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Marc Blondel "La réduction du temps de travail, un dossier important de la rentrée"
Le secrétaire général de Force ouvrière, qui n'est pas effacé à l'accoutumée, le sera encore moins à la rentrée : les deux dossiers clés de l'automne – les négociations dans la fonction publique et la Sécurité sociale – sont en effet les terrains de prédilection de F0. Dans une interview aux "Echos", Marc Blondel rappelle fermement au gouvernement les lignes de force, sinon les engagements, de la campagne présidentielle : "La feuille de paye serait-elle devenue l'ennemie de l'emploi ?", s'interroge le leader syndical à propos des rémunérations des fonctionnaires qui risquent de faire les frais du choix du gouvernement de maintenir les effectifs. S'agissant de la Sécurité sociale. Marc Blondel demande, en préalable à toute décision, une clarification des comptes. Le domaine où le leader de FO se montre le plus incisif est celui des rapports entre CNPF, syndicats et État. Le règlement du dossier de la collecte des fonds de la formation professionnelle laissera manifestement des cicatrices. Au sein du patronat, puisque l'UIMM a dû recourir à un amendement au Parlement – sur lequel le ministre du Travail a fermé les yeux – pour obtenir gain de cause contre un accord signé par le CNPF et quatre syndicats ("Les Echos" des 28 et 31 juillet). Dans les relations entre le pouvoir politique et les syndicats, Marc Blondel s'interroge en effet sur le crédit de la politique contractuelle après une telle péripétie et sur l'interventionnisme de l'État : "Nous sommes en route vers le dirigisme social", déclare-t-il, en souhaitant que patronat et syndicats déterminent seuls leurs thèmes de négociations et leurs priorités. Affirmant que pour Force ouvrière, la réduction du temps de travail est "un dossier important de la rentrée", Marc Blondel prévient son interlocuteur patronal : "ne pas la confondre avec l'aménagement du temps de travail, dossier sur lequel les employeurs ont déjà trop de possibilités de dérogation". Voilà qui limite singulièrement la marge de la négociation qui reprendra début septembre.
Q. : Après un printemps marqué par une poussée des revendications salariales, surtout dans les PME, la pression paraît retombée. Pensez-vous que la hausse de TVA et la suppression de la remise de 42 francs vont relancer les revendications à la rentrée ?
MARC BLONDEL : La question des salaires n'est pas seulement un phénomène conjoncturel, comme diraient les économistes. Depuis la fin de l'année dernière, les salariés se déculpabilisent et, d'une certaine façon, réclament leur dû. C'est, j'emploie ici le terme à dessein, une question d'équité dans la répartition des richesses. Il faut savoir pratiquer un keynésianisme raisonnable. Les résultats globaux des entreprises, la faible diminution du chômage, insuffisance réelle de la consommation les mesures fiscales plaident effectivement pour que le dossier des salaires ne soit pas enterré.
Q. : Dans la fonction publique, le gouvernement a choisi le maintien de l'emploi, ce qui, compte tenu de la marge budgétaires étroite pour 1996, laisse présager une politique salariale plus restrictive que celle des années précédentes. Comprenez-vous ce choix ?
R. : Le gouvernement aurait été mal inspirée de diminuer les effectifs de la fonction publique tout en initiant par ailleurs des emplois subventionnés dans le privé et en appelant le patronat a plus de citoyenneté en la matière. Quant aux salaires dans la fonction publique, mes amis qui n'ont pas signé le précédent accord, entendent bien faire valoir les revendications des fonctionnaires. Je constate simplement que, malgré ses déclarations, le gouvernement a beaucoup de mal à s'écarter l'orthodoxie économique. Comment peut-on efficacement lutter contre le chômage sans soutenir la consommation ? La feuille de paye est-elle devenue l'ennemie de l'emploi ? Je n'oublie jamais que plus d'activité, c'est aussi plus de rentrées fiscales. Tout cela est question de choix et de volonté politique.
Q. : Si le gouvernement relève la CSG – dont la base serait préalablement – élargie pour combler une partie du déficit de la Sécurité sociale, quelle serait votre réaction ?
R. : Il y a pour nous un préalable à toute nouvelle décision en matière de protection sociale : la clarification des comptes et responsabilités entre l'État et la Sécurité sociale. Il faut en finir avec ce que l'on pourrait appeler l'hypocrisie en la matière. Quand cette clarification sera faite, il appartiendra aux pouvoirs publics de choisir la mesure budgétaire pour financer ce qui relève de la solidarité nationale. Pour la seule assurance-maladie, cela représente 51 milliards de francs en 1993. Sur l'impôt CSG, je rappelle tout simplement qu'il est déjà supporté à 86 % par les salariés actifs, chômeurs et retraités. Nous sommes arrivés à un tel niveau de complexité et d'iniquité dans le domaine fiscal qu'une réforme s'avère nécessaire, avec un effort particulier pour la connaissance des revenus non salariaux. En son temps, le Conseil des impôts avait estimé que, sur 4 000 milliards de revenus, 2 800 étaient déclarés, 1 800 imposés. Il y a donc une marge.
Q. : Le dossier de la collecte des fonds de la formation est enfin réglé. Êtes-vous satisfait de l'issue trouvée ?
R. : Non, dans la mesure ou le Parlement a substantiellement modifié l'accord que nous avions contracté. Cela pose deux problèmes : celui du crédit de la pratique contractuelle, et la tendance trop forte du Parlement à s'investir sur le social, économique relevant de moins en moins des pouvoirs politiques. À moins que certains milieux patronaux aspirent eux-mêmes a plus d'intervention de l'État ; comme celui-ci intervient de plus en plus dans les rémunérations, nous sommes en route vers le dirigisme social et ce n'est pas une mazarinade.
Q. : Le ministre du Travail espère beaucoup un accord-cadre sur l'aménagement et la réduction du temps de travail à la rentrée entre le CNPF et les syndicats. Pensez-vous y parvenir ?
R. : Nous avons à Force ouvrière deux priorités à la rentrée : boucler la négociation sur la possibilité pour les salariés ayant cotisé quarante ans de cesser leur activité, avec embauche compensatrice, et examiner les citoyens, notamment financiers, de rendre plus attractif le temps partiel pour les salariés. Nous devons aussi reprendre le débat sur les heures supplémentaires. La réduction de la durée du travail est un autre dossier important. Nous ne te confondons pas avec l'aménagement du temps de travail, dossier sur lequel les employeurs ont déjà, à notre avis, trop de possibilités de dérogation, notamment avec la loi quinquennale. Il faut savoir que, de plus en plus, les salariés se plaignent des rythmes et conditions de travail. Ce n'est pas un hasard si, à l'annonce de l'accord de principe que nous avons obtenu sur la possibilité de départ après quarante ans de cotisations, nous avons été assaillis d'appels et de courriers. Enfin, il appartient aux interlocuteurs sociaux de choisir leurs thèmes de négociations et leurs priorités : c'était aussi le sens de la négociation du 28 février 1995, c'était cela la réappropriation du dialogue social.
Q. : La négociation sur les niveaux de négociation piétine. Manifestement, les syndicats ne veulent pas laisser les comités d'entreprise ou les délégués du personnel conclure des accords dans les entreprises où ils ne sont pas implantés, alors que le CNPF propose une validation des textes ensuite au niveau de la branche. N'est-il pas temps de regarder la réalité en face ?
R. : Ce n'est pas au départ une négociation, mais un groupe de travail. Les discussions sont difficiles mais progressent. Qu'est-ce que ça veut dire regarder la réalité en face ? Si les employeurs réclament des syndicats forts, pourquoi ne veulent-ils pas accepter que l'on supprime le seuil pour la désignation d'un délégué syndical ? Ce que nous n'accepterons pas, ce sont les manœuvres de contournement de l'interlocuteur syndical. Ce qui nous apparait essentiel, c'est de revenir à une articulation des niveaux de négociation redonnant à l'interprofessionnel et à la branche des rôles dynamiques et régulateurs. Le balancier est allé beaucoup trop loin vers le niveau de l'entreprise. Réinstaurer une coordination des niveaux est aujourd'hui une question d'efficacité sociale et économique, raison pour laquelle nous devrions pouvoir trouver un terrain d'entente avec le patronat.