coût du travail pour remédier au chômage des non-qualifiés, il précise : « Pour beaucoup d'entreprises, un salarié non-qualifié ne vaut pas les 10 000 francs par mois qu'il coûte ».
Nous avons immédiatement et fermement réagi aux propos de Monsieur Bon.
Cependant, l'information étant par définition réductrice, il nous semble utile de bien préciser les choses.
Les chômeurs et les travailleurs non-qualifiés ne sont pas des « produits » que l'on met à l'étal dans un hypermarché avec des prix fluctuant selon les promotions, et compte tenu des stocks. On n'embauche pas dans les rayons de l'ANPE en remplissant son caddy.
Contraindre les chômeurs indemnisés par l'UNEDIC à effectuer des travaux d'intérêt général ce qui, comme le note Alain Lebaube dans le Monde, peut rappeler les ateliers nationaux de sinistre mémoire, c'est surtout bafouer la solidarité inhérente au régime d'assurance-chômage. C'est un droit, d'être indemnisés c'est pour cela que les salariés cotisent eux-mêmes à l'assurance-chômage.
Il ne peut y avoir aucune contrepartie à ce droit.
Aurait-on l'idée, dans la même logique, d'exiger d'un salarié retraité (dont la retraite est un droit de même naturel), d'effectuer aussi des travaux d'intérêt général !
Ceci étant précisé, les travaux d'utilité publique dont il s‘agit correspondant à des besoins, ils sont, par définition, créateurs d'emplois ; on peut s'étonner que le Directeur général de l'ANPE veuille ainsi étouffer les potentialités créatrices d'emplois.
Enfin un Directeur général de service public peut-il publiquement, faire des propositions de nature politique, prenant ainsi le risque d'être désavoué par le ministre ? Ce qui est d'ailleurs fait puisque monsieur Giraud a indiqué qu'il s'agissait d'une déclaration à titre personnel. On peut en conclure que ni le ministre de tutelle, ni le Conseil d'administration (où siègent les syndicats) n'approuvent les propositions du Directeur général de l'ANPE.
Mais déjà la semaine dernière Libération faisait état de déclaration de hauts fonctionnaires dans le cadre du Commissariat au Plan tout aussi scandaleuses, que ce soit sur la Sécurité sociale, le SMIC, le coût du travail.
Il nous faut aussi rappeler que la neutralité et le devoir de réserve des fonctionnaires sont une nécessité en démocratie républicaine.
Car cela est révélateur d'un phénomène inquiétant : quand les pouvoirs politiques laissent filer leur pouvoir, quand le libéralisme économique conduit à gérer les structures publiques comme des entreprises privées, voire à sous-traiter au privé certaines missions du service public, c'est bien les principes républicains essentiels qui sont mis en cause
Et ce sont les gouvernements, quels qu'ils soient, qui sont les premiers responsables.
En congrès à Bayonne la Fédération Nationale de la Mutualité Française, dont nous contestons les propositions politiques formulées sur l'ensemble du système de santé et de protection sociale – nous y reviendrons – a invité le ministre de la Santé et des Affaires sociales, Mme Simone Veil.
Le ministre a d'abord noté les 23 milliards d'économies réalisées à la fois au travers de la maîtrise médicalisée (14 milliards) et des restrictions du niveau de remboursement (9 milliards). Malgré cela, le régime général connaîtrait en fin d'année un déficit de trésorerie de 56 milliards de francs ! Et d'envisager un élargissement progressif de l'assiette de financement au-delà des seuls salariés.
Ce qui correspondrait, qu'on le veuille ou non, à une défiscalisation accrue de la Sécurité sociale.
Le ministre a, bien entendu, oublié de parler des charges indues et transferts, des pertes de recettes dues à l'insuffisance des salaires et du chômage.
Par contre, elle a indiqué sa volonté de généraliser des PMSI dans les hôpitaux, c'est-à-dire la fixation de normes et de coûts pour chaque maladie, sa volonté de faire traiter la dépendance par les conseils généraux, sa volonté d'activer la réforme de la Sécurité sociale, « d'une manière beaucoup cohérente, beaucoup plus globale ». Et de faire référence à la sortie prochaine du livre blanc sur la Sécurité sociale.
Face à un tel « emballement » tous azimuts, il va nous falloir, tout en gardant la fête froide, accélérer le mouvement.
Nous savons la Sécurité sociale en danger et les attaques diverses sérieuses. C'est pour cela que nous avons lancé notre campagne.
Que les choses soient claires : Nous n'accepterons pas que la Sécurité sociale soit pervertie.
Force Ouvrière Hebdo : 28 septembre 1994
Budget 1995
Il ne sera certainement pas appliqué
Le projet de budget 1995 a été rendu public la semaine dernière.
Dans la limite où la planification n'existe plus, chacun s‘accorde à considérer le projet de budget comme l'orientation de la politique économique des pouvoirs publics.
C'est en effet à cette occasion que le gouvernement affiche ses priorités et présente les moyens auxquels il recourt pour les réaliser.
L‘une des caractéristiques essentielles du cru 1995 est avant tout de rassurer les marchés financiers.
Ceux-ci ne s'y sont d'ailleurs pas trompés si l'on examine les réactions des investisseurs étrangers qui considèrent qu'il s'agit d'un « pas dans la bonne direction » et, faut-il le rappeler, ce qui guide les marchés financiers c'est avant tout les perspectives de rentabilité des placements.
D'une certaine façon, il ne s'agit plus « de ne pas désespérer Billancourt » mais de ne pas « désespérer les spéculateurs ».
D'où l'insistance du gouvernement sur l'affichage d'une réduction de 23 milliards de francs du déficit budgétaire.
Pour y parvenir, le gouvernement n'hésite pas à l'ordre les barres. Les exemples sont multiples.
En matière d'impôt sur le revenu, non seulement aucun allègement n'est annoncé, mais la pression va s‘accroître. En effet, les tranches vont être relevées de 1,4 % (indice des prix hors tabac), alors que d'autres recettes vont être indexées sur l'indice, tabac compris 1,4 % pour les taxes qu'ils paieront 1,7 % !
Les recettes de privatisations escomptées (55 milliards de francs, estimations jugées très optimistes par de nombreux experts), recettes par définition exceptionnelles, sont utilisées pour faire face à des dépenses courantes.
En matière de Sécurité sociale, de nouvelles contorsions sont réalisées.
En particulier le gouvernement retire du budget de la fonction publique certaines charges de pension de fonctionnaires pour les mettre à la charge du fonds de solidarité vieillesse alimenté en partie par la CSG.
Non seulement l'État se désengage ainsi de certaines charges, mais on se rend encore mieux compte de l'utilisation que peut faire le gouvernement d'un impôt, ce qu'est la CSG. Ses affectations varient régulièrement au gré des budgets, c'est une des raisons qui nous conduisent à nous opposer à la fiscalisation de la protection sociale collective. À n'en pas douter, tout cela ne manquera pas d'alimenter les débats sur la Sécurité sociale qui devraient avoir lieu au Parlement en novembre.
Nous avions en son temps critiqué cette procédure en disant qu'elle allait politiser le dossier Sécurité sociale.
Nous en aurons vraisemblablement la première illustration à cette occasion.
En tout cas, il nous faudra mettre tout en œuvre pour nous faire entendre et faire valoir nos analyses et revendications et ce, en gardant votre liberté de comportement.
Le budget 1995 poursuit, par ailleurs, le mouvement de budgétisation des cotisations patronales de Sécurité sociale.
Aux 9 milliards d'allégement dont ont bénéficié les entreprises en 1944, viendront s‘ajouter 8,5 milliards en 1995, soit pour l'année prochaine, 17,5 milliards de cotisations patronales en moins.
Non seulement les effets sur l'emploi de cette décision sont encore à démontrer, mais les pronostics faits par le ministre du Budget nous laissent cois : 100 000 emplois créés à l'horizon 1998 pour une charge budgétaire annuelle de 40 milliards de francs épargnée aux entreprises. Quand un sait que le « coût » annuel de 100 000 « smicards » est de 12 milliards de francs, de 18 milliards de francs à 1,5 fois le SMIC, on mesure le matelas financier dont bénéficient ainsi les entreprises.
Sur l'affectation des crédits, le ministère du Travail (nous devrions dire de l'Emploi) bénéficie d'une progression non négligeable, ce qui signifie que les mesures de traitement social (CES par exemple) vont s‘accentuer ; on peut en conclure que le gouvernement ne croit pas dans la reprise, la relance de l'activité.
À nouveau les salariés vont être pressurés. Le ministre a beau reconnaître que la croissance est tirée par les exportations et l'investissement, il n'en tire pas la conclusion qu'il faut soutenir la consommation.
Pour toutes ces raisons, il convient que sur les salaires et la Sécurité sociale nous accentuions la pression.