Interviews de M. Christian Poncelet, Président du Sénat, dans "Ouest-France" le 24 octobre 1998 et dans "Le Figaro" le 27, sur les relations du Sénat et du gouvernement, la modernisation de l'institution, la valorisation de son rôle de grand conseil des communes de France, l'absentéisme parlementaire et la limitation du cumul des mandats.

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Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro - Ouest France

Texte intégral

OUEST-FRANCE - samedi 24 octobre 1998.

Q - Le Sénat a une mauvaise image dans l'opinion. A quoi cela est-il dû ?

- « Sans doute l'action du Sénat, pourtant excellente, n'est-elle pas assez valorisée en France alors qu'elle sert souvent de référence à l'étranger. Mais les Français savent bien, en revanche, qu'ils peuvent compter sur le Sénat dans les périodes difficiles. Ils le voient comme une sorte de garde-fou. Et c'est vrai que les sénateurs ont acquis, au fil du temps, une grande expérience qui leur permet d'aborder avec sang-froid les questions les plus difficiles. »

Q - Le Sénat peut être sage, mais peut-il se contenter de n'être que cela ?

- « Je souhaite aussi que le Sénat devienne un laboratoire d'idées, une force de proposition. Nous disposons déjà d'une bonne expérience en la matière. Lorsque je présidais la commission des Finances, nous ne sommes pas contentés de critiquer le budget, nous avons fait des propositions concrètes pour l'améliorer. Le Gouvernement aurait été bien inspiré, par exemple, de nous écouter quand nous lui avons proposé de réduire les charges sur les bas salaires. Je crois au combat des idées, mais il y a aussi un temps pour le travail en profondeur. Le Sénat n'est pas là pour dire toujours oui à un Gouvernement qui est de sa couleur politique et toujours non à un Gouvernement qui lui est opposé. Si le Gouvernement avait invité le Sénat à réfléchir sur certains problèmes de société il ne rencontrerait pas les difficultés qu'il a aujourd'hui avec le Pacs. »

Q - Le Sénat doit-il continuer d'être le représentant des collectivités locales ?

- « En plus d'être une assemblée à part entière, le Sénat est le grand conseil des collectivités locales. Je compte bien accentuer encore cette vocation en tenant, dans les régions, des états généraux qui me permettront de rencontrer tous leurs élus. Je souhaite aussi mettre en place une structure de suivi de la décentralisation qui travaillerait en étroite concertation avec les associations d'élus locaux. »

Q - Comment avez-vous reçu la déclaration de Lionel Jospin selon laquelle le Sénat est « une anomalie parmi les démocraties » ?

- « C'est un mot un peu hasardeux. Lionel Jospin est comme nous tous, il a des défaillances de mémoire. Il aurait dû se rappeler que François Mitterrand lui-même avait déclaré que le Sénat est « une institution indispensable à l'équilibre du pouvoir ».

Q - Le gouvernement voudrait corriger la surreprésentation du monde rural. Qu'en pensez-vous ?

- « C'est une idée que je ne repousse pas. Il y a sûrement un rééquilibrage à faire. Mais gardons-nous de tout excès. Car, s'il convient d'améliorer la représentation des grandes cités, on ne doit pas pour autant sacrifier la représentation des territoires, surtout au moment où le Gouvernement veut élargir la décentralisation. On ne réussira pas l'aménagement du territoire sans une représentation convenable du monde rural. »

Q - Neuf ans pour un mandat du sénateur, c'est long…

- « Comme nos aînés, je pense que la durée contribue à la sérénité des délibérations. »

Q - Les Français sont favorables au durcissement du cumul des mandats. Or le Sénat s'apprête à bloquer la réforme…

- « Un élu national, député ou sénateur, doit pouvoir détenir une fonction exécutive locale. Mais une seule. C'est le bon sens même. Et, ne soyons pas hypocrites, notre point de vue est largement partagé à gauche. Je défie un élu national qui n'aurait pas été confronté concrètement aux problèmes de la fiscalité locale de bien légiférer dans ce domaine. Méfions-nous de ces réformes, parfaitement recevables en théorie, qui donnent des résultats exécrables en pratique. »

Q - Mais s'ils cumulaient moins, les élus seraient sans doute plus nombreux aux débats du Parlement ?

- « On peut lutter contre l'absentéisme parlementaire par d'autres moyens. Peut-être en pénalisant les absents par des sanctions pécuniaires, mais surtout en améliorant l'organisation du travail parlementaire. »


LE FIGARO - 27 octobre 1998.

Le Figaro. - Vous présidez le Sénat depuis un mois. Votre arrivée intervient à un moment crucial pour les rapports entre la Haute Assemblée et le Gouvernement. Comment qualifiez-vous cette « cohabitation » ?

Christian Poncelet : « Je suis un homme de dialogue ; je l'ai démontré au cours de mes différentes activités politiques. Donc je suis ouvert à la discussion avec le Gouvernement sur les sujets qu'il   soumet à l'appréciation du Sénat. Je ne suis pas de ceux qui considèrent que le Sénat doit, selon les époques, dire toujours non ou toujours oui aux gouvernements. »

Le Figaro. - Sur la limitation du cumul des mandats, le Sénat se montre tout de même très réticent.

- « Le Sénat n'est pas hostile à la limitation des cumuls. Mais il considère que dans ce domaine comme dans d'autres l'excès est mauvais. Nous estimons qu'aujourd'hui, en raison de la décentralisation, les responsabilités des élus locaux sont importantes et que les cumuls d'autrefois - député, ministre, président de région, président de conseil général, maire - ne peuvent plus exister. Mais nous disons aussi qu'il n'est pas souhaitable que celui qui détient un mandat national n'ait pas une relation étroite avec la population qu'il représente. Ceci et encore plus valable pour le Sénat, « grand conseil des communes de France », selon la Constitution. Comment peut-on légiférer d'une manière sérieuse sur les communes, leur fiscalité, leurs ressources, leurs compétences si on n'est pas confronté quotidiennement aux difficultés que rencontrent, face aux exigences légitimes des populations, les magistrats municipaux ?

Nous nous gardons de l'excès : d'accord pour la limitation, mais il faut s'orienter vers une fonction parlementaire et une fonction exécutive locale. »

Le Figaro. - La rumeur prête à Lionel Jospin la volonté de recourir au référendum pour contourner l'opposition des sénateurs s'ils ne votent pas le projet de loi.

- « En prenant position pour une limitation raisonnable du cumul des mandats, le Sénat a démonté qu'il était favorable à ce que les choses bougent, contrairement à ce que laisse entendre le Gouvernement.

Dans ce contexte, je ne vois pas à quoi servirait un référendum sauf à vouloir fuir la discussion parlementaire. Il est en effet surprenant de solliciter la représentation nationale pour délibérer sur un texte et d'évoquer simultanément un référendum dont l'objet est de se passer de l'avis des parlementaires. Le Gouvernement a t-il peur que sa propre majorité rejoigne les positions du sénat ? »

Le Figaro. - Où en sont les discussions sur une autre réforme importante, celle qui concerne la modification du mode d'élection des sénateurs ?

- « Nous ne connaissons pas encore le projet de loi du Gouvernement. Il convient de concilier deux objectifs : sans aucun doute, une meilleure représentation des grandes cités urbaines, mais aussi l'obligation de représenter les territoires, ce qui demeure essentiel au moment où le Gouvernement envisage un projet de loi sur l'aménagement du territoire qui doit normalement tendre à amorcer un reflux des populations des cités urbaines vers le milieu rural.

Imaginez qu'il n'y ait personne pour représenter ces territoires : comment pourrons-nous procéder à un aménagement équilibré ? Qui aujourd'hui s'exprime avec le plus de force pour le maintien de l'université, d'un établissement hospitalier, pour la création d'infrastructures de communication ? Ce sont les élus, et en particulier les élus locaux et leurs représentants, les sénateurs ! »

Le Figaro. - Le Sénat a les moyens de bloquer deux des projets en préparation : la loi constitutionnelle sur la parité hommes-femmes et la loi organique sur la limitation du cumul des mandats. Il ne peut en revanche s'opposer à la réforme du mode d'élection du Sénat et à celle qui concerne l'élection et le fonctionnement des conseils régionaux. Ne va-t-on pas vers une sorte de « négociation globale » avec le Gouvernement ?

- « En vous écoutant, je me demandais si vous n'étiez pas présent lorsque j'ai eu un entretien avec le Premier ministre… Nous avons eu un dialogue très franc. Je dis : gardons-nous d'un côté comme de l'autre d'une démarche excessive, et voyons si nos points de vue peuvent se rapprocher et se concilier.

Pour faciliter la tâche du Gouvernement, nous avons récemment déposé une proposition de loi constitutionnelle qui tend à limiter le cumul des mandats et des fonctions ministérielles. Il s'agit d'en finir avec une attitude un peu hypocrite qui consiste à dire : je démissionne de ma fonction de maire parce que je suis ministre mais je deviens premier adjoint avec délégation de tous pouvoirs. »

Le Figaro. - Votre prédécesseur René Monory, avait placé sa présidence sous le signe de l'ouverture du Sénat sur le monde et sur les technologies nouvelles. Et vous, comment envisagez-vous votre présidence alors que l'exécutif se penche sur la « modernisation de la vie politique » ?

- « J'aurai évidemment le souci d'entretenir de relations avec les pays étrangers. J'ai déjà reçu d'ailleurs plusieurs représentants ou chefs d'État étrangers. Mais j'entends que le Sénat exerce d'abord sa mission de législateur. Le sénat a en outre, par la Constitution, vocation à veiller aux légitimes intérêts des collectivités territoriales. Et Dieu sait qu'elles sont actuellement angoissées par différentes décisions qui tendent à leur attribuer davantage de compétences sans leur transférer les ressources correspondantes, contrairement à ce que veut la loi. Elles se trouvent prise dans un étau, ce qui les conduit à augmenter l'impôt au-delà des limites ou pouvoir contributif de leurs administrés et à devenir impopulaires.

Ma priorité va être de me mettre à l'écoute permanente des élus locaux. Je ferais à cette fin des déplacements en province, et j'aurai des dialogues avec les élus locaux, toutes tendances confondues, pour appréhender leurs difficultés, écouter leurs suggestions, rassembler et disposer des matériaux nécessaires qui permettront aux sénateurs de légiférer en toute connaissance de cause. »