Interview de Mme Elisabeth Guigou, ministre de la justice, à Europe 1 le 7 décembre 1998, sur le calendrier des réformes de la justice et la cohabitation.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach
Bonjour Madame la ministre de la Justice. On chuchote que vous quitterez bientôt le ministère de la Justice pour être soit tête de liste PS aux européennes, soit commissaire européen à Bruxelles. Qu’est-ce qui est vrai ?

E. Guigou
- « On se trompe. J'ai envie de rester ministre de la Justice pour terminer et mener à bien les réformes que j'entreprends. »

J.-P. Elkabbach
L. Jospin ne vous a rien demandé ?

E. Guigou
- « Non ! Non seulement il ne m'a rien demandé, mais il souhaite que je reste au Gouvernement. Comme, moi, je souhaite rester au Gouvernement pour terminer ce que j'ai à faire. »

J.-P. Elkabbach
A la Justice vous êtes, à la Justice vous resterez !

E. Guigou
- « Voilà, jusqu'à la fin des réformes. »

J.-P. Elkabbach
Mais la fin des réformes c'est quand ?

E. Guigou
- « On peut toujours en mettre de nouvelles en chantier. Mais, pour l'instant, je vais terminer ce que j'ai engagé. C'est-à-dire cette réforme qui a trois volets : rapprocher la justice des citoyens, mieux garantir les libertés individuelles et donner l'indépendance aux magistrats du parquet. »

J.-P. Elkabbach
Vous êtes toujours sur cette ligne de l'indépendance du parquet ?

E. Guigou
- « Évidemment, on ne peut plus avoir un parquet aux ordres. Les magistrats du siège ont toujours été indépendants. Donc, si on veut lever le soupçon de la soumission du parquet aux politiques, pour de mauvaises raisons d'ailleurs - toujours de mauvaise raisons -, il faut faire cette réforme. C'est-à-dire garantir l'indépendance dans la nomination des procureurs, premier point. Et deuxièmement, supprimer les instructions particulières du Garde des Sceaux au parquet. Ce que j'ai fait déjà. Mais il faut l'inscrire dans la loi pour que mes successeurs soient tenus par la pratique. »

J.-P. Elkabbach
Le Président de la République a demandé, l'autre jour, une réforme globale de la justice. Il ne convoquera pas le Parlement, pour le Conseil supérieur de la magistrature, à Versailles, tant que le Gouvernement n'aura pas présenté en première lecture deux textes : la présomption d'innocence, les rapports Chancellerie-parquet. Est-ce que vous le comprenez ?

E. Guigou
- « Le Président dit très exactement ce que nous disons, L. Jospin et moi, depuis le début. Cette réforme comporte trois volets, et ces trois volets sont indissociables. Ceci dit, vous voyez bien que l’on ne peut pas tout faire voter ensemble. Parce qu'il n'y a pas grand-chose à voir entre les garanties de nomination qu'on donne aux procureurs - et qui sont dans la réforme de la Constitution qui est maintenant prête à aller au Congrès ! Elle est prête à aller au Congrès ! - et puis la présomption d'innocence qui concerne les modalités de la garde à vue. Donc, on ne peut pas faire voter ces textes en même temps. J'ajoute que, dans notre droit, il y a une hiérarchie des normes juridiques. Quand on est en première année de droit on apprend ça : c'est-à-dire qu'on vote d'abord le texte qui modifie la Constitution, et ensuite seulement, les projets de loi ordinaires qui sont chargés d'appliquer et de décliner ces modifications. »

J.-P. Elkabbach
Ça, vous le dites à Monsieur Chirac ?

E. Guigou
- « Non, je n'ai pas ... »

J.-P. Elkabbach
Est-ce qu'il a un autre calendrier ? Quel est le calendrier qui doit prévaloir : celui du Gouvernement ou celui du Président ?

E. Guigou
- « Avec le Président de la République il n'y a pas de différence sur la conception de la réforme. Le problème me paraît dans l'opposition. C’est ce que j'ai dit à l'Assemblée nationale l'autre jour : est-ce que l'opposition veut, oui ou non, approuver les réformes que souhaite le Président de la République avec le Gouvernement ? Voilà où est le problème. »

J.-P. Elkabbach
Qui montre la voie à l'opposition, qui l'inspire, qui est la référence pour l'opposition ?

E. Guigou
- « Je n'en sais rien, parce que je n'ai pas à me mêler des affaires intérieures de l'opposition. Il y a une partie de l'opposition, en tout cas, qui ne souhaite pas ces réformes. Or ces réformes, il faut les faire. Et moi, je dis à l'opposition : est-ce que, oui ou non, en refusant ces réformes, vous souhaitez qu'on en reste à un système de prébendes ? Si c'est le cas, dites-le ! »

J.-P. Elkabbach
Quel est le calendrier qui va prévaloir ?

E. Guigou
- « Le Gouvernement a son calendrier, et le tiendra ! Les textes viendront en discussion, et ils viendront le plus vite que possible, aussi vite que le calendrier parlementaire le permettra. »

J.-P. Elkabbach
On avait dit : la présomption d'innocence en mars. Est-ce que vous restez en mars, ou vous le passez en janvier ?

E. Guigou
- « Pour l'instant, le Gouvernement n'a pas revu le calendrier parlementaire. Ça pourrait en faire l'objet. Mais ce n'est pas le sujet. On n'est pas à quelques semaines près. Le problème, sur des réformes de fond comme ça, c'est de savoir si, au final, d'ici quelques mois, nous aurons le vote sur l'ensemble de la réforme. Et la question est : est-ce que l'opposition est prête à voter au Congrès, réuni à Versailles, celui des textes qui est prêt : le projet de réforme constitutionnel. »

J.-P. Elkabbach
Le Président ne veut pas commencer par la convocation du Congrès.

E. Guigou
- « Reconnaissez qu’il y a un vrai paradoxe à se plaindre du ralentissement du calendrier, et d'autre part à ne pas vouloir voter le seul texte qui est prêt, la révision constitutionnelle. C'est un paradoxe. J'ajoute que je vois du côté de l'opposition une certaine incohérence. Parce que je trouve qu'à partir du moment où l’on prétend vouloir cette réforme, eh bien à ce moment-1à, il faut faire ce qu'il faut pour avancer. »

J.-P. Elkabbach
Vous allumez l'opposition, ce matin. C'est plus facile de l'attaquer que de faire des remarques au Président de la République. Quand vous l'avez interpellé la semaine dernière, vous en avez choqué plus d'un. Est-ce que c'est à un ministre d'interpeller le Président de la République ?

E. Guigou
- « On dit "interpeller". Moi, j'ai simplement dit : le Président de la République a déclaré vouloir cette réforme. Est-ce que, compte tenu des positions de l'opposition, (inaudible), puisque l'opposition parlait en son nom ? Le Président de la République a fait dire par son porte-parole qu'il souhaitait cette réforme. Très bien ! Encore une fois le problème me paraît être davantage au sein de l'opposition qu'entre le Premier ministre et le Président de la République. »

J.-P. Elkabbach
L'opposition vous répondra assez vite, rassurez-vous. Le Président a parlé à Rennes, on y a vu une stratégie de reconquête, un retour. A. Duhamel parle d'une deuxième phase de la cohabitation. Vous le ressentez comme ça ?

E. Guigou
- « Je ne sais pas. Je crois que s'il y a un problème de cohabitation encore une fois - vous me permettrez de me répéter - il me paraît davantage au sein de l'opposition. On a vu M. Pasqua quitter le RPR. D'ailleurs plus personne n'en parle ce matin, apparemment, tout le monde a oublié. On a vu un certain nombre de tiraillements encore une fois au sein de l'opposition. Le problème de la cohabitation, il est là. »

J.-P. Elkabbach
Autrement dit, F. Hollande se trompe quand il voit que J. Chirac est candidat, qu'il est en campagne. Ce n'est pas ça ?

E. Guigou
- « Chacun peut porter ses appréciations. Moi, ce que j'observe, c'est que dans le discours qu'il a prononce a Rennes, le Président de la République a développé des thèmes qui sont exactement la trame des reformes du Gouvernement. »

J.-P. Elkabbach
Vous n'allez pas en faire le chef de la majorité plurielle, quand même !

E. Guigou
- « La parité hommes-femmes : la semaine prochaine, je vais présenter ce texte au Parlement et il sera voté. La modernisation de la vie publique  avec  la limitation du  cumul des mandats. L’intercommunalité parce qu'on a besoin évidemment que les pays et que les agglomérations se regroupent pour pouvoir créer ensemble des projets. La reforme de la justice. »
C'est formidable !

- « C'est formidable. »

J.-P. Elkabbach
Vous n'aurez plus besoin de présenter un candidat aux élections présidentielles ?

E. Guigou
- « C'est autre chose. Nous n'avons pas l'obsession des élections présidentielles. Nous faisons notre travail et nous ne pouvons que nous réjouir de voir en effet le Président de la République aborder ces thèmes. »

J.-P. Elkabbach
Le Pacs sera enfin voté cette semaine à l’Assemblée. Vous croyez que c'est une belle victoire pour le Gouvernement ?

E. Guigou
- « Ça aura été un débat pénible parce qu'il a fallu faire face dans le calme à ce qui était de l'obstruction caractérisée, avec des arguments qui n’étaient pas dignes du débat. Je n'en dirai pas plus. Voila. Maintenant, le vote sera une victoire, bien entendu, parce que ça concerne 5 millions de personnes qui ne veulent pas ou ne peuvent pas se marier et qui auront enfin des droits, qui ne seront plus hors droits, négligées par le droit. Et ça, je considère que c'est une formidable victoire. »

J.-P. Elkabbach
Mais ça ne veut pas dire que le Pacs sera forcement appliqué. Quand le sera-t-il ?

E. Guigou
- « Il le sera quand il sera définitivement voté, et je peux vous dire... »

J.-P. Elkabbach
C'est-à-dire ?

E. Guigou
- « Mais attendez ! Cette première bataille est essentielle parce que c'est là, à l’Assemblée nationale, qu'on nous avait dit, ce ne sera jamais voté, ce ne sera pas voté avant Noël. Ce sera voté mercredi. Et je peux vous dire : moi, en tout cas, je ne lâcherai pas prise. Ce texte sera voté. Il faudra six ou sept navettes avec
l’Assemblée nationale ou le Sénat, je les ferai. »

J.-P. Elkabbach
Il faut croire que vous avez passé un week-end terrible, vous êtes déchaînée. A partir d'aujourd'hui sort célébrés les 50 ans des Droits de l'homme. Il reste à les appliquer dans tellement de pays ! Quel est l’élément le plus neuf, le plus prometteur pour les années 2000 ?

E. Guigou
- « Je crois que c'est le fait qu'on est passé des déclarations sur les Droits de l'homme a l'application avec la création de la cour pénale internationale et des tribunaux internationaux qui, enfin, vont juger les Pinochet. »

J.-P. Elkabbach
Tous les Pinochet ? Et si le gouvernement britannique renvoyait Pinochet au Chili pour que son peuple le juge ?

E. Guigou
- « C'est sa décision et sa responsabilité. Ce que je crois de toute façon, c'est que cette affaire Pinochet surtout est une promesse pour l'avenir. Cette cour pénale internationale que la France a voulue, il faut vraiment qu'elle soit signée et ratifiée par soixante pays, et qu'elle se mette en place pour que les dictateurs qui se livrent à des crimes contre l’humanité sachent qu'ils ne seront plus en paix. Voila le progrès social. »

J.-P. Elkabbach
Et la France ratifiera ?

E. Guigou
- « Bien entendu. Et vite. J’espère que nous serons parmi les premiers. »