Texte présenté par Mme Elisabeth Guigou, secrétaire nationale du PS et député européen, devant le bureau national du PS le 10 avril 1996 et publié dans "Vendredi" le 3 mai, sur les propositions du PS, concernant la gestion de la Sécurité sociale et la notion de "paritarisme rénové", à propos des ordonnances d'application du plan de réforme d'A. Juppé.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Réunion du bureau national du PS à Paris le 10 avril 1996

Média : Vendredi

Texte intégral

Les choix politiques fondamentaux :

L'organisation de la protection sociale est un enjeu essentiel pour les socialistes. Elle est liée à notre conception de la démocratie sociale et de la gestion démocratique de l'ensemble de la Sécurité sociale. La défense des principes issus de la Libération, la préservation de la Sécurité sociale et sa capacité de prendre en charge les besoins croissants des assurés sont au cœur des valeurs de solidarité que défend le Parti socialiste.

Notre politique de santé se fixe pour objectifs une réelle égalité d'accès aux soins, un meilleur remboursement des soins, la garantie de la sécurité et la qualité des soins.

Tout résident en France devra disposer d'une carte de Sécurité sociale donnant accès au système de soins.

Notre politique pour le troisième âge est fondée sur une meilleure solidarité entre les générations et sur la garantie de la pérennité du système par répartition.

Notre politique familiale ne peut être que globale : elle doit se définir en accord avec notre approche de l'emploi, de l'organisation du temps de travail, de la politique de la ville et de l'aménagement du territoire.

C'est dans le cadre de ces objectifs sanitaires et sociaux que se situent nos propositions pour un paritarisme rénové. Notre volonté est de clarifier les missions des différents acteurs de la protection sanitaire et sociale : l'État et, au sein de l'État, le Parlement ; les partenaires sociaux ; les professions de santé.

L'État est garant des grands objectifs de la politique sanitaire et sociale, le Parlement votera une loi de programme pluriannuelle. Son vote sera éclairé par un rapport de la Cour des comptes sur la gestion des années précédentes, par un rapport d'une nouvelle structure, le Conseil supérieur de la santé, donnant un éclairage en terme de priorités et recommandations de santé publique, et par un rapport prospectif de la commission des comptes de la Sécurité sociale.

Dans le cadre de la loi de programme pluriannuelle s'élaborera une politique contractuelle entre l'État et les caisses de sécurité sociale.

Dans le respect du contrat annuel signé avec l'État, les caisses retrouveront une véritable autonomie en matière de gestion. Car nous refusons l'étatisation. Nous voulons au contraire renforcer le rôle des partenaires sociaux. C'est pour nous une condition du bon fonctionnement de la démocratie sociale.

Le patronat n'a aucune légitimité pour se retrouver, comme le propose l'ordonnance du gouvernement sur l'organisation des caisses, à égalité avec les syndicats dans les conseils d'administration et à occuper ainsi une place centrale dans l'organisation des caisses.

Le maintien des équilibres actuels entre le patronat et les syndicats doit s'accompagner d'un élargissement des conseils d'administration au mouvement mutualiste et associatif (retraités, personnes handicapées, etc.). Cela s'inscrit dans notre objectif de couverture universelle et d'intégration à côté des syndicats de représentants associatifs et mutualistes, parties prenantes de la politique sociale de ce pays.

Notre conception du paritarisme rénové est donc à l'opposé de l'approche étroitement arithmétique du gouvernement. Pour nous, paritarisme rénové signifie contrat entre l'État et les partenaires sociaux et, dans le cadre de ce contrat, réels pouvoirs de gestion, responsabilité des partenaires sociaux, élargissement des conseils d'administration, maintien des équilibres actuels syndicats/patronat. Cela signifie aussi clarification des comptes entre l'État et la Sécurité sociale.

Le paritarisme rénové ne trouvera sa légitimité que par le retour aux élections qui seules peuvent donner une réelle assise aux partenaires sociaux, créer un lien fort entre les assurés et leurs représentants, allant au-delà du lien actuel entre cotisants et gestionnaires.

Les professionnels de santé, en signant des accords conventionnels avec des caisses ayant retrouvé un vrai pouvoir de gestion, auront accès à une réelle responsabilité dans les choix de leur profession.

Analyse et propositions :

1. Les institutions de la sécurité sociale sont en crise

Il convient d'analyser la situation branche par branche. L'approche adoptée par le gouvernement est beaucoup trop uniforme.

Pour la famille : les choix concernent l'ensemble des politiques peuvent influencer la situation des familles. Ces choix concernent donc l'ensemble de la nation et pas seulement les assurés. Le régime de prestations familiales désormais commun à tous les Français se situe clairement dans la sphère de la solidarité nationale. Tout ceci justifie une intervention forte de l'État.

Le régime de base de la retraite est destiné à assurer la solidarité entre générations. Il est donc bon que les partenaires sociaux disposent ici de compétences étendues.

Dans la branche famille, comme la branche vieillesse, État et partenaires sociaux n'apparaissent donc pas en situation de concurrence.

En revanche, le mode de fonctionnement de l'assurance-maladie est générateur de confusion, voire de confrontation.

L'État intervient souvent de façon désordonnée, sans concertation avec les partenaires sociaux.

Il exerce une tutelle tatillonne qui contrarie l'initiative des caisses sans assurer pour autant la régulation du système. Il ne dispose ni des moyens humains ni des moyens juridiques pour définir des politiques cohérentes et les évaluer, particulièrement en matière de santé. En outre, l'État charge la barque des partenaires sociaux en ne prévoyant pas le financement des dépenses qui n'ont pas pour contrepartie des cotisations sociales. Quant au Parlement, expression de la souveraineté nationale, il se trouvait jusqu'à présent totalement exclu du jeu.

Les partenaires sociaux n'ont pas de rôle clairement identifié, alors même que l'augmentation de nouvelles catégories d'assurés (retraités, chômeurs, étudiants) leur pose des problèmes inédits. En outre, les positions fluctuantes du patronat compliquent beaucoup la mission des syndicats. Enfin, il leur faut aussi compter avec l'ensemble très divers des professions de santé.

La confusion des rôles est d'autant plus grave que la Sécurité sociale connaît une crise financière sans précédent et qu'elle doit, plus que jamais, relever des défis majeurs.

Pourtant, il n'y a pas de fatalité à cette situation.

La solution ne réside pas dans une réduction du rôle des partenaires sociaux, qui serait contraire à notre choix pour la démocratie sociale.

En réalité, c'est une définition plus claire des responsabilités de chacun qui est nécessaire.

C'est possible. L'exemple des régimes complémentaires de retraites ou de l'UNEDIC le prouve, puisque représentants des salariés et des employeurs, malgré de sérieuses difficultés financières, parviennent généralement à les surmonter en commun.

2. Quel sens donner au paritarisme ?

La Sécurité sociale n'a connu de paritarisme strict, c'est-à-dire l'égalité numérique entre collège patronal et collège syndical au sein des caisses, que de 1967 à 1982.

Entre 1945 et 1967, et depuis 1983, les conseils d'administration des caisses de Sécurité sociale ont été composés d'une majorité de représentants des salariés élus parmi les syndicats représentatifs, en vertu du principe du salaire différé.

Le Parti socialiste considère que la rénovation du paritarisme n'est pas une question étroitement arithmétique. Rien ne justifie que dans les caisses d'assurance-maladie on attribue autant de place au patronat qu'aux organisations représentants les assurés.

L'enjeu du paritarisme rénové est au contraire de clarifier les responsabilités entre l'État, c'est-à-dire non seulement l'exécutif, mais aussi et surtout le pouvoir législatif d'une part, et les gestionnaires d'autre part : pour cela, il faut une véritable démarche contractuelle, où l'État et les partenaires sociaux s'engagent mutuellement.

Dans ce cadre rénové, une fois définis par le Parlement les objectifs, notamment en matière de santé publique, et les moyens financiers correspondants, les conseils d'administration des caisses auront à jouer un rôle considérable, dans des domaines aussi essentiels que la maîtrise des dépenses et le dialogue avec les professionnels, la gestion du risque ou le service aux usagers.

Bien entendu, rénover le paritarisme suppose aussi de lever les ambiguïtés du financement. Il revient d'assurer, d'une manière appropriée, les dépenses de solidarité nationale.

3. Nos propositions

En premier lieu, nous ne retenons pas un système uniforme, car il faut prendre en compte des spécificités propres à chaque branche du régime général : l'assurance-maladie, la famille, l'assurance-vieillesse.

Dans le cas de l'assurance-maladie, nous souhaitons affirmer nos choix fondamentaux en faveur d'une politique ambitieuse de santé, visant la qualité et la sécurité sanitaires, mais aussi une réelle égalité d'accès aux soins et l'instauration d'une couverture universelle.

Un schéma logique découle de ce préalable :

En amont, le Parlement devient la clé de voûte politique de l'ensemble. Il lui revient d'adopter une loi de programme pluriannuelle sur la santé fixant les grandes orientations et mettant en perspective les moyens de les atteindre. De plus, la loi de financement de la Sécurité sociale, votée annuellement désormais, devra être aussi précise que possible.

Afin d'éclairer les choix du Parlement et d'alerter les pouvoirs publics sur les grands problèmes de santé publique, une instance de haut niveau est mise en place, sous forme d'un Conseil supérieur de la santé. Composée de professionnels mais aussi de personnalités de la société civile particulièrement compétentes dans les questions de santé, cette « tour de contrôle » serait dotée d'importants moyens.

Dans ce cadre, il revient à l'État de conclure des contrats nationaux de mise en œuvre, annuels ou pluriannuels selon le cas, prévoyant notamment la déclinaison des dispositifs de régulation au niveau local.

Le rôle des caisses régionales et des caisses primaires d'assurances maladie est essentiel dans cette approche. C'est pourquoi la procédure privilégiée entre caisses nationales et caisses locales sera le contrat, dans une démarche aussi déconcentrée que possible, corollaire de ce cadre national clarifié.

(Les conseils d'administration des caisses conserveraient le choix des directeurs d'organismes, même s'il apparaît justifié que les caisses nationales disposent d'un droit de proposition, dans un souci de cohérence de branche).

Si l'échelon régional est adapté dans le cas de l'hôpital, à condition que subsistent les indispensables outils de cohérence nationale (dont la carte sanitaire et la planification) il n'en est pas de même pour la médecine de ville, qui justifie une approche plus décentralisée, proche des besoins de la population.

La recherche d'une meilleure articulation entre les deux secteurs passe par la réorganisation du système de soins (filières de soins, coordination, nouveau statut du généraliste) et un effort de réflexion commun, sous l'égide du conseil supérieur de la santé et de ses prolongements régionaux.

Pour la famille, la question du paritarisme ne se pose guère, dès lors que les responsabilités respectives de l'État et des gestionnaires sont bien établies.

Par contraste, dans la branche retraite, rien ne devrait s'opposer à terme, à ce que les partenaires sociaux, en s'inspirant de l'exemple des régimes complémentaires, puissent maîtriser l'évolution des prestations et des cotisations de l'assurance-vieillesse, l'État ne conservant qu'une fonction de vigilance. Ce mandat renouvelé nécessite de définir au préalable les voies de l'équilibre financier du régime, sur laquelle nous ferons prochainement des propositions spécifiques.

On le voit, à condition qu'un véritable effort de clarification des responsabilités soit consenti, les questions de la composition des conseils d'administration et du mode de choix des administrateurs ne se posent pas avec la même acuité. Ainsi, le retour à un paritarisme arithmétique ne s'impose en rien par nature. En revanche, le principe de désignation de leurs représentants par les organisations syndicales est compatible avec les évolutions souhaitées ici. De même, l'élargissement du collège des personnalités qualifiées serait bienvenu, afin de faire bénéficier les conseils d'éclairages particuliers (par exemple sur la démographie ou le vieillissement au sein de la branche retraite.)

4. Les impasses du plan Juppé sur l'organisation de la sécurité sociale

Le principe du contrat, qui est mis en avant par le gouvernement, et que les socialistes préconisent, pour clarifier les responsabilités respectives de l'État et des partenaires sociaux, masque mal dans les ordonnances une réelle défiance vis-à-vis des partenaires sociaux et particulièrement des syndicats. Cette défiance se manifeste par l'abandon des élections, par la place centrale donnée au patronat, par l'emprise croissante de l'administration sur le système. La complexité de l'organisation préconisée par les ordonnances qui se traduit par la multiplication des organes, n'est que le reflet de l'absence de clarification réelle des responsabilités respectives de l'État et des partenaires sociaux.

Notre protection sociale est à la croisée des chemins.

Il faut la préserver, car elle est le gage d'une indispensable cohésion sociale.

Elle appelle une ambition forte qui permette d'opérer des choix politique nets, à la hauteur des enjeux.

Cette ambition, le Parti socialiste la fait sienne avec comme objectif la clarification des rôles et des financements, comme méthode le contrat et l'évaluation, comme perspective la consolidation durable de nos régimes, au service de la justice et du progrès social.