Texte intégral
Le Monde : Comment expliquez-vous que l’immunité diplomatique ne soit pas reconnue par la Grande-Bretagne au général Pinochet, mais qu'elle le soit à M. Kabila par les différents pays, y compris la France, où Il s'est rendu ces Jours-ci ?
Elisabeth Guigou : Il faut se référer à ce que ce qui a été décidé en juillet, à Rome, sur un traité qui va créer la Cour pénale internationale. Ce texte dit que pourront être justiciables de la Cour pénale Internationale les crimes contre l'humanité les crimes de guerre et les crimes de génocide. Pourquoi ? Parce que ce sont des crimes qui, à travers les personnes outragées, font offense à l'humanité tout entière. Ce ne sont pas tous les actes de tous les dictateurs qui seraient justiciables de cette justice internationale mais certains crimes.
Tout le monde condamne, sur le plan politique, on seulement les dictatures, mais encore plus les crimes qui peuvent être commis par les dictateurs, mais je ne pense pas que l'on puisse judiciariser l'ensemble de ces questions-là au plan international. M. Kabila, chef d'État en exercice, bénéficie d'une immunité, d'ailleurs coutumière et qui n’est garantie par aucun texte international.
On estime qu'il peut être utile d'avoir des discussions, quel que soit le Jugement moral ou politique que l'on puisse porter sur quelqu'un - en l'occurrence, Je ne crois pas que le gouvernement ait la moindre indulgence pour M. Kabila -, afin de laisser leurs chances à des règlements politiques. Dans la région des Grands Lacs, l'urgence, c'est la paix. Cela ne veut pas dire que jamais M. Kabila n'aura à répondre des crimes dont il pourrait être convaincu.
Le Monde : Quand la France va-t-elle engager la procédure de ratification de l'accord de Rome ?
Elisabeth Guigou : Cinquante-huit pays seulement l'ont signé. Les Etats-Unis la Chine, notamment, ont décidé de ne pas le signer, c'est-à-dire qu'ils ne reconnaissent pas, pour leurs propres ressortissants, la compétence de la Cour pénale internationale. La France a joué un rôle très important dans la dernière phase des négociations ; Je souhaite que la Cour pénale Internationale puisse entrer en vigueur le plus rapidement possible, Nous devons, pour ce qui nous concerne, vérifier d'abord s'il faut changer des lois Internes. Lorsque nous aurons fait ce travail Juridique, nous proposerons la ratification. Le gouvernement souhaite que cette Cour entre en vigueur, ce qui nécessite que soixante pays ratifient l’accord ; j'espère que nous pourrons être parmi les tout premiers.
Le Monde : L'examen du projet de loi sur la présomption d'innocence par l'Assemblée nationale a été retardé de trois mois et renvoyé à mars. La réforme de la Justice est-elle en panne ?
Elisabeth Guigou : J'ai cinq textes déposés sur le bureau de l'Assemblée nationale et sur celui du Sénat. Deux d'entre eux ont déjà fait l'objet de « navettes" : l'accès au droit, essentiel pour la justice au quotidien, de même que ta simplification des procédures pénales, qui avance en même temps que le décret sur la simplification des procédures ci- viles. J'ai, en outre, pour la deuxième fois, un budget absolument exceptionnel. Ne me dites pas que la réforme est en panne !
Le texte sur la présomption d'innocence est le dernier à avoir été discuté au conseil des ministres et déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale, il y a deux mois. Ce n'est quand même pas un drame si on retarde le premier examen de ce texte de quelques semaines !
Le Monde : Le Président de la République et les parlementaires de l'opposition semblent considérer que la réforme est un tout et que le retard sur la présomption d'innocence l'affecte dans son ensemble...
Elisabeth Guigou : Il faut savoir qui aurait intérêt à retarder cette réforme. Le gouvernement ? Certainement pas : ce n'est pas parce qu'on aménage un calendrier parlementaire, de surcroît sur un seul des textes, qu'on peut dire que le gouvernement souhaite retarder l'ensemble de la réforme. La majorité plurielle ? Si certains protestent, c’est pour dire qu’on ne va pas assez vite et, quelquefois, qu’on ne va pas assez loin. L’opposition ? Evidemment, je ne cesse de rencontrer, à chaque étape de ma réforme, les partisans du statu quo, ceux qui ne veulent rien changer, en particulier ceux qui ne veulent pas qu'on garantisse leur indépendance aux procureurs.
Alors, le président de la République veut-il retarder la réforme de la justice ? Ce que je constate c'est que le président a toujours déclaré qu'il était partisan de cette réforme. Il l'a même revendiquée, puisqu'il a rappelé lorsque j'ai présenté cette réforme, que c'était lui qui avait installé la commission Truche, en janvier 1997, qu'il avait approuvé le rapport de cette commission en juillet 1997 et que, ensuite, il a constamment approuvé les textes que nous lui avons soumis.
S'agissant du Conseil supérieur de la magistrature, je suis allée avec le premier ministre, à l'Elysée, en mars, voir le président de la République avec ce projet de loi constitutionnelle -puisque, là, évidemment, il y a prérogative du président -et avec le projet de loi organique qui précise la composition du CSM. Il y a eu un accord sur la rédaction de ces textes.
Ensuite, c'est le gouvernement qui détermine l'ordre du jour des Assemblées, et non les partis politiques, ni le président de la République... Pour ce qui est du CSM, rien ne s'oppose plus à la réunion du Congrès à Versailles, puisque le texte a été voté dans les mêmes termes par les' deux Assemblées. Pourquoi est-ce que le Congrès ne serait pas réuni par le président de la République ?
Le premier ministre en a parlé au Président de la République, deux fois. Il ne m'appartient pas de révéler le contenu des conversations entre le premier ministre et le président de la République, mais je crois qu'il devient utile que le président de la République fasse connaitre sa réponse.