Texte intégral
Rapport d'orientation du PS Pour un combat efficace contre le FN
Gérard Le Gall, quatre mois avant l'arrivée au pouvoir de la gauche, a élaboré à l'intention du Parti socialiste et de son Premier secrétaire, M. Lionel Jospin, un rapport d'orientation destine à combattre le Front national.
Pour la première fois, le Parti socialiste a adopté un document formulant ses analyses et ses recommandations, en un mot la stratégie qu'il entend mener au regard du Front national.
Pour la première fois, ce rapport est publié in extenso. Gérard Le Gall a rédigé ultérieurement une étude "Le Front national à l'épreuve du temps" dans l'ouvrage collectif de la Sofres, "l'Etat de l'opinion 1998" (Ed. du Seuil). Il est aujourd'hui conseiller auprès du Premier ministre et délégué auprès de François Hollande Premier secrétaire du Parti socialiste.
Le spectre de l'extrême droite
L'importance du diagnostique
L'histoire, on le sait, est chose imprévisible. Qui aurait osé imaginer, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, qu'à la fin du siècle un homme politique français aurait évoqué l'inégalité des races comme une évidence ? Qui aurait prédit en 1945 qu'à la fin du siècle un parti neo-fasciste aurait recueilli en onze ans, au moins une fois, les suffrages d'un Français sur quatre ?
De 1945 au début des années 1970, l'idéologie démocratique paraissait durablement hégémonique. Il faut bien constater que, depuis une vingtaine d'années, resurgit, ici et là, en Europe, comme à chaque grande crise à dominante économique, le spectre d'une extrême droite que l'on croyait terrassée avec la défaite du nazisme et du fascisme. Face à la montée des extrémismes de droite et des intégrismes, les démocrates doivent garder leur sang-froid, ils ne doivent pas non plus se départir d'une vigilance et d'une unité dans la diversité qui, un temps, fit défaut lors de la montée des périls à la fin des années 1920 et au début des années 1930.
La réalité politique du Front national en France, sa croissance électorale et, à certains égards, idéologique de 1984 à 1995, ne sont pas une fatalité. Encore faut-il, pour mieux l'endiguer comprendre les raisons qui ont permis son émergence puis son installation. En politique, le diagnostic n'est pas un luxe, mais une nécessité. Cela est d'autant plus impératif pour une formation politique qui se singularise dans l'histoire de l'extrême droite en France et au regard de la plupart des autres formations d'extrême droite aujourd'hui en Europe. Si le travail d'analyse est conduit avec rigueur, à tous les niveaux de l'action, c'est le gage d'une bonne efficacité. Ce combat que la gauche entreprend sans complexe passe prioritairement par son aptitude à présenter des réponses concrètes aux difficultés sociales que connaissent objectivement ou subjectivement les Français depuis un quart de siècle. Parmi ces réponses, biens sûr, des propositions économiques face à l'obsédante présence d'un chômage de masse, cause essentielle de la crise du politique en France et en Europe.
- Le chômage de masse et la crise du politique
- Un projet pour briser la crise d'avenir
Pour faire face au redoutable défi que représente le FN, il convient de forger un projet de société pour penser et construire un futur nouveau. Bref, il s'agit de briser la crise d'avenir qui caractérise l'esprit public depuis de nombreuses années. On doit réhabiliter l'une des fonctions principales de la politique, en donnant une explication et un sens à un monde de plus en plus incompréhensible, laissant ainsi le champ libre à l'expression de tous les démagogues. Il conviendra aussi de renouveler la bataille de conviction à l'aune de l'échec relatif du combat anti-FN, encore que nul ne puisse dire, aujourd'hui, où serait le Front national sans cette résistance. Il reste que l'extrême droite s'est installée dans certains esprits, qu'elle dirige quatre municipalités (Toulon, Marignane, Orange et Vitrolles), qu'elle s'est implantée dans les institutions locales et régionales et qu'elle tente de se faire une place dans la société à travers des associations comme "Fraternité française", dans l'entreprise avec des "cercles" et dans l'administration ou le service public avec des pseudo "syndicats" aujourd'hui interdit par la justice dans des secteurs stratégiques comme les transports, la police...
Pourquoi un rapport du Parti socialiste ?
- Le combat anti-fasciste, composante de la Gauche
Le socialisme démocratique à toujours mené la lutte pour la République, contre le fascisme, contre l'extrême droite factieuse, contre les intégrismes et les totalitarismes. Ces combats pour la liberté s'inscrivent dans son histoire et doivent naturellement se poursuivre au même titre que l'exigence de transformation sociale de construction de l'Europe et de la paix dans le monde. Le PS se bat contre le FN depuis le début des années 1980. Tous ses militants, ses responsables départementaux, ses dirigeants nationaux ont régulièrement manifesté aux côtés d'autres partis progressistes ou d'associations, animé des réunions, rédigé des brochures fédérales ou nationales, des articles de réflexion, des tracts, des chapitres de livres, multiplié les interventions et les débats dans les médias... Rappelons que Lionel Jospin a débattu sur RTL, en 1987, face à Jean-Marie Le Pen. Toutefois, jamais jusqu'à présent la direction du PS n'avait pris l'initiative de débattre sur un rapport d'orientation pour guider sa réflexion et rendre plus homogène et plus efficace son action à travers une orientation stratégique, des propositions, des recommandations et un mode d'organisation.
Premier rapport d'orientation et non une étude de plus sur le FN, ce travail appelle une suite plus précise et plus fouillée sous les formes à déterminer.
- Un premier rapport d'orientation
- Contribuer à la réflexion des militants des citoyens
Sur de nombreux thèmes, il conviendra en effet d'approfondir notre réflexion. Citons, par exemple, le rôle de la culture dans un monde qui a perdu ses repères, le racisme et la xénophobie, l'identité de la France dans une Europe en construction. Ce rapport ne prétend donc pas à l'exhaustivité. Il n'a pas non plus la même ambition que l'indispensable travail d'observation et de recherche de l'université ou que les libres réflexions des essayistes. C'est le travail politique d'un parti pour sa réflexion, sa communication et son action de proximité sur le terrain. De ce fait, il pourra s'éloigner par l'usage de certains concepts, voire de certaines approches, du discours dominant des spécialistes du FN. Son objectif est d'abord de contribuer à la réflexion des militants socialistes, à la rationalisation sur le fond et dans la forme de la lutte anti-FN. Ce rapport peut par ailleurs, au-delà du seul PS, être une contribution au débat, avec tous ceux qui, dans les partis et les associations, agissent sur le terrain pour faire reculer l'extrémisme.
La résurgence d'un terreau favorable à l'extrême droite en France dans les années 1970 et son affirmation électorale au début des années 1980
- Crise du capitalisme mondial
-L'après "Trente Glorieuses"
Un phénomène politique aussi soudain, aussi puissant - 10,9 % des suffrages exprimés aux élections européennes de 1984 -, même s'il y eut quelques signes précurseurs, notamment aux municipales de 1983, n'aurait certainement pas pu se produire si n'étaient intervenues dans les années antérieures de très profondes mutations dans l'économie mondiale et dans notre société. Ce n'est pas l'objet de ce rapport de faire une relecture complète de la décennie 1970. On fera ici, néanmoins, quelques rappels historiques susceptibles d'expliquer cette irruption du FN. On commencera d'abord par rappeler la profonde et durable crise du capitalisme mondial qui commence aux Etats-Unis au milieu des années 1960 et qui va trouver sa traduction en France, puis s'aggraver, après le premier choc pétrolier (1973), ouvrant ainsi la plus longue mutation économique et sociale depuis un siècle. Crise encore aujourd'hui inachevée notamment dans ses conséquences sociales. On rappellera encore, après les "30 glorieuses", la réalité d'un pays désormais urbanise ou apparaissent le début de la crise du salariat, la nouvelle pauvreté, une immigration de plus en plus familiale concentrée dans certains quartiers. On commence à percevoir la crise de la famille, la montée de la consommation de la drogue, l'individualisme moderne, le déclin de la conscience de classe, l'émergence d'une classe moyenne, la désaffection syndicale. Les thèmes de la crise de l'environnement (1972) et de la mondialisation (1975) entrent dans le débat public. Valéry Giscard d'Estaing parle de la France comme d'une "puissance moyenne".
-La crise de la Droite et de la "nouvelle Droite"
- L'affirmation des idées inégalitaires
Face à une profonde crise de l'Etat-nation et à des mutations économiques et sociologiques - après mai 1968, le départ du général de Gaulle (1969) qui laisse la droite populaire orpheline, la renaissance du Parti socialiste après Epinay (1971), l'Union de la Gauche et le programme commun (1972), puis la courte victoire de Valery Giscard d'Estaing en 1974 - la droite connaît une grave crise d'identité. Des intellectuels de droite désireux de partir à la conquête du pouvoir culture, délaissé selon eux à la Gauche, conçoivent le projet de reformer idéologiquement la droite française afin, pour paraphraser Edouard Bernstein, qu'elle "ose paraître ce qu'elle est". C'est le rôle que se sont assignés le Grèce, "Société de pensée" fondé en 1968, le Club de l'Horloge, "Laboratoire idéologique au service de la droite française" (fin 1974). Puis apparaîtra ce que l'on a appelé la Nouvelle Droite (1979). En 1982, les CAR, "Comite d'action républicaine", derrière Bruno Mégret "entendent se constituer en force politique pour faire triompher
un nouveau projet aussi éloigné du socialisme rampant d'hier que du socialisme officiel aujourd'hui". Tous ces clubs vont avoir pour point commun une volonté de promouvoir une société organisée, selon un modèle hiérarchique et inégalitaire, en phase avec la logique profonde du nouveau capitalisme. On voit aussi se développer un racisme différentialiste hostile à tout métissage, fondé sur le droit à la différence.
- Du rapport Peyrefitte (1977) a la loi Securité-Liberté (1981)
Durant cette période, le Giscardisme passera après une rapide phase libérale, à une période de durcissement, de plus en plus accentue à la fin de son septennat. Des ministres vont publiquement faire le lien entre immigration et chômage. On évoque de plus en plus fréquemment le thème du "retour des immigrés". Pour illustrer ce propos, on mesurera les évolutions idéologiques de la période en comparant le rapport Peyrefitte "Réponses à la violence" (1977) et la future loi du même Peyrefitte "Sécurité et Liberté" promulguée en 1981. Le rapport débute par une prospective angoissante "longtemps tenue en marge, la violence s'est installée au coeur de la cité... pas encore en maîtresse mais, si rien n'est fait, ce temps viendra sans doute". Il s'inquiète du consensus autour de la règle de droit et de la pérennité du postulat de Max Weber sur l'Etat, "seul détenteur de la violence légitime". A contre-courant d'une opinion qui demande de la répression, ce rapport consensuel, ou ont participé des élus de droite et de gauche comme des sociologues, va formuler des recommandations en faveur d'une politique ouverte qui servira de référence à tous ceux qui, ultérieurement, réfléchiront à une politique de la ville.
- La droite en proie au doute et à la radicalité
- La remise en cause du président
On y recommande, en effet, l'abolition de la peine de mort, la récusation des milices, l'accroissement du nombre des éducateurs, la participation des citoyens, la création de petits postes de quartiers, l'îlotage, le reclassement social après exécution de la peine et la création des coordinations nationales et départementales avec tous ceux qui sont susceptibles de jouer un rôle dans la prévention. Plus tard, sous l'effet de l'aggravation de la crise économique, la loi anti-casseur (1979), mais aussi a l'approche de l'échéance présidentielle, la loi "Sécurité et Liberté" qui restreint la liberté au nom de la sécurité, sous l'inspiration du même M. Peyrefitte, inversera la philosophie de son rapport. Au lendemain de la première alternance depuis 1945, la droite, persuadée qu'elle a été battue à cause de la trahison de Jacques Chirac, est en proie au doute et espère rapidement la reconquête du pouvoir. Elle va être tentée par la radicalité et ouvrir un espace à Le Pen. Le président du RPR ne met-il, lors d'un déplacement à Nouméa en mai 1982, la légitimité du président de la République ? Sur fond d'aggravation de crise économique et sociale, des questions longtemps considérées de "société" citons l'immigration - notre peuple prend seulement conscience, au début des années 1980, qu'elle est définitive - et l'intensité de l'insécurité depuis le début des années 1960 comme, à un moindre degré, la question du droit à l'avortement vont devenir des enjeux dans la controverse politique. Elles vont modifier les attitudes et les comportements politiques et au total contribuer à brouiller un combat politique jusqu'alors dominé et ordonné par la question sociale. C'est dans ce contexte général qu'à partir de 1972, sous l'impulsion de J.-M. Le Pen, vont se fédérer dans le Front National nombre de petites formations de la droite nationalistes. Aujourd'hui, on peut distinguer les Nationaux-Conservateurs, proches de la droite-extrême ; les catholiques conservateurs autour de Chrétienneté-Solidarité de B. Antony ; les héritiers de la Nouvelle Droite et les "Nationalistes-Revolutionnaires" autour de P. Vial, pour qui la victoire du FN viendra d'un grand mouvement populaire, anti-capitaliste, reprenant la contestation sociale.
- L'importance Dreux (1983)
Après le terreau, la construction d'un nouveau vecteur politique (le FN), la recomposition idéologique d'une droite qui tend à légitimer certains thèmes de l'extrême droite, il manquait une conjoncture pour cristalliser un phénomène en préparation depuis dix ans. L'élection municipale partielle de Dreux, en 1983, sera l'étincelle. Rappelons que, pour conquérir une municipalité socialiste, le RPR et l'UDF vont faire une alliance au second tour avec J.P. Stirbois, le leader de l'aile dure du Front national. Si 1972 constitue l'acte fondateur du Front national, 1983 verra l'envolée de sa notoriété, que Le Pen attendait en vain depuis longtemps, 1984 sera la consécration électorale du Front national comme force politique nationale lors des élections européennes 1986 puis 1988 et 1995 verront une influence croissante dans les couches populaires.
La responsabilité majeure de la droite dans la présence du Front national
- Un manque de pugnacité face la "Nouvelle droite"
- La responsabilité historique de la droite
La question de la responsabilité de la gauche et à un degré nettement moindre, celle de la droite, est constamment posée par les leaders de la droite et les médias depuis une dizaine d'années. Si la gauche, en raison de son incapacité à faire reculer le chômage, porte certainement une part de responsabilité dans la pérennisation du Front national, il ne faudrait cependant pas oublier la responsabilité majeure de la droite - RPR comme UDF dans la "Nouvelle Droite" dynamique du phénomène Front national. On a déjà répondu à la droite dans la première partie de ce rapport en distinguant ce qui apparaît, pour le Parti socialiste, comme les causes profondes de l'émergence du Front National, lors des années 1970. A cette époque, la droite fait preuve d'un manque de lucidité et de pugnacité contre la "Nouvelle Droite". On repoussera aussi certaines explications superficielles chez ceux qui montrent du doigt le PS parce qu'il aurait, conformément à son programme, change le mode de scrutin législatif en 1985 dans la perspective des élections de 1986. On précisera que le FN a bénéficié de la proportionnelle dès juin 1984 aux Européennes avec un mode de scrutin à la proportionnelle, sur liste nationale, impose à Valery Giscard d'Estaing par le RPR.
- Une instrumentalisation permanente de l'immigration et de la sécurité
Il convient de répéter que du point de vue scientifique, comme dans la vie politique, la concomitance entre la venue du Front national au début des années 1980 et la présence de la gauche au pouvoir ne signifie pas causalité ! En fait la droite, dès l'origine du phénomène, jusque et y compris dans la toute dernière période, a joué un rôle historique dans la préparation du succès du Front national comme dans sa pérennisation. On rappellera, par exemple, que le RPR et l'UDF, incapables de surmonter la crise d'identité de la droite dans les années 1970, comme son échec électoral en 1981, ont procédé ensuite à une instrumentalisation permanente de la question de l'immigration et de la sûreté. N'oublions pas non plus le procès en illégitimité du nouveau pouvoir, dès 1982, et sa responsabilité majeure à Dreux. Ce jour là, à l'exception de rares personnalités, la droite a intronisé, banalisé et légitimé le FN dans le jeu politique.
- Les passages de la droite vers l'extrême droite
- Les accords de gestion et les arrangements locaux
- Une droite très divisée sur le FN
- Une nouvelle faute lourde de la droite en 1997
Outre cette faute politique originelle, l'histoire de la droite des années 1980 est jalonnée de nombreux passages de responsables du RPR comme de l'UDF au Front national ; on citera des personnalités du Parti républicain comme J.-M. Le Chevalier, J.-Y. Le Gallou et, du RPR comme B. Mégret et Y. Blot (ancien chef de cabinet de Devaquet, secrétaire général du RPR) ou encore B.Antony (ancien du CNIP) aujourd'hui leader de l'aile intégriste du FN. Comme de nombreuses personnalités régionales ou cadres du FN, on soulignera le trajet inverse de J. Peyrat, l'actuel maire de Nice, qui est accueilli au RPR alors qu'il confirme, par voie de presse, "conserver les mêmes valeurs" que celles qu'il avait au FN ! On notera les fréquentes connivences idéologiques entre la droite extrême et l'extrême droite ; souvenons-nous des "Valeurs communes" de Ch. Pasqua entre les deux tours de l'élection présidentielle de 1988 et les complicités électorales entre la droite et le FN. En ce sens, on rappellera les accords de gestion régionale de 1986 à 1992 en Provence-Alpes-Côte d'Azur et Languedoc-Roussillon, régions dirigées respectivement par J.-C. Gaudin et J. Blanc, comme les "arrangements" locaux entre l'URC et le FN en 1988 ou chacun, notamment dans le département des Bouches-du-Rhône, a retiré ses candidats au bénéfice de l'autre. Le même type d'arrangements s'est étendu aux Alpes-Maritimes et à une circonscription du Var au profit de Yann Piat sans que les instances nationales de l'UDF ou du RPR s'indignent du procédé, à l'exception de quelques personnalités. Observons aussi que le retour de la droite au pouvoir en 1986 comme en 1993 ou 1995 n'a pas, loin s'en faut, contribue à faire chûter le vote en faveur du FN ni ses indices de popularité à travers les sondages. C'est après deux années à Matignon de J. Chirac de 1986 à 1988, comme après deux années de gestion d'E. Balladur de 1993 à 1995, que J.-M. Le Pen a réalisé, dans des élections à forte participation, les deux meilleures performances électorales du FN. Tout parait indiquer aujourd'hui, sans que l'on puisse en prédire l'intensité, que le Front national réalisera, en mars 1998 (1), trois ans après l'élection de J. Chirac, cinq ans après 1993, une performance supérieure à celle des législatives de 1993. Bref, la droite n'apparaît pas comme le rempart contre l'extrême-droite.
Malgré de fortes déclarations ressentes du président de la République et du Premier ministre, la droite RPR, UDF et giscardienne demeure très divisée depuis 1983 sur la définition d'une attitude face au Front national. On a pu le voir encore récemment entre les deux tours de l'élection de Vitrolles comme, après cette élection, à travers des déclarations d'E. Balladur et de N. Sarkozy, tous hostiles au retrait du candidat UDF. Sans évoquer de Charrette et sa volonté de ne pas choisir entre "la peste et le choléra". En règle générale, depuis une dizaine d'années, la droite fait régulièrement des déclarations aux accents fermes au niveau national mais elle agit souvent, localement, de manière ambiguë, contradictoire, quand elle ne pactise pas ouvertement avec le Front national. Aujourd'hui, quand certains à droite mettent sur le même plan le Front national, l'adversaire de la République et le Parti socialiste, tous deux qualifiés d'ennemis", ils commettent de nouveau une lourde faute en déchirant le socle républicain sur des valeurs essentielles.
(1) NDLR - Elections anticipées aux mois de mai et juin 1997.
- Le socle républicain
A l'évidence, une partie de la droite obsédée par la bataille électorale n'a rien appris, n'a rien compris de l'histoire des années 1930 comme de la Résistance, et apparaît de nouveau attirée dans la spirale de l'irresponsabilité. A la fin des années 1930, c'était "plutôt Hitler que le Front Populaire" ; aujourd'hui, sans nuance, la droite, sous la houlette de François Léotard, leader d'un parti qui se nomme "républicain" et qui n'était pas hostile à l'accord de Dreux, cherche par avance à assimiler une possible victoire de la gauche au pouvoir, en 1998, à une menace semblable à celle d'une impossible victoire politique du Front national. Pour les socialistes, le champ politique se structure par des liens d'amitié, des relations d'alliance ou des rapports d'adversité. Mais le seul ennemi, qu'il faut combattre sans complexe, est le Front national.
Le retour d'un néo-fascisme en Europe
- L'extrême droite à la conquête du pouvoir
Quelques décennies seulement après la découverte de l'holocauste, on assiste de nouveau, malgré la construction européenne - conçue comme rempart aux idéologies anti-démocratiques - à une montée des menaces pour les Droits de l'Homme. Moins, cette fois, en raison d'une altération des relations diplomatiques ou de prétentions territoriales qu'à cause de l'irruption, ici et là, sur la scène politique, de partis et de leaders porteurs d'une idéologie d'intolérance. En Europe comme en France, la novation, depuis les années 1970, tient moins à la permanence d'un puissant courant xénophobe et démagogue hostile à telle ou telle population - les études d'opinion en France sur ce thème durant les années 1950 et 1960 peuvent servir d'illustration - qu'au fait, désormais avéré, notamment par le vote, d'une adhésion plus ou moins large à des formations d'extrême droite, jadis groupusculaires et activistes qui revendiquent et se donnent les moyens de la conquête du pouvoir politique local et national.
- Des similitudes au niveau européen
On soulignera ici une forme de spécificité française qui appelle certainement une explication, aujourd'hui introuvable malgré quelques tentatives intellectuelles (la culture étatique française et l'impuissance relative de l'Etat aujourd'hui ; la tolérance au discours de bouc-émissaire en rapport avec la guerre de 1939-1945). En effet, ce retour en France d'une extrême droite forte de soutiens populaires apparaît, à la différence d'autres pays européens à la fois, plus puissant, d'ores et déjà plus durable, idéologiquement plus extrémiste, notamment à travers son expression raciste, xénophobe et antisémite. Seuls le Vlaams Blok de Franz Vanhecke en Belgique et, à un degré moindre, le Parti Libéral (FPO) de Jorg Aider en Autriche rappellent le Front national. S'il convient de chercher dans chacun des pays de l'Union européenne des causes propres, on retiendra pour l'instant les similitudes du phénomène : une rationalisation socialement régressive du capitalisme à l'ère de sa mondialisation, un chômage de masse, une fréquente impopularité gouvernementale, une forte crise de la démocratie représentative, une permanence de la xénophobie, sans oublier des interrogations sur une Europe souvent bouc-émissaire, qui, depuis 1989, après la chute du mur de Berlin, puis avec l'implosion de l'Union soviétique (1990) a perdu l'un de ses ciments fondateurs. Aujourd'hui, l'Europe face à une crise sociale profonde doit prouver, en permanence, face aux opinions publiques de chaque pays, la pertinence de ses orientations politiques, économiques et diplomatiques.
- Un vote sensible à la conjoncture
La mesure de l'extrémisme de droite, dans notre pays, son évolution comme son potentiel politique et électoral ne sont jamais choses aisées. Cela autorise un débat politique et médiatique permanent depuis dix ans, selon les moments, sur les thèmes récurrents de "la montée du Front national", parfois de son "recul. Quand on n'évoque pas l'après Le Pen", qui n'est, semble-t-il, pas à l'ordre du jour ! Pour répondre à la question de son influence qui inquiète légitimement les démocrates, on dispose d'études d'opinion et d'un indicateur peu contestable : les résultats électoraux. On doit cependant nuancer la dimension prospective de ces deux modes de connaissance puisque le vote FN, on le sait, est aussi, à la marge, un vote sensible à la conjoncture. On peut néanmoins apprécier l'ampleur de l'adhésion aux thèmes dominants du discours de l'ultra droite en France et analyser l'électorat du Front national dans quelques-unes de ses dimensions. On insistera aussi sur la puissance du rejet global du Front national et de J.-M. Le Pen en raison de la pression des organisations démocratiques, religieuses et spirituelles et, sans aucun doute, de l'outrance du discours du FN, notamment sur l'inégalité entre les races".
Un réel écho de la thématique de l'extrême droit
Dans une France qui, depuis une vingtaine d'années, est entrée de plain-pied dans l'ère de la modernité et de la mondialisation, on demeure frappé par le large écho aux thèmes classiques de la droite traditionnelle et de l'ultra droite : le respect des valeurs traditionnelles, le sentiment de décadence, la crise du système représentatif, une demande de démocratie directe, une demande de "chef", la perception d'une forte corruption dans la société, une crise de la justice, un sentiment élevé d'absence de sûreté, une forte exigence de punitivité pour les délinquants, un niveau élevé de xénophobie, une grande tolérance à la parole raciste devant les campagnes électorales, une opinion partagée sur l'immigration, la préférence national.
Un vote nettement inférieur au potentiel idéologique du FN.
- Entre 8 et 9 millions
On ne formulera pas ici une étude électorale précise. On se contentera de rappeler quelques enseignements susceptibles de nourrir la réflexion pour affiner notre stratégie. Pour apprécier, grandeur nature, l'impact électoral du Front national, on rappellera ce que nous avions cru devoir affirmer au Bureau National du PS au lendemain de la dernière élection présidentielle, à partir enquêtes post-électorales effectuées depuis 1984 par la Sofres. Selon celles-ci, environ "un Français sur quatre" avait, au moins, voté une fois pour le Front national. Soit, approximativement, entre 8 et 9 millions d'électeurs. Rappelons que le 23 avril 1995, le candidat Le Pen a recueilli 4 571 138 suffrages, soit 15 % des suffrages exprimés dans la France entière. Ce vote connaît, toutefois, de fortes permanences de concentrations locales, départementales ou régionales avec cependant, lors de la dernière période, une tendance à la nationalisation des soutiens électoraux du FN.
- Le PS de nouveau premier chez les ouvriers
A la différence de l'électorat du RPR et de l'UDF, c'est un vote dès l'origine (1984) inter-classiste, avec un écho croissant depuis 1986 dans les couches populaires et un recul tendanciel dans les catégories sociales aisées. Rappelons cependant - ce que tous les observateurs ont pu justement dire en 1995, sur la base d'une enquête de la Sofres - que, sur 100 ouvriers, 30 avaient voté FN au premier tour de l'élection présidentielle. Plaçant ainsi le FN dans le statut paradoxal de premier parti ouvrier de France. Ce chiffre est encore plus élevé si l'on distingue, dans cette catégorie sociale, le vote masculin du vote féminin, puisque l'on sait que sur 100 personnes votant pour le FN, 65 sont des hommes. On nuancera cependant ce phénomène puisque, en 1997, la sociologie des électorats, selon de récentes intentions de vote pour les prochaines élections législatives, montre, pour le FN, des pourcentages sensiblement inférieurs chez les ouvriers et un retour du PS, première force électorale dans cette catégorie socioprofessionnelle. Malgré un vote qui, en 1995, a pulse plus qu'auparavant dans toutes les familles politiques, la source dominante du vote FN demeure nettement dans l'espace de la droite. En ce sens, on doit qualifier l'électorat du Front national, comme le phénomène Front national lui-même, de "dextro-lepenisme".
- Le lien complexe entre immigration et vote FN
- Un fort ethnocentrisme hors du FN
- Un vote identitaire
On évoquera encore une question constamment posée dans le débat public et par les militants. Elle tourne autour du lien entre le vote FN et la présence ou la perception de l'immigration ou de personnes issues de l'immigration. Cette relation observée, des 1984, a fait l'objet de nombreux débats méthodologiques, politiques et idéologiques. Nous ne la trancherons pas ici. Une forte immigration (...) est sûre cependant, l'électeur du FN qui s'exprime à travers les enquêtes sur plusieurs thèmes de société place, lui-même, régulièrement l'immigration immédiatement après le chômage, parmi les raisons de son vote. Aujourd'hui l'insécurité, la délinquance puis la trop grande concentration d'immigrés sur certaines parties du territoire français apparaissent, pour les sympathisants du FN, loin devant la corruption de certains responsables politiques et économiques, comme facteurs explicatifs de la présence du Front national dans la vie politique française. Des études conduites en 1986 puis en 1988 a partir d'une typologie qui distingue les espaces retenus en fonction de l'intensité de l'immigration, montraient, dans les départements à forte immigration, une sensible perturbation des évolutions électoral, entre 1978 et 1988, au détriment de la gauche. On précisera encore que si le vote pour le FN est, de loin, le plus sensible aux différences culturelles ou ethniques, il convient de noter, pour prendre la juste mesure des menaces, que dans l'électorat, l'ethnocentrisme se repartit, majoritairement, situe hors de l'espace politique du FN. Trop longtemps qualifie - pratiquement jusqu'en 1995 - par beaucoup de politologues, de journalistes et de militants politiques, de vote "protestataire", le FN apparaît aujourd'hui pour ce qu'il est de manière prévalente : un vote identitaire pour un changement radical de politique et de société fonds sur une adhésion aux idées dominantes du FN. Précisons qu'il parait détermine, en dernière analyse, par une forte "peur de l'autre".
Y a t il une montée du FN ?
- L'importance du vote de Villiers
- 12,7 % en mars 1993
- Un phénomène durable
Comment interpréter la quasi stabilité des résultats de J.-M Le Pen lors des deux dernières élections présidentielles ? Le score de 15 % obtenus par Le Pen en 1995 doit être relu à la mesure de l'après bataille dans le camp conservateur entre J. Chirac (20,8 %) et E. Balladur (18,6 %) et, ne l'oublions pas, de la présence de Ph. de Villiers (4,7 %) qui exprime une droite extrême souvent proche, sauf jusqu'à présent sur le racisme et l'antisémitisme, de l'extrême droite. On conclura, des lors, à partir de cette dernière élection, moins à une stabilité qu'à une sorte de progression potentielle du FN. On déduira avec prudence des remarques qui précédent, comme de l'analyse de l'ensemble 12,7 % des élections partielles depuis mai 1995, à une probable progression du FN en mars 1993 - autour de 2 a 3 points - en mars 1998, aux prochaines élections législatives (1), par rapport au précèdent renouvellement de mars 1993. Le FN avait réalisé, à l'époque, 12,7 % dans les 577 circonscriptions. Au total, le Front national, dont la présence politique et électorale est sans précèdent dans l'histoire de France, apparaît durable. Le Boulangisme, dans les années 1880, a été un relatif feu de paille. Les ligues et les partis d'extrême droite des années 1930 n'ont guerre présents de candidats aux élections ou n'ont pas eu la durée- le PSF par exemple - pour s'exprimer électoralement en raison de la guerre et de l'absence de consultations électorales sous Vichy. Le mouvement Poujade (1954) qui a connu un net succès électoral contre le Front républicain en janvier 1956 (11,6 %) a été stoppé net par l'arrivée de De Gaulle en 1958. Et le FN ? Nombre des tendances, souvent lourdes, qui ont présidé à l'émergence du FN puis à sa consolidation (chômage, manque de sûreté, précarité, déclassement individuel, sentiment de décadence du pays, droitisation du pays sur un certain nombre de questions de société, xénophobie), demeureront, avec plus ou moins de constance, à court et moyen termes. Phénomène exceptionnel dans l'Histoire de France, il appelle aussi un rejet politique puissant.
(1) NDLR - Ce rapport a été adopté en mars 97, donc avant la dissolution anticipée de l'Assemblée nationale.
- La politique dans les quatre villes FN
- Un danger pour la démocratie
Toutes les études d'opinion montrent une volonté de marginaliser le Front national selon le niveau de responsabilité dans notre système politique. Cette marginalisation varie cependant, selon que l'on évoque de possibles responsabilités locales ou l'accès à la responsabilité suprême de l'Etat qui, elle, est condamnée sans ambages. En ce sens, on luttera contre le risque d'une accoutumance, voire d'une exemplarité, à travers la gestion locale du FN dans les quatre villes du Sud. En effet, malgré l'indignation qu'inspirent aux démocrates certaines pratiques dans ces quatre municipalités dans la gestion du personnel, dans la politique culturelle (bibliothèque et Chorégies d'Orange, mise en cause de Châteauvallon par la municipalité de Toulon) et l'arrêt des subventions aux associations favorables à l'intégration des populations immigrées, suppression de centres sociaux, les électeurs pourraient, si l'on n'était pas vigilant, se laisser convaincre. Cela plaiderait, dans un premier temps, pour une légitimation d'un partage du pouvoir régional entre la droite et l'extrême droite, processus qui pourrait, dans un second temps, s'élargir au niveau national. On soulignera, enfin, malgré une claire perception du "danger du FN pour la démocratie" pour plus de 75 % des personnes interrogées dans la dernière enquête de la Sofres pour le Monde, une extrême tolérance Un danger pour d'une large majorité de l'électorat, 70 % scion Ipsos, quant à l'éventualité la démocratie de députés du FN à l'Assemblée nationale à l'issue du prochain renouvellement.
- L'importance du combat politique
On tirera de l'ampleur de l'écart entre la résonance idéologique de la thématique d'extrême droite et les scores électoraux du FN, l'importance de la fermeté du discours sur les valeurs de la démocratie. Sans oublier la confiance que les Français portent aux leaders des courants politiques démocratiques dont ils se sentent le plus proche, de l'influence des élus locaux, des forces combat politique associatives, spirituelles et religieuses, et, au total, nous le verrons, du combat politique contre l'extrémisme de droite.
Faire reculer le neo-fascisme un enjeu de civilisation
- Prendre Le Pen au mot
Dans le combat de conviction et de persuasion, il est important de rappeler, en toute occasion, les raisons qui militent pour un refus catégorique du Front national. Face au FN, il convient en effet, au risque de paraître exagérément emphatique ou excessif, de Définir une stratégie haute. "La grande alternance" prônée par le FN et les "Trois cents mesures pour la renaissance de la France" (1992) marquent une volonté d'éradication de la culture républicaine et, plus généralement, des valeurs qui fondent notre civilisation, notamment l'humanisme. Soyons conscients qu'en certaines circonstances historiques, aujourd'hui imprévisibles, le FN pourrait, si on prend Le Pen et son programme au mot, - et il convient de le faire - porter atteinte non seulement à
la paix sociale, mais plus encore à la paix civile. En effet, le FN n'est pas un parti comme les autres. Même l'évidence, le FN tire un certain profit de l'absence d'exercice du pouvoir au niveau national, de son originalité idéologique - il se veut une alternative aux projets de l'ensemble des quatre autres forces politiques de gouvernement -, on insistera sur les singularités d'un parti et d'un courant politique animes d'une soif de revanche depuis 1945.
- Le FN n'est pas un parti comme les autres
On évoquera son fonctionnement non démocratique : il ne tolère pas les tendances et son président jouit d'un domaine réservé en politique internationale ; son idéologie intolérante, liberticide et violente, traditionnelle L'extrême droite, aggravée dans certains domaines quand elle est influencée par un fort courant catholique intégriste et traditionaliste. On rappellera sa corruption permanente des valeurs de la République, sa tentation dérisoire d'imposer une vision de l'histoire de France mythique, éternelle, figée pour l'éternité, qui, de manière très symptomatique, relativise la Révolution française et fait l'impasse sur la période de Vichy. Deux périodes que, pour des raisons inverses, l'extrême droite ne peut assumer. On sera vigilant face a ses pratiques de persuasion fondées sur le mensonge (oubli de la torture en Algérie, oubli de l'ISF de Le Pen), l'insinuation permanente (a propos des Juifs), Le retournement des valeurs (il parle de résistance et entonne le chant des Canuts dans le Rhône), la dérision, la relativisation (le "point de détail de l'histoire"), la litote.
- Un discours raciste dans les sphères dirigeantes du FN
Rappelons que le discours raciste, xénophobe et antisémite n'est pas le seul fait de J.-M. Le Pen ou de Catherine Mégret, c'est une attitude largement partagée dans les sphères dirigeantes de l'organisation comme parmi les cadres intermédiaires du parti. On dénoncera encore des relations internationales douteuses (Jirinovski et Saddam Hussein) et des modes de financement peu respectueux de la législation. Précisons que le Front national a (...) le parti le plus avare d'explications sur ses sources de financement devant la commission parlementaire (1991). Depuis lors, on a appris que le président milliardaire du FN a été personnellement bénéficiaire de nombreux héritages de sympathisants dont il n'honorait pas les ultimes volontés. De plus, selon des sources journalistiques, le grand patriote Le Pen disposerait d'un compte en Suisse !
- La double stratégie du FN
On soulignera enfin le fait que, derrière une façade et des pratiques en apparence démocratiques, le FN se livre en effet à une instrumentation permanente de la légalité - jeu de la civilité et de la respectabilité dans les médias, présentation de candidats aux élections, appel au peuple à travers la procédure référendaire mais porte en lui une double stratégie : l'une dominante, légaliste et une autre, plus ou moins refoulée, de rupture avec l'ordre républicain. On ressent fréquemment, dans les variations du discours du FN, comme dans ses pratiques souvent marquées par la violence verbale ou physique, cette permanente ambivalence entre respectabilité et radicalité. On a donné tort, au risque d'un démenti ultérieur, d'analyser ses évolutions comme des mutations définitives. Elles ne sont que l'expression d'un rapport de force interne ou des réactions de la société française aux provocations d'un Le Pen qui teste en permanence l'effet de ses actes et de ses paroles.
- Schonhuber et Fini, des paroles d'experts !
Si l'on veut être édifié définitivement sur la vraie nature du Front national, on peut se reporter aux propos d'autres leaders d'extrême droite, experts en fascisme européen. Citons par exemple ceux de Schonhuber, leader des Republikaner en Allemagne, qui prétendit, en 1992, que "le FN a des liens avec des groupes allemands que je qualifierais de nazis et de criminels" ou encore ceux du leader de l'Alliance Nationale en Italie, Gianfranco Fini, quand il déclara en 1995 (prenant ses distances avec le FN), que "sa condamnation du racisme (celle de Fini) et de l'antisémitisme fasciste n'était pas une option tactique... mais un choix stratégique et définitif". C'est la conséquence de la phrase sur "le point de détail de l'histoire" à propos de la Shoah, phrase qui avait scandalisé de nombreuses personnes en France et à l'étranger. On le voit, ce sont des néo-fascistes, ex-membres du MSI aujourd'hui dans l'Alliance Nationale (qui se qualifient, eux-mêmes, il est vrai, de post-fascistes) qui stigmatisent le leader du FN.
- "Le point de détail de l'histoire"
En vérité le point de basculement de l'histoire sur la question des différences
Culturelles ou des "races" fût 1945, avec la découverte de l'holocauste. Des lors en rupture avec le discours dominant au XVIIIe siècle, au XIXe siècle et au début du XXe siècle qui évoquait des races supérieures - donc des races inférieures qu'il fallait, pour les gens de gauche, éduquer grâce "aux effets de la science" - toutes les organisations démocratiques, la quasi totalité des intellectuels vont comprendre que les discours de différenciation ou de hiérarchisation peuvent conduire à l'extermination à travers la "solution finale". Seule l'extrême droite puis, plus tard, J.-M. Le Pen vont en permanence éviter ou relativiser ce basculement de la conscience universelle. C'était déjà tout le sens de l'abject propos sur le "point de détail" en septembre 1987 puis sur l'inégalité des races" en septembre 1996. Le Pen est le seul dirigeant politique français à ne pas avoir tiré toutes les conséquences de la tragédie de la Seconde Guerre mondiale. Il continue à parler des "races" et de leurs "inégalités". Quoi d'étonnant s'il ne juge pas possible l'intégration de populations qui heurtent sa vision ethnique de la France.
Un programme contre les couches populaires
Dans le combat contre le Front national, les interrogations sont multiples sur la conduite a suivre. Par exemple, faut-il parler du programme du FN et comment, où faut-il ne pas en parler au risque de le "valoriser" ?
- Oui, le FN a un programme et il faut en parler
Face aux orientations programmatiques du FN, il convient d'être clair. Il faut en parler plus que cela n'a été fait jusqu'à présent. Finie la période un peu condescendante ou l'on affirmait que le FN n'avait pas de programme tout en disant qu'il était inapplicable ! Aujourd'hui, non seulement on ne peut plus le dire puisque le FN a adopté, en 1992, lors d'une convention nationale au Bourget, "300 mesures pour la renaissance de la France", il est indispensable de lire ce document de 426 pages. Auto qualifié de "programme de gouvernement", J.-M. Le Pen y dénonce dans la préface l'établissement politicien qui a ôté "la parole au peuple" et qui appelle, face à l'idéologie mondialiste, à une "résistance française".
- Une vision sélective de la société
- Anti-étatique pour l'économique et le social et super étatique pour la coercition
Il est encore indispensable de souligner les orientations idéologiques qui inspirent le programme d'une formation qui tire ses sources doctrinales de multiples courants de la droite même si la philosophie traditionaliste y joue le plus grand rôle. Avec une nuance toutefois, le FN se veut "démocratique" et "républicain", mais, à l'évidence, sans la tradition républicaine. Outre l'absence de la laïcité, il prône la démocratie directe en rendant la parole au peuple "pour combattre les féodalités bureaucratiques et syndicales du XXe siècle". Il veut réactiver le discours contre les privilèges à travers le pluriséculaire clivage entre les "petits" et les "gros" et en appelle à une "vraie Révolution française". Vraie, contre la "fausse" de 1789, Révolution c'est-à-dire, en fait, une réaction, et Française parce qu'idéologiquement et programmatiquement pensée par des Français pour des Français. Plus fondamentalement, toute la rhétorique du FN s'inspire d'une vision sélective et hiérarchisée de la société fondé comme chez Charles Maurras et son célèbre "empirisme organisateur" sur des communautés naturelles, la famille, les provinces, les corporations. Comme le théoricien de l'Action Française, il dénonce, sans en reprendre les termes, une "Anti-France" ou l'immigré est la figure la plus stigmatisée. On peut résumer le frontisme comme une dénonciation du libéralisme du XVIIIe siècle dans sa lutte contre l'absolutisme et du courant républicain du XIXe siècle, tous deux juges "laxistes" et porteurs de "décadence". On y retrouve l'apologie des libertés et non de la liberté, l'illustration de la responsabilité par la propriété qualifiée de composante "naturelle", le nécessaire ordre - autorité - sécurité, une mystique nationaliste autour de l'identité française, un mixte d'anti-étatisme pour le social et un super-étatisme dans les fonctions régaliennes de l'Etat, notamment en matière de coercition, enfin une diabolisation de la mondialisation.
- Aux antipodes des lumières
Anti-nationale, anti-républicaine et anti-démocratique, l'extrême droite se refuse à accepter la conception de la Nation telle qu'elle est définie depuis la Révolution française dans la continuité de la philosophie des Lumières. Un contrat entre des hommes revendiquant leur liberté et définissant, par leurs représentants, une "volonté générale", unique fondement de toute activité législative. Face à ces principes, elle a conçu une idéologie ou le droit, base de l'égalité, n'est rien et l'histoire est tout. Comme les penseurs de la Contre-Révolution, elle refuse de voir dans une constitution adoptée par une assemblée élue le fondement de la Nation française et reprend à son compte les propos de Joseph de Maistre pour qui nulle grande institution ne résulte d'une délibération.
Comme Barrés, elle estime que l'on ne peut pas être français par un acte de volonté par adhésion
à un "pacte national", mais parce qu'on reste dans son "Ame", parce que l'on est né français et que nos morts sont ensevelis dans le sol de la France. Le sang prend le pas sur le droit, la "race" sur la citoyenneté.
Comme les collaborateurs, reprenant eux-mêmes des idées développées par Maurras et Barres, elle considère que la Nation est d'abord menacée par un danger intérieur : les forces de "l'anti-France", l'étranger que veut dissoudre l'âme française et contre lequel elle porte tous ses efforts quitte à soutenir et à collaborer activement avec un ennemi bien réel ayant envahi le territoire national. La dénonciation d'une prétendue "invasion immigrée" menaçant l'identité nationale fait ainsi étrangement écho à cette idéologie de triste mémoire et s'oppose terme à terme au modèle de réintégration républicaine sur la base duquel s'est construite la France depuis deux siècles.
- Des graves risques d'affrontements
Face au programme du FN et à l'idéologie qui l'inspire, le combat passe d'abord par la reconnaissance de son existence, par la dénonciation des aspects profondément inégalitaires (politique sociale), contradictoires (ultra capitaliste et protectionniste), dangereux (pour la liberté), anti-humaniste (sur l'immigration). Ce programme, qui porte en germe de graves risques d'affrontement, loin de répondre aux préoccupations actuelles de nos compatriotes, aggraverait les conditions de vie des gens, la situation de la France et isolerait notre pays dans l'Europe et dans le monde.
Si l'objet principal de ce rapport d'orientation n'est pas de présenter et de critiquer de manière détaillée ce programme, il convient cependant, avant la réalisation d'une brochure spécifique, d'en rappeler les grandes lignes.
La fin de l'Etat-providence
- Pour le protectionnisme
Depuis sa fondation en 1972, l'économique et le social sont les deux domaines dont le FN a fait le plus de virages. Le Pen à la recherche d'une révolution conservatrice s'est longtemps inspiré de l'ultra capitalisme à la mode Reagan et Thatcher, donc très favorable à la libre concurrence. Il s'est laissé petit à petit convaincre par le protectionnisme, notamment à la faveur de révolution de l'Europe face aux négociations du Gatt. Il est, en outre, partisan d'un rééquilibrage des relations entre la France et les Etats-Unis et il refuse le prétendu "nouvel ordre mondial".
- Le SMIC à 7000 F
Il prône la privatisation des entreprises nationalisées qui n'assurent pas un service public ; une partie du capital serait remise aux Français, permettant ainsi à Le Pen de réaliser son projet de "capitalisme populaire". Il propose aussi la suppression ou, selon les cas, l'assouplissement, des monopoles publics, de la Poste, de la Télévision, de l'Electricité. Favorable, en 1984, à la suppression de la semaine de 39 heures payées 40, qu'il voulait remplacer par celle de 45 heures payées 40, il l'accepte aujourd'hui, ainsi que la cinquième semaine de congés payés, comme des acquis "à garantir". Favorable, en 1986, à la fixation du libre salaire entre l'employeur et l'employé, il précise dans le programme que "la flexibilité des salaires ne peut pas être obtenue au prix d'un démantèlement du SMIC". En 1995, durant la campagne présidentielle, le candidat du FN propose le relèvement du salaire minimum à 7000 F.
- L'éducation nationale, bête noire du FN
Le programme de 1992 propose de réduire, de manière drastique, les dépenses publiques. Anti-fiscaliste et anti-étatiste, il veut libérer la charge fiscale et supprimer, à terme, l'impôt sur le revenu en faisant exploser le noyau dur des dépenses étatiques. En 1993, il voulait réaliser des économies de 245 milliards de francs pour le budget de l'Etat et 120 milliards pour les institutions sociales ! Les budgets les plus atteints par cette politique seraient l'Education nationale, véritable bête noire du FN (50 milliards en 1993), la Sécurité sociale, les interventions économiques et sociales de l'Etat ainsi que les "dépenses" induites par l'immigration. A l'inverse, il est partisan d'un Etat plus fort en réaffectant une part du budget aux "priorités nationales", en renforçant la Défense nationale, la justice mais aussi le soutien aux familles et au milieu rural qui, selon le FN, portent "les valeurs traditionnelles indispensables à la survie du pays".
Y a-t-il un virage social du Front national ?
- Un transfert massif vers les riches
- Un pseudo virage social
- L'extrême droite historiquement toujours contre les travailleurs
Le Pen et le FN, pour qui la communication est une ressource politique décisive, font rarement dans la finesse quand ils prennent une position ou quand ils en changent. Ainsi, en mai 1996, au traditionnel défilé on pouvait lire sur la banderole d'ouverture : "Le social, c'est le FN". Depuis, le Front national martèle qu'il est "le défenseur des travailleurs français face aux offensives maastrichtiennes". A l'évidence, après l'immigration et l'insécurité, le parti de J.M. Le Pen veut acquérir un troisième pôle de crédibilité. A vrai dire, le virage fut amorcé en 1988 puis accentué au début des années 1990 et on peut s'attendre prochainement, opportunisme oblige, après le succès électoral de Le Pen dans les couches populaires à la dernière élection présidentielle, à ce qu'il accentue, lors du prochain congrès de Strasbourg, ce "nouveau" cours politique. Pourquoi pas, par exemple, un nouveau mot d'ordre, comme "la défense du service public" au nom de l'indépendance et de la sécurité nationale ? Bref, au FN on parle désormais de plus en plus de social, mais on n'est jamais dans les luttes sociales, comme par exemple en novembre-décembre 1995 et surtout, on a vu, on développe une philosophie inégalitaire, on vante les vertus de l'ultra capitalisme et on coupe dans ses projets programmatiques, comme dans les quatre villes que l'on gore, dans les crédits sociaux. On prône, de fait, une fiscalité favorable aux riches à travers la suppression de l'impôt sur le revenu et de l'augmentation de la TVA, ce qui entraînerait un transfert massif des ressources des couches populaires vers les plus riches, phénomène aggravé par la suppression des droits de succession en ligne directe. Sans oublier que les assurés sociaux, dans l'inacceptable scénario d'une France dirigée par Le Pen, s'inspirant des Etats-Unis, auraient le choix de cotiser à la Sécurité sociale ou auprès de mutuelles ou encore de se tourner vers le privé. Il est donc urgent, ici comme ailleurs, de démystifier le pseudo virage social du Front national. Au demeurant, jamais le fascisme ou l'extrême droite n'ont été porteurs d'un projet social au bénéfice des travailleurs.
Ecole : égalité entre enseignement public et privé
- L'abrogation de la loi Falloux
Dans le chapitre au titre évocateur "Le désastre scolaire", le FN souhaite traduire sa conception des libertés en prônant l'abrogation de la carte scolaire, l'instauration du chèque scolaire et l'abrogation de la loi Falloux. La mission de l'école n'est pas l'éducation, cela relève pour le FN de la famille, mais elle réside dans la transmission de l'héritage culturel", de la "mémoire française... aux jeunes Français", dans la réhabilitation du travail, de l’instruction civique et des cours de morale. Pour l'université, c'est le retour à l'"excellence" et à l'autonomie", voire à l'indépendance, qui doit s'imposer. Enfin, il faut libérer l'école de la "mainmise syndicale et bureaucratique". Plus globalement, il s'agit de rétablir la qualité de l'instruction par la transmission d'un savoir de base, par la promotion de l'émulation et du mérite lequel sera honoré, par le contrôle et la sanction de la qualité de l'enseignement.
La préférence familiale
- Un suffrage universel intégral pour les familles
- Contre la banalisation de l'avortement
Il s'agit, à travers cette notion, de rendre à la famille, cellule de base de la société - quand elle est affaiblie, la "Patrie est en danger" -, ses droits légitimes, en remettant le mariage à l'honneur, en redonnant aux parents la responsabilité de l'instruction et de l'éducation des enfants, en instaurant un suffrage universel intégral afin que les familles et les enfants pèsent, de leur "juste poids", dans les décisions collectives. Dans le chapitre "Comment donner aux familles le moyen d'exister ?" s'exprime la vision archaïque du monde du Front national sur le rôle de la femme par la création d'un revenu "Maternel et parental". Alors que la contraception est "un choix de la vie privée, ou l'Etat n'a pas à entrer, il n'en va pas de même pour l'avortement. Il met en cause un tiers, l'enfant à naître. C'est pourquoi la banalisation de l'avortement ne peut être tolérée par principe, celui-ci ne pouvant constituer qu'un acte médical d'exception". Le programme préconise encore l'adoption prénatale et veut faciliter l'adoption d'enfants français abandonnés. On soulignera que toutes ces mesures s'inscrivent dans le cadre de la "préférence nationale" et non aux résidents étrangers, à qui seraient supprimées les allocations familiales. Ils n'auraient pas droit non plus au revenu "maternel ou parental" et aux prêts au logement.
La préférence nationale
- Contre l'influence politique de l'Islam
- Le retour des immigrés
Cette notion inventée par J.-Y. Le Gallou qui était au PR et au Club de l'Horloge avant de rejoindre le FN en 1986 vise à "civiliser" l'abrupt mot d'ordre d'Edouard Drumont, au début du siècle : "La France aux Français" qui deviendra, avec J.M. Le Pen "Les Français d'abord" et aujourd'hui avec le FN "La préférence nationale". C'est la notion clef - un impératif vital dira Bruno Mégret - qui ordonne tout le discours du FN et exprime la philosophie nationaliste ce mouvement. C'est une vision du monde simplifiée, hiérarchisée, une sorte d'anthropologie sommaire qui coupe la société en cercles concentriques de préférences, donc aussi de rejets.
Pour illustrer ce propos, souvenons-nous de la célèbre phrase de Le Pen en 1984: "J'aime mieux mes filles que mes cousines, mes cousines que mes voisines, mes voisines que les inconnues et les inconnues que des ennemis". C'est dans le chapitre "Immigration - renverser les courants", le premier du programme du FN et le plus long (28 pages) que s'exprime son angoisse de l'immigration présentée comme "un danger pour l'identité nationale", "une menace pour la paix civile", "une atteinte à la souveraineté nationale", "une source d'insécurité", "une cause majeure du chômage", "une charge économique et sociale". "Pour renverser le courant", il convient, selon le FN, de reformer le code de la nationalité en réaffirmant le droit de la filiation, l'établissement d'une naturalisation comme procédure unique, l'instauration d'une période probatoire avant la naturalisation, l'application de la loi sur la déchéance, l'impossibilité de la double nationalité et la fin des mariages de convenance. Il faudra aussi "protéger l'identité nationale" en restant "maître de nos frontières", en réglementant la propriété étranger, en s'opposant à l'influence politique de l'Islam", en démantelant les "ghettos ethniques" et en contrôlant les associations d'étrangers. Par ailleurs, "il faut arrêter toute nouvelle immigration", en rendant impossible, sauf cas exceptionnel, l'immigration légale, en mettant fin au regroupement familial, en jugulant le faux tourisme et en reformant le droit d'asile. C'est "pourquoi ce droit ne pourra plus être accordé qu'à des personnes subissant, a titre individuel, une grave persécution en raison de leur engagement politique. En outre, il sera octroyé dans la limite de quotas annuels établis par pays". La préférence nationale au sens strict du terme, qui a pour fonction "d'arrêter les pompes aspirantes", se décline par la priorité d'emplois aux Français, comme la priorité d'accès aux logements sociaux ou aux allocations familiales et aux aides sociales. Afin d'organiser le retour des immigrés dans leur pays d'origine, le FN préconise de créer une "contribution patronale d'aide au retour des immigrés", il propose une concertation internationale sur les mouvements de population et il souhaite coupler le retour des immigrés avec l'aide à leur pays d'origine.
Le programme du FN s'exprime aussi sur : la culture "défendre nos racines" ; la justice et la sécurité "pour le droit et l'ordre" ; les institutions : inscrire la préférence nationale dans la Constitution, établir le scrutin proportionnel, créer le référendum d'initiative populaire, supprimer l'ENA, abroger les lois réprimant la négation des crimes contre l'humanité commis pendant la Seconde Guerre mondiale, donner un fondement constitutionnel au pouvoir des médias ; la Défense Nationale "reconstruire l'armée" ; l'Europe "pour l'Europe des patries" ; la politique étrangère "pour la grandeur de la France".
Comment lutter contre le FN ?
- Le débat sur les méthodes : un débat légitime
- Des terrains propres au Front national ?
Si l'analyse du phénomène Front national, comme l'appréciation de son danger pour la démocratie, font globalement l'objet d'un accord entre militants progressistes, force est de constater qu'il n'y a pas toujours eu le même consensus sur les meilleures voies et moyens de le combattre efficacement. En ce sens, un légitime débat sur les méthodes se développe depuis quelques années. Le premier, à bien des égards un débat de communication, a lieu entre les tenants de l'approche dite de "diabolisation" et celle que l'on peut qualifier d'évitement, autant que faire se peut. Le second débat, plus fondamental, porte sur le point de savoir s'il y aurait des terrains propres au Front national qu'il conviendrait d'éviter ou, au contraire, s'il convient d'aborder franchement des questions de la vie quotidienne comme, par exemple, les nouvelles formes de la vie familiale, la drogue, la violence à l'école, l'insécurité liée à la petite et moyenne délinquance, l'éducation civique, l'immigration, principalement en raison d'une excessive ségrégation mal vécue par les "immigrés" comme par les non immigrés, et plus globalement l'identité de la France pour parler comme Fernand Braudel dans une période de mondialisation et de transition vers l'Europe.
- Cibler la réplique
- Contre la surmédiatisation
La réponse au premier débat varie selon que l'on considère aussi la politique comme un art, avec pour finalité principale, sans cynisme mais réalisme, l'efficacité, ou qu'elle doit être essentiellement expressive avant que d'être efficace. Pour les tenants de la première approche, la diabolisation de Le Pen doit être permanente. Des lors, certaines formes qualifiées de "harcèlement démocratique" s'imposeraient. Pour les autres, il convient, face à celui qui est effectivement le diable, de cibler la réplique selon les circonstances et de répondre selon l'importance de la transgression concrète ou symbolique des leaders du Front national. A l'évidence, il fallait le faire après le "point de détail de l'Histoire" comme sur la question de l'inégalité des races ou encore après les derniers propos de Catherine Mégret dans un journal allemand, mais il ne parait pas nécessaire de contrer, en tout lieu et en tout temps, le FN. Au total, la surmédiatisation permanente du FN n'apparaît pas, à moyen et à long termes, au risque de banalisation, la meilleure manière de le faire reculer.
La réponse au second débat peut se résumer dans la question suivante : y a-t-il dans la culture politique française des thèmes qui, par nature, seraient propres à un camp ou à une formation politique ? Oui, à l'évidence sur des questions comme le racisme et la xénophobie, terrains privilégiés de l'extrême droite. Mais àpart cette illustration, une conception démocratique de la politique voudrait que les controverses portent essentiellement sur les propositions formulées par les partis politiques aux préoccupations des gens. Des lors, ces réponses aux demandes sociales sont-elles libertaires, progressistes, conservatrices, réactionnaires ou fascistes ?
- Pour de vraies controverses sur les moyens
Après ces nécessaires questions de méthode, on peut affirmer que, si le combat contre le FN est d'abord un combat politique, la morale et l'éthique dans la société peuvent contribuer à le faire reculer. On s'interrogera aussi sur les enseignements de l'Histoire en disqualifiant un courant politique : l'extrême droite.
Un combat politique
- Les moyens et les fins
Par politique, nous entendons ici la capacité, pour le PS, d'affirmer simultanément des orientations programmatiques, à court et moyen termes et, plus globalement, un projet de société à un horizon plus lointain. Il convient, particulièrement dans la période de crise que traverse la France, qui perturbe les bi-séculaires repères politiques - (notamment le clivage gauche - droite) des acquis idéologiques (la notion de progrès) - de retrouver la nécessaire dialectique des moyens et des fins qui seule donne du sens au combat politique.
- Le FN, un parti néo-fasciste
Par politique, nous entendons aussi, par-delà les divergences politiques, la volonté de réaliser des actions communes.
- Dérespectabiliser Le Pen
Par politique, nous entendons ensuite la nécessité de nommer clairement, au risque d'un affadissement des concepts, l'utilisation de notions simples et opératoires, par exemple l'usage alternatif de vocables comme "extrême droite", "néo-fascisme" ou "démagogie" pour caractériser le FN. Ce dernier a récemment voulu parfaire son identité en reprenant un mot d'ordre de Jacques Doriot. Selon lui, le PPF n'était "ni a gauche, ni a droite". C'est littéralement vrai du Front national, il est à l'extrême droite ! Observons que Le Pen a saisi récemment la justice dans le but d'interdire à la presse l'usage du vocable "extrême droite" pour qualifier son parti. Laissons-nous guider une seconde par Le Pen qui dévoile rarement ses faiblesses ou celles de son organisation. Le Pen demande de ne pas utiliser le terme "extrême droite", excellente raison pour le faire.
- Délégitimer l'extrême droite
Par politique, nous entendons dresser le bilan historique de l'extrême droite, du fascisme et du nazisme au cours du XXe siècle. Il est catastrophique : constante négation des libertés et du droit et à la démocratie, aux nécessaires évolutions historiques (la décolonisation, le droit des femmes, le droit des travailleurs). Au total les régimes qu'ils ont inspires ont entraîné la mort de dizaines de millions de personnes.
- Débusquer les convergences
Par politique, nous entendons encore la capacité à démystifier le programme du Front national dirige contre les salariés, les fonctionnaires et le service public, afin de reconquérir une partie des couches populaires égarée derrière le Front national. Il faut aussi dérespectabiliser Le Pen et les dirigeants du FN quand ils se veulent hérauts de l'ordre moral a travers la formule "mains propres et tête haute".
Enfin, par politique, nous entendons la dénonciation des tropismes d'une partie de la droite - la droite extrême - à forger un espace politique de complicités qui, à terme, pourrait être un espace de convergence avec Le Pen et plus tard avec un FN sans Le Pen. Bref, il convient de repolitiser la politique dans toutes ses dimensions, de lutter contre la banalisation du FN et de montrer qu'il est l'exact contraire de l'image qu'il cherche à se forger et à donner à l'opinion publique.
- Maintenir le FN aux portes du système politique
On doit encore préciser la place du Front national dans la perspective de mars 1998 (1) autour de la question désormais classique : faut-il placer le Front National au centre de la vie politique française ? Le FN, malgré quelques tentations du coté de la droite extrême, comme une minorité en son propre sein, demeure une force volontairement isolée. Il convient
de le contenir au maximum aux portes du système politique. En privilégiant le combat, projet de gauche contre bilan gouvernemental, afin de surmonter la crise de la différenciation politique qui fait le lit du Front national. C'est la seule approche qui peut permettre la victoire de la gauche, en 1998, et à terme l'affaiblissement du Front national.
(1) NDLR : rapport adopte en mars 1997.
- La dimension éthique du combat contre le FN et l'importance de la morale publique
Faut-il rappeler que tout combat politique est, en dernier ressort, un combat moral et éthique au nom des valeurs et d'une certaine manière de "vivre ensemble". On insistera, dans ce combat particulier contre le fascisme, sur sa dimension éthique. A double titre, parce que l'on mène le combat au nom d'une certaine compétition de l'Homme, mais aussi parce que la réhabilitation du politique et l'affirmation de la morale publique sont des ressources capitales pour contenir ou faire reculer le Front national. A condition bien sur de ne pas s'arrêter en chemin. Tout discours moral sans transformation et redistribution sociales, notamment à l'attention des couches populaires, est peu efficace quand il n'est pas contre-productif. De même, dans la bataille contre le Front national, le débat sur le thème de la vérité en politique comme principe de la vie démocratique est capital. La politique ne peut continuer a être perçue, elle l'est trop souvent, comme simple manipulation des esprits.
- Le "vrai" existe !
Oui, le vrai, le bien et le juste existent. Réfléchissons que si rien n'est vrai, alors rien ne vaut, et la morale de la "débrouille" peut s'imposer et le mensonge s'installer partout. Naturellement le Front national, qui fonde généralement ses "démonstrations" à partir de prémices idéologiquement condamnables et souvent volontairement erronés, bénéficie de cet état d'esprit général marqué par le scepticisme et une forme d'agnosticisme politique.
Le P.S. sur la première ligne dans la lutte contre le Front national
On le sait, le Front national tire pour partie sa force de la difficulté des gouvernements depuis la fin des "30 glorieuses" à répondre concrètement aux demandes sociales. Il importe donc, pour le Parti socialiste, de définir clairement un projet ; d'ouvrir un certain nombre de chantiers sur lesquels le PS, comme l'ensemble de la gauche, sont perçus, parfois à tort, mais non sans raisons, dépourvus de toute réflexion autonome ; de prendre un certain nombre de mesures d'organisation interne pour mener plus efficacement le combat anti-FN. Il devra clarifier aussi, dans le cadre de la lutte quotidienne, ses formes de lutte.
Le Parti socialiste face au Front national
- La lutte pour l'emploi : priorité des priorités
- Une République citoyenne
Un projet socialiste de transformation sociale pour redonner des repères et du sens à la lutte politique s'impose. Pour faire reculer le Front national, le Parti socialiste, partisan d'une union des forces de gauche et de progrès, doit s'affirmer dans la lutte pour l'emploi par des propositions simples. Pour mieux s'affirmer dans la bataille politique qui s'ouvre, on rappellera "Nos propositions économiques et sociales" de notre troisième convention et les axes des propositions économiques de Lionel Jospin. Même si la question de l'emploi doit être mise au rang de priorité des priorités, le Parti socialiste doit, pour retrouver pleine crédibilité, par faire son discours en faisant des propositions sur nombre de questions liées à la vie quotidienne. On citera la question de la sûreté des personnes qui apparaît de plus en plus importante aux yeux de nos compatriotes, celle de la civilisation urbaine notamment à partir de la vie dans des quartiers conçus dans les années 1960 et 1970 pour faire face à l'urgence, mais qui engendrent aujourd'hui trop souvent insatisfaction, colère et sentiment d'exclusion. Enfin, pour faire face à la logique communautaire, la question des flux migratoires et de la ségrégation urbaine, notamment à travers l'inégale répartition de la population étrangère, immigrée ou issue de l'immigration qui ne favorise pas, quand elle ne fait pas obstacle, à la nécessaire intégration de tous. On serait incomplet si on ne soulignait pas que le recul de l'influence du Front national passe par une repolitisation de la politique nous n'y reviendrons pas dans le cadre d'une démocratie rénovée. C'est à travers une République citoyenne autour de l'égalité des droits, du contrôle des pouvoirs, de la transparence des décisions politiques, de la participation civique comme de la moralité publique que l'on articulera les nombreuses propositions issues de la seconde convention de 1996 sur les "Acteurs de la démocratie".
- La France dans l'Europe
Si l'ensemble des trois conventions organisées par le PS forme un matériau pertinent et convaincant pour la construction d'un projet, il reste qu'un certain nombre de questions idéologiques mérite d'être approfondi, clarifié ou tout simplement posé. Parmi celles-ci, on citera une question particulièrement importante dont la réponse peut contribuer à satisfaire de légitimes interrogations sur l'identité de la France dans la perspective de la construction politique de l'Union européenne. La gauche et le Parti socialiste seront sans doute plus convaincants lorsqu'ils pourront expliquer la part respective de l'Europe, des instances nationales et des instances régionales dans l'ensemble des décisions qui concernent tous les citoyens.
- La Nation contre le nationalisme
La question de la nation doit, à l'évidence, être clairement posée. Elle ne devrait pas embarrasser les socialistes : de Jaurès à Blum, de la Commune à la Résistance - sans oublier que c'est en partie sur la question nationale que s'est faite la rupture de 1920 - le patriotisme républicain a toujours fait partie de l'identité politique et idéologique du socialisme démocratique. On peut penser qu'il est, aujourd'hui, comme hier, la meilleure réponse au nationalisme xénophobe, parce que c'est celle qui peut être comprise et accepté par tous, parce qu'il ne serait pas acceptable d'abandonner la France, ses symboles, son histoire, ce qu'elle représente aux yeux des autres peuples, au Front national et à Le Pen. La prise en compte de la Nation est la meilleure arme contre le nationalisme dont François Mitterrand a pu dire dans l'une de ses dernières interventions qu'"il conduit fatalement à la guerre". Cette réponse n'est nullement contradictoire avec notre volonté d'ouverture ni avec nos convictions européennes.
Par une unité dans la diversité qui rassemble le plus grand nombre possible d'organisations, d'associations, d'intellectuels, de forces spirituelles et religieuses dans le cadre de nécessaires manifestations. Pour le Parti socialiste, La participation du PS aux manifestations nationales ou locales contre le FN s'impose. Ces rassemblements doivent se dérouler sans violence et apparaître essentiellement comme essentiellement comme d'authentiques manifestations citoyennes. L'ample mobilisation à Grenoble en février 1997 est, à cet égard, exemplaire.
La question électorale : non au Front national
- Les triangulaires
La droite fait d'ores et déjà campagne, de manière indigne, contre l'idée d'une "alliance objective" du Parti socialiste et du Front national, parce qu'il y aurait, au second tour, en mars 1998 (1), beaucoup de configurations triangulaire. Outre sa nostalgie pour des arrangements locaux de 1988 - entre le RPR, l'UDF et le Front national - la droite au pouvoir avoue son incapacité à réduire l'influence du Front national. Une fois de plus, elle se Matisse en nous reprochant une conséquence directe de l'actuel mode de scrutin celui-là même qu'elle a elle-même remis en place en 1986 !
(1) NDLR - Elections anticipées aux mois de mai et juin 1997.
- Pour une attitude républicaine au second tour
Pour faire face au Front national et empêcher qu'il y ait des élus de ce Parti à l'Assemblée nationale, le Parti socialiste a exprimé son accord avec les autres forces politiques de la gauche, pour designer et soutenir des candidatures uniques dès le premier tour en 1998. Cette disposition d'esprit doit être interprété à la fois comme une volonté politique et un acte symbolique. Elle peut, par ailleurs, se révéler efficace, selon le choix commun d'une dizaine de circonscriptions, avec nos partenaires. L'autre disposition pour contribuer à empêcher l'élection de candidats du Front national tourne autour de la question de la définition d'une attitude républicaine. Cette question qui, pour le PS, est une question de principe, implique le retrait du candidat socialiste dans l'hypothèse où son maintien au second tour contribuerait à faire élire le Front national. Pour le Parti socialiste, ce principe doit s'appliquer partout, sauf là où le candidat de droite RPR ou UDF a fait campagne sur des idées proches du Front national, ou si ce candidat a eu, au cours des dernières années, des complicités avec le Front national. Les responsables fédéraux du PS informeront la direction nationale de la vie politique dans leur département. A l'évidence, la décision de retrait républicain pour Vitrolles ne fera pas jurisprudence à droite. En nous qualifiant d'ennemi comme le Front national, la droite se prépare en fait à jouer, ici et là, avec le FN. On sera très vigilant à ce type de pratique et on les condamnera.
- Le creuset républicain
L'identité de la France n'est pas, pour nous, figée une fois pour toutes. Elle se modifie par le creuset républicain, s'enrichit sans cesse en fonction de nouveaux apports. Par ailleurs, nous avons assez mesuré à quel point l'idée selon laquelle nous serions déjà dans une phase "post-nationale", ou il reviendrait à l'Europe d'accélérer la dissolution des nations et la fusion des peuples, peut être mortelle pour la construction européenne elle-même. Pour nous, l'unité
de base de la fédération européenne est l'Etat-Nation. La France est, et restera longtemps encore, notre Patrie. Et son avenir est dans la construction d'une Europe cohérente et solidaire qui nous permettra d'affronter les défis d'une mondialisation qui reste à domestiquer.
Par ailleurs, toujours dans le même souci de construire une représentation de soi comme citoyen dans une société en très profonde mutation, le Parti socialiste devra réfléchir au contenu d'un projet culture pour faire face à un Front national qui fait de la culture un axe important de sa politique.
- La question du civisme
- La question de la xénophobie
On ouvrira aussi un débat sur une question controverse mais qui tend à s'imposer dans notre pays et dans tous les partis sociaux démocrates européens autour de la question du civisme à travers l'enseignement scolaire et la violence à l'école - et la production des médias. Parallèlement, une large réflexion devra s'ouvrir autour des normes dans une société complexe où cohabitent plusieurs cultures et où l'on peut percevoir un nombre croissant d'hommes et de femmes en voie de socialisation. En ce sens, pour préciser notre approche d'une justice à l'échelle humaine à travers la prévention, la dissuasion, la sanction et la réinsertion, on s'interrogera sur les formes les plus adéquates de punitivité en fonction de la transgression de la loi et des normes communes qui portent atteintes au "vivre ensemble". Enfin, on ne saurait trop recommander au Parti socialiste d'ouvrir une réflexion sur la question de la xénophobie, du racisme et de l'antisémitisme dans notre société.
Le rôle du Comité de Vigilance
- La recherche du consensus à travers le débat
Le Comité de Vigilance contre l'extrême droite, cité à l'initiative du Parti Radical Socialiste et auquel se sont spontanément joints le Parti socialiste, le Parti communiste, les Verts et le MDC et qui s'est ensuite élargi à une quarantaine d'organisations, devra, dans les semaines et les mois à venir, rendre plus visibles son action et ses réflexions. Ce Comité devra parfaire son mode de fonctionnement et faire vivre un pluralisme sans hégémonie de quiconque. La recherche du consensus sur des bases claires doit être permanente. Lieu de débat, lieu d'information réciproque, lieu de préparation de manifestations et d'actions, il doit aussi, en permanence, affiner ses analyses du Front national comme ses modalités de riposte.
Pour une mobilisation citoyenne
- Pas de monopole des partis politiques
Une lutte efficace contre le Front national ne passera prioritairement ni par une personnalisation ni par une systématique instrumentation de ce combat par telle ou telle organisation. Précisons que pour le Parti socialiste, il n'y a pas de monopole des partis politiques. Ce combat passe nécessairement.
Reconquérir les couches populaires avec les valeurs de la République
- Pas de fatalité
La France, vieux pays démocratique, qui a contribue à définir les Droits de l'homme et du citoyen, aujourd'hui attiré par des démagogues est en proie au démon de la xénophobie, à la recherche de boucs émissaires, à la défiance de ses dirigeants. Il ne parait cependant pas en passe de céder aux séductions de l'extrémisme même si elle progresse dangereusement dans les couches populaires. Mais en Histoire, il n'y a pas de fatalité à l'issue heureuse des choses ni à son issue tragique. Beaucoup dépendant de l'intelligence et du sang-froid du Parti socialiste et de tous ceux qui luttent contre le FN, pour comprendre le monde, ici et maintenant, trouver des solutions adaptées, savoir les expliquer et avoir le courage de les proposer à nos concitoyens dans une République dont les valeurs fondamentales sont toujours d'actualité.