Texte intégral
Colloque « Les conciliateurs de justice ». – Jeudi 18 juin 1998.
Monsieur le Premier Président,
Monsieur le Procureur Général,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Mesdames et messieurs les magistrats,
Mesdames et messieurs les représentants des professions judiciaires et juridiques,
Mesdames et messieurs les conciliateurs de justice,
Mesdames et messieurs.
Cela fait vingt ans qu'existe l'institution des conciliateurs de justice. Tout au long de ces 20 années, la vie de la conciliation a été émaillée de phases d'engouement auxquelles ont succédé des périodes d'hésitations. A plusieurs reprises, (en 1981, en 1993, en 1995 et en 1996), le cadre juridique de la conciliation a été modifié pour tenter de répondre chaque fois un peu mieux aux attentes de nos concitoyens.
Il faut maintenant inscrire pleinement la conciliation dans la politique publique d'accès au droit et de résolution amiable des conflits que viendra consacrer le projet de loi que je défendrai le 29 juin prochain devant l'Assemblée Nationale.
Je tiens tout d'abord à rappeler combien le conciliateur de justice a été un précurseur (1), avant de vous dire comment je vois le développement de son rôle (2), plus encore dans, le cadre d'une politique globale alternative au procès (3).
1) Le conciliateur, un précurseur.
Dans cette politique alternative aux procédures contentieuses, l'institution du conciliateur de justice a joué, un rôle de précurseur.
Les statistiques transmises par les premiers présidents permettent d'évaluer à plus de 73 000 le nombre d'affaires soumises aux 1 350 conciliateurs en 1996 avec un taux de succès, (variable évidemment selon les litiges et les conciliateurs), estimé globalement à plus de 45 %. La progression est importante, puisque le nombre d'affaires soumises aux conciliateurs n'était estimé qu'à environ 20 000 en 1989.
Permettez-moi de rendre hommage au remarquable travail accompli, années après années, bénévolement et avec beaucoup de conscience, par les conciliateurs de justice qui, par leur action, ont été les meilleurs promoteurs de leur institution.
Comment, en effet, autrement que par la voie de la conciliation, résoudre ces multiples petits litiges quotidiens dont les sources se situent dans les actes de la vie courante, les rapports de voisinage, les difficultés de recouvrement de petites créances, ou bien encore toutes sortes de contrats de location ou de service ? Pouvoir régler ces litiges rapidement et simplement, de façon négociée, évite de multiples tensions sociales.
La conciliation peut en effet intervenir très vite. Elle est gratuite et ne présente pas de risque juridique ou financier, puisque les parties s'engagent seulement dans la mesure de ce qu'elles acceptent.
La conciliation s'intègre parfaitement dans les réponses de proximité puisque les conciliateurs de justice, implantés auprès des tribunaux d'instance, interviennent généralement dans les mairies.
Résultant de l'adhésion commune, l'accord réalisé réunit toutes les chances d'être exécuté spontanément sans qu'il soit nécessaire que le juge d'instance lui donne force exécutoire.
Particulièrement efficace pour ce qu'il est coutume d'appeler les petits contentieux, la conciliation constitue de la sorte, ainsi que le souligne le titre de votre colloque, un mode « pratique » de résolution des conflits. C'est ce type de réponses qu'attendent nos concitoyens.
2) Développer l'institution du conciliateur.
Tous les modes alternatifs au procès doivent être favorisés en première intention. C'est dans ce cadre que doit s'inscrire le développement de la résolution des conflits par la voie de la conciliation, de manière à ce que, sur l'ensemble du territoire, nos concitoyens puissent avoir accès aux services des conciliateurs de justice, dont les domaines d'intervention ont été récemment élargis.
En ce qui concerne les modalités de recrutement et d'exercice des fonctions de conciliateur, les adaptations opérées par le décret du 13 décembre 1996 favorisent un plus grand développement de la conciliation. Dans le même temps, j'ai veillé à ce que les mesures nouvelles de la loi de finances pour 1998 permettent le recrutement de 400 nouveaux conciliateurs.
La circulaire du 1er août 1997 a particulièrement appelé l'attention des chefs des cours d'appel sur la nécessité d'intensifier les actions d'information du public sur la conciliation et de relancer les appels aux candidatures à l'exercice des fonctions de conciliateur de justice. C'est avec cet objectif que la cour d'appel de Paris fait preuve d'un dynamisme tout particulier, et je tiens à remercier Monsieur le Premier Président CANIVET et ses collègues pour les initiatives exemplaires que vient fédérer le colloque qui nous réunit aujourd'hui.
Mais, développer les procédures de conciliation et accroître le recrutement de conciliateurs impose toutefois de garantir à nos concitoyens la qualité des services qui pourront leur être rendus. Il faut donc s'assurer des aptitudes des candidats à l'exercice de ces importantes fonctions.
A cette fin, un effort particulier doit être fait pour mener des actions de formation à l'intention des conciliateurs. Aussi, le développement de la conciliation sera désormais accompagné par la mise en place de sessions de formations déconcentrées au niveau des cours d'appel.
Dans cette perspective, la Chancellerie et l'École Nationale de la Magistrature, avec la participation de l'Association Nationale des Juges d'Instance et de l'Association des Conciliateurs de France, ont élaboré un plan de formation. L'accent est mis sur deux points qui me paraissent essentiels : l'amélioration des compétences juridiques des conciliateurs et leur formation aux techniques d'entretien.
La mise en oeuvre de ce plan de formation est d'ores et déjà engagée, puisqu'une première session-expérimentale a réuni la semaine dernière à l'École Nationale de la Magistrature à Paris des conciliateurs des cours d'appel de Paris, Versailles, Orléans, Rouen et Reims qui venaient d'être récemment nommés dans leurs fonctions.
En même temps que l'organisation de sessions de formation sera étendue progressivement à l'ensemble des cours d'appel, le ministère prépare une campagne nationale d'information sur la conciliation, qui sera conduite en liaison avec les premiers présidents.
Mais nous devons, au préalable, bien définir les besoins de nos concitoyens en matière de conciliation et disposer d'éléments plus précis sur les prestations effectuées. En plus d'une recherche engagée sur ce thème, va être lancée une enquête qualitative. (En effet, par exemple, les statistiques d'activité dont nous disposons actuellement ne permettent pas de connaître la nature précise des contentieux traités.)
Dans ce plan de développement de la conciliation, il conviendra de veiller au respect des objectifs suivants :
– élargir le recrutement des conciliateurs pour trouver un équilibre sociologique correspondant à la société d'aujourd'hui ;
– introduire une démarche-qualité auprès des usagers, en évaluant le service rendu ;
– évaluer la disparité des pratiques pour élaborer un guide de référence ;
– enfin, progressivement, mettre fin aux disparités territoriales qui font que l'institution du conciliateur, bien implantée dans certaines zones rurales, est sous-représentée dans les zones urbaines à forte densité, là où se posent de multiples litiges de la vie quotidienne qu'il faut traiter en priorité pour éviter la dégradation des relations sociales. En cela la conciliation doit participer de la politique de la ville.
C'est pour répondre en particulier à cette disparité territoriale que les nouveaux conseils départementaux de l'accès au droit et des modes amiables de résolution des conflits auront, entre autres, pour mission de recenser l'ensemble des actions conduites dans un même département. Seront ainsi mis en évidence les besoins non satisfaits les plus criants pour que soit menée en certains lieux une politique active qui a fait défaut jusque-là.
3) Inscrire pleinement l'action des conciliateurs de justice dans la politique d'accès au droit et de résolution amiable des conflits.
Je souhaite juste resituer la place de la conciliation et de la transaction dans la philosophie d'ensemble du projet de loi relatif à l'accès au droit et à la résolution amiable des conflits que je soutiendrai le 29 devant l'Assemblée nationale.
Vouloir régler un conflit autrement que par un procès, constitue une approche qui, pour le monde judiciaire, modifie parfois bien des habitudes.
Certains y voient, face à l'engorgement des juridictions et la lenteur des procédures, un ensemble de mécanismes propres à favoriser une meilleure régulation des flux contentieux. Je ne crois pas qu'il faille écarter cet objectif, car les contentieux civils ont doublé en vingt ans, et il est difficile de rendre une justice de qualité – à laquelle je sais l'attachement des magistrats – dans un contexte de surcharge d'activité.
Mais ce projet se situe dans une perspective bien plus ambitieuse.
J'ai, en effet, la conviction profonde que les solutions négociées peuvent apporter une réponse plus adaptée à de nombreux litiges et qu'elles doivent, dans le cadre de l'institution judiciaire, trouver une place à côté de la réponse classique qu'est le jugement.
C'est pourquoi le développement des modes alternatifs de règlement des conflits constitue une priorité.
Vous connaissez, parce que j'ai déjà eu l'occasion de les présenter, les deux principaux volets de ce dispositif.
J'entends, d'une part, donner un nouvel essor à la conciliation, et, d'autre part, faciliter la transaction et encourager les solutions négociées dans le cadre de la réforme de l'aide juridique et de l'aide à l'accès au droit.
La négociation doit constituer non seulement une alternative au jugement, mais aussi et surtout une alternative au procès lui-même. Il faut cesser de confondre l'accès au droit et l'accès à la Justice. Je crois maintenant que cette distinction commence à progresser dans les esprits.
3-1 La conciliation, une alternative au jugement
Si la conciliation et la médiation judiciaires ont été consacrées par le législateur, les textes n'ont pas suffit à assurer le succès de ces procédures.
A cet égard, je souhaite, plus particulièrement, évoquer devant vous la tentative préalable de conciliation qui, à l'initiative du juge d'instance et avec l'accord des parties, peut, depuis la loi du 8 février 1995, être confiée à un conciliateur de justice.
La délégation de la tentative préalable de conciliation judiciaire, jusqu'alors assurée par le seul juge d'instance, a constitué une innovation importante. Même s'il entre dans la mission naturelle du juge de concilier les parties, aucun monopole ne peut lui être reconnu. Plus que d'un arbitre, les parties ont souvent besoin de rencontrer un tiers neutre, mandaté, et qui dispose de la disponibilité nécessaire pour les écouter et rapprocher leurs points de vue.
Mais j'observe que le dispositif en place n'a pas eu le succès escompté. Sans doute, parce que la délégation de la tentative préalable de conciliation, n'a pas la souplesse nécessaire. J'ai donc demandé à mes services d'alléger les modalités de cette délégation.
Il faut surtout, qu'avec le concours des conciliateurs de justice, le tribunal d'instance, juridiction de proximité par excellence, devienne le lieu privilégié de la conciliation.
Le champ d'intervention des conciliateurs de justice mandatés par le juge demeure encore trop étroit dans les textes, puisqu'il reste cantonné aux procédures introduites par voie d'assignation laquelle n'est pas le mode principal de saisine du tribunal d'instance.
Là encore, les magistrats ont innové et nous devons nous inspirer de la pratique de nombreuses juridictions.
Je pense tout particulièrement aux juges d'instance qui souhaitent la présence d'un conciliateur au tribunal, le jour de l'audience, afin de lui soumettre, avec l'accord des parties, les affaires susceptibles de se résoudre amiablement.
Je sais que cette pratique, qui permet de ne pas différer la rencontre avec le conciliateur alors que les parties sont mises en présence l'une de l'autre, se révèle largement positive et nous allons faire en sorte qu'elle se développe.
Mais la recherche de solutions négociées aux litiges doit aussi être poursuivie en amont même de l'intervention du juge.
3-2 La conciliation et la transaction avant même la saisine du juge.
Le projet de loi se propose de simplifier et généraliser les conseils départementaux d'accès au droit et de résolution amiable des conflits (nouvelle appellation) qui ont pour vocation, sous l'égide du président du tribunal de grande instance, d'animer cette politique.
– La conciliation
La place des conciliateurs s'inscrit pleinement dans cette perspective. Le réseau local de conciliateurs doit aider à un maillage de réponses de premier niveau pour les litiges de leur compétence. Dans tous les lieux d'accès au droit, l'orientation possible vers un conciliateur de justice devra être rappelée.
La présence des conciliateurs dans les mairies, dans tous les lieux d'accès au droit, en particulier dans les maisons de justice et du droit, constitue un gage de leur implication dans ce dispositif.
Je souhaite aussi que le réseau des conciliateurs s'intègre auprès des juridictions. Ainsi, par exemple, dans les cinq expériences de guichet unique de greffe qui viennent d'être lancées (Angoulême, Compiègne, Limoges, Nîmes et Rennes), sur un même site de premier accueil, sera offerte à l'éventuel justiciable une palette de réponses, dont l'information, la remise d'un dossier d'aide juridictionnelle, l'orientation vers une consultation juridique, ou vers un conciliateur. Même lorsque la personne s'adresse directement à la juridiction, la réponse peut être alternative à la saisine contentieuse.
Cette réponse peut être la conciliation. Elle peut être aussi la transaction.
– La transaction
La transaction pré-contentieuse, comme l'a préconisé le président COULON, doit devenir un instrument efficace pour les parties en lui conférant une force comparable à celle d'un jugement exécutoire, au terme d'une procédure très simple. Mais, il ne faut pas le cacher, le développement de la transaction ne se fera pas sans incitation financière. En l'état actuel du dispositif d'aide juridique, seule ouvre droit à une rétribution pour l'avocat la transaction intervenue en cours de procès. Les avocats, dans ces conditions, ne sont pas portés à favoriser entre leurs clients des négociations pré-contentieuses.
C'est pourquoi le projet de loi prévoit un élargissement du domaine de l'aide juridictionnelle pour que la transaction avant procès soit rétribuée à ce titre. Il en sera de même des pourparlers transactionnels qui auront échoué malgré les diligences sérieuses accomplies.
Ainsi, la réforme corrigera un système qui est actuellement inégalitaire. Aujourd'hui, seuls les justiciables qui en ont les moyens peuvent supporter le coût financier de négociations préalables, les personnes qui n'ont pas les ressources suffisantes ne pouvant faire valoir leurs droits qu'en engageant un contentieux devant une juridiction avec le bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Le projet de loi permettra à tout individu, quel que soient ses conditions de ressources, de pouvoir faire valoir ses droits, avec l'aide d'un avocat, sans obligatoirement assigner son adversaire devant le tribunal.
Conclusion
Lors du colloque organisé à la Sorbonne, le 2 avril dernier, sur « l'accès au droit et l'accès à la justice », j'avais souligné combien tous ceux qui concourent à l'oeuvre de justice devaient prendre conscience de la profonde évolution culturelle dans laquelle nous étions engagés dans les modes de réponse de la justice aux contentieux civils.
La justice, et en particulier la justice civile, ne doit plus être une machine à absorber passivement une masse de contentieux. La justice pénale a déjà anticipé ces évolutions. Lorsque dans le ressort du tribunal de Lyon, le tribunal correctionnel juge dans l'année 8 000 affaires, tandis que 4 000 font l'objet d'une médiation pénale en maison de justice, cela veut dire que nous ne sommes plus au stade de l'expérimentation, mais d'une véritable politique judiciaire.
Même si la justice civile connaît depuis longtemps la conciliation et la médiation, ces réponses ont encore trop de mal à émerger des domaines classiques de l'institution judiciaire, et surtout concernent encore trop peu ce que l'on appelle les « contentieux de masse », Il faut que tous ces modes alternatifs de règlement des conflits se développent, sous cette forme de justice qui apaise les tensions sociales.
Cette approche va bien au-delà d'un simple désencombrement des tribunaux. Elle doit essentiellement permettre à chacun de se voir offrir une palette de réponses possibles afin de choisir la voie la mieux adaptée pour faire valoir ses droits.
La conciliation en amont du judiciaire ou en cours d'instance s'inscrit parfaitement dans cette approche. Je vous remercie tous, professionnels et bénévoles, qui, au cours de journées comme celles-ci, aidez au recrutement et à la formation des conciliateurs. En apportant des réponses compréhensibles, rapides, efficaces et apaisantes, vous contribuez à ce que nos concitoyens retrouvent confiance en la justice et en ses capacités d'adaptation.
Recevez tous mes encouragements pour vos travaux au cours de cette journée.
Courrier de la Chancellerie - juillet 98.
L'accès au droit constitue un volet fondamental de la réforme de la Justice, aujourd'hui engagée dans toutes ses dimensions.
Parce qu'il se préoccupe du lien qu'entretient chacun et chacune, au jour le jour, avec le droit et la Justice, parce qu'il est un pari vers davantage d'écoute et de dialogue dans une société marquée par l'effacement des médiations naturelles, une société où la régulation par le droit doit l'emporter sur les rapports de force, le projet de loi relatif à l'accès au droit et à la résolution amiable des conflits touche au coeur même du pacte républicain.
J'ai souhaité que le nouveau dispositif d'accès au droit soit discuté en priorité par l'Assemblée nationale. L'examen et le vote de ce texte en 1ère lecture le 29 juin ont démontré le souci partagé par le gouvernement et la représentation nationale d'apporter une réponse ambitieuse à la demande sociale de droit, dans le prolongement des expériences de terrain, animées au plan local par les chefs de juridictions, les professions judiciaires et les associations, qui tous ont contribué à la définition d'une véritable politique publique d'accès au droit.
Si tout symptôme ne relève pas de l'hôpital, tout litige ne doit pas relever nécessairement du tribunal. La distinction entre l'accès au droit et l'accès à la Justice est en cela essentielle. L'objectif premier n'est pas de désencombrer les tribunaux mais bien d'adapter le service public de la Justice à des évolutions de fond et de favoriser des solutions négociées. Elles répondent souvent mieux à la nature de certains litiges (familiaux ou de voisinage par exemple) et surtout aux besoins des parties qui se retrouvent dans ces alternatives simples, peu coûteuses, rapides, et qui ne ferment pas la possibilité du recours à la Justice. Chacun se félicitera si par surcroît cela conduit les juges à pouvoir consacrer davantage de temps aux litiges plus complexes, et si cela leur permet de trancher entre des parties qui auront déjà renoué quelques fils de dialogue entre eux. Car au final, c'est la qualité des réponses du service public de la Justice, à laquelle chacun aspire, qui en sera améliorée.
Le nouvel élan donné à la politique de l'accès au droit, parce qu'il part des préoccupations des citoyens, s'inscrit parfaitement dans la réforme de la Justice, dont la réalisation progresse aujourd'hui à rythme soutenu. Elle repose sur les différents textes législatifs soumis au Parlement depuis le printemps et qui continueront d'être discutés au cours des prochains mois. Elle doit aussi se traduire par des moyens accrus, dont le budget 1998 n'est qu'une première phase, et concourir à la modernisation du service public de la Justice.
Discours de Madame Élisabeth GUIGOU
École Nationale des Greffes - 22 Juin 1998.
Monsieur le directeur de l'École nationale des greffes,
Mesdames et Messieurs les chefs de cours d'appel,
Mesdames et Messieurs les coordonnateurs des services administratifs régionaux,
Mesdames et Messieurs,
C'est la première fois que je rencontre les 35 coordonnateurs des services administratifs régionaux. Je suis heureuse de pouvoir le faire, ici, à l'école nationale des greffes, et en présence de nombreux chefs de cour. Je remercie les chefs de cour de marquer ainsi l'importance qu'ils attachent à vos fonctions et leur intérêt pour la gestion et l'administration des juridictions.
La journée de travail que vous avez passée ensemble a permis de dresser une première évaluation des services administratifs régionaux, dont le sigle (SAR) est désormais la dénomination courante. Je voudrais vous rappeler, à cette occasion, combien est prioritaire pour moi la construction de l'administration territoriale des services judiciaires, pour qu'elle soit digne du grand service public de la justice.
Je souhaite tout d'abord vous préciser de quelle façon les SAR doivent jouer un rôle central dans le processus de déconcentration (1) avant de voir comment ils permettront d'améliorer les méthodes de gestion (2). Je vous préciserai ensuite quels sont mes objectifs en terme de professionnalisation des fonctions de gestion (3) avant de conclure sur le rôle de l'école nationale des greffes dans la formation à ces nouveaux métiers (4).
1) LE RÔLE CENTRAL DES SAR DANS LE PROCESSUS DE DÉCONCENTRATION
La mise en place des services administratifs régionaux constitue une étape importante dans l'entreprise de modernisation du service public de la justice et plus particulièrement des services judiciaires qui doivent se doter d'un échelon déconcentré opérationnel comme toute grande administration.
Les SAR répondent à ce besoin d'organisation déconcentrée et constituent le socle d'une administration territoriale des services judiciaires.
Placé sous l'autorité directe des chefs de cour, responsables de l'administration de leur ressort, le service administratif régional assiste les chefs de cour dans la définition et la mise en oeuvre de cette gestion déconcentrée.
1.1 Les trois niveaux d'administration
Si nous pouvons considérer que l'articulation entre les services de l'administration centrale et les cours d'appel est bien définie, l'organisation des rapports entre les cours d'appel et les arrondissements judiciaires doit encore évoluer.
Trois niveaux différents d'administration et donc de responsabilité doivent être identifiés :
– L'administration centrale, qui pour se concentrer sur son rôle de pilotage, de répartition des moyens, de contrôle et d'évaluation, doit se réformer pour s'adapter à ses nouvelles missions et abandonner ses attributions de gestion directe. La réforme de l'inspection générale des services judiciaires, qui est en préparation, s'inscrit dans ces évolutions, puisque ce service s'ouvrira à de nouvelles compétences afin de pouvoir jouer pleinement son rôle dans le domaine du contrôle et de l'évaluation de l'administration de la justice.
– Au niveau régional, les chefs de cours, avec l'assistance des services administratifs régionaux, ont, d'une part, un rôle de gestion directe de certains crédits (informatique, immobilier, vacations) et de répartition des crédits entre les juridictions et, d'autre part, un rôle d'animation des politiques locales et de contrôle des juridictions.
– Au niveau local, il reste encore à préciser les responsabilités de gestion des chefs de juridictions.
Chacune des 1 200 juridictions doit pouvoir exposer ses besoins, les faire arbitrer dans le cadre de procédures claires, sur des critères objectifs et débattus. L'axe doit être mis sur la responsabilisation des différents acteurs. La déconcentration, en particulier, doit laisser aux chefs des tribunaux de grande instance de réelles marges de manoeuvre grâce à des enveloppes globalisées. La déconcentration au niveau des cours d'appel doit être au service des juridictions.
Il faut aussi rationaliser l'échelon de gestion au niveau local en regroupant la gestion comptable des diverses juridictions d'un même arrondissement judiciaire (tribunaux d'instance, conseils des prud'hommes, tribunaux de commerce) autour du tribunal de grande instance. Je souhaite que l'expérimentation menée dans six cours d'appel (Amiens, Angers, Bordeaux, Bourges, Nîmes, Rouen) ainsi qu'à Bobigny soit étendue après une évaluation qui associe l'administration centrale et les juridictions concernées.
Ainsi, se construira progressivement l'administration territoriale de la justice, en intégrant aussi les mutualisations de moyens que permettra l'avancement du dossier de la carte judiciaire.
1.2 La place de chacun : chefs de cour, coordonnateurs et techniciens
La cellule régionale d'administration doit fonctionner sur une logique d'équipe, avec trois types de fonctions :
– les chefs de cour sont mis en mesure de prendre les décisions essentielles pour une politique globale de gestion à l'échelon du ressort ;
– les coordonnateurs proposent et préparent les décisions. Ils doivent bénéficier de délégations claires afin d'être en mesure d'assurer pleinement toutes leurs responsabilités dans la mise en oeuvre et le suivi de la gestion administrative et financière du ressort ;
– une équipe de cadres, professionnels dans les domaines de la gestion budgétaire, de la gestion des ressources humaines, de l'informatique et de l'équipement constitue le niveau opérationnel de la mise en oeuvre technique.
1.3 Les moyens mis en place
A ce jour, toutes les cours d'appel à l'exception de Papeete (dont le SAR sera créé l'an prochain) disposent d'un service administratif régional; au total, 336 fonctionnaires y sont affectés.
Les services administratifs régionaux vont encore être renforcés afin de consolider la déconcentration de la gestion financière et de permettre de vraies délégations de responsabilité dans la gestion des personnels.
2) LA NÉCESSITE D'AMÉLIORER LES MÉTHODES DE GESTION DES JURIDICTIONS
Cette nouvelle approche organisationnelle de la justice passe nécessairement par la modernisation de ses méthodes de gestion.
Un récent rapport de synthèse de la Cour des Comptes sur la gestion administrative et financière des juridictions judiciaires a largement été commenté dans la presse. Je sais combien vous avez été sensibles à certaines présentations caricaturales et je vous ai fait diffuser immédiatement le communiqué pris par la chancellerie à ce propos.
Ce contrôle, qui a démarré en juin 1995, a soulevé de vraies questions et donné lieu à une série d'observations pertinentes, qui ont d'ores et déjà été prises en compte.
Des solutions ponctuelles ont déjà été apportées, mais, d'une manière générale, c'est la réforme de la gestion des juridictions qui est la réponse aux dysfonctionnements relevés.
La construction d'une administration territoriale, la déconcentration de la gestion financière et des ressources humaines, la mise en place d'un contrôle de gestion, la clarification du rôle des trois niveaux de responsabilité – (l'administration centrale qui pilote et contrôle ; la cour d'appel qui gère directement les crédits d'intérêt régional et anime les politiques locales ; les juridictions qui gèrent au quotidien de manière autonome mais responsable, le tout selon des méthodes rationalisées) – toute cette architecture qui se met en place est la condition de la modernisation du service public de la justice.
2.1 Clarifier les circuits et les procédures budgétaires
A chaque niveau territorial est associé un niveau de dépenses et de gestion des moyens :
– Les dépenses d'intérêt régional (l'informatique, le mobilier, la formation des personnels, les crédits de rémunération des vacataires) et les dépenses d'intérêt commun (celles qui relèvent d'une politique d'achat régionale) sont gérées par le service administratif régional.
Je tiens à préciser que la gestion des dépenses dites d'intérêt commun doit être déterminée de manière concertée entre la cour d'appel et les juridictions : il s'agit d'une mutualisation destinée à mettre en place une politique d'achat commune à l'ensemble des juridictions pour ce qui concerne le fonctionnement courant comme, par exemple, les fournitures de bureau, l'achat de mobilier, les contrats de maintenance.
– Enfin, les dépenses d'intérêt local ou de proximité sont gérées directement, de manière tout aussi mutualisée et toujours dans la concertation, au niveau de l'arrondissement par le tribunal de grande instance.
Ces circuits de gestion des moyens s'accompagnent de la mise en place d'un outil informatique d'aide à la gestion destiné à suivre en permanence la situation des crédits, à permettre la transparence des décisions à tous les niveaux, et à exercer un véritable contrôle de gestion.
2.2 La mise en place d'une véritable gestion des ressources humaines déconcentrée. L'efficacité globale d'une organisation est déterminée par la manière dont elle gère ses ressources humaines.
La gestion des ressources humaines représente un enjeu tout aussi fondamental pour notre institution que la gestion des moyens. La modernisation du service public de la justice passe nécessairement par la modernisation de ses méthodes de « management » des ressources humaines, en particulier des 19 700 fonctionnaires de greffe.
Leur effectif s'est fortement accru, et cette progression va encore se poursuivre. Vous l'avez constaté avec l'augmentation du budget 1998 et le plan d'urgence pour les juridictions qui ont permis le recrutement de 800 nouveaux fonctionnaires des greffes.
Je souligne aussi que les crédits consacrés à la formation continue des fonctionnaires des greffes ont atteint 11 MF en 1998.
Il faut aujourd'hui se concentrer aussi sur l'aspect qualitatif de la gestion des fonctionnaires, l'objectif étant de trouver la meilleure adéquation possible entre les besoins de l'administration et les compétences des personnels destinés à les satisfaire. Cela passe par une clarification du rôle des trois différentes catégories (A, B, C) de fonctionnaires exerçant dans les greffes, par une meilleure professionnalisation notamment en matière de gestion, par une formation professionnelle dynamisée et rénovée.
Cela passe aussi par une responsabilité accrue des cadres dans le domaine de la gestion des ressources humaines, par l'acquisition d'une nouvelle culture de la délégation, par la mise en place d'un dialogue social ouvert et responsable qui ne doit pas se limiter à la réunion imposée des instances traditionnelles de concertation mais doit aussi se développer dans les relations quotidiennes de travail.
Cela passe enfin par la possibilité de déconcentrer à l'échelon territorial un certain nombre d'actes de gestion encore centralisés nationalement.
2.3 La formation à la gestion des ressources humaines
Négligée dans les parcours universitaires, la formation à la gestion des ressources humaines doit être considérée comme une matière à part entière dans les enseignements dispensés à l'École nationale de la magistrature et à l'École nationale des greffes.
La formation à la gestion des hommes et des moyens doit constituer un élément prioritaire dans les formations de longue durée qui doivent précéder l'accès à des niveaux de responsabilités dans lesquels l'aptitude au « management » est décisive.
Ce nouvel état d'esprit doit conduire à une articulation de la formation initiale et continue afin de permettre le perfectionnement et la spécialisation des agents dans certaines fonctions tout au long de leur carrière.
3) LA NÉCESSAIRE PROFESSIONNALISATION DES MÉTIERS DE GREFFE
D'une manière générale, je souhaite que l'on réfléchisse à l'évolution des métiers et à une meilleure répartition des tâches au sein des juridictions.
A côté de la nécessaire polyvalence pour certaines fonctions traditionnelles du greffier en tant que collaborateur du magistrat dans ses fonctions juridictionnelles, cette meilleure utilisation des compétences et aptitudes nécessite une autre organisation du travail par exemple dans le traitement de certains contentieux ou pour renforcer les structures d'accueil des justiciables. Une spécialisation est aussi nécessaire en matière de gestion, les rôles et les responsabilités devant être précisés.
Une réflexion a été menée ces derniers mois sur les métiers des greffes par la commission animée par M. NADAL, inspecteur général des services judiciaires et M. GRANGE, premier président de la cour d'appel de PAU.
Je vous ferai diffuser ces prochaines semaines les propositions de cette commission qui s'est réunie à la sous-direction des greffes en associant des magistrats et fonctionnaires des juridictions. Cette réflexion sera soumise aux personnels, aux organisations syndicales et discutées dans les instances de concertation.
Dans cette logique de spécialisation, la création d'un statut d'emploi de chefs de service administratif régional s'avère aujourd'hui nécessaire afin de permettre une ouverture et un choix plus large de professionnels de la gestion et de bénéficier de compétences spécifiquement adaptées à cette fonction de gestionnaire.
Cette évolution est commune à tous les secteurs de notre administration. Ainsi, par exemple, le statut d'emploi des directeurs régionaux et départementaux de la protection judiciaire de la jeunesse vient d'être publié.
Le chef de service administratif régional doit être, sous l'autorité des chefs de cour, le responsable de l'organisation administrative et financière du ressort.
Je tiens à ce que ce projet de statut soit soumis avant la fin de l'année à une concertation avec l'ensemble des responsables locaux et les organisations syndicales de magistrats et de fonctionnaires.
De nouvelles fonctions dans le domaine de l'équipement et de l'informatique peuvent aussi être confiées à des techniciens extérieurs au monde judiciaire.
Je prendrai comme exemple le magistrat délégué à l'équipement. Ces magistrats qui ont oeuvré souvent efficacement dans un contexte difficile, doivent désormais être recentrés sur leur métier qui est de juger.
A leur place, dans les cours d'appel, doivent être recrutés des techniciens en équipement, comme il existe déjà des techniciens en informatique.
Toujours dans la perspective de rationaliser les tâches de gestion et de recentrer les magistrats et les fonctionnaires sur leurs métiers respectifs, doit être aussi abordée la question des « secrétaires généraux ». Il existe actuellement 6 emplois statutaires de secrétaires généraux, à la Cour de Cassation et dans les cours d'appel de Paris et de Versailles.
Dans de nombreuses cours d'appel, les chefs de cour ont confié un certain nombre de tâches à des magistrats placés auprès d'eux, « chargés de mission » ou « secrétaires généraux » de fait. Ces tâches de « secrétaires généraux », avec ou sans statut, ont évolué en même temps que les SAR montaient en puissance. Il convient aujourd'hui de trouver un équilibre et un partage de compétence sans ambiguïté entre les fonctions de gestion, dont les chefs de SAR sont responsables, et les missions des secrétaires généraux.
Ainsi, les chefs de cour d'appel ont besoin d'être personnellement aidés dans l'accomplissement de toute une série de tâches qui ne peuvent être effectuées que par des magistrats qu'ils choisissent à cette fin. Ces tâches peuvent être énumérées :
- Représentation
- Gestion personnelle des magistrats : notation ; discipline
- Ordonnance de roulement
- Rapports avec les auxiliaires de justice et les autorités locales
- Remplacement des collègues absents aux audiences...
Je souhaite que le directeur des services judiciaires, en concertation avec les chefs de cour et les organisations professionnelles, me propose rapidement le profil d'emploi, le statut et la définition précise des compétences des magistrats occupant ces fonctions centrées sur la gestion personnalisée des magistrats et la gestion de l'activité juridictionnelle.
4) LA FORMATION. LA PLACE DE L'ÉCOLE NATIONALE DES GREFFES
Si le professionnalisme et les compétences des fonctionnaires des greffes sont aujourd'hui reconnus au sein des juridictions, c'est grâce à l'effort constant d'adaptation qu'a réalisé l'École nationale des greffes en matière de formation initiale et continue.
Pour répondre aux exigences accrues de leur métier, les fonctionnaires de greffe ont déjà fait progresser leurs compétences et adapté leurs méthodes de travail. Il faut poursuivre cet effort, dans le cadre d'un plan de formation.
Chacun mesure combien la formation professionnelle des fonctionnaires des greffes doit être attentive à l'évolution des besoins des juridictions et des métiers. Elle constitue un levier essentiel de modernisation.
Il est donc de première importance que l'École nationale des greffes, dans ses programmes de formation initiale donne une place primordiale à l'acquisition d'un savoir faire indispensable à l'exercice des responsabilités confiées aux fonctionnaires des greffes.
La formation continue doit s'inscrire dans ces mêmes exigences et réaliser une meilleure complémentarité entre les programmes national et régionaux.
Je sais qu'un travail est entrepris dans ce sens par l'École nationale des greffes avec les responsables de la gestion de la formation au sein des services administratifs régionaux.
La spécificité des métiers des greffes et des missions des magistrats n'est pas un obstacle à la recherche d'une culture commune et à la définition de méthodes et de savoirs partagés.
Dans ce but, j'attends de l'École nationale des greffes et de l'École nationale de la Magistrature, mais aussi de l'École nationale de l'administration pénitentiaire et l'Institut de formation de la protection judiciaire de la jeunesse, qu'elles renforcent et développent leurs relations par des actions communes en matière de formation continue, notamment dans les domaines de la gestion des ressources humaines, s'intégrant dans un plan de formation de tous les cadres de notre ministère.
Les écoles de formation devront prendre une part essentielle dans l'organisation de ces formations communes à la gestion et me faire rapidement des propositions en ce sens.
Mesdames et messieurs, il me paraît de très bonne augure pour les évolutions futures de voir rassemblés, sur des objectifs partagés, les responsables de l'administration centrale, les chefs de cour et les coordonnateurs des SAR.
Vous avez, tout au long de cette journée, mis en commun vos savoirs et vos savoir-faire. Il s'agit du meilleur investissement possible pour aider à moderniser la gestion des juridictions. Mieux notre administration sera gérée, et plus facilement nous dégagerons des marges et nous obtiendrons les budgets dont la justice a vraiment besoin.
Je remercie chacun d'entre vous pour sa participation.