Déclaration de M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture de la pêche et de l'alimentation, à St-Pol-sur-Ternoise le 6 novembre 1995 et interview dans le "BIMA" de novembre 1995 sur l'installation des jeunes agriculteurs et le développement du monde rural.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Philippe Vasseur - ministre de l'agriculture de la pêche et de l'alimentation

Circonstance : Signature de la Charte d'installation des jeunes agriculteurs à Saint-Pol-sur-Ternoise le 6 novembre 1995

Média : Bulletin d'information du Ministère de l'agriculture

Texte intégral

Interlocuteur : Philippe Vasseur

Je me réjouis d'être « le ministre de la Charte nationale de l'installation », car l'installation des jeunes en agriculture constitue, pour moi, une priorité absolue de la politique agricole pour les prochaines années. Je n'imagine pas pouvoir envisager l'avenir de notre agriculture sans d'abord penser aux hommes et aux femmes qui seront les agriculteurs de l'an 2000.

Au-delà des évolutions économiques et commerciales, on néglige trop souvent la question démographique. Or, il y a là une contrainte forte sur le renouvellement des chefs d'exploitation qui conduit à constater aujourd'hui, seulement une installation pour quatre ou cinq départs. Mais l'erreur serait de penser que nous ne pouvons rien faire pour remédier à une telle évolution. Ceux qui disent cela sont soit ceux qui, implicitement, justifient une évolution vers 200 000 exploitations en 2010-2015, soit ceux qui démissionnent, baissent les bras et laissent faire. Dans les deux cas, le résultat est le même.

Je ne fais partie ni des uns, ni des autres. Je suis convaincu qu'une politique volontariste d'installation est possible et nécessaire ; c'est tout l'objet de la Charte nationale de l'installation. Elle est nécessaire pour quatre raisons. Premièrement, le dynamisme et la performance de notre agriculture reposent sur un renouvellement régulier et suffisamment important des agriculteurs les plus âgés par des jeunes de mieux en mieux formés, capables d'affronter une concurrence difficile et de s'engager dans des métiers nouveaux liés à la production agricole.

Deuxième raison : sans politique volontariste d'installation de jeunes agriculteurs en milieu rural, tout discours sur la gestion des espaces et le développement du monde rural devient factice.

La troisième raison, c'est la contribution de la politique de l'installation à l'emploi et, dans ce domaine, nous avons encore des marges de manoeuvre.

Quatrième raison, enfin, dans une France urbaine, souvent en mal d'équilibre, où les jeunes trouvent difficilement leur place dans des conditions sociales et économiques qui poussent à l'exclusion, le monde agricole reste un pôle de stabilité et d'équilibre indispensables à notre société.

Si nous parvenons à augmenter de 50 % le nombre des installations au cours des prochaines années, nous pouvons espérer maintenir 550 000 exploitations agricoles en 2005-2010. À ce moment-là, le ratio symbolique d'une installation pour un départ sera une réalité. C'est cela le défi que je souhaite que nous relevions ensemble, pouvoirs publics et professionnels.


Interlocuteur : L'intervention de Philippe Vasseur

M. le Premier ministre, Mme la présidente du Centre national des jeunes agriculteurs, M. le président du Conseil de l'agriculture française,

C'est un grand honneur pour le Ternois de vous recevoir aujourd'hui. Le Ternois et sa petite capitale, Saint-Pol, dont je suis maire, représentent à l'occasion d'un événement majeur pour notre agriculture, l'ensemble de cette France rurale à laquelle, M. le Premier ministre vous êtes, comme le président de la République profondément attaché.

Je suis fier de vous accueillir au coeur d'un département qui constitue presque un concentré de l'agriculture française, avec ses plaines et ses vallons, ses élevages, ses grandes cultures et ses cultures spécialisées.

Le Pas-de-Calais installe entre 150 et 220 jeunes agriculteurs par an. Selon les premiers chiffres dont je dispose, 1995 devrait être un bon cru, mais il faudra de toute façon faire mieux à l'avenir, ici comme ailleurs. C'est précisément la raison de votre présence à tous, puisque nous allons maintenant conclure un pacte entre la profession et les pouvoirs publics afin de relancer l'installation des jeunes en agriculture.

Cette relance est indispensable pour au moins quatre raisons :

- la première, c'est que le dynamisme et la performance de notre agriculture doivent être entretenus par un renouvellement régulier et suffisant des agriculteurs ;
- la deuxième, c'est que, sans une politique d'installation très volontariste, les discours sur la gestion des espaces et le développement du monde rural n'auraient aucun sens ;
- la troisième raison, c'est que la politique de l'installation des jeunes en agriculture doit apporter une contribution importante à la politique de l'ensemble ;
- enfin, la quatrième raison, c'est que dans une France urbaine souvent en mal d'équilibre, dans une France urbaine où les jeunes trouvent difficilement leur place, où certaines conditions sociales et économiques poussent à l'exclusion, dans cette France-là, le monde agricole reste un pôle de stabilité et d'équilibre vital pour notre société.

C'est pourquoi, il est tout à fait légitime que l'agriculture bénéficie d'un dispositif d'appui sans équivalent dans aucun autre secteur professionnel pour appuyer l'entrée des jeunes dans un métier.

Cette politique atteint très largement ses objectifs qualitatifs. Les dernières données recueillies auprès des jeunes récemment installés montrent que cinq ans après leur installation :

80 % d'entre eux sont satisfaits de leur situation et que 95 % des projets sont conformes aux prévisions.

Sur le plan quantitatif, vous connaissez tous l'objectif : il s'agit d'installer 12 000 jeunes chaque année au lieu de 8 000 à 8 500 actuellement. Cela doit nous permettre de stabiliser à 550 000 environ le nombre d'exploitations et permettre ainsi à notre agriculture de garder sa place éminente au sein de l'Europe, comme au niveau international.

Tel est l'objet de la charte signée ici, aujourd'hui. Cette charte s'articule autour de sept grandes orientations qui forment un cadre cohérent, adapté et durable.

* Les sept grandes orientations

Première orientation : l'information et l'orientation des candidats potentiels à l'installation – avec la mise en place de l'opération Pivoine, ce qui veut dire « Programme d'insertion et de valorisation des opportunités pour l'installation des nouveaux exploitants ». Cette opération doit faciliter l'installation des candidats non successeurs.

Deuxième orientation : la préparation et la progressivité de l'installation.

Dans chaque département un point « info installation » doit être ouvert.

Par ailleurs, le pacte « jeunes agriculteurs » est créé afin de prendre en compte le plus tôt possible les intentions d'installation en leur apportant conseils et appuis nécessaires.

Je rappelle enfin que les stagiaires « six mois » sont désormais indemnisés.

La troisième orientation concerne l'accès aux moyens de production et aux marchés.

La réforme du décret du 9 mai 1995 sur les transferts de références laitières a été décidée pour mieux affirmer la priorité à l'installation. Le nouveau décret est actuellement soumis à l'examen du Conseil d'État.

Nous devons aussi adapter la fiscalité en faveur des bailleurs bénéficiaires des fonds d'avance fermage.

Quatrième orientation : le financement. L'abattement de 50 % sur les transmissions à titre gratuit, prévu par la loi de finances pour 1996 bénéficie à l'agriculture.

Le plafond du prêt global d'installation est augmenté.

Le taux de subvention du ministère de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation pour la mise aux normes des bâtiments d'élevage au bénéfice des jeunes qui s'installent en agriculture, sera majoré. Il sera porté à partir du 1er janvier 1996 :

- de 30 % à 35 % dans les zones de montagne, les zones défavorisées et les territoires ruraux de développement prioritaire pour les bénéficiaires d'un PAM ;
- il sera porté de 30 % à 32,5 % dans les autres zones.

Enfin, les conditions d'accès à la dotation jeune agriculteur seront élargies.

Cinquième orientation : la gestion des risques.

Une approche complémentaire des questions de garantie de la part des établissements de crédits, et du Crédit agricole en particulier, devrait permettre de répondre de façon constructive à des projets présentant des insuffisances de garanties.

J'ajoute que l'incitation à l'assurance grêle pour les jeunes producteurs de fruits est doublée.

Sixième orientation : la prise en considération de la diversité.

La nouvelle définition européenne de l'exploitant bénéficiaire de la DJA sera transcrite en droit national pour tenir compte des activités de transformation, de tourisme à la ferme, et de gestion de l'espace rural.

D'autre part, le prêt de première modernisation dans les DOM est majoré pour être porté à 200 000 francs.

La septième orientation vise à renforcer la synergie et la cohérence entre les politiques locales et la politique nationale. Cette orientation se traduit par la création du FIDIL, c'est-à-dire le fonds pour l'installation et le développement des initiatives locales qui mobilisera, dès 1996, 340 millions de francs, 220 millions de crédits de l'État et au moins 120 millions de crédits locaux.

Le dispositif que je viens brièvement de présenter s'intègre dans une politique globale de l'agriculture, qui concerne l'ensemble des agriculteurs, au premier rang desquels se trouvent les jeunes. Des mesures importantes devraient pouvoir être prises lors de la prochaine conférence annuelle agricole que vous présiderez, M. le Premier ministre et au cours de laquelle vous souhaitez que nous évoquions, notamment, la nécessaire modernisation du statut fiscal de l'exploitation agricole.

Mesdames et Messieurs, à l'aube de ce troisième millénaire que nous préparons aujourd'hui, permettez-moi de vous exprimer ma gratitude pour votre contribution à la réussite de ce défi, qu'ensemble, nous voulons relever.

M. le Premier ministre, votre présence au coeur du Ternois, votre participation à cette manifestation témoignent de l'importance légitime que vous accordez à l'agriculture française et à l'installation des jeunes.


BIMA - Novembre 1995

BIMA : Pourquoi une charte nationale de l'installation ?

Philippe Vasseur : Les performances de notre agriculture reposent aujourd'hui sur un renouvellement régulier et suffisamment important des agriculteurs les plus âgés, par des jeunes de mieux en mieux formés, capables d'affronter une concurrence difficile et de s'engager dans des métiers nouveaux liés à la production agricole. La charte, signée aujourd'hui, constitue un nouveau contrat entre la nation et son agriculture. Elle rassemble tous les partenaires concernés par l'installation des jeunes agriculteurs autour d'une politique volontariste, destinée à créer les conditions d'une nouvelle dynamique.

BIMA : Pourquoi cette nouvelle dynamique est-elle nécessaire ?

Philippe Vasseur : L'État s'est engagé dès 1973, en particulier avec la dotation aux jeunes agriculteurs (DJA), dans une démarche visant à favoriser l'installation des jeunes agriculteurs. Ces efforts ont donné de bons résultats. L'enquête réalisée récemment par le CNASEA en témoigne : 80 % des agriculteurs installés sont satisfaits de leur situation. Après cinq ans, 95 % des jeunes installés constatent le succès de leur entreprise, alors que dans les autres secteurs, ce taux n'est que de 50 % après trois ans. Mais les données démographiques et économiques ont évolué : d'une part, le secteur industriel ne permet plus d'intégrer autant d'actifs qu'il y a vingt ans, d'autre part, le rapport entre actifs et « inactifs agricoles » s'est inversé.

La politique mise en oeuvre avec la Charte nationale d'installation tient compte de cette évolution.

BIMA : À qui s'adresse cette charte ?

Philippe Vasseur : À tous ceux qui pourraient devenir agriculteurs, mais qui hésitent à le faire :

- les successeurs qui restent sur l'exploitation familiale mais ne s'y installent pas ;
- ceux qui ont quitté la ferme mais ne sont pas satisfaits de leur expérience professionnelle par ailleurs ;
- les jeunes non issus des milieux agricoles, de plus en plus nombreux dans l'enseignement agricole, auxquels nous pouvons dire qu'ils peuvent, eux aussi, s'installer.

BIMA : Peut-on donner à cette charte un objectif chiffré ?

Philippe Vasseur : La France compte aujourd'hui 740 000 exploitations agricoles, mais le rythme des cessations d'activité est encore très supérieur à celui des installations : à l'heure actuelle, lorsque quatre agriculteurs cessent leur activité, un seul jeune agriculteur s'installe.

Il faut arriver, à l'horizon 2005/2010, à l'égalité entre les départs et les installations.

Autrement dit, stabiliser à 550 000 le nombre des exploitations agricoles.

BIMA : Au-delà de ces chiffres, où se situe l'intérêt économique de ce nouveau contrat pour l'ensemble du territoire ?

Philippe Vasseur : Il s'agit d'abord, c'est une priorité gouvernementale, de créer des emplois. Or, chaque emploi en agriculture induit, en moyenne, trois emplois en zones rurales.

L'équilibre social, économique et territorial de notre pays s'appuie, en milieu rural, sur deux types d'activité : l'activité agricole et celle des industries agro-alimentaires. Toute installation bien conduite contribue donc à l'aménagement du territoire en valorisant et en développant le monde rural.

Enfin, nous ne pourrons maintenir notre rang dans le commerce international que si nous nous appuyons sur une agriculture forte. La France, rappelons-le, est le premier exportateur de produits agro-alimentaires, le second pour les produits agricoles.

BIMA : Quels sont les principaux éléments prévus par la charte pour assurer le succès de cette politique d'installation ?

Philippe Vasseur : La charte prévoit un ensemble de mesures visant à améliorer tous les aspects de l'installation :

- accès au métier par l'information, l'orientation et la formation ;
- conditions de transmission des exploitations et d'entrée en société (GAEC, EARL, SCEA…) ;
- accès au foncier et aux marchés ;
- prévention des risques ;
- nouvelles activités au-delà de l'activité agricole traditionnelle…

BIMA : Comment se traduiront, pour l'ensemble du territoire, les enjeux de cette charte ?

Philippe Vasseur : La recherche d'une réelle synergie entre politique nationale et politiques locales est l'une des ambitions fondamentales de la charte. Cette synergie s'opérera notamment dans le cadre des commissions départementales d'orientation avec un financement spécifique, le FIDIL (fonds pour l'installation et le développement des initiatives locales) créé par la charte.

BIMA : À combien s'élève le FIDIL et quelles sont ses missions ?

Philippe Vasseur : Ce fonds mobilisera au moins 340 MF, dont 220 MF de crédits d'État et au moins 120 MF de crédits locaux. Il garantira la cohérence et la complémentarité des actions conduites par tous ceux qui agissent en faveur de l'installation.

BIMA : En quoi cette charte traduit-elle une politique porteuse d'avenir ?

Philippe Vasseur : Les métiers de l'agriculture offrent des perspectives et des débouchés dans un contexte général de chômage des jeunes et de difficultés d'insertion souvent dramatiques. Par cette charte, l'État et la profession agricole s'engagent à mettre en oeuvre les moyens qui permettront de restaurer l'image de l'agriculture pour que le plus grand nombre possible de jeunes puissent accéder à ces métiers et y réussir.