Texte intégral
Premier débat : le contrôle des dépenses de santé
Avec :
Jean-Claude Mallet, président de la CNAMTS
Claude Maffioli, président de la CSMF (syndicat de médecins)
Richard Bouton, président de MG France (syndicat de généralistes)
Jean-Pierre Davant, président de la Mutualité française
Bernard Mesuré, président du SNIP (Syndicat national de l’industrie pharmaceutique)
Deuxième débat : les hôpitaux
Avec, entre autres invités :
Bernard Debré, chirurgien et maire d’Ambroise
Professeur Devulder, président du Haut Conseil de la réforme hospitalière
Raymond Soubie, auteur du livre blanc sur la protection sociale
Gilles Johanet, ancien directeur des hôpitaux
Dernière partie, une table ronde : le financement
Débat entre :
Nicole Notat, CFDT
Marc Blondel, FO
Louis Viannet, CGT
Georges Jollès, CNPF
Jean-Jacques Dupeyroux, juriste, expert en matière de protection sociale
Invités politiques :
Jacques Barrot, ministre du Travail et des Affaires sociales
Claude Evin, ancien ministre de la Santé
qui interviendront tout au long de l’émission
M. Cavada : Mesdames, messieurs, je vous souhaite la bienvenue dans cette « Marche du siècle » spéciale qui est prévue pour une durée de deux heures 15 par la chaîne, France 3, parce que c’est un moment solennel de la nation.
Vous retiendrez sur la protection sociale qui concerne les 58 millions d’habitants que nous sommes dans ce pays trois dates essentielles :
- 1945, la fondation du système dans lequel nous vivions jusqu’à présent.
- 1967, premier correctif par les ordonnances.
- 1995, exactement 50 ans après la naissance de ce système qu’on qualifie partout à travers le monde d’original, qu’à la française, mais qui est à bout de souffle financièrement. Pour quels motifs ? Je me garderai de prendre parti. Ce plateau, ce soir, sera peuplé d’opinions très différentes aussi respectables, vous l’imaginez, les unes que les autres et, cependant, ce système doit avancer.
Cette émission a été réalisée en collaboration avec les rédactions de France Inter que je remercie, les radios locales de Radio France et cinq grands titres de la presse quotidienne régionale que je citerai tout à l’heure en fin d’émission. Également avec le concours de Frédéric Lantiérie, de Guillaume d’Alessandro et de Christophe Forcary.
Ce qui est en train de se décider dans notre pays est tout à fait vital pour vous tous, que vous soyez parents, que vous soyez jeunes gens ou que vous soyez solitaires ou à la retraite. Sur les 58 millions d’habitants de notre pays, évidemment tout le monde est concerné, à l’exception environ, il faut tout de même le dire, d’un peu plus de 200 000 personnes, si nos renseignements sont exacts, qui sont des personnes précarisées à l’extrême. Et c’est un vrai problème qu’il faudra d’ailleurs un jour traiter de façon explicite dans ce système de protection sociale.
Le système dans lequel nous vivons, nous dépensons chaque année environ 2 000 milliards de francs pour cette protection sociale, ce qui veut dire bien plus que le budget de l’État. Vous observerez que dans notre démocratie jusqu’à présent, le Parlement n’avait qu’une voix réduite sur l’organisation, la distribution et, au fond, la gestion de cette masse financière annuelle qui n’est pas rien : 2 000 milliards de nos francs.
Pour financer ce budget qui fait vivre notre système de protection sociale, on assiste depuis plusieurs années à des phénomènes qui sont contradictoires et qui, disent nos spécialistes, menaient droit dans le mur. D’autre part, les dépenses de santé croissent. Les uns disent : « Légitimement », les autres disent : « Dangereusement ». D’autre part, le socle des cotisants baisse, du fait notamment du chômage qui sévit dans notre pays.
Ce phénomène de la nécessité de réforme n’est pas propre à la France. Vous le savez sans doute, on passe généralement très rapidement sur cet aspect. Nous vous en montrerons un reportage. La République fédérale d’Allemagne s’y est essayée, les Pays-Bas également. Ils ont changé leur système.
Pour changer, il faut tout de même plusieurs ingrédients, pour changer ces habitudes d’un demi-siècle de notre vie du pays. D’abord, un minimum de consentement des acteurs. Deuxièmement, il faut le consentement des assurés et aussi celui de la population médicale, des caisses de gestion, des syndicats qui représentent ce qu’on pourrait appeler la population du travail. Et puis, je dirais du gouvernement et des deux chambres du Parlement.
C’est pourquoi nous allons procéder ce soir, dans une disposition spéciale, en quatre étapes :
Vous entendrez d’abord parler des rapports médecins-malades. C’est surtout la maîtrise des coûts de santé.
Vous entendrez parler des coûts et de l’organisation de l’hôpital.
Vous entendrez parler des avis divergents sur l’orientation du mode de financement, au stade d’aujourd’hui avec les propositions du gouvernement.
Et puis le débat politique essentiellement se tiendra entre le ministre du Travail et des Affaires sociales, M. Jacques Barrot, et l’ancien ministre de la Santé, M. Claude Evin.
Pourquoi un débat politique dans une affaire qui concerne la protection sociale ? Parce que, évidemment, c’est totalement politique, au sens le plus noble de la nation et chacun n’a pas forcément la même vue sur les choses ou alors si elles se rejoignent, ce sera, comme on aurait dit le président Edgar Faure, une sorte de majorité d’idées.
Ce débat, je le conduirai avec Brigitte Jeanperrin de France Inter que je remercie également. Et je dois vous avertir que nous ne traiterons, ce soir, que de l’assurance maladie, pas des allocations familiales, pas de vieillesse, de façon à être très clairs.
Pendant cette émission, vous êtes sans doute au courant, si vous avez regardé les journaux télévisés, le Parlement, l’Assemblée nationale, pour être précis, devant qui le gouvernement, dans la bouche d’Alain Juppé et de Jacques Barrot, a engagé la confiance, va voter. Dès que nous aurons les résultats dans la soirée, Fernand Tavarès nous les communiquera.
Voici les principaux points que j’avais à vous expliquer.
Monsieur Barrot, bonsoir.
M. Barrot : Bonsoir.
M. Cavada : Vous courez de plateau en plateau, mais ce n’est rien à côté de la course ministérielle que vous avez fait ces derniers jours ?
M. Barrot : On a bien travaillé. On a écouté. On a essayé, jusqu’au dernier moment d’ailleurs, de voir comment faire juste, parce qu’il y a cela qui est important, et surtout comment rénover en profondeur les choses. Je crois que ce plan, en effet, va modifier très sensiblement l’avenir et devrait nous mettre à l’abri d’un certain nombre de dérives qui ont un peu déstabilisé la Sécurité sociale.
M. Cavada : Je voudrais être précis avec vous, M. Barrot. Vous venez de prendre, pour la deuxième fois dans votre vie politique, d’ailleurs, en charge ce dossier puisque vous l’aviez déjà, si ma mémoire est bonne, en 78. C’est exact ?
M. Barrot : 79.
M. Cavada : 79, lors des élections européennes qui ont vu le départ de Mme Veil et à qui vous avez succédé.
Je voudrais que l’on traite trois niveaux :
- Qu’est-ce qui va changer pour les usagers ?
- Qu’est-ce qui va changer pour les professions de la santé ?
- Qu’est-ce qui va changer pour le système de gestion de la protection sociale ?
Premièrement, pour les usagers, qu’est-ce qui va changer dans les décisions du gouvernement ?
M. Barrot : Tout d’abord, ce qui ne va pas changer : les taux de remboursement. On va continuer à rembourser au niveau où on rembourse actuellement. On n’a pas voulu, Alain Juppé n’a pas voulu baisser les remboursements. Par contre, ce que l’on va demander comme effort à l’assuré social, c’est en effet de faire un usage, progressivement étendu à tous, d’un carnet médical qui amènera l’assuré social à peut-être éviter d’aller de médecin en médecin, de faire un peu plus confiance dans son médecin généraliste ou le médecin spécialiste qu’il aura consulté la première fois. Cela n’enlève pas sa liberté, mais cela évite la répétition d’analyses et de toute une série de diagnostics inutiles.
M. Cavada : Plus concrètement encore, M. Barrot, est-ce que j’ai le choix de choisir mon médecin généraliste où je veux ?
M. Barrot : Oui, nous restons dans le système à la française.
M. Cavada : Deuxièmement, mon carnet de santé, il va être étendu à l’ensemble de la population sur combien de temps ?
M. Barrot : Très rapidement.
M. Cavada : Troisièmement, est-ce que j’ai le droit d’aller voir directement un spécialiste ou est-ce que je dois passer un généraliste d’abord ?
M. Barrot : Non, nous ferons des expériences. Car il n’est pas exclu, en effet, que nous puissions tester dans certains cas une incitation à aller d’abord voir le généraliste, mais nous testerons par expérience. Et nous testerons aussi parfois une prise en charge forfaire par un médecin pour des pathologies, pour des maladies qui, normalement, exigeraient une hospitalisation et qui pourront être prises par le médecin de ville qui suivra, en liaison avec l’hôpital, à domicile le patient, avec un forfait.
M. Cavada : M. Barrot, le budget que j’ai cité de la protection sociale est de 2 000 milliards environ. Nous sommes d’accord ?
M. Barrot : Oui. Mais je n’ai pas tout à fait terminé : ce qui est très important aussi, c’est que désormais l’assurance maladie reçoit solennellement la vocation d’accueillir absolument tout le monde. C’était déjà largement le cas. Mais il avait encore des populations qui n’étaient pas toute à fait traitées de la même manière.
M. Cavada : Exemple : Qui n’était pas couvert et va l’être ?
M. Barrot : Un certain nombre de gens qui, étant en fin de droits ou dans des situations personnelles très difficiles, n’ayant pas ce lien que crée la cotisation avec une caisse, étaient réduits à l’aide médicale gratuite donnée par les villes ou par les départements. Eh bien, il y a désormais, et cela va être proclamé solennellement, la notion d’une assurance maladie française universelle.
Deuxièmement, les affaires du budget : 2 000 milliards en gros dépensés par an pour la protection sociale. Le déficit cumulé, accumulé depuis plusieurs années, est aujourd’hui d’environ 240 millions ?
M. Barrot : 230 milliards.
M. Cavada : 230 milliards. Cette année qui vient de s’écouler, par exemple, le déficit, rien que pour cette année, était de combien ou sera de combien ?
M. Barrot : Il est de l’ordre de 50 à 60 milliards.
M. Cavada : Comment voulez-vous ramener ce déficit ? De combien ? Et sur quelle durée ?
M. Barrot : Normalement, nous nous sommes donnés comme objectif, en 96 et 97, d’arriver à sortir, si je puis dire, une année 97 en équilibre.
M. Cavada : Pour cela, vous allez procéder comment ? Vous allez, d’une part, modifier le système et vous allez, d’autre part, commencer par étendre la cotisation de tous les contribuables, au fond, par une nouvelle cotisation sociale généralisée qui porte, à titre provisoire, sur 13 ans, un autre nom, et qui s’ajoutera à l’actuel impôt CSG ou pas ?
M. Barrot : On va essayer d’être clair et bref :
Il y a les arriérés. Dans un ménage, on sait ce que c’est que les dettes, il y a des arriérés. Les arriérés, on les laisse de côté ou tout au moins on les met dans une caisse et on va rembourser la dette. Mais ce n’est pas à la Sécurité sociale qu’on va demander de rembourser cette dette, c’est à toute la communauté nationale. Et c’est pour cela que l’on fait une contribution de 0,5 % qui est une contribution provisoire…
M. Cavada : … Elle est supplémentaire à la CSG ?
M. Barrot : Elle est supplémentaire, elle est élargie à tous les revenus et elle ne durera que autant que nous aurons à rembourser la dette, c’est clair. Et ça, c’est une chose.
Et puis il y a l’avenir, il y a 96-97 et les années suivantes. Et là, ce sont les économies qui doivent assurer l’équilibre.
M. Cavada : Les économies, nous rentrons de plein pied dans la gestion, le système de gestion, les systèmes de gestions.
M. Barrot : L’une des clés, si je puis me permettre, c’est de mieux définir les responsabilités parce que c’était un système où on ne savait plus très bien qui faisait quoi. Il était nécessaire, par exemple, que le Parlement rentre dans le circuit décisionnel. Le Parlement ne va pas tout faire, mais il donnera des indications sur la progression des dépenses souhaitables pour la France. Il donnera des indications sur ce qu’il veut comme politique de santé. Le gouvernement mettra cela, si je puis dire, en musique. Puis il y aura, évidemment, toutes les caisses, car il ne s’agit pas de changer le système à la française. Le système à la française est une combinaison entre le pouvoir des politiques, élus démocratiquement, et le pouvoir des partenaires sociaux qui demeure et qui s’exercera dans les caisses.
M. Cavada : Sauf que, là, il y a quelque chose de tout à fait nouveau du point de vue politique. Vous « filez le bébé », pardonnez-moi l’expression au Parlement…
M. Barrot : … C’est notre bébé à tous.
M. Cavada : Si c’est bien géré, « merci, le Parlement » ; si cela va mal, messieurs les députés, prenez vos responsabilités. C’est bien que vous voulez faire ?
M. Barrot : En tout cas, cela veut dire que le Parlement, quelque fois les partenaires sociaux le reprochaient, et Marc Blondel qui, tout à l’heure, exprimait sa crainte de voir…
M. Cavada : … J’ai une bonne nouvelle pour vous, vous allez le retrouver dans un instant.
M. Barrot : Sa crainte de voir étatisée la Sécurité sociale, disait quelquefois : « Le Parlement vote un certain nombre de mesures et puis, nous, nous gérons les caisses et ces mesures ont une incidence ». Par exemple, en ce qui concerne l’hépatite B, le financement de la vaccination n’avait pas été suffisamment étudié et du coup les caisses, effectivement, étaient en difficulté pour le financer.
M. Cavada : On a vu grosso modo ce que cela va changer pour les usagers. Vous nous avez expliqué : 1) comment vous alliez financer le déficit et 2) comment vous alliez maîtriser l’équilibre. Maintenant, je voudrais voir ce que cela va changer pour les professions de santé et, ensuite, on rentrera très rapidement dans ce que ça va changer pour l’organisation des systèmes, notamment les Caisses, les responsables d’unités régionales, etc.
Pour les professions de santé, qu’est-ce qui va changer, médecins notamment, hôpital ensuite ?
M. Barrot : Depuis quelques années, je vais dire devant Claude Evin qu’il y a une espèce de solidarité, peut-être que nous allons opposer dans quelques instants, mais il y a une solidarité des ministres des Affaires sociales et de la Santé, de ceux qui ont précédé et du présent en exercice.
Je dois dire que les choses ont progressé. Les médecins, eux-mêmes, ont accepté l’idée que chaque année, par convention, ils fixaient un objectif qu’ils appelaient un objectif quantifié et national. Ce que l’on veut simplement, c’est que cet objectif ne reste pas lettre morte, qu’il soit effectivement appliqué.
M. Cavada : Qu’avez-vous décidé ?
M. Barrot : On dit que, pour cela, les revalorisations légitimes des honoraires médicaux seront subordonnées au respect de ces objectifs quantifiés et que quand on aura vraiment dépassé les objectifs que l’on s’est donné, eh bien, il faudra accepter d’attendre des revalorisations ultérieures.
M. Cavada : Les objectifs, c’est donc bien la masse globale que le Parlement décidera chaque année pour la couverture sociale. Et, deuxièmement, cela va être décentralisé à quel niveau ?
M. Barrot : Tout confondu. En plus, je veux ajouter, je veux terminer sur les médecins parce qu’il ne faut pas qu’on se trompe, ce système de régulation global n’est en définitive que transitoire, ce que nous voulons, c’est comme d’ailleurs le souhaitent les syndicats médicaux, c’est arriver à une maîtrise médicalisée individualisée, avec des sanctions pour les médecins qui ne jouent pas le jeu. On va y arriver, mais il faudra informatiser les cabinets, il faudra se doter des outils. Cela, ça va être notre tâche pendant toute l’année 96 et nous allons nous y atteler avec beaucoup de détermination.
Et puis il ne faut pas oublier l’hôpital non plus parce que l’hôpital, pendant ce temps va connaître aussi, lui, un effort de restructuration et de rénovation parce qu’il ne s’agit pas de demander aux uns sans demander aux autres.
M. Cavada : L’hôpital, jusqu’à présent, il avait dans la plupart des cas, il avait même dans tous les cas comme président, le maire. Comment demander à un élu qui est d’abord le premier employeur de l’hôpital – donc c’est beaucoup d’électeurs pour lui – de tailler dans le gras, si vous me passez cette expression une nouvelle fois, alors que, par ailleurs, il est directement devant la responsabilité de ses électeurs ? Allez-vous changer ce système ?
M. Barrot : Eh bien, on vient de tourner la page puisque, désormais, depuis ce soir, il faut bien sûr préparer l’ordonnance correspondante, c’est le conseil d’administration qui élira son président. Il pourra élire éventuellement le maire, mais le maire ne sera plus président de droit. Ce qui nous permettra plus facilement de constituer des réseaux d’hôpitaux qui, au lieu d’essayer de se faire concurrence, d’être chacun le fanion de sa ville, se concevront comme des unités complémentaires. Je pense à ces trois hôpitaux de Bourgogne qui étaient tous les trois concurrents dans trois petites villes à 30 kilomètres l’une de l’autre. L’un s’est spécialisé dans la médecine, disons, clinique de court séjour. L’autre dans la convalescence. L’autre dans le long séjour pour personnes âgées.
Voilà ce que nous voulons arriver à faire. Si nous avions laissé l’égoïsme ou plutôt le patriotisme municipal, chaque hôpital aurait voulu tout faire.
M. Cavada : Est-ce que la masse financière affectée au remboursement de santé va être gérée ou appréciée, délimitée au niveau régional et par qui ?
M. Barrot : Cela est un deuxième aspect. On ne gère bien, dans ce pays, que de manière plus proche et ce qui est nouveau aussi dans le plan, c’est qu’il y aura désormais un indicateur d’évolution de la dépense régionale et qu’à l’intérieur les unions de caisses et la caisse régionale, avec l’État, essaieront, de région à région, de gérer au mieux. On verra un peu les régions qui se débrouillent mieux que les autres.
M. Cavada : Autre point encore, et encore une fois grosso modo parce que la presse écrite sera beaucoup plus détaillée que nous ne le sommes nous-mêmes, mais il faut tout de même entrer dans des points concrets de compréhension : Qu’est-ce que cela va changer du point de vue, je dirais, de l’organisation générale ? Par exemple, est-ce que, implicitement, sans les accuser parce que c’est toujours chaud, ça brûle, vous êtes en train de dire aux systèmes de gestion, c’est-à-dire aux caisses, et il a trois grandes caisses dans notre pays, pour l’assurance maladie, pour la vieillesse, pour les allocations familiales – ce soir, nous parlons de l’assurance maladie – est-ce que vous êtes en train de leur dire : « Mettez de l’ordre dans votre gestion ? ».
J’ai vu passer notamment un tout petit détail, qui n’en est peut-être pas un, dans le discours d’Alain Juppé, qu’on allait surveiller de près tout ce qui était l’immobilier. Est-ce l’immobilier des caisses ? Ou est-ce l’immobilier hospitalier ?
M. Barrot : C’est les deux. Dans une situation un peu difficile, il est un peu étonnant…
M. Cavada : … Qu’on rende les biens de famille.
M. Barrot : De se lancer dans les constructions nouvelles ou, à l’inverse, il est normal que, parfois, on puisse en effet essayer de vendre dans de bonnes conditions une partie d’immeuble ou un immeuble qui n’a plus les mêmes nécessités, qui ne présente plus les mêmes utilités.
Ce qui est important, nous n’entrons pas dans un plan de la méfiance, c’est un plan de responsabilité et de confiance mutuelle, mais avec des règles, des règles du jeu. C’est cela l’idée. Et c’est pourquoi je pense que cette chaîne des responsabilités, assortie de bons outils, parce que si on n’a pas de bons outils, on ne peut pas. On ne peut pas savoir si un hôpital est mieux géré que l’autre si on n’a pas de bons outils. Mais je pense qu’avec l’esprit de responsabilité et en utilisant des outils qui ont été un peu modernisés – Claude Evin le sait bien – et qui ne sont pas encore à la mesure de nos besoins – à l’heure de l’informatique, il faut savoir à peu près ce que sont les tableaux d’effectifs de tous les hôpitaux de France.
M. Cavada : … Dans un instant, après la première table ronde, c’est-à-dire environ dans une demi-heure, nous prendrons la réaction d’un de vos prédécesseurs, M. Claude Evin, que vous avez d’ailleurs vous-même précédé, en spéculant sur sa solidarité. On verra ce qu’il en est tout à l’heure. Je voudrais vous demander une dernière chose : le sentiment que donne une première lecture, et nous ne sommes qu’au début de cette affaire, mérite deux types de question :
Premièrement, allez-vous procéder par ordonnance et quand ?
M. Barrot : Oui. Une partie par loi ordinaire. Par exemple, le caractère universel de l’assurance maladie…
M. Cavada : … Ça, c’est vers quand ?
M. Barrot : Se proclamera par loi. La loi, elle sera d’ici la fin de l’année, le début de l’année. Et puis nous allons très vite faire des ordonnances, organisation des caisses, contrôle médicalisé de la médecine de ville, réforme hospitalière. Ces ordonnances, nous avons pratiquement quatre mois pour les faire.
M. Cavada : Donc, elles sortiront, on peut dire, environ vers février-mars au plus tard.
M. Barrot : Oui, peut-être mars. Parce qu’il va y avoir maintenant un travail de fond très lourd.
M. Cavada : Dernière question, M. Barrot, elle est d’ordre politique. On a l’impression que le gouvernement a opéré, politiquement, de la manière suivante : critiquez-moi si je me trompe, j’ai recueilli les avis d’un certain nombre de spécialistes que je ne suis pas : « Il s’est déplacé de la position d’opérateur en position d’arbitre : 1) en donnant la responsabilité au Parlement ; 2) en le laissant face à face avec les caisses et les professions médicales ». Est-ce que tout est faux dans ce que je dis ?
M. Barrot : Je crois que ce n’est pas tout à fait cela…
M. Cavada : … Il a quand même une meilleure position d’arbitre au fond.
M. Barrot : Le gouvernement a mis de l’ordre dans les responsabilités de chacun, mais il faut que, s’il veut vraiment que sa réforme marche, l’exécutif et l’État donne l’exemple. C’est pour cela, par exemple, qu’il ne faudra pas mélanger les financements d’État, les finances sociales. Et c’est pour cela que le ministre des Affaires sociales que je suis devra faire très attention à ce que le ministre du Budget n’ait tendance parfois à mettre à la charge de la Sécurité sociale des charges dites indues. Je suis convaincu que l’État est lui aussi obligé de se soumettre à cette clarification.
M. Cavada : Je vous remercie.
Pardon pour cet entretien un tout petit long. Je reviendrai à vous tout à l’heure, M. Barrot, et naturellement à vous, M. Evin, parce que votre fonction d’opposant est de s’opposer dans cette affaire, en tout cas, d’analyser.
Nous allons commencer, dans un instant, la première table ronde qui va permettre une sorte de dialogue, à moins que ce ne soit un face-à-face entre les usagers qui sont sur le plateau numéro 1 en compagnie de Brigitte Jeanperrin et un certain nombre de responsables des organismes mutualistes médicaux ou professionnels des professions de santé.
Auparavant, il faut tout de même s’avouer une vérité : si ce système est en déficit, ce n’est pas par hasard. Il y a des soins qui parfois sont inutiles. Il y a eu des ordonnances qui, parfois, étaient longues. Il y a eu des arrêts de travail de complaisance et, d’une certaine manière, quand les étrangers parlent de notre système, ils disent que « nous sommes tous globalement très responsables ». Alors, on a accusé l’assurance maladie de générer de nombreux gaspillages.
Sachez qu’il y a environ plus de 2 000 médecins-conseils qui sont chargés d’éplucher les feuilles de soins de leurs confrères du secteur libéral et d’encadrer les assurés, avec sanction à la clé pour les contrevenants.
Regardez donc comment cela marchait jusqu’à présent – cela va changer avec lois et ordonnances –dans ce reportage effectué à Bayonne. Après quoi, débat n° 1.
Reportage :
Journaliste : Une convocation pour examen de contrôle à la Caisse nationale d’assurance maladie. Cela peut arriver à tout assuré social. C’est une obligation. Le médecin-conseil étudie tous les dossiers de remboursement en cas de longue maladie et en cas d’accident du travail.
M. Marchand : Voilà la radio de la fracture.
Journaliste : Dans son activité professionnelle, ce chef d’atelier s’est cassé le poignet. Le médecin-conseil évalue les séquelles et fixe l’indemnisation. La CNAM rend ainsi trois millions d’avis par an.
M. Marchand : Il n’y a pas d’incapacité permanente.
Journaliste : Ces contrôles de routine permettent aussi de dépister les abus. En fait, les vraies fraudes sont rares. Les contentieux se règlent à l’amiable. L’assuré doit rembourser les sommes indûment perçues. Ce n’est donc pas avec les patients que la CNAM espère faire des économies. Pour Michel Marchand, médecin-conseil à Bayonne, la vraie cible des contrôles, ce sont les professionnels de santé. Mais là, les choses se compliquent. L’enquête est un vrai casse-tête.
Tout commence ici dans les archives de la caisse primaire où sont entreposés des millions de feuilles de soins. Pour reconstituer le dossier d’un seul médecin, il faut jusqu’à 30 heures de travail. Le tri est entièrement manuel. Le collage informatique n’existe pas. Cette petite révolution soutenue par les agents de la Caisse a été votée au Parlement en janvier 93. Mais la CNIL, la Commission nationale informatique et libertés n’a toujours pas donné son accord.
Il ne reste donc qu’une solution au médecin-conseil : éplucher les ordonnances une par une. Objectif de la CNAM : passer au crible chaque année un praticien sur cinq. Comme Michel Marchand, ils sont 2 510 sur toute la France, médecins, dentistes et pharmaciens-conseils, à réaliser ce fastidieux travail de fourmi.
M. Marchand : Cela a un avantage tout de même, c’est que cela donne la réalité des choses. On touche le papier, on touche vraiment la prescription, on voit vraiment tous les médicaments qui sont mis ensemble et on a une petite idée de ce qui s’est passé.
Journaliste : C’est-à-dire que, parfois, vous pourriez voir des abus flagrants ?
M. Marchand : Parfois, il y a des abus qui semblent flagrants. De toute façon, on ne peut jamais sur le papier dire que c’est flagrant, il faut toujours se référer à l’histoire clinique et aller voir le praticien pour avoir ses explications.
Journaliste : Michel Marchand réalise en moyenne un contrôle par jour. Depuis deux ans, la profession a édicté paritairement un code de bonne conduite : 147 règles qui encadrent désormais l’activité médicale avec un souci : éliminer les soins inutiles. Peu habitués à cette nouvelle pratique, les médecins libéraux sont assez perturbés quand l’expert de la Sécu s’invite dans leur cabinet.
Aujourd’hui, Michel Marchand interroge une gynécologue épinglée pour avoir prescrit trop de frottis vaginaux et trop d’examens biologiques ces deux derniers mois.
Est-ce que, quand vous voyez débarquer un médecin-conseil, vous le considérez plutôt comme un policier ?
Gynécologue : C’est peut-être plus un policier qu’un confrère. Je suis médecin libéral, pour moi, je suis libre, libre de mes actes, dans la limite du raisonnable, c’est vrai ! Mais je me sentais libre et j’ai l’impression d’être chapeauté par la Sécurité sociale qui va essayer de canaliser mes activités.
M. Marchand : On vient poser des questions. On vient chercher des explications sur des dossiers bien particuliers. Cela, je conçois tout à fait que ce soit vécu de façon difficile, surtout lorsqu’on a l’habitude de travailler avec une grande conscience professionnelle.
Gynécologue : Dans ma spécialité, j’ai également des femmes qui sont en bonne santé, qui viennent uniquement pour des dépistages. Et je vais, certes, les décevoir si je leur dis : « Non, on ne fera ce frottis que tous les trois ans ». Je vais les décevoir et puis, en plus, je suis persuadée que ce n’est pas bien. Que l’on va aller au-devant de problèmes.
Journaliste : Les patients sont devenus des clients qui exigent des soins. Conclusion d’un professeur bordelais, Claude Béraud, dans un rapport explosif publié il y a trois ans. Cet ancien médecin-conseil national expliquait encore : « Face aux patients, les médecins se sont transformés en fournisseurs obligés de prescrire s’ils ne veulent pas perdre leur clientèle ».
Claude Béraud allait jusqu’à parler de délinquance médicale. Laxisme, abus, fraude. Il chiffre les sommes dilapidées par l’assurance maladie à 120 milliards de francs.
M. Béraud : Et ce qui est en cause, là, ce ne sont pas les hommes. Ce qui est en cause, c’est le système lui-même, le fonctionnement du système. Nous avons le seul système de soins dans le monde occidental qui n’ait pas évolué depuis 40 ans. Tous les autres pays ont depuis longtemps fait une évolution. Nous sommes les seuls à rester imperturbables, sur des principes qui datent de 1927 concernant l’activité médicale.
Journaliste : Dans ce système figé, les évolutions sont laborieuses. Ainsi, une instance de sanction n’existe que depuis deux ans. Elle réunit 16 médecins représentant les différents régimes de l’assurance maladie : les syndicats médicaux, le Conseil de l’ordre et la caisse régionale. Ce soir-là, à Bayonne, ils ont convoqué un spécialiste qui a transgressé la règle de bonne conduite sur les anti-inflammatoires. 19 fois, il a prescrit trop, trop cher et mal. Le spécialiste est présent dans la salle, mais il n’a pas souhaité être filmé, face à ses pairs, par crainte de retombée négative pour son image de marque.
M. de Casamayor : Dans sa délibération et par un vote réalisé à huis clos, le comité médical a reconnu, d’une part, la réalité de votre non-respect de cette référence dont l’indice de gravité est tout de même important puisqu’il est taxé de dangereux…
Journaliste : En termes pesés, le président de l’assemblée prononce la sanction somme toute modérée : 7 000 francs de pénalités. La CNAM ne sait pas combien elle peut récupérer globalement sur l’ensemble ces contrôles car le calcul est trop complexe. Seule certitude partagée par tous les acteurs, ce ne sont pas des amendes qui combleront les déficits mais bien un changement profond des habitudes médicales.
M. Cavada : Le débat est en cours à l’Assemblée nationale, je vous l’ai dit. Si je le signale, c’est parce que c’est un moment important de la nation. Cela dit, remettons les choses dans leur contexte : il est fort peu probable que le gouvernement engageant sa confiance sur cette affaire se trouve désavoué et renversé. Et, au fond, on a un peu le sentiment ce soir que la procédure par ordonnances soulage bien des consciences et évite bien des déclarations publiques.
Cela dit, il y a les usagers et les professionnels. Et cela, c’est autre chose. Brigitte Jeanperrin.
Mme Jeanperrin : Tout à l’heure, déjà, lorsque vous démarriez le débat avec Jacques Barrot, beaucoup de réactions sur les regards de nos invités. Et j’avais peut-être envie de commencer tout de suite par Claude Maffioli que représente un des plus grands syndicats de médecins. Comment réagissez-vous ? Comment est-ce possible, à travers les mesures qui sont prises, d’organiser la maîtrise des dépenses de santé tout en continuant à faire votre métier, c’est-à-dire bien soigner les gens ?
M. Maffioli : Une question fondamentale qu’on s’est posé il y a trois ans et cela a abouti au texte conventionnel de la fin 1993. C’est-à-dire que nous avons décidé de mettre en place ce qu’on appelle la maîtrise médicalisée.
Notre rôle, à nous, médecins et professionnels de santé, est d’assurer à la population française la meilleure qualité des soins, sans rationnement des soins, mais en supprimant ce qu’on appelle la gabegie qui existe et qui est effective.
Pour faire cela, il faut agir à trois niveaux :
Le premier niveau est la meilleure qualité des soins. Cela veut dire, supprimer tout ce qui est inutile et assurer à la population uniquement les actes et les prescriptions utiles. C’est ce qu’on a vu tout à l’heure, la mise en application de ces fameuses références médicales opposables.
Avoir une meilleure coordination des acteurs du système de santé. Et nous y avons répondu par le carnet médical. En sachant que le carnet médical n’est pas encore aujourd’hui effectif et nous souhaitons…
M. Cavada : … Mais vous êtes d’accord avec le carnet médical ?
M. Maffioli : Nous l’avons voulu, nous l’avons souhaité et nous avons demandé à ce qu’il soit obligatoire parce que, pour l’instant, il est facultatif.
Le troisième élément est d’agir sur l’offre de soins, c’est-à-dire qu’il y a trop de médecins libéraux et qu’il faut reconvertir ou réorienter ces médecins libéraux.
Ce concept de maîtrise médicalisée nous permet de marier notre éthique médicale. Et le fait que, quand nous sommes en colloque singulier avec le patient, avec quelqu’un qui souffre, il faut lui assurer les soins dont il a besoin et on ne doit pas avoir simplement un concept financier.
Nous avons marié cette éthique médicale avec les nécessités économiques qui nous entourent. Le problème, c’est que, aujourd’hui, j’ai tout de même une inquiétude, d’après ce que j’ai entendu cet après-midi par le Premier ministre, c’est que j’ai retrouvé dans ses propos, effectivement, la mise en application de tous les outils qui nous manquent parce que, aujourd’hui, nous n’avons que des références médicales, nous n’avons rien d’autre.
M. Cavada : Cela veut dire que, globalement, cette réforme vous satisfait ?
M. Maffioli : Justement, vous allez voir la chute, je disais tout de même que j’ai une inquiétude.
M. Cavada : C’est comme vous le sentez.
M. Maffioli : Tout à fait. J’air retrouvé effectivement les propos disant : « Nous allons mettre en place les outils nécessaires ». Mais, pour l’année qui vient, le gouvernement a décidé de fixer le taux d’évolution des dépenses de santé à 2,1 % et ce taux, on n’a pas le droit de le dépasser. Alors, aujourd’hui, je dis : « Comment le gouvernement a-t-il calculé ce taux ? L’a-t-il calculé sur les besoins médicaux de la population ? » Non. Il l’a calculé en se disant : « En mettant 2,1 %, je vais combler le trou de la Sécu de 30 milliards ». Eh bien, cette manière de calcul est une manière comptable et, cela, nous ne pouvons pas l’accepter. Et, là, aujourd’hui, je suis inquiet de ce passage de la maîtrise médicalisée à la maîtrise comptable parce qu’il y a un risque certain que nous allions, demain, vers un rationnement des soins.
M. Cavada : Deuxième avis.
Mme Jeanperrin : Richard Bouton, on peut vous demander, vous, vous représentez les médecins généralistes, si vous pensez aussi que le gouvernement ne prend pas en compte l’évolution naturelle, en fait, des dépenses de santé et, là, met un coup de vis sérieux autour, juste, de l’inflation, ce qui est une forme de rationnement des soins ? Partagez-vous cet avis ?
M. Bouton : Je pense que ce serait un petit peu simpliste de résumer la réforme proposée par Alain Juppé autour de ce seul élément. J’ai écouté le professeur Béraud, tout à l’heure, dans son intervention…
M. Cavada : … Comme nous tous d’ailleurs.
M. Bouton : Tout à fait. On a un système de soins qui est à bout de souffle. Cela veut dire que les mesures prises par le gouvernement actuellement vont au-delà de ce simple élément un peu comptable, je dirais, qui est opposé actuellement aux médecins.
Ce que je retiens dans les propositions d’Alain Juppé, c’est surtout qu’on va aller au fond des choses, s’agissant de la gestion de l’assurance maladie et des dysfonctionnements de la santé de soins au-delà d’un dispositif qu’on appelle maîtrise médicalisée mais qui, force est de constater, est une certaine mystification.
Sur les principes de la maîtrise médicalisée, il n’y a pas de problème, sauf que ces principes ont été mal appliqués. Il s’agit d’une mystification qui a été mise en œuvre pendant deux années et qui a contraint le gouvernement actuel à prendre des mesures beaucoup plus difficiles, que je déplore en un certain sens s’agissant d’un taux directeur opposable, mais je comprends l’inquiétude des pouvoirs publics et des assurés face à une dérive constante des coûts, sans amélioration pour autant de la qualité des soins.
Et il serait un peu facile de dire : on a mis en place un dispositif idéal avec des références médicales qui sont des lapalissades médicales que tous les médecins appliquent depuis très longtemps, des lapalissades médicales, et avec un carnet médical dont on peut toujours espérer des effets bénéfiques en termes de santé publique mais en termes de diminution des coûts, ce sera autre chose. Est-ce que le carnet de santé de l’enfant a fait pour autant diminuer la consommation en matière de pédiatrie ? Ce n’est pas le cas.
M. Cavada : Si on résume, qu’est-ce qui ne vous va pas dans cette réforme ?
M. Bouton : Ce qui est présenté par le gouvernement en ce moment, vous voulez dire ?
M. Cavada : Oui. Ce n’est si la vôtre, ni la mienne, donc c’est celle-là, en effet, monsieur.
M. Bouton : S’agissant de la réforme présentée par Alain Juppé, ce qui me gêne un petit peu, c’est que l’on va tout faire en même temps et on n’a pas encore la clé du mécano. C’est-à-dire qu’on ne sait pas par quoi on va commercer et comment on va arriver à modifier la gestion des caisses d’assurance maladie, à régionaliser la gestion, à décliner les objectifs d’évolution, à mettre en place une vraie coordination des soins. Je comprends que le gouvernement veuille le faire, mais je n’ai pas encore le timing et le calendrier exact.
M. Cavada : Un petit mot pour terminer : on a eu l’impression souvent que, dans les débats publics, les débats régionaux notamment qui ont précédé ces décisions gouvernementales, on faisait des médecins – parce que pour les patients plus facile, un médecin c’est quelques milliers patients et ce sont pas mal d’électeurs – des boucs émissaires provisoires. Cela grognait beaucoup dans vos rangs. Comment va-t-on réagir à cette réforme mise en chantier ? Trop tôt pour le dire ?
M. Bouton : Je pense qu’il faudra une grande part de négociation avec les organisations professionnelles. Il faut ouvrir la négociation et donner des perspectives aux médecines. Que se passe-t-il aujourd’hui ? Le système, on le connaît, il est extrêmement libertaire, tant pour les patients que pour les médecins. Or, aujourd’hui, si on veut faire adhérer les patients et les médecins à cette réforme, il faut présenter des perspectives. Pour les patients, en termes d’amélioration du montant de remboursement, ultérieurement, et on peut améliorer le taux de remboursement. Et pour les médecins, en termes d’amélioration des rémunérations.
M. Cavada : Cela veut dire que vous allez être très vigilant dans les semaines qui viennent, tant au Parlement que dans la préparation des ordonnances, j’imagine ?
M. Bouton : Évidemment, on va assumer nos responsabilités.
M. Cavada : M. Jean-Pierre Davant, président de la Mutualité française. Après quoi, je pense que nous prendrons l’avis de M. Mallet.
M. Davant : Sur la réforme, je n’ai pas à me plaindre, ce soir, puisque l’essentiel des propositions qui ont été présentées au Parlement par M. Juppé sont les propositions que la Mutualité française défend depuis deux ans.
M. Cavada : C’est donc vous la main que l’on voit derrière la main du gouvernement ?
M. Davant : Je ne sais pas, mais je pense que ce sont des solutions qui peuvent changer fondamentalement les choses en France.
Alors, quelle est la situation aujourd’hui ? Les Français, en Europe, sont ceux qui paient le plus, qui reçoivent le moins au niveau des remboursements pour des niveaux sanitaires strictement identiques à nos voisins européens. Cette situation ne pouvait plus durer, il fallait qu’elle s’arrête. Donc, le gouvernement, en présentant ce plan devant le Parlement, met un terme, au moins au niveau de l’intention, à cette situation. Il faut accompagner cette démarche. Nous allons être très vigilants pour que ces propositions ne soient pas détournées de l’objectif car l’objectif, c’est la recherche de la qualité : soigner mieux les Français, faire en sorte qu’ils puissent tous accéder aux soins, qu’il n’y ait pas d’exclus du système de soins, que l’on gère enfin la santé dans notre pays.
M. Cavada : Alors, encore un autre avis.
Mme Jeanperrin : J’aimerais demander à M. Davant : très souvent, vous avez dit que les médecins étaient des escrocs…
M. Davant : … Jamais, madame.
Mme Jeanperrin : De temps en temps…
M. Davant : … Je vous coupe. Non, non, jamais, madame. Je travaille avec des médecins… Je ne vous permets pas de dire cela.
Mme Jeanperrin : Laissez-moi finir ma question…
M. Davant : … Je ne vous permets pas de dire cela.
M. Cavada : Nous avons entendu que vous n’avez pas dit cela.
Mme Jeanperrin : D’accord.
M. Cavada : Sinon vous leur diriez là.
M. Davant : Je ne vous permets pas de dire cela madame.
M. Cavada : C’est corrigé. Très bien, on retire la question.
Mme Jeanperrin : Sur une ordonnance, lorsqu’il y a à peu près en moyenne une prescription de 7 médicaments et lorsque l’on sait que sur ces 7…
M. Davant : … C’est dangereux.
Mme Jeanperrin : Il y en a trois ou quatre qui ne sont pas remboursés. Pensez-vous que l’instauration du carnet de santé, de la maîtrise et du contrôle des médecins va permettre de redresser un petit peu les choses ou cela va continuer de la même manière ?
M. Davant : Le carnet de santé se justifie pour des raisons de qualité de l’acte médical et pour éviter des redondances également au niveau des prescriptions.
Pour la qualité des actes médicaux, il faut faire un effort considérable, il faut améliorer la formation des médecins, la formation initiale. Il faut qu’il y ait une formation médicale continue obligatoire. Le Premier ministre l’a annoncée. Et puis il y a aussi, au niveau des médicaments, un certain nombre de médicaments qui sont vendus à des prix différents, qui sont des médicaments qui ont strictement les mêmes vertus pharmaceutiques…
M. Cavada : Pardonnez-moi, M. Davant, merci de cacher les marques, cela m’ennuierait qu’ensuite nous allions devant un tribunal.
M. Davant : Elles sont cachées.
M. Cavada : Alors, vous voulez nous dire quoi ?
M. Davant : Je voulais vous dire que ce sont strictement les mêmes médicaments mais qu’il y en a un qui est 44 % moins cher que l’autre.
M. Cavada : Pourquoi ?
M. Davant : Ce sont des antibiotiques, ici, donc des médicaments à vignette blanche, qui sont remboursés actuellement par la Sécurité sociale à 65 %. Là, ce sont des médicaments antiveineux qui sont remboursés à 35 % par la Sécurité sociale. Il y a une différence de prix aussi de 40 % et ce sont strictement les mêmes médicaments. Les médecins Maffioli et Bouton peuvent vous le confirmer. Donc, il faut que les médicaments génériques arrivent en France car nous n’avons pas le droit de dépenser, de gaspiller, car ce sont les Françaises et le Français qui paient.
M. Cavada : Une opinion très importante est celle de M. Jean-Claude Mallet qui est le président de la CNAM, la Caisse nationale d’assurance maladie. Cette réforme qui est proposée au Parlement par le gouvernement vous inspire en positif, en négatif, quoi ?
M. Mallet : Plutôt en négatif. D’abord, première remarque par rapport à ce qu’a pu dire tout à l’heure monsieur le ministre des Affaires sociales, Jacques Barrot, qui à mon sens montre un peu l’état d’esprit du gouvernement, qui décide unilatéralement dans une déclaration de prendre le parc immobilier de la Caisse nationale d’assurance maladie. Je trouve que c’est un peu choquant et il me semble qu’il risque d’y avoir des ministres qui ont exercé, qui vont être sans domicile fixe. Première remarque.
M. Cavada : Nous nageons en pleine élégance, d’après ce que je crois comprendre là ?
M. Mallet : Tout à fait.
M. Cavada : M. Mallet, qu’est-ce que vous voulez dire exactement là ? Parce qu’on ne dit pas cela devant des contribuables impunément.
M. Mallet : Il y a des gens qui sont logés, qui sont des anciens ministres.
M. Cavada : Dans les caisses en question.
M. Mallet : Attendez, il ne s’agit pas de caisses, il s’agit tout simplement du patrimoine…
M. Cavada : … Les bâtiments appartenant à la Caisse. Le patrimoine foncier de la Caisse.
M. Mallet : … Patrimoine appartenant historiquement à la Caisse nationale d’assurance maladie.
M. Cavada : J’ai bien compris qu’ils ne logeaient pas dans les bureaux.
M. Mallet : Deuxième élément, ce que dit M. Barrot, c’est que, en réalité, nous allons prendre en charge l’exclusion et il rajoute très vite « l’aide médicale gratuite ». Or, je rappelle que l’aide médicale gratuite, actuellement, est prise en charge par les départements et par l’État. Donc, l’opération consistera à transférer en réalité l’aide médicale et le financement des départements sur l’assurance maladie.
Troisième élément, je trouve que M. Barrot fait aussi une lecture soft par rapport aux déclarations que le Premier ministre a pu être amené à faire cet après-midi. Parce que, quand on lit attentivement le discours du Premier ministre, on va mettre en place des enveloppes globales et ce sont les enveloppes globales qui, précisément, amèneront le rationnement des soins.
Effectivement, il y a des éléments, un certain nombre d‘intervenants l’ont dit, le dossier médical, le secteur optionnel, la maîtrise, mais tout cela est déjà dans le texte de 1993, signé entre les syndicats de médecins et la Caisse nationale d’assurance maladie. Alors, moi, sur cet aspect des choses, je me félicite d’autant que, par exemple, sur le dossier médical, on m’a dit, avant les élections présidentielles, « surtout il ne faut pas en parler » et, maintenant, on fait une déclaration solennelle au Parlement pour dire : « Il faut aller très vite ». Donc, sur ce point-là, je ne peux qu’approuver.
Dernier élément, je crois qu’il ne faut pas non plus laisser sous-entendre un seul instant que c’est la Caisse nationale d’assurance maladie qui décide en réalité du niveau de remboursement, c’est le gouvernement. Je ne sais pas si la réforme, en réalité, va changer les choses là-dessus, messieurs, mais soyons bien clairs et disons aux assurés sociaux que, actuellement, le niveau de remboursement, c’est déjà le gouvernement qui le fait.
M. Cavada : M. Bernard Mesuré, président du CNIP, c’est-à-dire le Syndicat national de l’industrie pharmaceutique, une petite chose : on a souvent fait aussi de l’attitude des Français, surconsommateurs de médicaments, une des causes du déficit du système d’assurance maladie, pour ne parler que de celui-là.
Combien pèse dans le système maladie le médicament en France ?
M. Mesuré : Dans l’assurance maladie, le médicament représente environ 14 à 15 %. Mais avant de répondre plus en détail à votre question, ce que je souhaiterai surtout, c’est que les Français comprennent ce qu’est leur industrie pharmaceutique et cela me paraît très important ce soir. L’industrie pharmaceutique n’a qu’une mission, c’est d’être au service du malade. Et ce qu’ont dit les médecins tout à l’heure ne peut se réaliser, dans la qualité des soins qu’ils veulent apporter à leurs malades, que s’il y a un complément thérapeutique.
M. Cavada : M. Mesuré, première chose, on a bien compris, la position inverse, c’est en effet surprenant, que l’industrie pharmaceutique soit contre les malades, ce serait en effet affreusement dangereux. Qu’est-ce que le responsable que vous êtes, M. Mesuré, c’est-à-dire vos mandants, les professionnels de l’industrie pharmaceutique et leur système de fonctionnement, leurs réseaux, pense de cette première mise en avant de la réforme du gouvernement ? Qu’est-ce qui vous plaît ? Qu’est-ce qui ne vous plaît pas ? Je suis confus, je suis obligé d’aller vite parce que les usagers attendent.
M. Mesuré : Je vais aller vite également. Ce qui ne peut pas me convenir, c’est la poursuite du comptable. Depuis 18 plans, à chaque fois qu’on essaie non pas de réformer, car on fait du colmatage, de redresser les comptes, on demande à l’industrie pharmaceutique de contribuer. Eh bien, moi, je dis simplement que nous ne pouvons poursuivre notre mission de santé, publique, c’est-à-dire être découvreurs de médicaments, que si nous avons des ressources pour faire de la recherche. Car ce que les Français ne savent pas, et je tiens à leur dire, c’est que l’industrie pharmaceutique est la seule source de médicaments nouveaux. La recherche française est, pour 99 %, sous la coupe de l’industrie pharmaceutique et pour 1 % sous la coupe de l’État.
M. Cavada : Pardonnez-moi, M. Mesuré, je vais revenir vers vous dans un instant, il semble que le vote à l’Assemblée nationale soit ou sur le point d’être traité ou définitivement connu. Fernand Tavarès.
M. Tavarès : Le vote vient de tomber à l’instant :
Il y a eu 560 parlementaires qui se sont exprimés sur 576.
Se sont prononcés pour les dispositions d’Alain Juppé : 463 parlementaires et contre : 87.
M. Cavada : Cela veut dire quoi pour la majorité ? Il manque des voix ?
M. Tavarès : Non, il ne manque pas de voix. À l’heure actuelle, Alain Juppé peut être entièrement satisfait. Il faut dire qu’il avait demandé précisément à sa majorité, UDF-RPR, de ne pas avoir d’état d’âme et de voter massivement. Comment a-t-il réussi à faire changer notamment les balladuriens qui se sont exprimés publiquement ces jours derniers en condamnant notamment la mise en application de l’allocation dépendance pour les personnes âgées. Une application qui aurait pour conséquence d’alourdir encore le déficit. Ils ne s’attendaient pas, ces balladuriens, entendre Alain Juppé tout à l’heure dire : « Eh bien, c’est vrai, dans le fond, vous avez raison et on va repousser la mise en application de cette allocation dépendance au 1er janvier 1997 ». Donc, grand sourire de Nicolas Sarkozy et d’Edouard Balladur qui, dans les couloirs, se sont montré extrêmement satisfaits, de même que Valéry Giscard d’Estaing.
Il y avait un autre reproche fait au gouvernement, c’est la mise en place des ordonnances, c’est-à-dire que le gouvernement peut légiférer et se passer de l’Assemblée nationale pendant un certain temps pour voter des lois. Cela a pour conséquence d’aller beaucoup plus vite parce qu’une loi, pour l’appliquer, il faut plusieurs semaines. Alors, là aussi, le président de l’Assemblée, M. Séguin, et celui du Sénat, M. Monory, étaient contre, disant : « C’est un petit peu gênant. Cela enlève les pouvoirs du Parlement ». Là aussi, Alain Juppé a trouvé une astuce pour rassurer tout le monde : à la rédaction de ces ordonnances, vont être associés les commissions parlementaires chargées des affaires sociales et du budget.
Et puis comme le gouvernement veut prouver à l’Assemblée nationale et au Parlement tout entier qu’il prend les députés en considération, il va y avoir l’année prochaine une révision de la Constitution, c’est-à-dire que l’on va aller encore au Congrès de Versailles et, cette fois, les députés vont avoir une lourde responsabilité puisqu’ils vont devoir voter chaque année les recettes et les dépenses de la Sécurité sociale, c’est-à-dire trouver un équilibre. Cela va être difficile parce que, lorsqu’ils vont retrouver dans leur circonscription leurs électeurs, il y aura des comptes à rendre.
L’opposition, la gauche, s’est prononcée globalement contre les dispositions d’Alain Juppé. Deux exemples : la gauche reproche au gouvernement de geler la hausse des allocations familiales pour l’année 1996. Elle reproche surtout au gouvernement de s’en prendre « aux fonctionnaires » qui désormais devront travailler 40 années au lieu de 37,5 années avant de toucher les retraites.
Les communistes ont dit, de toute façon, qu’à la fin du mois ils s’associaient à la journée d’action lancée par la CGT. Laurent Fabius a lui aussi reproché ces dispositions au gouvernement, mais il a été tout de même un petit peu plus astucieux car il trouve que, dans les dispositions annoncées par Alain Juppé, il y a des propositions faites par le Premier ministre, Bérégovoy, à l’époque, ainsi que de son ministre de tutelle, M. Teulade. M. Fabius a dit : « Bon, sur cet aspect des choses, finalement, on vous approuve puisque vous reprenez nos idées mais, sur le reste, on, n’est pas d’accord ».
M. Cavada : Merci beaucoup.
D’autres développements et beaucoup plus d’analyses politiques tout à l’heure dans le Soir 3 qui sera aux environs de 23 heures.
Vous voulez terminer votre propos. Excusez-moi, M. Mesuré.
M. Mesuré : J’étais en train de dire que, dans le plan qui nous est proposé, une fois de plus il y a une mesure comptable que nous ne pouvons pas accepter, dans la mesure où le prélèvement sur l’industrie pharmaceutique sera cette année, une fois cette contribution donnée, à peu près la moitié de notre budget de recherche. Notre prélèvement sera de 6,5 milliards, nous avons un budget de recherche de 13 milliards.
Prenons tous ces plans comptables, les choses sont tout à fait simples : la France qui était le deuxième découvreur en molécules nouvelles a glissé de façon désastreuse vers la 8e ou la 9e place. En 1994, sur 152 produits mondialisés, la France n’en a eu que cinq. Vous voyez que nous sommes presque à zéro. Et, moi, je prétends qu’un pays qui n’est plus capable d’assurer la découverte, le développement et l’internationalisation de molécules nouvelles, ne peut pas assurer à sa population une qualité convenable de soins. C’est la raison pour laquelle en partenaire de santé, l’industrie pharmaceutique appuiera tout ce qui ira vers le bon usage et l’excellence, la qualité en matière de soins dans ce pays.
M. Cavada : Je n’ai pas bien compris si, globalement, cette réforme ne vous convient pas ou si elle convient plutôt bien ?
M. Mesuré : La partie « maîtrise médicalisée » nous convient. Je crois qu’il est vrai, vous posiez votre question en début d’intervention, que, dans tous les domaines, nous avons un gaspillage et une surconsommation. En ce qui concerne le médicament. Je ne suis pas sûr que nous les consommons tous. Donc, je fais appel aux Français qui sont généreux lorsqu’on fait un Téléthon, en leur disant : « De grâce, respectez votre médicament. Utilisez-le au fur et à mesure du besoin et ne stockez pas chez vous ce qui doit rester chez le pharmacien. Suivez les conseils du médecin et du pharmacien ».
M. Cavada : Et à vos mandants, M. Mesuré, vous dites : « De grâce, reconditionnez les médicaments à plus petites doses » ?
M. Mesuré : Non, pas nécessairement…
M. Cavada : … Pourquoi pas nécessairement ?
M. Mesuré : Parce que les conditionnements ne sont pas fixés par l’industriel mais par le ministère de la Santé…
M. Cavada : … S’il y du gâchis, il vient d’où alors ?
M. Mesuré : Le gâchis vient de nos comportements. Nous devons suivre…
M. Cavada : On s’assure sur le médicament, c’est cela ?
M. Mesuré : Nous devons suivre les prescriptions du médecin. Vous parliez tout à l’heure du couple médecin-malade, je crois que du fait des médias beaucoup de malades connaissent trop les techniques, connaissent trop les prescriptions, il faut redonner au médecin son pouvoir…
M. Cavada : … Ce serait une société formidable où les médias ne diraient rien sur la santé, en effet, mais cela ne marcherait pas.
M. Mesuré : Je suis tout à fait d’accord pour que nous soyons informés, mais je crois que c’est aux médecins de nous traiter et pas à nous de dire aux médecins ce qu’il a à faire et c’est à nous de respecter en consommateur averti. Le médicament doit être acheté comme d’autres biens, nous devons l’acheter au fur et à mesure de nos besoins.
M. Cavada : Merci, M. Mesuré.
M. Davant, petite intervention avant que la parole soit aux usagers.
M. Davant : Je ne suis pas d’accord avec ce que dit M. Mesuré. M. Mesuré vient de nous dire qu’on voulait rationner les médicaments en France, c’est totalement inexact. Si les médicaments français, aujourd’hui, ne sont pas compétitifs au niveau médical, s’il n’y a pas suffisamment de découvertes en France de nouvelles molécules, c’est parce que notre industrie pharmaceutique ne s’est pas restructurée. Mais le problème, c’est que l’industrie pharmaceutique, en 1993-1994, de tout le secteur industriel a réalisé les profits les plus importants. Cela a été payé avec les fonds sociaux, cela a été dopé par les fonds sociaux. Mais il n’y a pas qu’un problème économique, il y a aussi un problème de qualité de la prescription. Nous consommons 2,2 % de plus de médicaments que nos voisins allemands. Donc, l’industrie pharmaceutique a fait du forcing pour la surconsommation de médicaments, il faut remettre là aussi de l’ordre dans la maison.
M. Cavada : Un mot de réponse, M. Mesuré.
M. Mesuré : Le prix du médicament est à 24,73 francs en prix moyen pondéré pour le fabricant. Deuxièmement, le profit dont parle M. Davant est entre la moitié et le tiers de celui des pays découvreurs et il représente 0,3 % du budget de la Sécurité sociale et moins de 1 % du budget de l’assurance maladie.
M. Cavada : La parole est aux usagers.
Mme Jeanperrin : On pourrait peut-être demander tout de suite à Véronique Delomel qui est infirmière, qui a 35 ans et qui exerce, je crois, dans le Nord. Comment réagissez-vous à tout ce que vous venez d’entendre entre…
M. Cavada : … Vous exercez en libéral, madame, c’est bien cela ?
Mme Delomel : J’exerce en libéral, oui, à domicile donc. Nous participons à la maîtrise de soins puisque nous avons des quotas de soins à respecter, c’est-à-dire un certain plafonnement des actes à l’année. Paradoxalement à cela, on participe autrement à la maîtrise, c’est-à-dire que les malades sont de moins en moins longtemps hospitalisés et ramenés à leur domicile qu’à l’hôpital. Donc, nous sommes plafonnés et puis nous sommes amenés en même temps à pratiquer des soins un peu plus lourds. De plus, nous ne représentons pas non plus un gros budget, de l’ordre de 2 % environ dans la dépense.
M. Cavada : Qu’est-ce que vous inspire cette réforme ? Qu’est-ce qu’il y a de bon ? Qu’est-ce qu’il n’y a pas de bon pour vous ?
Mme Delomel : Je pense que le carnet médical, malgré tout, pourra cerner un certain nomadisme à travers les médecins généralistes parce que, là, il faut tout de même mettre une petite barrière.
M. Cavada : Et, pour le reste, vous attendez de voir plus de détail ?
Mme Delomel : Oui, oui, je pense, parce qu’à notre niveau c’est un peu vague.
Mme Jeanperrin : Et l’idée d’essayer de gérer les choses au plus près au niveau des régions, d’instaurer des sanctions pour les médecins qui dépassent, est-ce que vous trouvez que ce sont de bonnes solutions ?
Mme Delomel : Oui, bien sûr. Il faut bien sûr contrôler qu’une gestion locale, c’est peut-être meilleur ! En plus, on devrait peut-être instaurer un meilleur dialogue avec nos caisses régionales et locales.
M. Cavada : Est-ce que vos patients, madame, ont le sentiment d’une très grande urgence et que tout cela ne peut pas durer en réalité puisque des déficits pareils, il faut bien les prendre par un bout ou par un autre. Est-ce qu’ils vous disent ? Est-ce que vous en parlez avec eux ?
Mme Delomel : Oui, j’en parle avec eux. Ils commencent à se responsabiliser et on peut gérer la demande au médecin de ne plus demander de l’aspirine systématiquement, etc. Voilà, c’est mieux géré et par les médecins généralistes aussi qui ont restreint par ailleurs la durée du traitement, enfin le nombre d’actes par traitement.
M. Cavada : Comme quoi tout cela n’est vraiment pas si simple.
Mme Delomel : Ce n’est pas simple.
M. Cavada : Pour donner une notion de ce qu’est cette évolution des dépenses de santé dont vous parlez avec vos patients, je voudrais vos demander de regarder un document très rapide de quelques secondes. Regardez tout simplement la courbe de cette évolution des dépenses de santé. Elle est racontée par Hubert Dubois et Nicolas Jacobs.
Reportage :
Journaliste : Hackney, dans la banlieue nord de Londres. Cette imposante maison abrite des médecins généralistes. Ils sont en Angleterre le passage obligé de la santé des patients. Ici, chaque assuré social doit s’inscrire sur les registres d’un seul généraliste dans son quartier. Le malade, une fois, enregistré ne peut pas consulter d’autres médecins que le sien, il peut en revanche s’y rendre autant de fois qu’il le désir.
Le docteur Carne a créé ce cabinet il y a plus de 15 ans. Il est aujourd’hui, à 65 ans, proche de la retraite et il connaît parfaitement le dossier et l’histoire médicale de chacun de ses patients.
M. Carne : Nous connaissons des familles entières et nous connaissons tous leurs antécédents. Cela permet de mieux les soigner. J’ai, par exemple, des femmes que j’ai vu accoucher qui viennent avec leur fille enceinte. Elles viennent ensemble, ici, se faire examiner.
Journaliste : L’histoire médicale des habitants du quartier se trouve sur ces présentoirs. Plus de 12 500 patients et leurs maladies sont répertoriés dans ces fiches. 12 500 patients répartis entre le docteur Carne et ses deux associés. Diplômé de médecine générale en 1983, le docteur Clifton Marks est l’un deux. Comme tous les généralistes, il ne reçoit pas d’argent de ses patients. En Angleterre, les consultations sont gratuites. C’est le Service national de santé qui indemnise directement les médecins.
M. Marks : Notre salaire est déterminé en fonction du nombre de patients inscrits sur nos listes. L’Organisation nationale de la santé nous donne une certaine somme pour chacun de nos patients chaque année. Une somme qui varie suivant l’âge des patients. Cela n’a rien à voir avec le nombre des consultations. Qu’ils viennent nous voir une seule fois dans l’année, quinze fois par jour ou qu’on ne les voit jamais, nous serons payés de la même manière, suivant le même barème.
Journaliste : Déjà obligé, jusqu’à présent, de confier son dossier médical son généraliste, l’assuré social doit aussi s’en remettre à lui pour la gestion de ses soins. C’est, depuis 1991, la réforme du Fund Holding ou gérance de fonds qui donne aux généralistes anglais l’entière responsabilité du prix de la santé. La Sécurité sociale attribue ainsi à chaque médecin une enveloppe, elle aussi, calculée en fonction du nombre de malades et de leur âge. Cet argent servira à payer à la fois le fonctionnement du cabinet médical, les médicaments du patient ou son hospitalisation.
Dans les gros cabinets comme celui-ci, on atteint vite des sommes considérables. Avec 12 500 patients, le cabinet reçoit plus de 10 millions de francs par an. Pour gérer cette somme, il faut bien sûr un financier que voici : Denis Goide, anciennement chef du personnel d’un grand magasin londonien. Aujourd’hui, il vérifie la bonne santé financière du cabinet.
M. Goide : Je vous appelle au sujet de notre patiente, Mme Monica Simons. Elle devait se faire opérer chez vous en août, mais elle n’a toujours pas eu un seul rendez-vous. Pouvez-vous essayer de l’examiner, s’il vous plaît, le plus rapidement possible ? Vous me tenez au courant ? Merci, au revoir.
Journaliste : Toute la journée au téléphone, cet homme de 68 ans marchande les prix des différentes opérations avec les hôpitaux de la région.
M. Goide : Bien entendu, nous ne choisissons pas les hôpitaux les plus chers parce que nous aurions du mal à boucler notre budget. Si c’est un problème très spécifique comme l’orthopédie, là, bien sûr, nous ferions appel à une clinique spécialisée, même si elle est plus chère. En général, pour des opérations qu’on pourrait appeler normales, comme, par exemple, une appendicite, on cherche le meilleur rapport qualité-prix. Et dans une certaine gamme de prix pour chaque opération, on négocie avec les hôpitaux en question.
Journaliste : Chaque service offert aux patients étant en pris en compte et ajouté au budget du Fund Holding, plus le docteur Carne fournit de soins différents, plus l’enveloppe se gonfle. Les cabinets des généralistes deviennent ainsi de véritables petites entreprises. Les infirmières, par exemple, fournissent des soins de base : piqûres, bandages ou comme, ici, des petites interventions qui ne nécessitent pas forcément la présence d’un docteur. Elles donnent également des conseils par téléphone aux patients du cabinet. Aujourd’hui, 31 personnes travaillent à plein temps pour le docteur Carne.
M. Carne : Si un patient fait confiance à son médecin généraliste et si ce généraliste a su gagner sa confiance en étant un bon médecin, tout simplement je pense que notre système est le meilleur du monde. Mais si le généraliste est un irresponsable et que le patient lui fait tout de même confiance, alors cela peut devenir dangereux.
Journaliste : Ce système récent ne couvre pas encore tout le territoire. Pour l’instant, en Angleterre, un généraliste sur deux gère les dépenses de santé de ses patients. En 1994, ils ont permis à la Sécurité sociale britannique d’économiser plus de 500 millions de francs.
M. Cavada : Vous avez compris que nous sommes à la télévision. L’évolution des dépenses de santé dont je vous ai parlé tout à l’heure, cela va arriver dans un instant et que, là, c’était une comparaison avec le système britannique en France. Vous pouvez aller voir trois médecins dans la même journée, vous êtes remboursé et légitimement vous y avez droit si c’est votre choix, si votre inquiétude vous y conduit. C’est sans doute assez rare mais cela peut exister. En Grande-Bretagne, c’est un système tout à fait différent.
Mme Jeanperrin : C’est un système excessivement contraignant en fait pour le patient et pour le médecin, où l’État a décidé de rationner la hausse des évolutions de dépenses de santé à 6,5 du PIB, c’est un petit peu technique. Mais ce qu’il faut savoir aussi, c’est qu’il y a un ticket modérateur qui n’est que de 17 %, c’est quand même beaucoup mieux qu’en France. Chez nous, c’est le plus haut d’Europe.
M. Cavada : Je voudrais vous demander votre opinion d’usager. Qui veut prendre la parole ?
Me Kaeufling : Notaire près de Lyon. Je m’adresserai, si vous voulez bien à M. Mallet, pour lui dire que je suis notaire et donc très attaché à la gestion en bon père de famille. Tous les exemples démontrés font part de la difficulté de tous les pays à bien gérer, semble-t-il ! En matière d’assurance maladie, les experts font état de dépenses inutiles à hauteur de 100 milliards par an, cela représente l’excédent de dépenses de la France par rapport à l’Allemagne.
Nous sommes en outre tous coupables et tous victimes aussi, et en premier lieu les plus démunis – on a vu le faible taux de remboursement, ils ne peuvent pas tous d’ailleurs avoir recours à une mutuelle.
M. Mallet, à bien réfléchir, ne pensez-vous pas que l’on pourrait résorber ipso facto ces dépenses inutiles ? Que l’on pourrait même aussi, sans doute, remonter le taux de remboursement, et sans faire de recours à l’impôt, j’aimerais y revenir tout à l’heure.
Nous avons pris connaissance des mesures annoncées. M. Juppé avait demandé des réformes audacieuses, courageuses, à mon sens, nous n’avons pas été assez courageux, assez audacieux. Le carnet de santé, peut-être pourrait-il mettre un terme au nomadisme médical ou à une certaine gastronomie pharmaceutique ? Mais le plus important de la réforme qui, je pense, satisfera les assurés sociaux, c’est sans aucun doute le contrôle, maintenant, et enfin dirais-je, devant le Parlement du budget de l’assurance maladie.
Et je dirai à M. Mallet : « Que pensez-vous de cette proposition ? Concurrence entre caisses paritaires et caisses privées ? Liberté pour le patient de choisir sa caisse comme les Allemands pourront le faire dans quelques mois. En un mot, êtes-vous un conformiste, M. Mallet, ou un rénovateur, partisan du retour à l’économie immédiat, garant de la Sécurité sociale pour tous ? »
M. Mallet : Très rapidement… conformiste. Et même vieux, maître je suis fier d’être conformiste. Cela va donc vous conforter dans votre position.
Je crois que l’on ne peut pas toujours présenter des choses d’une façon très schématique, d’une part parce que les abus, les gaspillages dont on parle, c’est précisément la Caisse nationale d’assurance maladie qui a mis le doigt dessus, qui a expliqué à un certain moment : « Il y a des dysfonctionnements dans le système », et c’est nous qui avons essayé de mettre en place, depuis 1991, précisément des moyens pour résorber l’ensemble de ce dispositif.
Or, l’erreur qu’on peut peut-être faire, c’est de dire, en claquant du doigt : on va résorber – je ne sais pas combien, je ne sais pas le montant de la somme – sur les 100 milliards dont vous venez de parler. Mais je crois qu’effectivement les partenaires conventionnels, c’est-à-dire les caisses et les médecins – et quand je dis les médecins, je devrais y associer aussi les infirmières, les biologistes –, l’ensemble des professionnels ont décidé, il y a 4 ou 5 ans, d’essayer de remettre j’allais dire un dispositif à niveau pour éviter, et on l’a dit tout à l’heure, d’arrêter de rembourser ce qui est inutile et dangereux. C’est une démarche de l’assurance maladie.
Alors, vous savez, je ne me sens pas du tout agressé quand vous dites cela. Je crois que cela fait partie, d’essayer de rendre optimal l’ensemble de nos dépenses, du rôle d’un bon gestionnaire.
M. Cavada : Deux personnes n’ont pas encore pris la parole parmi les usagers. Auparavant, voici ce que nous voulions vous montrer, c’est-à-dire cette évolution des dépenses de santé depuis un demi-siècle, regardez, c’est assez impressionnant !
Reportage :
Journaliste : En 45 ans les dépenses de santé ont été multipliées par 12, passant d’une moyenne annuelle de 974 francs par habitant en 1950 à 11 540 francs en 1994.
En un demi-siècle, les Français ont fait de la santé leur deuxième poste de dépenses, juste après l’alimentation.
M. Cavada : Alors, voilà. Deux interlocuteurs – disais-je – M. Herrera, d’une part, M. Messina, d’autre part, qui veut parler ?
M. Herrera : Je veux bien prendre la parole. Patrick Herrera, 37 ans, j’habite à Tarare à côté de Lyon.
M. Cavada : Marié ? Des enfants ?
M. Herrera : Marié. Deux enfants.
Simplement, ce que je voulais dire et qui me paraît fondamental, c’est qu’encore une fois on se retrouve avec des augmentations de cotisations et que, maintenant, cela commence à suffire dans la mesure où l’on est toujours confrontés à ce type de hausses qui défavorisent inévitablement les plus démunis et, d’autre part, incitent à se retourner vers des mutuelles. Mutuelles qui, elles aussi, augmentent par rapport au désengagement de la Sécurité sociale. Dieu merci, cette fois, il n’y aura pas désengagement mais nous aurions arrivé à un point si bas qu’il fallait bien arrêter à un moment donné.
Je voulais exprimer cette lassitude par rapport à des hausses, à des taxations, l’impôt, l’impôt… toujours l’impôt. Et, effectivement, les maîtrises de santé peuvent très bien intervenir par les médicaments génériques, le reconditionnement des médicaments.
M. Cavada : M. Messina, 35 ans, Strasbourg, marié, deux enfants. Quelle est votre profession ?
M. Messina : Je suis commercial à Strasbourg.
M. Cavada : Quel est votre avis ? Et que souhaitiez-vous exprimer ce soir, monsieur ?
M. Messina : J’aimerais interpeller M. Mallet notamment sur le faible taux de remboursement. Parce que, en fait, que se passe-t-il concrètement ? Je dirai : à cause des remboursements faibles, il arrive très souvent qu’on ne puisse pas accéder aux soins ou très peu, notamment pour des personnes qui sont démunies. Cela amène très souvent les personnes à renoncer à voir des médecins, ce qui peut, en fait, développer des situations, entraîner des maladies dangereuses, même, voire, l’hospitalisation.
Ma question qui s’adresse au responsable de la caisse maladie est de savoir s’il ne faudrait pas relever le niveau des remboursements, pour éviter ce gâchis ?
M. Mallet : On pose des questions de fond, mais il faut répondre rapidement. C’est la règle du jeu, je ne la discute pas.
Simplement, je crois que c’est à peu près la même réponse. Questions de fond, c’est : on n’en parle pas, mais je crois qu’il faut quand même avoir en mémoire qu’aujourd’hui une des difficultés du financement de la protection sociale, cela viendra tout à l’heure sans doute à l’autre table, c’est le chômage. On a tendance quelquefois à l’oublier.
Deuxième problème, et M. Barrot l’a dit tout à l’heure : sur le financement, 31 milliards sur l’assurance maladie en 1994, 50 milliards, le 1er janvier, de dépenses imposées par l’État, sans recettes correspondantes – 50 milliards – c’est-à-dire qu’aujourd’hui l’État utilise le financement de l’assurance maladie du régime général en décidant. M. Barrot a expliqué tout à l’heure l’hépatite B et il a signalé qu’il fallait clarifier les choses.
Donc, je crois que l’on ne peut pas en permanence transférer un certain nombre de charges du budget de l’État sur l’assurance maladie, et quand on le fait, eh bien le risque, c’est le déremboursement. Et, moi, je suis comme vous, je souhaiterais avoir le taux de remboursement. Et, moi, je suis comme vous, je souhaiterais avoir le taux de remboursement le plus important, ce qui éviterait un certain nombre de dépenses à M. Davant.
M. Cavada : Je vous remercie. Je voudrais terminer cette première séquence par deux points.
D’abord nous allons demander à M. Evin, ancien ministre de la Santé, ministre socialiste de la Santé, donc opposant au gouvernement, son sentiment sur les réformes proposées par le gouvernement.
Mais, auparavant, laissez-moi vous faire connaître un sondage Sofres qui a été réalisé par La Marche du siècle et France Inter, et qui est reproduit largement dans les quotidiens de la presse régionale, dont je vous citerai les titres tout à l’heure.
Voici la première partie de ce sondage. Vous verrez, il est assez éclairant.
Journaliste : C’est clair. Les Français sont attachés à leur mode de protection sociale.
73 % d’entre eux considèrent que le système actuel est un bon système qu’il faut conserver en l’adaptant.
56 % d’entre eux le trouvent juste.
75 % le jugent efficace pour la protection sociale.
En revanche, ils sont 81 %, aujourd’hui, en 1995, à penser qu’il est mal géré.
En 1987, ils n’étaient que 67 % à affirmer cette opinion.
À qui la faute ? 65 % des personnes interrogées par la Sofres expliquent le déficit par une consommation excessive de médicaments.
Un peu plus d’un tiers, 38 % très exactement, rejette la responsabilité sur le nombre trop élevé à leurs yeux de visites chez le médecin.
37 % désignant le coût des traitements.
36 % le nombre des arrêts de travail.
Ils ne sont que 6 % à incriminer l’équipement des hôpitaux.
M. Cavada : Voilà les principales indications sur l’opinion sondée dans ce pays, selon des dates et des caractéristiques qui vous seront, naturellement, selon la loi, fournies en fin d’émission.
M. Claude Evin, vous avez entendu tout à l’heure les principaux points de la réforme du gouvernement, que vous connaissiez par ailleurs, puisque la vie politique de cet après-midi vous a naturellement intéressé au premier chef.
Quelle est votre réaction ? Approuvez-vous des mesures ? N’en approuvez-vous aucune ? Avez-vous des restrictions et lesquelles ?
M. Evin : Vous m’auriez interrogé sur le financement, on y viendra tout à l’heure, ou sur les décisions les décisions qui ont été annoncées cet après-midi concernant les retraites, je vous aurais dit ma totale opposition.
Mais en ce qui concerne la santé, je vous dis plutôt mon amusement, parce que j’ai le sentiment que le gouvernement a, tout d’un coup, découvert la roue. Il a découvert que la maîtrise, c’était absolument nécessaire, qu’il ne suffisait pas d’en parler mais qu’il fallait la mettre en place. Et l’amusement est simplement le fait que, lorsque j’ai mis, par exemple, en place un système d’enveloppes pour les biologistes qui marche, l’analyse médicale en 1990, c’était plus de 10 % par rapport à 1989 de progression, 1994 par rapport à 1993, c’est – 7,2.
Je ne préconise pas que l’ensemble du secteur de la santé soit traité nécessairement de cette manière, mais on sait que quand on met en place des mécanismes sous la forme d’enveloppes, cela marche, sans pour autant rationner les soins.
Alors, moi, je me félicite. Et, à l’époque, lorsque je l’ai proposé, j’ai eu une opposition farouche, y compris marquante de M. Barrot. Certains me disaient même dans les couloirs que…
M. Cavada : Vous avez dit cela à M. Barrot ?
M. Evin : … j’avais raison mais qu’il était bien difficile de le dire publiquement, eh bien, moi, je dis publiquement, ici, ce soir : si le gouvernement veut réellement maîtriser l’évolution des dépenses de santé et s’en donner réellement les moyens, et c’est sur ce plan-là que j’aurai des interrogations, eh bien, je soutiendrai, car la maîtrise est absolument nécessaire pour des raisons de justice sociale et pour des raisons de santé publique, on l’a montré.
La question est de savoir comment on va faire. Je crois qu’il y a dans le discours d’Alain Juppé, cet après-midi, un certain nombre de clefs. Et il faut les regarder très concrètement.
J’en retiendrai trois sur les questions qui ont été abordées tout à l’heure. Et je dis : si, effectivement, le gouvernement met cela en place, eh bien cela pourra marcher. Et, moi, en tout les cas, je le soutiendrai.
On est bien dans un système dans lequel le Parlement va définir le montant global de la dépense de santé, c’est, effectivement, l’une des rares dépenses aussi importantes sur laquelle le Parlement n’a pas eu à s’exprimer jusqu’à maintenant.
Mais, après, il ne faut pas en rester au niveau des objectifs quantifiés, il faut qu’il y ait des mécanismes qui permettent de tenir dans l’enveloppe, parce que, jusqu’à maintenant, on a fixé des niveaux de pprogression, 2, 3 % et, à chaque fois, cela a dérapé pour terminer à 7, 8.
Alors, il y effectivement des indications. Je vais les citer parce qu’elles me semblent importantes, et cela sera un des éléments-tests pour vérifier si le gouvernement applique réellement ce qui a été indiqué aujourd’hui.
Il est dit notamment : « Nous mettrons en place un dispositif d’ajustement automatique des rémunérations des médecins », et j’insiste bien sur le « automatique ». Cela veut dire quoi ? Cela veut dire que la dépense de santé, aujourd’hui, s’organise de la manière suivante : les pouvoirs publics définissent la tarification, c’est-à-dire la valeur du C, ce qu’on paie chez les médecins. Mais les pouvoirs publics ne peuvent pas déterminer les volumes, les volumes, c’est chacun qui les détermine, et, naturellement, la Sécurité sociale se retrouve en bout de course à payer. C’est cela qu’il faut arrêter. Et pour arrêter cela, il faut, effectivement – c’est le cas des biologistes, je vous ai indiqué tout à l’heure que cela marchait –, quand un professionnel de santé sera tenté de faire de la surconsommation, que le niveau de la lettre-clef, le niveau du C, le niveau du V diminue. Cela veut dire, d’autre part, et cela vous ne l’avez pas cité, qu’il faut mettre en place le tiers payant. Cela veut dire quoi ? Cela veut dire qu’il faut mettre en place un autre mécanisme de financement qui évite à l’assuré d’avoir à faire l’avance de soins.
Si j’avais le temps, je pourrais vous raconter une anecdote, en deux mots : une jeune femme de la ville, d’où je suis élu, a une petite fille où elle doit aller chez l’ophtalmo. Elle arrive chez l’ophtalmo qui pratique en secteur 2 à 200 francs la visite. Mais elle a l’honnêteté de dire, en arrivant chez l’ophtalmo : « Ma petite fille a besoin d’un examen, mon médecin de PMI me l’avait prescrit – elle n’était pas venue là tout à fait par hasard – mais je ne pourrai pas vous payer, je reviendrai vous payer le mois prochain », et le médecin lui fait répondre par sa secrétaire : « Eh bien, revenez le mois prochain ».
Si, donc, on avait un autre mode de relation financière entre le malade, le médecin et les caisses de Sécurité sociale, non seulement le malade serait dans de meilleures dispositions et plus assuré, peut-être pris en charge, mais y compris le médecin qui, en l’occurrence, là, craignant que la personne ne revienne pas, leur aussi serait assuré.
Alors, il y a comme cela, effectivement, des pistes qui peuvent être intéressantes. Toute la question est de savoir si le gouvernement aura effectivement le courage d’aller jusqu’au bout. S’il a le courage, moi je le soutiendrai.
M. Cavada : Si vous venez de prendre cette émission en marche, c’est une marche exceptionnelle que vous regardez, que France 3 a construit, qui va nous mener jusqu’aux environs de 23 h 10 ou 23 h 15 dans le pire des cas, et je prie mes confrères de nous en excuser. Il y a ce soir trois plateaux qui traitent trois sujets différents, tous concernant l’assurance maladie :
- Premièrement le rapport « médecins/usagers », notamment avec l’environnement des caisses et des mutuelles, qui n’a été qu’esquissé, si le débat s’approfondit dans ce pays, naturellement nous sommes prêts à revenir plus en profondeur dans une autre Marche du siècle, je voudrais le dire aux premiers participants, qui permettra de valoriser davantage les uns et les autres, et les points de vue.
- Deuxième plateau sur lequel nous allons venir dans un instant, c’est cette fois, le milieu hospitalier. Brigitte Jeanperrin.
Mme Jeanperrin : Je demanderai tout de suite à Gilles Johanet si la réforme sur l’hôpital qui tourne autour de l‘évaluation et de la qualité des services hospitaliers, le fait aussi que les élus ne soient plus à la tête des conseils d’administration des hôpitaux, la régionalisation du système, pensez-vous que c’est comme cela que l’on va enfin arriver à fermer les 55 000 lits de trop à l’hôpital et arriver vers plus de qualité, Gilles Johanet ?
M. Johanet : J’ai des doutes. Le maire, c’est un peu le folklore. Personnellement, je considère comme plutôt clair, dans un univers des soins qui est plutôt très sombre, très peu lumineux, le maire, en tant que président du conseil d’administration, pour défendre l’emploi. D’autres penseront que le maire n’est pas à sa place en tant que président du conseil d’administration, soit. Je ne vois pas qui le remplacerait utilement ? Mais ce n’est pas un point capital.
La régionalisation, oui, certainement, si l’on arrive à réduire les différences aujourd’hui considérables de dépenses par région, c’est également quelque chose de possible.
En revanche, il y a un point qui est absent de ce plan et qui me semble tout à fait essentiel pour réussir la maîtrise des dépenses hospitalières, c’est : garde-t-on oui ou non l’excédent massif d’hôpitaux dont nous souffrons aujourd’hui ?
55 000 lits aigus de court séjour, médecine, chirurgie, obstétrique – ce ne sont des chiffres inventés, c’est une mesure par rapport à la carte sanitaire qui fixe les besoins –, il n’y a aucune mesure, dans ce plan, qui réduit cet excédent d’offres.
Si on ne le réduit pas, Brigitte Jeanperrin, et que, simultanément, on applique un taux d’évolution des dépenses qui, comme l’a dit Jacques Barrot tout à l’heure, serait, pour les deux années qui viennent, aligné sur les prix, c’est-à-dire de l’ordre de 2 %, on va donner 2 % à ceux dont l’activité augmente beaucoup, 2 % à ceux dont l’activité baisse, car il y en a, beaucoup d’établissements, donc certains auront toujours trop, comme c’est le cas aujourd’hui, d’autres pas assez, mais c’est l’explosion assurée !
M. Cavada : D’autres avis ?
Mme Jeanperrin : On peut demander à Bertrand Debré ?
M. Debré : J’ai la double casquette, d’être maire, donc président du conseil d’administration, et d’être chef de service à Paris, donc être responsable de la gestion d’un service.
Juste un point pour réagir, car vous avez montré un tableau très intéressant qui est l’augmentation des dépenses de santé. Mais vous savez bien que, quand il y a 50 ans, il n’y avait pas d’antibiotiques et qu’on mourait du cancer, c’était quand même assez triste, et que maintenant on a fait des progrès, il est normal que les dépenses augmentent.
Est-ce qu’elles augmentent de façon satisfaisante, trop ou pas assez ? Je crois qu’effectivement elles augmentent trop et qu’il faut faire des progrès dans la gestion.
Tout à l’heure Gilles Johanet disait qu’il se félicitait que le maire soit président du conseil d’administration. Eh bien, je vous dirai que je le regrette beaucoup. Je le regrette beaucoup pour une raison simple…
M. Cavada : Vous auriez voulu que l’on aille plus loin dans ce domaine ?
M. Debré : Non. On a fait un gros progrès. Je suis très heureux que le maire…
M. Cavada : … puisque vous regrettez ?
M. Debré : Je regrette qu’il le soit, il ne le sera plus ! Et cela, j’en suis très heureux.
Pourquoi ? Parce que nous sommes au milieu de la tourmente. Nous sommes des élus et donc vous comprenez bien… je donnerai mon exemple : quand j’ai à gérer un hôpital, à gérer, ce n’est pas moi qui suis maître des dépenses, et ce n’est pas moi qui suis maître de quoi que ce soit. Par contre, la population qui m’élit est persuadée que je suis responsable de tout. Et j’ai, bien souvent, quelqu’un qui va se présenter contre moi, heureusement, et c’est la démocratie. Celui qui va se présenter contre moi, pour prendre ma place de maire ou de député, ce qu’il a fait, en tant que député, eh bien il va dire : Vous voyez, le maire, là, voudrait que l’on ferme un ou deux lits, peut-être un service, mais si vous votez pour moi, eh bien tous les services vont rester ouverts, et vous aurez le beurre, l’argent du beurre et la tartine avec ». Eh bien celui-là, il sera élu. C’est ce qui s’est passé.
J’aimerais bien que l’on désengage un tout petit peu les politiques, surtout quand ils n’ont pas les moyens de leur politique.
M. Cavada : Allons jusqu’au bout, M. Debré, vous êtes en train de nous faire comprendre que vous ne souhaitez pas que les maires aient la moindre responsabilité dans la gestion des hôpitaux, ce n’est pas leur affaire ? C’est cela que vous voulez dire ?
M. Debré : De deux choses l’une : ou bien les maires ont la responsabilité des hôpitaux, mais ils ont aussi les finances derrière…
M. Cavada : … d’accord.
M. Debré : … ou bien ils n’ont aucune responsabilité…
M. Cavada : … et il n’y a pas de raison qu’ils président ?
M. Debré : … et il n’y a aucune raison qu’ils président le conseil d’administration.
M. Cavada : Quel est l’avis de M. Soubie, qui est expert et qui a publié une photographie très complète de la situation des dépenses de santé dans ce pays ?
M. Soubie : Je vais vous étonner mais je crois que les mesures prises par Alain Juppé et Jacques Barrot, tous leurs prédécesseurs auraient aimé les prendre, sans jamais oser espérer qu’elles aboutissent. D’ailleurs je voyais dans l’œil de M. Evin, tout à l’heure, à la fois comme un regret de n’avoir pas pu le faire lui-même et un regard d’attendrissement à l’égard de M. Barrot, en raison des difficultés que ledit M. Barrot va rencontrer.
Mais sur cette question de l’hôpital, il faut quand même être sérieux…
M. Cavada : … de l’hôpital public…
M. Soubie : public…
M. Cavada : … puisque l’on va se cantonner à cela.
M. Soubie : … c’est un exemple parfait d’un certain nombre de dysfonctionnements, non pas qu’il n’y ait pas des hôpitaux remarquables ! Il y a des hôpitaux remarquables avec des plateaux techniques remarquables.
Mais, enfin, nous constatons quoi ?
1° Que les hôpitaux ont une dotation financière qui est celle de 1983, que l’on reconduit tous les ans : les mêmes ont toujours moins, qu’ils fassent bien, qu’ils fassent mal, cela n’a aucune importance, cela ne regarde pas l’État. Cela ne regardait pas l’État parce que, si j’ai bien compris, cela va changer. Donc, un système stupide ;
2° On parle de l’hôpital public, mais il y a aussi les cliniques privées qui font en grande partie le même travail et le même métier, à côté de l’hôpital public. Qui s’occupe de l’hôpital public ? L’État. Qui s’occupe des cliniques et des tarifs des cliniques ? M. Mallet et la Caisse nationale d’assurance maladie. Si tous les deux me le permettent, il y en a un de trop. Je ne choisirai pas entre les deux, mais il y en a un de trop ;
3° On ne sait pas aujourd’hui en France, à la différence d’autres pays, quels sont les vrais indicateurs d’activité, quels sont les indicateurs de qualité, quels sont les résultats ? Cela, c’est un problème de finance, c’est un problème de santé pour les malades. Les malades ne doivent pas tolérer cela, et les autorités de tutelle ne doivent pas tolérer cela. Et si l’on n’a pas un système d’information – et je crois que l’on va commencer à l’avoir –, on n’aura rien.
Et il me semble bien que, sur tous ces points, il ne faut pas opposer les finances et la qualité des soins. Je crois profondément qu’en France et d’abord dans l’hôpital public, on peut – ne disons pas mieux – aussi bien soigner, peut-être mieux soigner – et je parle sous le contrôle des professeurs ici présents – pour pas plus cher et, sans être démagogue, sans doute pour moins cher.
M. Cavada : J’espère avoir l’occasion de revenir à vous, M. Soubie, M. Debré.
Je voudrais que l’on prenne l’opinion de M. Gilles Johanet, expert, ancien directeur des Hôpitaux à la Caisse nationale d’assurance maladie, quelle est votre opinion ?
M. Johanet : Je regardais cet après-midi des chiffres sur les urgences, vous savez qu’il y a eu des rapports sur les urgences dans les hôpitaux, un décret qui a été pris, puis qui a été bloqué sous l’influence de groupes de pression. Et nous avons, par exemple, 20 % des établissements hospitaliers français, ceux qui font le moins d’urgences, une urgence par heure, moins de 5 000 admissions par an, qui représentent 20 % des moyens et 3 % seulement de l’activité. Est-ce qu’on met fin à cette situation profondément anormale ?
Mais est-ce que – le plan est très rigoureux, il est courageux, il est même féroce – l’on applique cette rigueur, toutes choses inégales d’ailleurs, aussi bien ceux qui travaillent beaucoup qu’à ceux qui travaillent très peu ? Ou est-ce que l’on se décide enfin pour la première fois, et ce n’est pas dans le plan, de redistribuer les moyens en fonction de l’activité et donc de la demande de soins ? C’est un point préalable capital. Rien dans le plan là-dessus.
M. Cavada : Je me propose de poursuivre les témoignages, et notamment d’écouter M. de Vulder.
Auparavant, je voudrais vous faire voir un reportage. Cela touche naturellement à la situation très différente que peuvent avoir un certain nombre de petites villes, voire d’espaces ruraux, de villages, dans des endroits qui sont éloignés des grandes villes. Et puis aussi au fait que des hôpitaux, dans des espaces économiquement pas très riches en termes de richesse nationale, se font concurrence.
Voici un exemple, c’est dans le nord de la Haute-Saône, il y a deux hôpitaux à 18 kilomètre de distance. L’un se trouve à Lure et l’autre à Luxeuil et ils assurent les soins à une population qui est d’environ 90 000 personnes. Leur fréquentation tend à diminuer depuis plusieurs années, on a donc décidé de fusionner ces deux établissements ruraux. Vous allez voir, ce n’est pas d’une simplicité évidente.
Reportage
Jouranliste : L’hôpital de Luxeuil date du XIXe siècle et son état vétuste a bien failli provoquer sa disparition, d’autant plus qu’à 18 kilomètres de là, à Lure, il y a un autre hôpital plus récent avec 250 lits, 50 de plus qu’à Luxeuil. Et, sur les deux sites, il y a les mêmes services : maternité, cardiologie, chirurgie, urgences. Mais Lure et Luxeuil sont en Haute-Saône où la population rurale vieillit et diminue. Alors le 1er juin 1993, c’est la fusion administrative. Il n’y a plus qu’un hôpital, avec deux bâtiments, sur deux communes voisines.
Lure et Luxeuil ont un même directeur : Jean-Christophe Darre. Sa mission redistribuer les services sur les deux sites pour éviter le double emploi. Un plan qui passe plutôt mal auprès des médecins.
M. Darre : C’est vrai que l’évolution de l’hôpital remet en cause les individus, leurs choix personnels de vie et d’existence, de pratique professionnelle. Et, quelquefois, comme ils ont été habitués à ce que la Sécurité sociale finance à guichet ouvert toutes les idées que nous avons pu avoir par le passé, aujourd’hui personne ne veut véritablement modifier ses comportements, ses pratiques professionnelles, sa façon de voir et d’être dans l’hôpital d’aujourd’hui et de demain.
Journaliste : Premier blocage, le transfert prévu dès l’année prochaine de l’unité « cardiologie » à Lure où il y a plus de places. Ici, à Luxeuil, les chambres sont saturées. Il n’y a pas de séparations. Un seul lavabo pour 3 personnes.
En prenant cette décision, le directeur est entré en conflit direct avec le chef de l’unité « cardiologie », le docteur Jean Sellal. Pour ce médecin, pas question de transférer son unité à 18 kilomètres de là.
Dr Sellal : Vous demandez à des médecins de prendre la responsabilité de faire des économies en fermant l’accès aux soins à une population, ce n’est pas à nous de prendre ce type de responsabilité.
Journaliste : Jusqu’à présent la plupart des malades du cœur, hospitalisés à Luxeuil, ont été ou seront auscultés au cabinet privé du Dr Sellal, le seul cardiologue de la ville.
Comme ce malade qui ne croit pas que le transfert de la cardiologie à Lure puisse participer en quoi que ce soit à la réduction des dépenses de santé. Il ne veut d’ailleurs même pas en entendre parler !
M. Haguet : Ah non ! Je vous assure, si on le déplace d’ici, je ne vois pas la raison pour laquelle on le déplacerait, étant entendu que cela marchait très bien. Vous pouvez interroger tous les malades qui ont été soignés au cours de leur vie par le Dr Sellal, vous verrez ce qu’ils vous diront !
Journaliste : Fort du prestige que lui donne 23 ans de pratique à Luxeuil, le docteur Sellal n’a pas l’intention de changer ses habitudes.
Dr Sellal : La clientèle ne partira pas, si je reste. C’est pour cela que je suis en conflit avec la direction. La direction comptait sur moi pour que j’emmène la clientèle à Lure. Ça, je le refuse.
Journaliste : À Luxeuil, il y a d’autres endroits où s’organise la défense pour le maintien de la cardiologie, comme la pharmacie Bernard. Bernard, c’est le nom de jeune fille de Mme Sellal, l’épouse du cardiologue.
Pharmacienne à la ville et aussi à l’hôpital, Mme Sellal fait partie des notables de la ville. En matière de santé publique, elle fait autorité et son avis est largement partagé par ses clientes.
Une cliente : Je ne suis pas qualifiée pour répondre dans ce domaine, mais vous savez, on est quand même pour le maintien à Luxeuil pour le serve « cardiologie ».
Mme Sellal : La pétition, en trois semaines, on a eu presque 9 000 signatures spontanément. On a 40 000 habitants dans notre secteur.
Une cliente : S’il n’y a plus d’hôpital dans cette petite ville, c’est la mort ! Cela fait 30 ans que je suis ici, 35 ans, il y a toujours eu l’hôpital.
Journaliste : Sur son trajet quotidien, Luxeuil/Lure, Jean-Christophe Darre sait très bien qu’il a pratiquement tout le monde contre lui. Ses adversaires lui ont même donné un surnom, le « fossoyeur ».
M. Darre : Je ne suis pas du tout fossoyeur. Si je suis fossoyeur de la médecine de papa, des rentes de situation et des « prés carrés », tout à fait. Je suis très heureux d’être le fossoyeur de dépenses indues de santé.
Journaliste : À Lure, la source de mécontentement, c’est le transfert prochain de la maternité vers Luxeuil où il y a plus d’accouchements.
Valérie, habitante de Lure, vient d’accoucher dans la maternité de sa ville, pour elle la proximité, c’est essentiel.
Valérie Ravailler : En pleine nuit, 20 kilomètres, c’est trop. Non. Chaque ville doit avoir son hôpital et sa maternité, c’est important, très important.
Journaliste : La réponse du directeur intercommunal est une réponse chiffrée : un millier d’accouchements dans les années 70, 585 cette année pour lui, il faut anticiper.
M. Darre : L’intérêt général est de conserver au moins une maternité dans le bassin d’emploi, ce n’est pas vouloir en conserver deux. Si l’on veut en conserver deux, on est à peu près sûr que toutes les deux fermeront à terme, c’est-à-dire dans les 5 ans qui viennent.
Journaliste : Une vision des choses que ne partagent pas du tout les 10 000 habitants de Lure. Ils l’ont fait savoir en descendant dans rue en décembre 1994.
La population s’organise autour d’un comité de défense de la maternité qui tient réunion à la mairie. Parmi ses membres, le maire de Lure, Michel Federpiel, d’autres élus, des syndicalistes, des personnels de l’hôpital. À leurs yeux, se battre pour que leur maternité de proximité ne parte pas à 18 kilomètres de là n’a rien d’un combat rétrograde.
M. Anthony : Quand on dit : « Vous êtes ringard, vous faites du localisme, vous n’avez pas une conscience des coûts ». Moi, je bondis, cela m’énerve, c’est horrible. On détache le coût de la Sécurité sociale de l’ensemble, justement, de ce qui se fait la démocratie française.
C’est ce tissu socio-économique qui nous fait vivre.
Journaliste : Michel Federpiel est maire de Lure depuis 5 mois, la population compte sur lui pour défendre la maternité. Avec son collègue de Luxeuil, Michel Gabillaud, il partage la présidence du conseil d’administration de l’hôpital intercommunal.
Tous deux admettent le principe de la fusion, mais pas jusqu’à soutenir sans réserve les choix du directeur face à des administrés mécontents.
M. Federpiel : Certains ont essayé de me faire comprendre qu’il m’appartenait, en tant qu’élu, de faire comprendre à la population que, finalement, la maternité de Lure n’avait pas lieu d’exister. On a essayé de me faire jouer cela. Je ne me vois pas jouer ce rôle parce que je pense que, dans l’état actuel des mentalités, il est de la plus grande importance que ce service continue de fonctionner sur Lure.
Journaliste : Une grande importance dont le directeur de l’hôpital n’a pas l’intention de tenir compte, au risque de voir les gens de Lure redescendre dans la rue.
M. Cavada : Voici M. Bernard Devulder qui est président du Haut Conseil de la réforme hospitalière.
Première chose, y a-t-il un rapport, M. Devulder – on peut dire que vous êtes un des penseurs de la partie « hôpital » de cette réforme, je crois que vous en serez d’accord ? …
M. Devulder : Tout à fait.
M. Cavada : … Y-a-t-il un rapport entre la proximité et la qualité des soins ou bien, de votre point de vue, est-ce suffisamment indifférent pour que l’on fasse des économies et des restrictions de lits, voire des suppressions d’établissements hospitaliers ?
M. Devulder : Il y a certainement un rapport entre la qualité et la proximité. Bien évidemment, quand on peut soigner à proximité du domicile les malades, on apporte à ces malades un réconfort supplémentaire. Pourtant, ce n’est pas une règle générale et, à l’évidence, les plateaux techniques ne peuvent être répartis sur le territoire à proximité de tous les patients et dans les plus petites villes, et donc il s’agit d’organiser, de structurer.
M. Cavada : Il y a environ 55 000 lits de trop, dit-on, en France – je ne reprends pas ce chiffre, ni cette notion à mon compte, je cite ce qui est dit –, est-ce que cela veut dire que ce sont d’abord les établissements hospitaliers ruraux qui vont faire les frais de la reconcentration et notamment de la reprise en main financière du système de protection sociale ?
M. Devulder : Si vous permettez, M. Cavada, je voudrais nuancer cette analyse…
M. Cavada : … c’est une question, ce n’est pas une analyse…
M. Devulder : Les lits supplémentaires, les lits en excès… les lits, vous savez – pardonnez-moi cette réflexion – ce sont des matelas, ce sont des sommiers, ce ne sont pas des lits en excès, et cela n’intervient pas sur le budget de l’hôpital…
M. Cavada : … je n’ai pas compris du tout ce que vous vouliez dire, monsieur, pardonnez-moi, mais je suis sans doute un peu tardif. J’avais compris que des lits, c’étaient des matelas et des sommiers depuis ma petite enfance…
M. Devulder : Tout à fait.
M. Cavada : … Qu’avez-vous voulu dire, sans vous caricaturez, de différent ?
M. Devulder : Je veux dire que quand on aura supprimé 50 000 lits des hôpitaux, on n’aura pas, pour autant, attenué le financement, réduit la charge budgétaire de l’hôpital.
Mme Jeanperrin : … On peut, peut-être, poser la question autrement…
M. Devulder : … Le plus souvent d’ailleurs il s’agit de lits programmés et non encore utilisés.
Mme Jeanperrin : Posons la question autrement, M. Devulder. Lorsqu’on sait qu’un plateau technique sur quatre ne fait qu’une intervention par jour, est-ce que vous croyez que c’est comme cela que l’on défend la qualité ?
M. Devulder : Certainement.
Mme Jeanperrin : Et vis-à-vis de cela, quel est le courage que vous allez avoir pour, effectivement, fermer ces plateaux techniques ?
M. Devulder : Certainement. Vous avez tout à fait raison sur ce plan, et je peux vous dire que cette réflexion a été la réflexion majeure, prioritaire, dominante, des travaux du Haut Conseil de la réforme hospitalière.
Vous savez que ce Haut Conseil est en place depuis le mois de juin. Pendant 5 mois, nous avons travaillé intensément. Et, dès le début, nous l’avons clairement annoncé, et cela a été partagé par tous les membres du Haut Conseil, ce qui a été au cœur de notre réflexion, c’est la qualité de la prise en charge du patient. Le patient était au cœur de nos préoccupations.
Ce que je veux dire aussi, monsieur, c’est qu’après avoir procédé en 5 mois à plus de 300 auditions de personnalités représentatives de l’ensemble des partenaires de la santé et du monde hospitalier, j’ai ressenti, nous avons tous ressenti que cette préoccupation-là était au cœur également de la préoccupation de ces professionnels : une meilleure prise en charge des malades, une meilleure assurance de la qualité, une meilleure focalisation, une meilleure synergie de tous les partenaires de l’hôpital sur le bien-être du patient.
Vous savez, l’hôpital est en quelque sorte l’autre demeure, l’autre maison du malade…
M. Cavada : M. Devulder, ces incantations, aussi fondées qu’elles soient dans votre profession, sont respectables…
M. Devulder : … ce ne sont pas des incantations…
M. Cavada : … Venons aux décisions. Je vous entends venir avec des pas de chirurgien, là. Alors, allons-y ! Y aura-t-il des suppressions de lits dans votre recommandation, sur quel volume et sur quel planning ? C’est cela que je veux savoir ?
M. Devulder : J’ai fait tout à l’heure, si vous le permettez, monsieur, je crois que cette fois-ci, c’était clair, l’analyse des lits en surnombre. Ce qu’il convient de faire en réalité, c’est de permettre le travail en synergie des équipes hospitalières…
M. Cavada : … qu’elles soient du public ou du privé ?
M. Devulder : Parfaitement. Il faut que ces équipes prennent conscience de leurs missions, de l’activité qu’elles assument au cœur de l’hôpital…
M. Cavada : M. Devulder, de la synergie, cela ne fait pas de l’économie. Comment allez-vous réaliser vos économies ?
M. Devulder : Je suis persuadé que de la synergie cela fait de l’économie…
M. Cavada : C’est quoi la synergie entre deux hôpitaux ?
M. Devulder : La synergie entre les hôpitaux, monsieur le ministre Barrot l’évoquait tout à l’heure, c’est la mise en commun de moyens, c’est la création de coordination inter-hospitalière, mais c’est aussi le rapprochement des équipes hospitalières, la mise en commun de moyens, le fait que l’ensemble des partenaires de l’équipe hospitalière travaille ensemble… public/public ou public/privé.
M. Cavada : J’ai bien compris. Est-ce que cela veut dire que des équipes hospitalières de l’hôpital public qui seraient inemployées, pourraient aller travailler dans le privé pendant une journée, deux journées, trois journées, 8 jours, 2 mois ?
M. Devulder : Bien entendu.
M. Cavada : Il faut le dire !
M. Devulder : … Et je pense que la réforme hospitalière mettra en place des systèmes…
M. Cavada : Dans le cas inverse aussi ?
M. Devulder : Tout à fait.
M. Cavada : Eh bien, il faut le dire aussi.
M. Devulder : Je pense que l’on peut créer des coordinations entre le public et le privé. Il peut y avoir des structures juridiques nouvelles. Il peut y avoir des groupements d’intérêt sanitaire qui permettent…
M. Cavada : … dans une ville, par exemple ?
M. Devulder : … aux équipes hospitalières de travailler ensemble et d’éviter les redondances qui, aujourd’hui, coûtent cher à la santé et cassent l’image de l’hôpital et de sa coordination.
M. Cavada : Voilà, on est entré dans la précision. Je vous remercie monsieur.
Deux très rapides interventions de M. Debré et de M. Soubie, après quoi je voudrais qu’on entende…
M. Debré : Je crois qu’il faut dire les choses telles qu’elles sont : il y a trop de lits en France, il y a trop d’hôpitaux en France. Ce serait malséant de dire le contraire, ce serait utiliser la langue de bois. Le tout est de savoir comment on peut faire, pour faire en sorte que les hôpitaux de proximité restent le mieux possible ou le plus possible comment faire pour ne pas casser l’emploi ? Comment faire pour que l’hôpital serve aussi d’aménagement du territoire ?
M. Cavada : Votre recommandation à vous, M. Debré, c’est quoi ?
M. Debré : C’est dans ce qu’a proposé Alain Juppé, l’accréditation. Il faut être clair. L’accréditation, cela va être quoi ? On va dire à tel hôpital ou à tel service, vous avez l’autorisation de poursuivre, et il y aura donc des services qui ne sont pas crédités, ceux-là, ils sont bien forcés de fermer ! Alors, utilisons la langue telle qu’on doit l’utiliser et pas la langue de bois. Ceux qui ne seront pas accrédités seront fermés.
Qui fermera ? C’est là le problème ! Moi, j’aimerais bien que ce soit l’État. Si c’est le maire, il se fera battre.
M. Soubie : Le problème n’est pas simple, naturellement. Parce que lorsqu’on parle de fermeture de lits, il ne faut pas oublier les gens qui sont, non pas dedans, on ne les oublie jamais, mais derrière et autour, à savoir le personnel.
Fermer des lits, cela veut dire avoir des restructurations de personnel…
M. Cavada : … et les centaines ou les milliers d’emplois que cela peut concerner dans une ville… ?
M. Soubie : … et des milliers d’emplois que cela peut concerner – dans un secteur, la fonction publique hospitalière qui est régie par les règles de la fonction publique. Donc, dire qu’on ferme les lits, c’est vrai qu’il faut le faire ! Cela pose des problèmes considérables que, généralement, l’État ne sait pas bien gérer et qu’il va sans doute maintenant pouvoir mieux gérer.
Deuxième remarque très rapide, je crois que le levier sur lequel doivent s’appuyer tous les réformateurs, c’est le malade parce que le malade a adhéré à un système dans lequel il y a moins de lits et plus de lits. Moins de lits, là où il n’en faut pas, et plus de lits, là où il en faut.
Il ne faut pas dresser le malade, ni les assurés contre ces mesures. Il faut les mettre avec soi pour appliquer ces mesures qui, je le répète, sont très difficiles.
M. Cavada : Car la réalité, c’est que la géographie humaine de ce pays a changé, elle s’est ruralisée, mais que les endroits ruraux ont aussi un certain nombre de besoins, que, troisièmement, des pandémies nouvelles sont arrivées et qu’elles ne se traitent pas forcément dans les endroits où l’on a construit autrefois de grands établissements, c’est bien cela la réalité ?
M. Soubie : Bien sûr. Je crois qu’il faudra en fait beaucoup d’années avant d’arriver à ce but. Et si l’on y arrive, ce sera merveilleux.
Intervention de Mme Brunois : problème de télévision.
Mme Brunois : Voilà … Et ma prochaine intervention, ce sera pareil.
M. Cavada : Autre intervention : celle de M. Michel Rolland, qui est professeur de pédiatrie en néonatalogie au CHU de Toulouse.
M. Rolland : J’ai une question qui s’adresse essentiellement à M. Johanet, je crois.
J’ai entendu M. Johanet dire qu’il faudra, dans le cadre du budget global, attribuer les crédits en fonction de l’activité réelle et en fonction de la qualité des soins. J’ai entendu aussi M. Mallet dire tout à l’heure : « budget global = rationalisation des soins = rationnement des soins ». Et j’ai entendu M. Soubie dire qu’il n’existe pas, et je suis tout à fait d’accord avec lui, à l’heure actuelle d’instrument fiable qui puisse mesurer l’activité médicale ou qui puisse mesurer la qualité des soins dans un service hospitalier.
Je mets cela de côté et je vous parle deux minutes de notre situation : nous sommes en CHU…
M. Cavada : Vous êtes à Toulouse.
M. Rolland : À Toulouse. Nous avons un ensemble de pédiatrie qui comprend un peu plus de 200 lits et nous sommes dans la situation où nous avons appris que nous avions dépassé le budget qui nous était imparti pour l’année, nous étions en train de le dépasser, et que nous allions donc, théoriquement, soigner à crédit nos patients jusqu’à la fin de l’année. Je dis bien théoriquement, parce que la question qui ne se pose pas, ils seront soignés quand même, bien entendu.
Ceci nous amène à penser, moi et aussi mes autres collègues, que nous allons être amenés à faire des choix, des choix drastiques, sur la qualité des soins, surtout sur les indications thérapeutiques, et je voudrais prendre un exemple pour que tout le monde comprenne parfaitement : je sais très bien que je ne pourrai pas, d’ici la fin de l’année, en 1996 et vraisemblablement pas en 1997, prendre en charge un petit prématuré de 700 grammes et de 26 semaines de gestation, alors que cela se fait dans d’autres hôpitaux.
M. Cavada : Et qu’il a des chances de survie.
M. Rolland : Et qu’il a des chances de survie de 80 %.
M. Cavada : À l’autre bout d’ailleurs de la chaîne de la vie, c’est une question qui s’est posée dans d’autres pays, notamment en Grande-Bretagne si ma mémoire n’est pas trop inexacte. Est-ce que si un patient de 80 ans se présente chez vous, qu’il lui faille un double pontage, et que de toutes façons il semble que ses années de survie soient mesurées, est-ce que vous n’allez pas être confronté à une réalité économique du style : « Je le fais ou je ne le fais pas » ?
M. Rolland : Tout à fait, il a tout à fait le droit.
M. Cavada : C’est cela que vous voulez dire ?
M. Rolland : Tout à fait, et jusqu’à présent nous, médecins, avons pris en charge ces problèmes d’éthique entre nous. La question est : « Est-ce que dans la mesure où ces problèmes vont se poser, dans la mesure où nous aurons à faire des choix, nous devons être, nous médecins, les seuls à porter la responsabilité de ces choix, ou est-ce qu’il faut que ce soit quelque part un choix consensuel, un choix de société, de société civile, un choix que pourrait faire par exemple un comité d’éthique qui aurait un pouvoir non plus consultatif, mais un pouvoir décisionnel ? »
M. Cavada : Qui veut répondre ? M. Johanet ? Rapidement s’il vous plaît.
M. Johanet : C’est ennuyeux, parce qu’il y a mille questions dans la question de Michel Rolland.
Il y a d’abord l’effacement en France d’une éthique de santé publique, qui est très faible, au profit d’une éthique médicale traditionnelle, qui est légitime mais qui ne concerne que le patient et son médecin.
Il y a la crainte d’avoir à faire des choix au point de ne plus pouvoir soigner tout le monde. Là, c’est une question capitale. Si on continue comme ça, comme aujourd’hui, c’est-à-dire à ne pas vouloir réduire une offre excédentaire, oui, vous serez très vite amenés à faire des choix. M. Rolland, vous n’avez pas tous les moyens qu’il vous faut, mais je suis persuadé que dans votre région vous connaissez des établissements hospitaliers qui sont vides. Le problème est de savoir si vous êtes prêt à collaborer avec l’assurance maladie pour nous aider à fermer ces établissements hospitaliers-là.
Et c’est la même chose pour le libéral. Mais si on rationalise l’offre, si on prend le critère de qualité, je ne partage pas tout à fait l’opinion de Raymond Soubie, c’est vrai qu’on n’a pas de très bons critères, on est sous-développés, on n’a jamais voulu savoir…
M. Cavada : Parce qu’on n’a jamais osé politiquement parler de critères avec la santé.
M. Johanet : Exactement, mais enfin il y en a quand même quelques-uns.
M. Cavada : Mais ils existent.
M. Johanet : Ce que disait Brigitte Jeanperrin tout à l’heure : un quart des salles d’opération sont vides, moins d’une intervention par jour, on ne l’a pas découvert dans un œuf, c’est une enquête ; il y en a d’autres. Si vous manquez de moyens, c’est parce qu’il y a trop de moyens saupoudrés.
M. Cavada : Deux interventions rapides : celle de M. Debré, celle de M. Soubie, puis M. Leroy qui n’a pas parlé.
M. Debré : Nous n’avons pas assez de moyens d’évaluation, c’est évident. On est en train de nous les donner et c’est fondamental pour pouvoir diriger un service.
Mais je voudrais dire quand même à mon collègue de Toulouse qu’on peut aussi faire un certain nombre de, comment dirais-je, non pas de réflexions, mais d’économies. Il faudrait que nous soyons, nous médecins hospitaliers – là je prends la casquette du médecin hospitalier – un peu plus responsables des économies que nous pouvons faire.
Je vais vous donner un exemple : dans mon propre service, nous sommes passés de 10 000 consultants par an à 20 000, et nous avons diminué nos dépenses de 15 %. J’ai la faiblesse de penser qu’il s’agit encore d’un très bon service. Alors, avant d’accuser tout le monde et de crier qu’on ne pourra plus soigner personne, essayons nous-mêmes de faire un certain nombre d’économies et montrons l’exemple. Ce qu’on nous propose, c’est que tous ensemble nous essayons de sauver la Sécurité sociale et qu’on ne rejette pas la faute sur un autre.
M. Cavada : Cette deuxième partie de plateau montre que d’ailleurs, comme pour la première partie, une politique de remise dans des comptes équilibrés des comptes sociaux de la nation, cela fait mal et de bien des côtés.
Un commentaire de M. Soubie, puis deux interlocuteurs, avant de passer au plateau suivant.
M. Soubie : Pour être une fois dans ma vie en désaccord avec Jean-Claude Mallet, et pour reprendre votre expression, rationaliser n’est pas rationner, c’est le contraire. C’est éviter le rationnement des soins et c’est en rationalisant qu’on mettra les moyens là où on doit les mettre. Vous faites des arbitrages, vous faites des choix, dans votre conscience individuelle non exprimée, vous les faites bien, avec conscience, mais est-ce que c’est vraiment collectivement pour la santé du pays le meilleur système ?
M. Cavada : Maintenant deux paroles qui ne se sont pas exprimées : celle de M. André Leroy d’abord. Vous avez 72 ans, vous êtes retraité et vous habitez dans le Loiret. Que souhaitez-vous dire ce soir ?
M. Leroy : Je suis d’un petit village dans le Loiret, à côté de Pithiviers, et je vais être très bref …
M. Cavada : Je suis confus, vraiment…
M. Leroy : Je connais tout le monde. Chez nous, il y a une cinquantaine de retraités ; dans les 50 retraités, il y en plus de 40 qui ont entre 2 500 et 3 000 francs par mois pour vivre. Alors, je voudrais demander à ces messieurs : ces gens-là, on va encore leur supprimer des honoraires. Comment vont-ils faire pour vivre ? S’ils vont à l’hôpital, comment vont-ils faire pour payer le forfait hospitalier ? C’est un problème, et quand ils vont rentrer chez eux, qu’est-ce qu’ils vont manger ? Ils ne pourront plus faire leur jardin, c’est vrai.
Un bon caporal se promène dans les cuisines pour voir si ses troupes ont bien à manger. Chez nous, dans les campagnes, on ne voit personne, personne ne vient sur place se renseigner. Il faut penser aux vieux : ils ont été jeunes, ils ont toujours travaillé. Maintenant ils ne peuvent plus, ils ne peuvent plus vivre, ils sont de trop.
M. Cavada : Je voudrais entendre la voix de M. Pierre Boyer. M. Boyer est médecin. Vous êtes également maire d’Apt, dans le Vaucluse, et à ce titre, vous êtes président d’un conseil d’administration d’hôpital. Votre maternité par ailleurs doit fermer. Qu’est-ce que vous souhaitez dire ce soir ?
M. Boyer : Je voudrais d’abord préciser le rôle de proximité, bien préciser qu’il s‘agit d’un hôpital qui est situé en milieu rural, qui est situé loin de l’hôpital référent : une heure de route. C’est un hôpital en général qui a réussi à conserver ses services : maternité, urgences, chirurgie. On parle beaucoup de recrutement et tant pis si aujourd’hui je vais un peu à l’encontre de ce qui vient d’être dit. Au titre de l’aménagement du territoire, est-ce que l’on peut accepter que des territoires de 85 kilomètres de long ne soient plus couverts par des services d’urgence, par des services de maternité ? Je pense que là on va vers la désertification des campagnes.
C’est un problème à mon avis très sérieux, très grave et je pense qu’il faut le soulever ici aujourd’hui. J’ai conscience que c’est un problème essentiel.
Je voudrais aussi dire un mot, si vous me permettez, sur le problème des urgences. Un infarctus qui se présente dans une campagne, à 70 km d’Avignon, actuellement, reçoit un traitement d’urgence qui permet la survie à l’hôpital d’Apt dans la demi-heure qui suit, c’est la trombolise. Ultérieurement bien sûr par le SAMU, le jour même ou le lendemain, il est transféré à l’hôpital d’Avignon. Et je suis d’accord avec M. Devulder dans ce qu’il a dit tout à l’heure : je pense que plutôt que modifier ce qui existe actuellement et qui marche, il faudrait améliorer le travail en commun des hôpitaux, améliorer le réseau et assurer une véritable complémentarité entre les hôpitaux plutôt que les supprimer.
M. Cavada : Je vous remercie de ces différents avis exprimés. Je voudrais dire que l’émission de ce soir a pour but, en rassemblant un nombre important de personnes, de montrer les pistes dans lesquelles chacun va se déterminer, pendant que le gouvernement va affiner ses textes, que le Parlement va lui-même apporter probablement ses amendements et que, d’autre part, les ordonnances vont être préparées. Nous serons naturellement prêts à refaire, en tant que de besoin, un ou plusieurs autres débats, parce que c’est un grand virage dans notre société et il était très important d’y consacrer du temps dans cette émission.
À ce sujet, je voudrais dire à ceux qui ont la responsabilité de gérer la chaîne ce soir que nous allons poursuivre au-delà de ce qui était prévu ce débat, car je ne me sens pas le courage de censure ou de diminuer l’expression des syndicats et des deux représentants politiques, M. Barrot et M. Evin, qui sont sur ce plateau, parce qu’il y va en effet de l’avenir de la protection sociale de ce pays et qu’on nous concédera probablement encore un peu de temps.
Je voudrais vous demander maintenant de regarder quelque chose : que pensent donc les Français, c’est-à-dire au fond ceux qui nous ressemblent tous, des nécessités d’équilibrer les comptes de la nation, c’est-à-dire quelle contribution sont-ils prêts à mettre dans cette affaire ?
Regardez la deuxième partie du sondage qui a été réalisé par la Sofres pour France Inter et La Marche du siècle. On se retrouve dans un instant dans la troisième et dernière partie de cette émission.
Journaliste : Conscients de la situation financière de la Sécurité sociale, les Français ne sont pas pour autant prêts à tout et à n’importe quoi, notamment en matière de gestion des hôpitaux.
Ainsi, 53 % des personnes interrogés par la Sofres jugeraient inacceptable le regroupement des petits hôpitaux distants de seulement quelques dizaines de kilomètres. 41 % y sont favorables.
Mieux : 89 % jugent tout aussi inacceptable que l’on puisse demander aux malades de prendre en charge l’intégralité des frais d’hébergement à l’hôpital ; 71 % ne comprendraient pas plus que l’on réserve en priorité l’hôpital aux personnes à revenus modestes, les autres allant se faire soigner dans les cliniques privées.
Quant à diminuer les équipements de pointe dans les hôpitaux de petite taille, c’est une mesure intolérable pour 69 % des personnes interrogées.
M. Cavada : M. Claude Evin, M. Jacques Barrot, votre responsabilité politique, au nom des familles que vous représentez, et vous au nom de l’exécutif, M. Barrot, est très forte. Et celles des différents représentants de ce qu’on pourrait appeler l’activité, les forces spéciales de la nation, le sont – dans les jours qui viennent on le verra d’ailleurs – extrêmement également.
Je voudrais aller vite au vif du sujet et je vais faire un tour de table. Je vais commencer par M. Blondel. M. Blondel, que vous suggère ce plan ? Qu’y a-t-il de bon à vos yeux ? N’y a-t-il rien de bon, y a-t-il des choses que vous acceptez ? Et quelle sera votre position par rapport au mot d’ordre de grève pour le 28 novembre, je crois, que vous aviez évoqué et dont j’ai l’impression qu’il sera confirmé ?
M. Blondel : C’est relativement simple. Nous sommes en train de discuter comme des techniciens et j’ai assisté, moi, à la plus grande opération de, comment pourrais-je appeler cela, rapt que je connaisse dans l’histoire de la République.
M. Cavada : Rapt de quoi ?
M. Blondel : Tout simplement en décidant que le Parlement maintenant allait donner les orientations de la protection sociale, il rafle 2 500 millions, et qui sont constitués par les cotisations sociales.
M. Cavada : Il le rafle à qui ?
M. Blondel : Il le rafle aux gestionnaires, tout simplement. Ce n’est même pas que la Sécurité sociale, c’est la protection sociale. Cela veut dire les régimes de retraite, les régimes de retraite complémentaire, cela veut dire l’Unedic, même quand il ne tient pas, lui, ses engagements quand cela concerne l’Unedic. Cela veut dire que maintenant, tous les ans, on va donner des orientations, une enveloppe, au-delà des conseils, au-delà de ceux qui représentent les salariés. C’est la gestion du salaire différé, mais ce n’est plus la Sécurité sociale, c’est la fin de la Sécurité sociale, c’est tout autre chose. C’est une réforme de fond, c’est une véritable révolution de conception.
Je sais bien qu’on a expliqué tout cela à travers d’abord les difficultés financières, mais on a oublié de dire que les difficultés financières venaient du chômage, et non pas l’inverse. On a l’air de rendre responsable maintenant la Sécurité sociale du fait qu’il y ait du chômage. C’est quelque chose que je ne comprends pas et je ne veux pas entrer dans le détail de l’activité économique de la Sécurité sociale. Mais ce n’est pas la peine de faire un débat de techniciens, il y a un débat de fond. Je n’ai pas vu le respect justement de l’esprit de la Sécurité sociale dans ce qui est proposé par le gouvernement.
M. Cavada : Est-ce que vous acceptez, M. Blondel, la critique qui est faite parfois de la mauvaise gestion d’un certain nombre de caisses ?
M. Blondel : La gestion des caisses coûte entre 3 et 6 %, avec une moyenne de l’ordre de 5 %. La gestion des compagnies d’assurance, c’est 14. Je trouve que le fond ce n’est pas trop mal géré. C’est aussi simple que cela.
Maintenant attention, il ne faut pas confondre… Tout le malentendu, tout le débat a été porté là-dessus. On a culpabilisé les gens, on a voulu résoudre un problème économique et on n’a pas donné le fond des choses. Ce n’est pas la Sécurité sociale qui mérite une réforme en soi, c’est peut-être ce qu’elle alimente, ce dont on a parlé, les hôpitaux, etc. La Sécurité sociale, ce n’est pas simplement de l’argent qu’on donne et qu’on redistribue. Il y a une alchimie et dans cette alchimie, il y a par exemple pratiquement 2 millions de personnes qui en profitent, qui en bénéficient, qui travaillent, etc., etc. Cela mérite donc une certaine réflexion.
Et nous avions une Sécurité sociale solidaire. En transformant maintenant le financement de la Sécurité sociale, notamment en faisant un transfert sur l’impôt, on est en train de dénaturer je dirai la logique et le sens initial.
M. Cavada : Quelle sera votre attitude dans les prochaines semaines ? J’ai cru comprendre que vous appeliez à une forte mobilisation. Quelles sont vos consignes ?
M. Blondel : Cela mérite quelques explications. Nous avions pris l’initiative, dès lundi dernier, et je vais vous dire pourquoi : c’est qu’en fonction des conversations que nous avions avec nos interlocuteurs gouvernementaux, nous avions compris qu’il y avait la purge aussi, c’est-à-dire qu’on allait obligatoirement mettre des cotisations en plus sur les retraités, des cotisations maintenant sur les allocations chômage ; on avait même parlé – il y avait du délire – de cotisations sur les chèques restaurant, ou une taxe sur les chèques restaurant. On a parlé aussi de la CSG bis, etc. Ce qui veut dire qu’en fin de course, nous nous disions : « Il est nécessaire de réagir pour essayer de sauvegarder la Sécurité sociale ». Mais on nous la vole, c’est un rapt.
D’autre part, il y a un problème de fond dans cette société à l’heure actuelle, c’est le pouvoir d’achat et il nous semble que celui-ci va être particulièrement grippé pendant les deux ans qui viennent et que cela aura des conséquences sur l’emploi. Je confirme ma tendance au keynésianisme raisonnable.
M. Cavada : Quelle est donc votre attitude ?
M. Blondel : C’est clair : nous avons lancé un mot d’ordre de grève pour le 28 et nous allons voir avec les autres organisations syndicales, et avec l’opinion publique, si nous arrivons à bien expliquer les choses ; j’espère que ce soir cela va concourir à leur montrer qu’on est en train de leur voler leurs cotisations sociales, pour le cas échéant, parler de promesses de demain par fiscalisation.
M. Cavada : Éclairez-moi si vous le souhaitez, M. Blondel : vous avez récemment rencontre le chef de l’État.
M. Blondel : Oui.
M. Cavada : Avez-vous parlé à ce sujet ?
M. Blondel : Bien sûr.
M. Cavada : C’était le fond de l’entretien ?
M. Blondel : Non, il y avait d’autres choses, mais j’ai parlé effectivement de ce sujet avec le chef de l’État.
M. Cavada : Êtes-vous ressorti de cet entretien avec l’idée que se préparait ce qui vous est annoncé aujourd’hui ?
M. Blondel : Non. Quand je suis sorti de l’entretien avec le chef de l’État, j’ai fait une déclaration où j’ai dit que j’avais été rassuré.
M. Cavada : Rassuré sur quoi ?
M. Blondel : J’avais été rassuré notamment sur la notion de couverture universelle. Lorsque maintenant j’écoute la déclaration…
M. Cavada : Vous la retrouvez ou non ?
M. Blondel : Cela devient un régime universel, qui va jusqu’à remettre en cause les régimes particuliers et notamment les régimes de fonctionnaires et la retraite des fonctionnaires. Ce n’est pas simplement le fait de passer de 37 ans et demi à 40 ans qui est important ; cela se discute d’ailleurs parce qu’il faut savoir aussi que la retraite des fonctionnaires n’a pas le même niveau que la retraite du privé, mais cela mérite un débat technique. C’est aussi qu’on va sortir les fonds qui sont gagés par l’État, la pension des fonctionnaires ; maintenant, on va en faire une caisse de retraite ordinaire. Cela veut dire qu’on va les sortir de leur statut et j’ai l’impression que les fonctionnaires ne vont pas accepter cela.
M. Cavada : Je voudrais prendre l’avis de Mme Nicole Notat. J’ai entendu tout à l’heure sur France Info, si ma mémoire est bonne, que 1) vous approuviez l’orientation générale et que 2) vous voudriez confirmer cette intention par les faits et que donc vous restiez prudemment dans l’attente de la mise en application de la loi et des ordonnances. Quelle est votre position de fond sur cette affaire ?
Mme Notat : Vous avez bien compris. Voyez-vous, cela fait plusieurs semaines et plusieurs mois, à la CFDT, que nous nous bagarrons et nous déployons beaucoup d’énergie, justement pour revendiquer une réforme de la Sécurité sociale ; parlons assurance maladie puisque c’est le sujet ce soir. Pourquoi ? Parce que nous pensons qu’elle est en ce moment en dérive, que le danger n’est pas devant nous, qu’il est là.
Le danger, tout le monde l’a dit : de plus en plus, déficit sur déficit depuis plusieurs années, spirale infernale : on augmente les cotisations, on diminue les remboursements des assurés et on est le pays qui rembourse effectivement le moins. Heureusement qu’il y a les mutuelles, mais 15 % des Français n’ont pas de mutuelles.
Donc cette Sécurité sociale, qui a fait ses preuves depuis 1945, il faut la rénover, il faut la remettre sur ses rails pour qu’elle remplisse à nouveau ses bonnes fonctions, dans la justice, dans la solidarité.
Voilà pourquoi j’ai décidé et je prétends que plaider cela, c’est sauver la Sécurité sociale dans la fidélité à ceux qui l’ont fondée.
M. Cavada : Cela veut dire donc que, du point de vue de votre responsabilité syndicale, madame, vous n’appellerez pas votre centrale à s’associer au mouvement de grève que préconise Force ouvrière notamment, et ils ne seront sans doute pas les seuls ?
Mme Notat : Non, notre bureau national aujourd’hui, à la quasi-unanimité, a refusé de s’associer à cette journée d’action, tout simplement parce que l’on mène une journée d’action avec un résultat à poursuivre. Or le résultat d’aujourd’hui, je l’apprécie comment ? Je vais donner simplement trois objectifs qui étaient les nôtres.
Il fallait élargir le financement de l’assurance maladie. Il n’est plus normal qu’il n’y ait que les salariés, les revenus du travail, que ce soit patronaux ou salariaux d’ailleurs, qui financent la protection sociale. C’est une orientation qui est dans les orientations gouvernementales.
Il n’était pas normal que les entreprises qui licencient le plus, mais qui ont le plus de richesses au bout du bout, participent moins à la cotisation au financement de la protection sociale. On parle maintenant de faire financer les entreprises sur la valeur ajoutée. C’est une bonne orientation, c’était la nôtre.
Nous avons souhaité aussi qu’en élargissant la cotisation, la future CSG soit plus juste et que ce ne soit pas un impôt car, comme Marc Blondel, je ne souhaite pas l’étatisation de la Sécurité sociale. Il faut donc que les nouvelles cotisations, qui sont aujourd’hui la cotisation maladie, qui deviendront demain la CSG élargie et rénovée, soient une recette sociale et que ce soit déductible de l’impôt, c’est-à-dire qu’on ne paie quand même pas un impôt sur une cotisation pour la Sécurité sociale. Tout cela se trouve dans les orientations.
Enfin, j’étais favorable à la maîtrise des dépenses de santé. Pourquoi ? Pas pour rationner les soins, mais au contraire pour que la qualité des soins redevienne une réalité pour tous, justice et solidarité, pour que l’égalité d’accès aux soins redevienne une réalité pour tous ; on en parle aujourd’hui dans des conditions qui effectivement restent maintenant à déterminer.
Alors, M. Barrot le sait, nous avons entre nous des échanges, des confrontations franches et directes ; nous n’avons pas l’habitude parler la langue de bois entre nous. Et il sait que maintenant tout va commencer. Effectivement, il y a un acte politique qui a été posé dans ce pays aujourd’hui, pour que la Sécurité sociale et l’assurance maladie redeviennent fidèles à elles-mêmes. Mais il va falloir que les décisions concrètes soient conformes aux intentions qui sont portées aujourd’hui, et là nous allons maintenir toute notre vigilance, c’est-à-dire qu’il n’y aura pour nous pas de pose dans notre détermination à voir aboutir ces réformes, au bout dans la fidélité aux orientations que nous souhaitions et que nous sentons dans ce plan aujourd’hui.
M. Cavada : Sous vos yeux sont en train de se déterminer les différentes positions syndicales qui ont occupé les différents coups sociaux, syndicaux et ensuite politiques de la nation. Nous allons prendre l’avis maintenant de M. Louis Viannet pour la CGT, après celui de M. Blondel pour Force ouvrière, de Mme Notat pour la CFDT. Quelle est votre position et quels sont vos arguments ?
M. Viannet : J’ai sous les yeux deux dépêches d’AFP d’aujourd’hui. La première dit ceci : « La Bourse de Paris a applaudi mercredi en fin de journée aux mesures présentées par le Premier ministre ». La seconde, parlant de Jean Gandois, président du CNPF, dit qu’il se félicite parce que les mesures traduisent la volonté de changer totalement les systèmes aujourd’hui existants. Pour ces deux raisons, je dis très nettement que le plan présenté par le Premier ministre est inacceptable.
J’appelle vraiment, presque avec solennité, ceux et celles des téléspectateurs qui ont eu le courage de suivre l’émission jusqu’à maintenant, de le rejeter parce qu’il s’agit de la remise en cause fondamentale de ce qui constitue le socle du point de vue de la conception de notre système de protection sociale.
M. Cavada : Qu’est-ce qui vous choque dans ce point de vue que vous venez de développer, c’est-à-dire la remise en cause de ce que vous appelez le socle ?
M. Viannet : Ce qui me choque, c’est que nous allons vers un système qui va très, très vite ouvrir la voie à l’étatisation, qui va très, très vite, ouvrir la voie à la fiscalisation et qui va, au travers d’un certain nombre de mesures, déboucher sur le rationnement des soins. Ce n’est pas la peine de tourner autour du pot : on ne soigne pas les gens avec des déclarations, on les soigne avec des moyens, on les soigne avec des infrastructures, on les soigne avec une logistique, et ce dont nous discutons ce soir, c’est précisément la capacité de soigner les gens aujourd’hui.
Alors, qu’est-ce-qui se passe ? Aujourd’hui, on dit : « On va demander au Parlement d’encadrer les dépenses de santé ». De les encadrer à partir de quoi ? C’est évident qu’on va essayer d’encadrer les dépenses de santé à partir de l’évolution du PIB, à partir des marchés financiers, à partir de tas de considérations qui n’ont plus rien à voir avec ce que sont les besoins en matière de santé des assurés sociaux.
Le deuxième élément de réflexion qui nous conduit vraiment à combattre avec une grande fermeté est le suivant : je prends seulement les mesures de 96. Nous n’avons pas eu le temps de faire des calculs importants, nous avons quand même regardé l’essentiel. Pour l’année 1996, les mesures proposées par le gouvernement, aussi bien en matière de financement qu’en matière de remboursement de la dette, vont conduire à 75 milliards de perceptions supplémentaires, dont 65 milliards payés par les assurés sociaux, c’est-à-dire les salariés, les retraités, les chômeurs.
Cela nous ne pouvons pas l’accepter. On parle de CSG, on parle même transfert d’une partie de la cotisation sur la CSG. Mais enfin, pour l’essentiel, et pourquoi cela n’a-t-il pas été dit ?, le déficit et les dettes de la protection sociale relèvent bien sûr du chômage, relèvent d’engagements de l’État qui n’ont pas été assumés, relèvent de dettes patronales qui n’ont pas été payées, relèvent de décisions d’exonérations qui ont été prises pour les entreprises. On ne parle pas de petites choses : le total des trois prochaines années va représenter 150 milliards. Nous ne pouvons pas accepter cela, ce n’est pas possible.
M. Cavada : Dans ces conditions, M. Viannet, quelle va être votre position de leader syndical ? Allez-vous par exemple vous joindre au mot d’ordre de grève annoncé par M. Blondel ?
M. Viannet : Je dois vous dire que j’ai écouté le discours du Premier ministre en direct à la télévision et que lorsqu’il a eu terminé, ma conviction était faite : il fallait à tout prix créer les conditions pour que les assurés sociaux ripostent, pour que toutes les organisations syndicales se retrouvent, et je me félicite d’avoir dès hier envoyé une proposition de rencontre à l’ensemble des organisations pour que, puisqu’initiative a été prise le 28 novembre par Force ouvrière, on se retrouve tous, parce que l’important, ce qui va compter, c’est précisément, comme le montre le sondage, la capacité de mobilisation des assurés sociaux qui, à 73 %, considèrent que jusqu’à maintenant on avait un bon système et qu’il ne faut pas le toucher.
M. Cavada : Cela veut donc dire que vous allez vous joindre au mot d’ordre de Force ouvrière ?
M. Viannet : Non seulement me joindre, mais cela veut dire que la CGT va tout faire pour qu’il ait l’ampleur maximum.
M. Cavada : M. Jollès, pour le CNPF, d’abord, cette réforme vous convient-elle ? Ensuite, que souhaitez-vous répondre ?
Je voudrais, pour clarifier le débat, dire simplement qu’il nous reste maintenant un peu moins d’une vingtaine de minutes. J’aimerais qu’on écoute le professeur Dupeyroux et ensuite que nous entendions ce que dit M. Evin, ce que dit M. Barrot. Mais avant ces deux leaders politiques, j’ai deux duplex à assurer avec les radios locales de Radio France où nous attendent six personnes ; comme ce sont des usagers, nous aurions bon usage de les entendre.
M. Jollès : Force est de reconnaître que l’assurance maladie était dans une impasse et j’espère que les décisions prises par le gouvernement vont éviter que cette institution demeure un trou béant, et qu’ainsi on évitera de se retrouver confronté à la décision d’un rationnement. J’ai l’intime conviction que les décisions qui ont été prises justement vont permettre d’éviter le rationnement qui auparavant aurait été totalement inévitable.
Je rappelle que les chefs d’entreprise sont profondément attachés au maintien de la paix sociale et à l’amélioration de la qualité des soins. C’est pour eux une priorité absolue.
Que constate-t-on jusqu’à présent ? C’est que le système s’est développé d’une façon je dirai aborescente, c’est-à-dire que la pléthore des soins s’est constituée au détriment très souvent de la qualité. En quelque sorte le système avait tendance, permettez-moi le mot, de se soviétiser. Donc il était temps d’y mettre fin et de le désoviétiser.
M. Cavada : Ce mot a usage dans vos délibérations ?
M. Jollès : Non, bien sûr, c’est mon impression personnelle…
M. Cavada : Et de ce soir ?
M. Jollès : Et de ce soir.
M. Blondel : Pouvez-vous vous rendre compréhensible ?
M. Jollès : Je dis que quand un système…
M. Cavada : Si on peut s’épargner ce débat qui a quand même une cinquantaine d’années, on progresserait peut-être… Mais vous avez raison, M. Blondel, expliquez-vous en quelques secondes et on passe à votre appréciation.
M. Jollès : C’est une société qui a développé ses moyens sans qu’ils soient en harmonie avec les véritables besoins des assurés, c’est-à-dire qu’il y a une séparation entre la mise en œuvre des moyens et les réels besoins en matière de politique de santé. C’est cela que je sous-entend.
M. Cavada : Vous soulevez la perplexité de M. Blondel, d’après ce que je crois comprendre dans son regard.
M. Jollès, qu’est-ce qui dans ce plan vous convient ? Qu’est-ce qui ne vous convient pas, s’il y a des choses qui ne vous conviennent pas ?
M. Jollès : Ce qui me convient d’abord, c’est que c’est le premier vrai plan de réforme de l’assurance maladie ; c’est le seul plan d’ailleurs qui n’ait jamais été mis en œuvre et qui peut permettre de conduire à une révision générale du système tant en termes de coût qu’en termes de la qualité des soins.
Nous avons néanmoins quelques interrogations, naturellement, à propos de ce plan. On a vu que le revenu des capitaux…
M. Cavada : Lesquels ?
M. Jollès : … pourrait être concerné.
Mme Notat : Heureusement…
M. Jollès : Peut-être, peut-être. Je dis simplement : « Faisons attention. Nous sommes dans une économie ouverte, mondialisée, nous sommes confrontés à une concurrence sauvage, en particulier de nos voisins européens qui utilisent l’arme de la dévaluation, les capitaux circulent librement ; encore convient-il de s’assurer qu’ils peuvent s’investir en France au bénéfice de nouveaux emplois ». C’est la première remarque.
La seconde remarque, c’est que dans ce plan on a évoqué l’éventualité d’un changement d’assiette à propos du financement de l’assurance maladie. Nous sommes ouverts à cette évolution, mais encore faudrait-il s’assurer que ce changement d’assiette ne se fasse pas au détriment de l’emploi.
Je voudrais revenir également sur un des propos qu’a tenus M. Viannet, à propos de la fameuse fable des dettes patronales. Il faut savoir que les URSAFF collectent chaque année plus de 800 milliards de francs et que le taux de recouvrement des cotisations URSAFF est extraordinaire puisqu’il est de 98,5 %. Ce qui veut dire que le taux d’impayés est de 1,5 %.
M. Blondel : M. Jollès rend hommage à l’efficacité de la Sécurité sociale.
M. Jollès : Absolument.
M. Cavada : Votre problème de gestion est réglé du coup… N’êtes-vous pas dans un système de gestion paritaire ?
M. Jollès : Non, pas paritaire puisque nous avons 7 sièges sur 25 à la CNAM.
M. Cavada : Mais vous y êtes et n’en sortez pas ; c’est donc paritaire.
M. Jollès : Nous sommes revenus. Revenons un instant à la dette patronale pour répondre à M. Viannet. 1,5 % d’impayés, nous faisons mieux que le fisc quand il s’agit de recouvrer les créances. Quant aux 90 milliards qu’on agite, ce sont les impayés accumulés, ou créances douteuses d’ailleurs, depuis la nuit des temps. Il faut les mettre en regard de milliers de milliards de francs de collecte de fonds. 1,5 % d’impayés… D’ailleurs la principale cause de mortalité des entreprises, c’est justement ce recouvrement très sévère qui est mis en œuvre. Je ne la critique pas, c’est la règle du genre, donc aux entreprises effectivement de s’adapter.
Donc en ce qui nous concerne, je dirai que nous sommes globalement satisfaits des mesures qui ont été arrêtées. Nous sommes naturellement, comme Mme Notat, dans l’attente effectivement des conditions de mise en œuvre, mais je crois que ce qu’a décidé ce soir le Parlement ouvre pour les Français, pour les assurés, une grande espérance.
M. Cavada : La dernière voix que j’aimerais entendre, et qui n’a pas encore parlé sur ce plateau, en attendant les autres interlocuteurs et les six personnes qui sont dans les deux stations locales, est celle du professeur Jean-Jacques Dupeyroux, qui est reconnu comme un grand expert des questions sociales. Quel est votre sentiment sur ce plan ?
M. Dupeyroux : Je dirai que nous sommes ce soir dans une soirée un peu surréaliste. D’abord parce que nous avons commenté un plan que nous connaissons depuis quelques minutes, à partir de quelques pages dactylographiées. Or chacune de ces phases, chacune de ces lignes ouvre des horizons, des abîmes, des directions, qu’il nous faut un peu décanter pour savoir ce qui va être fait en réalité.
Surréaliste d’autre part, parce que nous avons une majorité politique qui a opéré une sorte de révolution culturelle extraordinaire, car hier encore on nous expliquait que toute maîtrise comptable de la dépense médicale était quelque chose de diabolique, quelque chose d’absolument épouvantable, et aujourd’hui on y arrive. Et c’est le principe de l’enveloppe, principe qu’on a déjà adopté pour les hôpitaux et que l’on va adopter, semble-t-il, reste à savoir ce qui va être exactement, pour la médecine ambulatoire.
Derrière cette prise de position au regard des dépenses, qui est tout à fait ahurissante par rapport à bien des discours, derrière cette révolution culturelle, s’esquisse la constitution d’un service public unifié. Je crois que c’est ce qui est lisible dans la déclaration du Premier ministre.
Je comprends que certains soient mélancoliques, je ne lance pas la pierre comme on l’a fait peut-être un peu trop souvent ce soir à l’assurance maladie car il y avait unanimité des Français sur un certain nombre de données : nous avions le meilleur système de Sécurité sociale du monde, il n’y avait pas de qualité d’acte médical s’il n’y avait pas le libre choix, etc. Il y a eu un consensus des Français pendant 50 ans là-dessus. Peut-être ce consensus est-il dépassé ?
Je comprends aussi que ma voisine, mon éminente voisine, regarde cette construction avec un œil neuf, un œil optimiste disons. Je crois que nous sommes un peu au milieu du gué et que beaucoup de choses dépendent des mesures d’application que va prendre le gouvernement.
Un dernier mot : sur le plan du financement, puisque cette table ronde devait avoir pour objet le financement, à partir du moment où ce n’est plus l’emploi qui est la priorité, mais la réduction des déficits, il est inévitable que de nouvelles contributions soient demandées, je le comprends très bien. Grosse question pour les personnes âgées, pour les personnes âgées de faible niveau financier, car elles vont encaisser à la fois la nouvelle CSG, que l’on appelle je crois la CDS ou quelque chose comme ça…
M. Cavada : Il était au fond de votre poche depuis un moment…
M. Dupeyroux : … l’augmentation de la cotisation assurance maladie et, progressivement, il va y avoir un transfert des cotisations salariales d’assurance maladie vers la CSG. Personnellement, cela ne me choque pas et en cela je me sépare peut-être de mon ami Blondel. Cela ne me choque pas, et je faisais remarquer à ma voisine que mon premier article sur ce transfert date d’il y a 28 ans, ce qui ne me rajeunit pas.
M. Cavada : Je lisais d’ailleurs ce soir dans « Le Monde » les prémisses d’un débat qui s’est tenu quelque part à la charnière des années 30 et qui posait, en termes évidemment très éloignés d’aujourd’hui, déjà le premier problème d’une Sécurité sociale « unifiée ».
Vous avez terminé ?
M. Dupeyroux : Non, je dis simplement que la substitution d’une CSG aux cotisations salariales ne me choque pas parce que cela peut peut-être donner un peu d’oxygène aux salariés.
M. Cavada : Un mot très rapide de Mme Notat qui souhaite préciser quelque chose.
Mme Notat : Je suis une syndicaliste et je peux vous dire que si aujourd’hui la Sécurité sociale risquait d’aller vers tous les dangers qu’on nous promet autour de cette table, nous serions les premiers à être dans la rue demain. Je défends la Sécurité sociale et je suis très triste que nous donnions autour de cette table une image du syndicalisme qui ne regarde pas les choses en face et qui ne regarde pas l’avenir. Je dis cela pour mes deux prédécesseurs, mais je leur donne le droit de ne pas être d’accord avec moi, mais de ne pas falsifier la réalité et les faits.
Je vais vous dire : je suis une organisation syndicale qui défend des mandants qui ont un emploi, mais je veux aussi défendre les exclus les chômeurs et les autres. Pour les retraités, aujourd’hui, Barrot vous dira, c’est son travail, qui va payer. Au nom de quoi un retraité qui a une pension équivalente à celle d’un Smicard paierait une cotisation maladie inférieure au Smicard, alors qu’il bénéficie heureusement de soins de qualité, dont il aura de plus en plus besoin, et qu’il exige – et il a raison – une allocation autonomie à la fin de sa vie pour vivre dans la dignité ? Je regrette qu’elle soit retardée, mais j’espère que c’est pour être meilleure.
Alors vraiment non, osons défendre la Sécurité sociale, ne l’enterrons pas ce soir par des actes syndicaux qui sont d’arrière-garde.
M. Cavada : Une phrase pour chacun de vous. Je ne veux pas être dans la position de faire payer l’antenne par des personnes avec qui je ne peux pas communiquer ; donc aidez-moi à conclure rapidement.
M. Blondel : Je vais essayer, M. Cavada, mais c’est quand même difficile. Nous avons développé nos positions respectives sans essayer de se quereller avec quiconque.
Je veux simplement revenir sur le fait que généralement on ne fait pas payer de cotisations sociales sur ce qui est déjà le produit d’une cotisation sociale. C’est une vieille tradition : on ne fait pas payer de cotisation par exemple sur les allocations chômage qui sont le produit d’une cotisation sociale. Même chose pour les retraités.
D’autre part, je voudrais tout simplement faire remarquer qu’il y avait une solution, monsieur le ministre ne l’a pas avancée : c’est la réaffectation des 50 milliards dont on a parlé de dépenses et charges indues de la Sécurité sociale sur l’assurance maladie. Vous l’avez accepté pour la vieillesse, vous ne l’acceptez pas pour l’assurance maladie. Pourquoi ? Interrogation… C’est clair : nous étions tout à fait tous d’accord pour que cela soit pris en charge par la solidarité nationale et par l’impôt, et cela n’a pas été le cas. Cela a servi de prétexte en définitive pour tenter une opération que j’espère bien réussir à bloquer, qui est la récupération des 2 200 milliards que constitue en fait la protection sociale collective dans ce pays.
M. Cavada : Je vous remercie. Je voudrais que l’on écoute maintenant trois personnes qui se trouvent à Tours. Je voudrais vous remercier d’abord de votre patience, vous souhaiter bonsoir, madame et messieurs. Qui veut prendre la parole en premier ?
Mme Knezevic : Je veux bien prendre la parole.
M. Cavada : Bonsoir madame.
Mme Knezevic : Bonsoir monsieur. Je suis ouvrière, j’ai 4 enfants et je veux surtout réagir sur le prélèvement de la CSG. Je fais partie des bas salaires, comme beaucoup maintenant en France, et il y en a marre de toujours payer. Je ne trouve pas normal que l’État ait la mainmise sur nos salaires. Qu’est-ce qu’on va devenir ? On nous impose sur la CSG, on nous taxe sur l’hospitalisation, sur tout. Qu’est-ce qu’on va faire, nous les bas salaires et les plus démunis ? Je voudrais bien qu’on me le dise. Il y en a marre de payer, surtout que l’argent ne va pas toujours où on veut.
C’est ça que j’ai envie de dire ce soir : il y en a marre de dire toujours qu’on ponctionne, on ponctionne, on ponctionne. J’en ai marre. Je risque d’être au chômage l’année prochaine. Pourquoi ne pas y rester, quitte à être Rmiste ? Là, j’essaierai de bénéficier de tout ce qu’on peut me donner. Éventuellement, je laisserai ma dignité de côté et j’irai aux Restos du cœur, parce qu’il y en a marre de toujours donner de l’argent. Je dis qu’à la limite… excusez-moi…
M. Cavada : On va prendre l’avis de votre voisin ; si vous voulez ajouter une phrase tout à l’heure…
Mme Knezevic : Je voulais juste dire que les ponctions qu’ils nous font, c’est un abus de pouvoir.
M. Cavada : Votre voisin est professeur d’anglais à la retraite. Il s’appelle M. Yan Kristaki. Pouvez-vous expliquer votre opinion ? Je sais qu’on vous sollicite de façon très brève, mais il est nécessaire aussi que toutes les formes d’opinion puissent s’exprimer parce que c’est un énorme débat national qui ne fait que commencer.
M. Kristaki : J’aurais eu énormément de choses à dire, mais étant donné que le temps est compté et que nous sommes dans la troisième partie, je parlerai du financement.
Je pense que ce sont toujours les salariés qui supportent, que ce soit la cotisation patronale ouvrière, les prélèvements sociaux. Je pense qu’il faudrait faire payer les machines, c’est-à-dire faire un prélèvement sur l’ensemble des profits d’une entreprise, l’ensemble des produits des entreprises. Il est évident qu’une entreprise qui a peu de salariés et qui a un certain nombre de machines va avoir moins de cotisation à payer et qu’une entreprise de main-d’œuvre ou une entreprise de service, si elle veut faire des bénéfices, va licencier ses employés et elle aura moins de cotisations ; ce sera une source de chômage supplémentaire.
M. Cavada : Quel est l’avis de M. Xavier Prenat qui est à vos côtés, qui lui est chef d’entreprise ? De quelle taille d’ailleurs, monsieur ?
M. Prenat : 10 salariés. Mon avis, c’est que je voulais poser une question à monsieur le ministre Jacques Barrot concernant le périmètre du déficit annoncé entre 230 et 250 milliards de francs. Ma question se fonde sur un rapport de la Cour des comptes qui disait, je ne prends que deux exemples pour être bref, que l’instauration des 10 % sur la taxe sur le tabac destinée à compenser les méfaits et destinés à la Sécurité sociale ont été versés en 89 pour 2 milliards de francs et de 90 à 95 n’a pas été versée.
Le deuxième sujet, c’est que La Poste et les Télécommunications depuis le 1er janvier 91 sont rentrés dans le domaine de l’URSAFF. Cela devrait rapporter 1 milliard de francs à la Sécurité sociale. Cela n’a pas été versé pourquoi ?
M. Cavada : M. Barrot vous répondra dans les conclusions ; il a pris d’ailleurs des tonnes de notes, de même que M. Evin. On va voir ce que cela va donner.
Je voudrais maintenant m’adresser à ceux qui sont à Avignon, c’est-à-dire M. Ragot, M. Haut et Mme Alice Giacoletto. On va peut-être commencer par vous, Mme Giacoletto, si vous êtes en duplex. Bonsoir madame.
Mme Giacoletto : Bonsoir monsieur.
Je voudrais simplement savoir, puisque l’essentiel des cotisations de financement de la Sécurité sociale est fait par le prélèvement sur les salaires, combien il y a de salariés qui participent au financement et en contrepartie combien il y a de bénéficiaires de la Sécurité sociale. Et, à terme de ce projet, combien y aura-t-il de personnes qui vont participer au financement lorsque le projet sera mis à exécution ?
M. Cavada : Qu’est-ce qu’on dit dans votre entourage sur ce déficit des comptes sociaux de la nation, tel qu’il est présenté en tout cas si j’en juge par les arguments qui sont déployés ?
Mme Giacoletto : Les comptes sociaux de la nation, c’est un problème qui touche tout le monde ; tout le monde se sent vraiment concerné.
M. Cavada : Tout le monde sent qu’on ne peut pas continuer comme ça ?
Mme Giacoletto : On sent qu’on ne veut pas participer à une cotisation à perte ; on sent que cela tombe dans le vide.
M. Cavada : Quel est l’avis de votre voisin, s’il veut bien se présenter ?
M. Ragot : Je suis cadre supérieur. Je crois que j’ai compris une chose : c’est qu’on allait payer un peu plus, surtout nous les cadres bien entendu, et puis sans doute durablement, mais qu’il faut s’y résigner et le prendre avec le sourire.
D’un autre côté, au niveau de la maîtrise des dépenses, mon idée était qu’il fallait faire contribuer le malade aux dépenses de santé qu’il engage et je voudrais reparler un peu de la notion de responsabilité. Je voudrais juste prendre l’exemple du tiers payant. Je ne suis pas, je vais peut-être choquer, très convaincu qu’il faille tendre à la gratuité totale, systématiquement. J’ai posé la question par exemple à ma mutuelle : on m’a dit que lorsqu’une entreprise passait au tiers payant, dans l’année qui suivait, sa dépense pharmaceutique augmentait de 17 % et que si on revenait sans tiers payant, la dépense revenait à l’origine ; on économiserait 17 %.
Est-ce que cela ne veut pas dire qu’aller trop loin dans la gratuité, c’est finalement être un peu inflationniste ? Ceci étant dit, il y a des problèmes d’aide sociale que je ne néglige pas du tout. On a vu les personnes retraitées, tout à l’heure, bien entendu.
M. Cavada : Enfin, quel est l’avis de M. Claude Haut, qui est sénateur-maire de Vaison-la-Romaine ? Y a-t-il, pardonnez-moi je l’ignore, un hôpital à Vaison-la-Romaine ?
M. Haut : Bien entendu, et c’est sur ce problème des hôpitaux que je souhaiterais revenir avec vous ce soir.
M. Cavada : Vous êtes content de cette mesure ou au contraire mécontent ?
M. Haut : Sur les hôpitaux, je vais vous dire que j’ai entendu beaucoup de choses et que j’ai l’impression…
M. Cavada : Sur votre responsabilité qui va changer ?
M. Haut : Sur la responsabilité, personnellement, je dis que nous avons, comme l’a dit M. Debré tout à l’heure, des responsabilités sans avoir les moyens de les assumer. Par conséquent, effectivement, je ne suis pas tout à fait opposé à ce que d’autres, si d’autres le souhaitent, puissent être présidents du conseil d’administration. Mais le maire aura malgré tout toujours son mot à dire, quelle que soit sa place dans ce conseil d’administration.
M. Cavada : Et il sera entendu, c’est bien évident, puisqu’il est élu.
M. Haut : Il sera certainement entendu.
M. Cavada : Vous voulez faire un commentaire.
M. Haut : Oui, je voulais faire un autre petit commentaire, en disant que les hôpitaux m’ont paru effectivement la cause de tous les maux de la Sécurité sociale et de la protection sociale, tout au moins pour beaucoup, sauf pour les Français qui considèrent, dans les sondages que vous avez donnés, qu’il faut conserver les petits hôpitaux, notamment en ne réduisant pas leurs équipements et en faisant en sorte qu’ils puissent assumer des soins de qualité. Cela a été dit aussi et je crois que c’est ce moment-là qui doit revenir de plus en plus : la qualité dans les soins quelle que soit l’importance des hôpitaux.
M. Cavada : Je vous remercie monsieur. On voit d’ailleurs à travers les six interlocuteurs qui viennent de s’exprimer, tant à Radio France Tours, qu’à Radio France Vaucluse, combien ce problème est très sensible dans l’opinion. Il va mériter d’être énormément explicité. Je vous fais carrément la proposition aux cinq radios locales qui ont travaillé avec nous, c’est-à-dire Tours, Vaucluse, Alsace, Radio France Fréquence Nord et le bureau régional de Lyon, que les invités que vous avez eus soient les participants usagers d’une émission ultérieure que nous serons bien obligés de faire et que nous ferons avec plaisir, parce que c’est un débat qui va susciter énormément d’émotion, de remous et de diatribes dans l’opinion.
Je voudrais maintenant terminer ce débat, en vous remerciant, par une phrase que voulait ajouter M. Dupeyroux. Puis nous écouterons et M. Evin et M. Barrot.
M. Dupeyroux : Juste une phrase, puisqu’il s’agit de substituer progressivement de plus en plus de CSG aux anciennes cotisations, il faudrait absolument – et je souligne beaucoup ce mot – que les titulaires de bas revenus, qu’il s’agisse de retraités, qu’il s’agisse de chômeurs ou qu’il s’agisse de salariés en activité, la femme de ménage avec plusieurs enfants, soient exonérés de cette contribution proportionnelle. Qu’elle soit proportionnelle au-dessus pour tous ceux qui dépassent le seuil mais pour tous ceux qui sont à la limite d’un certain seuil, en dessous d’un certain seuil, qu’ils ne paient pas cette CSG.
M. Cavada : M. Evin, qu’est-ce que vous voulez apporter au développement que vous avez fait tout à l’heure, par rapport au reste du débat qui s’est déroulé, c’est-à-dire depuis plus d’une heure de temps ?
M. Evin : Oui. Beaucoup de choses ont été dites. Je voudrais simplement revenir sur deux ou trois choses que les personnes qui sont intervenues tout à l’heure ont exprimé. Quand on dit effectivement : il y en a marre de toujours payer. C’est vrai. Et moi, ce à quoi je suis attaché, ce n’est pas à moi d’assumer les responsabilités qu’a le gouvernement aujourd’hui, mais il est vrai que nous devons lutter pour que les cotisations, c’est-à-dire les prélèvements, ce que les gens paient effectivement, soient efficaces. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, c’est un niveau de cotisation qui est l’un des plus élevés d’Europe, avec un niveau de remboursement qui est moindre.
M. Cavada : C’est cela la racine du mal pour vous ?
M. Evin : Non. Cela, c’est la photographie que l’on peut faire après. La racine du mal, c’est justement que l’on ne maîtrise pas ces dépenses, c’est-à-dire que l’on a un système dans lequel on dépense après et l’on compte après. Effectivement, c’est l’inverse qu’il faut faire. C’est vrai qu’à ne pas compter, ce débat maîtrise médicalisée, maîtrise comptable est un faux débat ! Car, qui compte aujourd’hui ? Il y a une étude qui a été faite par le CREDES récemment sur plus de 10 000 personnes. Il y a 25 % de personnes interrogées qui répondent avoir renoncé à des soins parce que, justement, ils payaient trop, ils devraient payer trop. Donc, à ne pas compter, c’est la peine des gens qui, effectivement, ne compte pas…
M. Cavada : … On s’engage dans un système à deux vitesses, voulez-vous dire ?
M. Evin : On a aujourd’hui un système à deux vitesses. Quand on dit aujourd’hui : il ne faut pas rationner les soins. Mais aujourd’hui les soins sont rationnés. Il y a des gens qui refusent de se soigner, compte tenu de la manière dont fonctionne notre système. Alors, assez d’hypocrisie ! Et si le gouvernement veut, effectivement, aller dans ce sens, il faudra qu’on poursuive le débat, car nous avons effectivement, pour le moment, des orientations, nous n’avons pas encore de mesures concrètes… Si c’est bien dans ce sens que va le gouvernement, effectivement il pourra avoir notre appui. S’il ne va pas dans ce sens, nous saurons lui rappeler ses objectifs.
M. Cavada : Une phrase et votre conclusion, M. Blondel, je suis navré d’être aussi lapidaire.
M. Blondel : Oui. Simplement je crois que, manifestement, personne ne veut se rendre compte de l’importance de la révolution culturelle – terme employé par le professeur Dupeyroux –, moi, j’attends. Et vous allez voir que si les mécanismes se mettent en route, eh bien la fracture sociale et puis, justement, les gens qui ne pourront pas se soigner seront encore plus nombreux.
J’aurais aimé que l’on fasse la clarification des comptes, que l’on réaffecte les charges, et je suis sûr que l’on aurait pu poursuivre l’efficacité dans le domaine de la santé, ce qui est, ma foi, une nécessité, je ne le conteste pas.
M. Cavada : J’ai dit – ce n’est d’ailleurs pas un vain mot – que c’est un débat que nous avons le devoir, La Marche du siècle notamment, sur le service public notamment, d’élargir une fois que les précisions seront davantage connues sur la façon dont le gouvernement, tant par les lois que par les ordonnances, va vouloir s’engager dans cette réforme en profondeur. Mais il était nécessaire, dès ce soir, d’avoir les trois types d’orientations, selon les types de responsabilités que les uns et les autres exercent dans ce domaine de la nation.
Votre conclusion très rapidement, M. Viannet.
M. Viannet : Très rapidement. Ce que je voudrais dire, c’est qu’il y avait d’autres solutions. Il y avait d’autres moyens pour répondre aux problèmes qui étaient posés. Et s’orienter sur la CSG, comme on le fait avec une facilité d’autant plus dangereuse que l’on prévoit de transférer une partie des cotisations sur les salaires, c’est oublier que la CSG, c’est un pâté d’alouette. C’est quand même essentiellement les salariés et les retraités qui paient. La portion qui est retenue sur le capital, c’est ridicule ! 6 % ! Si, véritablement, on avait voulu aller dans le sens de l’égalité, ce n’est pas seulement l’élargissement de l’assiette, c’est un bouleversement complet de l’assiette qu’il fallait faire. Là, on aurait pu discuter.
M. Cavada : Allez-vous faire des contre-propositions ?
M. Viannet : Mais nous les avons faites.
M. Cavada : Allez-vous les renouveler ?
M. Viannet : Bien sûr, qu’on va les renouveler.
Le problème, c’est que le gouvernement, il a, lui, arrêté. Il a décidé.
M. Cavada : Une phrase de conclusion, M. Jollès.
M. Jollès : Les entreprises financent les deux tiers de la pression sociale, et elles souhaitent que les Français bénéficient de soins de qualité et d’une caisse nationale qui soit parfaitement gérée, de sorte que l’on évite définitivement tout risque de rationnement.
M. Cavada : Mme Notat, votre conclusion ?
Mme Notat : Ma conclusion est que tous les gens qui disent : on en a assez de payer, je les comprends. Et que c’est justement parce que, à force de payer trop, les gens ne voudront plus payer un jour, et que nous aurons un système de protection sociale et de solidarité qui n’existera plus.
Aujourd’hui, c’est dur de mettre la main au porte-monnaie une nouvelle fois pour apurer une dette, parce qu’on a trop attendu pour faire toutes les réformes, et je sais qu’il y a autour de la table quelqu’un qui a fait beaucoup pour tenter d’avancer dans des réformes et qui, effectivement, je comprends qu’il dise, ce soir, qu’il puisse soutenir les réformes engagées si, véritablement, elles vont dans ce bon sens.
M. Cavada : Il y a ce soir plusieurs catégories de personnes autour de cette table, ceux qui sont radicalement contre parce qu’ils ne sont pas du tout satisfaits des bases du raisonnement ou pour d’autres arguments, ceux qui sont majoritairement satisfaits, ceux qui, comme vous, sont d’accord pour dire : c’est une réforme nécessaire, mais nous attendons les faits confirment l’intention. Je crois pourvoir vous ranger relativement, sans parler à votre place, dans cette catégorie ?
M. Evin : Écoutez, j’ai déjà fait. Je vous l’ai montré tout à l’heure. J’ai déjà donné, malheureusement et suffisamment sans doute.
Mme Notat : … que ce soit la dernière fois, que l’on puisse enfin apurer cette dette et que l’on cesse les déficits éternels pour, enfin, avoir une Sécurité sociale maîtrisée, sérieusement gérée et que ce soient les assurés qui soient les gagnants de la réforme.
M. Dupeyroux : Claude Evin a le droit de sourire, ce soir.
M. Cavada : M. Barrot, vous avez eu beaucoup de patience, je vous en remercie, comme M. Evin et les autres interlocuteurs de cette table. Vous avez pris des tonnes de notes. Est-ce que vous me permettez de vous demander d’en retourner quelques réponses par courrier et de globaliser vos réponses.
M. Barrot : Précisément, j’aimerais répondre et je ne répondrai pas. Je vais tout simplement vous dire mes convictions personnelles, parce que j’ai des convictions. Ce que je fais, ce que j’ai accepté de faire n’est pas facile, et je le fais parce que j’ai des convictions qui m’animent, et Claude Evin se souvient peut-être, en tout cas notre ami Teulade se souvient au Parlement, quand il s’est agi d’être un peu courageux, même quand j’étais dans l’opposition, j’ai pris mes responsabilités personnelles.
M. Cavada : Ne vous a-t-on pas entendu dire, ces derniers jours, à une partie de votre majorité : « Ne me pourrissez pas mes relations avec des syndicats, qui sont bonnes ».
M. Barrot : Cela n’a rien à voir. Ce que je veux dire, c’est quand il s’est agi de prendre des mesures courageuses, avec un certain nombre d’amis, je les ai prises, même lorsque nous étions dans l’opposition. Mais ce n’est pas là le problème.
J’ai trois convictions dans ma démarche : d’abord, c’est le malade. Ce malade n’était pas assez présent ce soir. Ce malade, il a besoin aujourd’hui de la qualité des soins. C’est cela le fond du problème.
J’ai eu aussi, à un moment de ma vie, l’occasion de rencontrer la maladie, et je pense toujours au malade.
Le problème, aujourd’hui, dans ce système de soins, c’est que nous avons une offre de soins très quantitative, pas assez qualitative. Et que la mutation que nous allons engager, c’est précisément d’essayer d’aller vers plus de qualité. Je pense à ce patient dont, malheureusement, par une médecine préventive insuffisante, le cancer n’a pas été identifié suffisamment rapidement.
Je pense à ce malade qui va être obligé, parce qu’une mauvaise coordination hospitalière va l’y conduire, à aller se faire faire sa radiothérapie dans un centre hospitalier trop loin, alors qu’il pourrait le faire plus proche de chez lui, parce que les médecins n’ont peut-être pas suffisamment regardé les choses et, puis, que l’on va payer beaucoup de transport sanitaire, alors que l’on aurait pu soigner sur place.
Dysfonctionnement, qualité, cela va être toute une partie de notre effort. Formation obligatoire des médecins. Réorientation vers la prévention, à l’hôpital…
Alors, je dis très simplement à M. Johanet qui n’a peut-être pas eu le temps de lire le plan, mais comme l’a dit très bien Bernard Debré, nous avons un système d’accréditation qui va nous permettre maintenant de ne pas autoriser en effet toutes les opérations les plus sophistiquées n’importe où. Et c’est ainsi que nous allons commencer à remettre de l’ordre.
Le malade d’abord. Ensuite la Sécurité sociale, j’aime la Sécurité sociale. On a dit, ici et là, que j’étais maso d’avoir repris ce dossier dont je connais toutes les difficultés. Mais je l’aime et je suis triste ce soir parce que je pense que ce que nous faisons, c’est 1) la moderniser. Il faut un autre financement pour la Sécurité sociale. Il faut l’élargir. C’est indispensable. Nous ne sommes plus dans les années 50. Et l’élargir, c’est la consolider et c’est jouer moins contre l’emploi.
Et puis je pense, et là je dis tout net à Marc Blondel, je ne peux pas comprendre qu’il y ait une opposition absolue entre les élus politiques du Parlement et les partenaires sociaux. Chacun doit trouver sa place. Ce sera peut-être un peu difficile. C’est facile, M. Dupeyroux, de parler de service public unifié, c’est facile ! Ce qu’il faut, c’est trouver une formule à la française…
M. Cavada : M. Barrot, trouver sa place dans quoi ? Dans la loi ?
M. Barrot : Dans la gestion du système, chacun a sa part. Ce n’est pas la peine de se dissimuler. Il faut bien que les politiques s’occupent de décider comment va se faire la formation des médecins. Il y a toute une série de décisions qui dépendent de l’État. Et puis il y a aussi, en effet, cette représentation des salariés, et au nom des salariés, des cotisants, une fonction de gestion. Et ces fonctions doivent être exercées en partenariat. C’est peut-être un peu difficile ! Aujourd’hui, en effet, le Parlement réapparaît ou plutôt il apparaît, eh bien, on va essayer d’ajuster tout cela. Ne pas opposer, ne pas diviser, essayer de créer des synergies.
Et ma troisième préoccupation, c’est la justice. Parce que, dans cette affaire, je veux prendre par exemple la cotisation maladie que nous allons demander aux retraités qui, d’ailleurs, sont des retraités imposables, qui ont un certain revenu – nous épargnons, bien sûr, toutes les petites retraites –, nous essayons de voir comment justifier aujourd’hui que la même famille française, parce qu’elle est en activité, va payer à l’assurance maladie 6,8 % et une autre famille, parce qu’elle est en retraite, va payer 1,4 %.
Il y a quelque chose qui n’est pas normal. Et je suis convaincu que dans l’âme de nos retraités, il y a une âme de grand-père et de grand-mère, et qu’ils comprennent bien qu’ils ne peuvent pas demander à leurs jeunes enfants qui commencent leur début dans la vie de payer plus, beaucoup plus qu’eux.
Donc je pense qu’avec tout cela les gens ont le sentiment de la justice.
Quant à la fameuse contribution exceptionnelle pour rembourser la dette…
M. Cavada : … Ce que M. Dupeyroux a appelé « CDS », dans le jeu de mots qu’il avait au fond de sa poche.
M. Barrot : Oui, c’est un jeu de mots facile.
M. Cavada : Pour les non-initiés, CDS est la famille politique à laquelle appartient M. Barrot.
Votre conclusion, M. Barrot.
M. Barrot : Je voudrais dire que la justice, c’est aussi de demander à tous les Français de faire un effort provisoire, momentané, pour régler une dette car il faut régler les dettes. Nous avons essayé de trouver les modalités les plus justes. Et je dois vous dire que c’est cela qui est au fond du débat ce soir. C’est d’essayer de faire passer des convictions à travers un dossier difficile, en sachant que ce pays, quand il sait se rassembler autour de quelques thèses fortes et de la solidarité, il met à bas la peur et il retrouve les chemins de la réussite. Mais si on passe son temps à cultiver toutes les peurs, tous les corporatismes, tous les égoïsmes on n’en sortira pas.
Je suis beaucoup plus optimiste que beaucoup de témoignages ce soir : on sauvera la Sécurité sociale et on sauvera par la même occasion les chances de la France dans l’avenir.
M. Cavada : S’il y avait de grandes grèves sur ce sujet, M. Barrot, le gouvernement négocierait-il dans sa voie ?
M. Barrot : Personnellement, je ne suis pas de ceux qui attendent les grèves pour négocier. Je suis en état de négociation, je suis ministre du Dialogue social, je ne l’oublie jamais.
M. Cavada : Je vous remercie les uns et les autres et de votre patience et d’avoir résumé au plus juste de votre pensée les arguments qui vont vous occuper pendant des semaines et des semaines.
Je redis publiquement que le débat sera réorganisé sous une façon sans doute différente parce que nous allons avoir, pendant les six mois qui nous occupent, jusqu’à l’application des ordonnances, un débat d’une ampleur nationale probablement sans précédent sur ce sujet depuis sa création, c’est-à-dire il y a exactement 50 ans.
Je voudrais remercier plusieurs partenaires très rapidement qui sont d’abord les cinq titres de la presse quotidienne régionale qui ont traité ce sujet aujourd’hui, bien évidemment, comme ils l’ont fait déjà depuis un moment, mais dans les colonnes desquelles vous allez retrouver demain des explications, des sujets de tribune et une controverse très approfondie. Lisez attentivement ce qui s’écrit car vous avez des députés : le Parlement va maintenant avoir ce pouvoir entre les bras et ce n’est pas rien comme changement. Alors, à vous de lire, de comprendre et à nous de vous expliquer si nous pouvons le faire.
Il s’agit du « Provençal », de « la Nouvelle République du Centre-Ouest », des « Dernières Nouvelles d’Alsace », de « la Voix du Nord » et du « Progrès ».
Je voudrais remercier France Inter, « Le Téléphone sonne » d’Alain Bédouet, après tous les efforts de France Inter, France Info et les radios locales de Radio France aujourd’hui. « Le Téléphone sonne » sur France Inter, la tranche Info du matin, Inter 13-14, aujourd’hui. Eh bien, demain, Annette Ardisson va prolonger ce débat en vous recevant d’ailleurs M. Barrot. D’ailleurs, je pense qu’il y aura une volée de questions très précises parce que durant cette nuit les choses vont s’affiner…
M. Barrot : … On va dormir tout de même.
M. Cavada : J’imagine que vous allez dormir quelques heures.
Pour terminer, je voudrais vous suggérer la chose suivante : la dernière parole des Français : Que pensez-vous ? Qu’avez-vous dit ? Dans le même sondage que nous avons réalisé sur l’effort que vous étiez prêts à consentir pour, je dirais, remettre à flot les comptes sociaux de la nation. Le sondage préparé par la Sofres pour France Inter et pour « La Marche du siècle » et nous terminons cette émission ensuite.
Journaliste : À quoi donc les Français sont-ils prêts pour préserver ce système de protection sociale tout en l’adaptant ?
- 86 % estiment qu’il faut diminuer le coût des médicaments.
- 78 % seraient favorables à un plus grand contrôle des actes médicaux des médecins.
- 63 % seraient d’accord pour que l’on diminue le remboursement des consultations en cas de consultations multiples.
- 52 % accepteraient que l’on rende obligatoire la consultation d’un généraliste avant la visite chez le spécialiste.
- Et à peine plus d’un français sur deux, 51 % exactement, serait d’accord pour que les taux de remboursement soient proportionnels aux revenus.
En revanche, 60 % de ces mêmes personnes interrogées comprendraient mal que l’on touche au remboursement de certains types de traitements, genre homéopathie ou cure thermale.
- 64 % restent fermement opposés à toute réduction du taux de remboursement de certains médicaments et 63 % jugeraient choquant que l’on limite de remboursement de soins pour les personnes ayant des conduites à risques, du type fumeur, alcoolique ou sportif à risque.
Voilà donc leur position pour les dépenses, mais, en matière de recettes, à quoi se déclarent prêts les Français ?
C’est clair :
- 81 % d’entre eux ne veulent pas entendre parler d’une augmentation des cotisations des salariés.
- 73 % ne souhaitent pas voir augmenter les cotisations des retraités.
- 63 % ne verraient pas d’un meilleur œil une augmentation de la CSG pour tous les revenus, même si celle-ci s’accompagne d’une diminution des cotisations sociales.
Enfin, 1 Français sur 2 n’est pas d’accord pour une fiscalisation des cotisations Sécurité sociale. Seuls 35 % jugeraient que ce serait une bonne solution.
En conclusion, il faut noter que 76 % des personnes interrogées sont catégoriquement opposées à la création d’un système de protection sociale entièrement privé, sous forme par exemple d’assurance obligatoire, et qu’enfin, si 49 % sont prêts à faire des efforts et des sacrifices, ils sont quand même 47 % à affirmer très clairement que ce n’est pas à eux qu’il faut les demander.
M. Cavada : Voilà les précisions. Vous voyez que c’est une bonne base de départ sur laquelle il faut compter. Je voudrais d’ailleurs vous dire que lorsque nous reviendrons sur ce sujet, nous reprendrons les mêmes termes de ce même sondage, pour voir si la pédagogie des uns et des autres, au nom des forces, des groupes ou des professions qu’ils représentent, a su faire évoluer les mentalités ou non.
Je vous remercie de nous avoir suivis. Merci à France 3 d’avoir sacrifié, quand je dis sacrifié c’est notre rôle à tous, mais d’avoir élargi notre tranche d’une demi-heure de plus que ce qu’elle avait prévu, et pardon à nos confrères de Soir 3 qui doivent commencer à être fatigués et qui pourtant ont des nouvelles importantes à donner.
Merci à vous tous.