Texte intégral
LE FIGARO ECONOMIE :
France Telecom, dont l'action a gagné 274 % en bourse depuis son introduction, mène une politique tarifaire très agressive. La loi, qui fixe les règles du jeu, le favorise. Les nouveaux opérateurs ne lui ont pris que 3 % à 5 % du marché. La première année de concurrence n'est-elle pas décevante ? Le jeu n'est-il pas faussé ?
Christian Pierret :
La question n'est ni quantitative ni statistique. Tout l'enjeu est de passer d'une situation monopolistique -qui a eu ses mérites -, héritée de plusieurs décennies d'histoire, à une situation d'ouverture.
La concurrence n'est pas une fin en soi. Il est nécessaire de maintenir dans les télécommunications des valeurs de service public, qui sont constitutives de notre vision républicaine de l'accès de tous à toutes les techniques, y compris les plus modernes. La concurrence est bonne, qui a permis que sur les 56 licences que j'ai signées à ce jour une majorité des entreprises à qui elles ont été accordées, vont investir en France. Un immense avantage de la concurrence est la multiplication des offres de nouveaux services. Notre souci est de favoriser l'innovation, l'inventivité commerciale, et l'investissement car le problème des télécommunications aujourd'hui, c'est d'abord l'investissement pour accompagner l'innovation technologique. Notre politique de télécommunication peut se définir ainsi : un maximum de technologie et d'investissements pour les prix les plus bas possible.
LE FIGARO ECONOMIE :
Après le retrait de Bouygues de la téléphonie fixe, êtes-vous favorable à l'arrivée d'un nouveau grand groupe français dans ce secteur, par exemple EDF ?
Christian Pierret :
EDF ne peut pas être opérateur de télécommunications car cela ne rentre pas dans ses métiers et ses savoir-faire. Il serait stupide de mettre en place une politique anthropophage entre deux entreprises publiques : France Telecom et EDF. Mais il faut réfléchir à la manière dont EDF pourrait valoriser ses infrastructures existantes. Je suis ouvert à cet égard.
LE FIGARO ECONOMIE :
EDF pourrait-elle créer une filiale et faire entrer des actionnaires à son capital ?
Christian Pierret :
Telle n'est pas la question. Il s'agit pour EDF de rentabiliser les investissements qu'elle a réalisés sans pour autant devenir, au sens strict « opérateur » de télécommunications. Grand ensemblier énergétique, EDF pourra, aux termes du projet de loi, développer auprès des clients éligibles à la concurrence des services complémentaires de son offre principale énergétique. C'est un sujet dont nous discuterons au Parlement
LE FIGARO ECONOMIE :
Pourquoi vous opposez-vous aux ambitions de certaines collectivités locales dans les télécommunications ?
Christian Pierret :
Cela ne rentre pas dans leurs compétences. Elles pourront louer à des opérateurs les capacités excédentaires de leur réseau indépendant de télécommunications mais elles ne peuvent devenir elles-mêmes opérateurs. La loi ne les autorise pas à prendre des participations dans les entreprises ni à développer des activités industrielles.
LE FIGARO ECONOMIE :
Les opérateurs se déchirent actuellement sur le prix des appels entrants, c'est-à -dire d'un téléphone fixe vers un téléphone mobile. Les consommateurs et France Telecom appellent à une baisse. Les opérateurs privés estiment que leur équation économique sera mise à mal.
Christian Pierret :
Notre philosophie est de faire profiter le consommateur de toutes les baisses de tarifs possibles sans déséquilibrer la concurrence et les efforts d'investissement. Le tarif des appels entrants est de 3 francs la minute, sur lesquels France Telecom reverse environ 2 francs aux opérateurs mobiles et en conserve un peu plus de 40 centimes. Ces tarifs devront évoluer progressivement en fonction des coûts réels. L'ART étudie cette question avec l'ensemble des opérateurs.
LE FIGARO ECONOMIE :
Allez-vous autoriser les opérateurs privés à accéder à l'abonné final sans passer par les équipements de France Telecom. Cette technique, baptisée dégroupage, permettrait d'ouvrir à la concurrence les communications locales, qui restent la chasse gardée de France Telecom ?
Christian Pierret :
Le dégroupage n'est ni dans la loi de réglementation des télécommunications de 1996, ni dans les directives européennes. Et puis il y a d'autres techniques pour accéder à l'abonné final. Ainsi l'ART a-t-elle lancé des expérimentations de boucle locale radio. Cela devrait permettre d'assurer de la transmission à haut débit et de raccorder les abonnés à des coûts plus bas que par les technologies filaires. Aujourd'hui, le dégroupage ne me paraît pas cohérent avec notre volonté de favoriser l'investissement.
LE FIGARO ECONOMIE :
Les opérateurs privés estiment pourtant que le dégroupage les conduiraient à investir 3 000 francs par prise câble. Ils avancent également que le dégroupage est autorisé dans 8 pays en Europe
Christian Pierret :
Il ne faut pas oublier les opérateurs qui ont investi pour mettre aux normes les réseaux câblés. Que se passerait-il si, du jour au lendemain, on autorisait le dégroupage ? Si certains pays ont exploré plus avant le dégroupage, celui-ci n'y est pas véritablement opérationnel.
LE FIGARO ECONOMIE :
Vous souhaitez développer l'usage d'Internet. Mais s'il n'y a pas de concurrence sur les communications locales, comment la concurrence pourra t-elle s'installer sur Internet ?
Christian Pierret :
Pour baisser le prix d'Internet, il faudrait baisser le prix des communications locales. Or elles sont en France parmi les moins chères d'Europe. Les internautes bénéficient déjà de tarifs très intéressants. Selon l'Idate, le coût d'accès à Internet se monte à environ 154 francs pour 6 heures de connexion par mois, contre 230 francs en Grande-Bretagne. Je crois toutefois que les internautes posent une question légitime. Internet est un enjeu de société. La question doit être étudiée de manière approfondie. Je l'ai demandé à l'ART.
LE FIGARO ECONOMIE :
Pourquoi ne pas autoriser des opérateurs privés à avoir des missions de service public ?
Christian Pierret :
La loi prévoit que tout opérateur peut être associé à la fourniture du service universel, s'il accepte de le faire sur l'ensemble du territoire national. Les opérateurs privés participent aujourd'hui à l'évolution du service public, à travers le financement de plus en plus important qu'ils apportent. Leur contribution au service universel va plus que doubler en 1999 : 215 millions de francs attendus au lieu de 95 millions en 1998. Notre idée est de faciliter les évolutions sans casser les acquis. France Telecom assure parfaitement ses missions de service public.
LE FIGARO ECONOMIE :
Vous critiquez la révision à la baisse par l'ART du coût du service universel. Pourtant, en Grande-Bretagne, l'autorité a estimé que la charge du service universel supportée par BT est compensée par les avantages induits qu'il en retire. Résultat, la contribution financière des autres opérateurs est nulle
Christian Pierret :
Je n'ai pas « critiqué » l'estimation de l'ART. Je souhaite que cette question du service universel soit traitée dans le souci d'atteindre les coûts réels. La situation est différente en France de ce qu'elle est en Grande-Bretagne ; par exemple, la densité de la population est moindre et le nombres de cabines publiques plus élevé. Il est normal que le coût du service universel soit plus important chez nous.
LE FIGARO ECONOMIE :
Vous avez pris des décisions contraires à l'avis de l'ART sur des sujets sensibles, comme par exemple Internet dans les écoles, en donnant raison à France Telecom. N'avez-vous pas faussé la concurrence pour favoriser l'opérateur public, dont l'Etat est toujours le premier actionnaire ?
Christian Pierret :
A de très rares exceptions près, nous avons suivi les avis de l'ART. Quand l'ART avait un avis ouvert, nous avons tenu à maintenir une cohérence dans notre démarche. Le gouvernement mène une vraie politique de télécommunications. Il ne s'agit pas de freiner des offres innovantes, demandées par le consommateur, car nous risquerions de voir la France prendre du retard dans la course mondiale aux meilleures technologies et aux meilleurs services à la clientèle. L'ART fait un travail de grande qualité technique. Elle a été par le législateur pour émettre des avis, pourra assurer la régulation mais pas pour définir une politique.
LE FIGARO ECONOMIE :
Ne serait-il pas logique que France Telecom cède enfin les 17,7 % qu'il détient encore dans Bull, qui connaît de nouvelles difficultés ?
Christian Pierret :
Bull accomplit des efforts importants dans les services informatiques, les secteurs et les cartes à puces. L'actionnaire Etat regarde avec une très grande attention l'évolution de la stratégie de Bull et l'avenir de sa participation dans cette entreprise.