Texte intégral
Monsieur le Ministre de l'Intérieur,
Je vous remercie de me donner l'occasion d'intervenir, pour la première fois, devant les préfets, en qualité de Ministre de la Culture.
Je souhaitais le faire depuis longtemps. Comme chacun le sait bien ici, représentants de l'État dans vos régions et vos départements vous êtes à ce titre, Messieurs les préfets, celui de chacun des ministres du gouvernement et, par conséquent, directement le mien.
Au cœur même du dispositif, vous êtes les premiers acteurs des grandes orientations stratégiques de l'État, mais aussi les artisans pragmatiques de leur application quotidienne, en étroite liaison avec les partenaires locaux.
La politique culturelle que peut mener, coordonner, soutenir l'État, en coopération constante avec vos multiples interlocuteurs - collectivités territoriales et secteur associatif, notamment - constitue un instrument privilégié pour répondre aux grands enjeux qu'a fixés le Président de la République.
C'est aussi un outil essentiel d'aménagement du territoire et de rééquilibrage entre Paris et la province, de revitalisation de secteurs aussi divers et aussi sensibles que nos banlieues, dans le cadre de la politique de la ville, ou les zones rurales fragiles, au travers des efforts entrepris contre la désertification.
Pour toutes ces raisons véritablement primordiales, au sens étymologique du terme, ces grandes actions, nous pourrions aussi dire ces grands dessein, ne peuvent que s'inscrire dans vos préoccupations prioritaires et quotidiennes de représentants de l'État, à la fois inspirateurs des actions régaliennes qui doivent être les siennes, singulièrement dans ces domaines, mais aussi fédérateurs des initiatives décentralisées prises par les autres acteurs, au plus près du terrain.
Il convient alors de donner un sens et une cohérence au foisonnement des capacités créatrices des uns et des autres.
Vous êtes au premier rang de ceux qui devez y contribuer fortement.
Replaçons, ensemble, la culture au cœur de notre nation, au plus près de nos concitoyens, pour que chacun d'eux se voie donner la chance immense de pouvoir y accéder facilement.
Pour vous aider dans votre action, vous disposez d'opérateurs privilégiés, placés auprès de vous ce sont les administrations déconcentrées du ministère de la culture, DRAC et services départementaux de l'architecture et du patrimoine.
N'hésitez pas à avoir recours à eux. Soyez exigeants en termes de retour d'information, de soutien technique, de conseils spécialisés.
Je n'ignore pas les dysfonctionnements que vous avez pu regretter parfois, les uns ou les autres, dans tel ou tel domaine
Ici, c'est la visite d'un haut fonctionnaire de l'administration centrale, dont vous n'avez été prévenu qu'incidemment et au dernier moment, alors que vous auriez pu davantage contribuer, en amont, à la préparation du déplacement, pour le rendre plus fructueux et mieux adapté à la réalité locale.
Là, c'est un courrier ou une information, qui s'inscrit directement dans les compétences de l'Etat, que vous n'avez pas reçu ou dont vous avez été averti par un parlementaire ou un élu local.
J'ai donné des directives pour que soient mieux respectées vos prérogatives. Il ne s'agit pas seulement de suivre des règles protocolaires, mais de permettre une plus grande efficacité de l'Etat, principe qui doit rester pour nous tous un objectif constant et partagé.
L'un de vos jeunes collègues, Patrice MOLLE, a récemment rejoint mon Cabinet. Il doit y être l'un de vos interlocuteurs privilégiés. N'hésitez pas à le mettre à contribution et à l'informer des difficultés que vous pourriez rencontrer dans l'exercice de vos fonctions.
Je porterai une attention toute particulière à votre action et au soutien que vous êtes en droit d'attendre de mes services, qu'ils soient déconcentrés ou de mon administration centrale.
Ils sont, aussi, les vôtres.
Sachez, qu'à l'inverse, ils attendent beaucoup de vous. D'abord, et sans doute avant toute autre chose, que vous les sollicitiez et donc que vous les reconnaissiez, dans leur identité et leurs capacités propres. Ensuite, que vous sachiez prendre en compte leurs avis pour les intégrer, très en amont, dans vos projets ou vos décisions
Responsables, selon les termes même du décret de 1982, de la direction des services de l'Etat, ne manquez pas de veiller à la bonne harmonie qui doit régner entre eux et à leur meilleure complémentarité. Je pense plus particulièrement aux relations nouvelles qui vont s'établir, entre les services de l'architecture et les directions départementales de l'équipement, à la suite de la réorganisation récente de l'administration centrale
De cette meilleure coopération mutuelle, de surcroit souhaitée ardemment par les uns et les autres, doit naître un Etat renforcé et plus homogène, dont l'action sera à la fois mieux lisible et plus efficace dans l'exercice des missions qui sont, naturellement, les siennes.
Je voudrais maintenant évoquer devant vous les grands axes prioritaires de la politique que j'entends conduire dans les mois à venir tant, dans mon esprit, votre relais et votre engagement personnel sont indispensables pour les faire aboutir.
Ils s'articulent tous autour d'une double ambition.
Il s'agit, d'abord, de démocratiser l'accès à la culture, la transmettre et la diffuser partout, au plus près du citoyen puisque, pour moi, la dimension sociale est un élément essentiel de l'action culturelle, même si elle ne saurait s'y confondre.
Il s'agit, ensuite, de protéger et valoriser notre patrimoine, qu'il soit classé, inscrit ou de proximité.
Je ne doute pas que chacun de vous ressente fortement dans ses fonctions, à l'instar de l'élu local que je suis l'ardente obligation de répondre à ces grands enjeux.
J'aborderai successivement dans une première partie, la politique de la ville et la politique des publics; j'évoquerai ensuite la création de la Fondation du Patrimoine a et sa dimension spécifique dans la lutte pour l'emploi; je conclurai sur mes réflexions quant au devenir de la politique culturelle.
1. Le ministère de la culture s'est impliqué dans la politique interministérielle de la ville, en consacrant, en 1995, vingt millions de francs pour des actions pilotées par le fonds d'intervention ville. Cette année, quarante millions de francs lui sont affectés.
Cette politique interministérielle doit permettre de mettre en œuvre deux axes majeurs d'actions, à financer par le fonds d'intervention ville.
Le premier consiste à développer l'offre culturelle dans les quartiers. La contribution des structures de création \ et de diffusion du ministère de la culture - orchestres, scènes nationales, centres d'art contemporain, musées ... - est indispensable, pour la bonne réalisation de cet objectif.
Des équipements de proximité, comme les cafés-musique ou les librairies, exercent une fonction essentielle que je souhaite voir encourager dans ces programmes.
Le second, faciliter l'accès des habitants de ces quartiers à l'offre culturelle et artistique, très souvent située dans les villes ou centres ville.
L'objectif de cette action est de faciliter l'accès à la culture en mobilisant à la fois les professionnels de la culture et les acteurs éducatifs, associatif ou social, tant il vrai qu'une offre, sans une démarche d'accompagnement est insuffisante dans ce contexte.
Les jeunes, de la petite enfance à l'adolescence, doivent pouvoir recevoir une sensibilisation aux disciplines artistiques. J'attache une grande importance aux initiatives qui permettent le rapprochement entre les établissements culturels et les institutions en charge des enfants.
Elles peuvent faire l'objet d'un partenariat entre professionnels de la culture et équipes socio-éducatives, associatives, de prévention. Elles peuvent également passer par le recrutement de médiateurs, notamment dans le domaine du livre.
J'ai demandé à mes services de mettre en place, avec l'ensemble des partenaires locaux, des projets culturels précis, dans le cadre de cette politique.
Il s'agit d'opérations spécifiques à mon ministère, menées en complément des actions culturelles qui s'inscrivent dans les contrats de ville. Avec ces projets, j'ai ambition de démontrer que le domaine culturel est l'un des points forts de la lutte contre l'exclusion.
Fédérateur des volontés et des talents de l'ensemble des partenaires d'un site - la ville ou l'agglomération, un ou plusieurs opérateurs, un parrain -, chaque projet a pour ambition, dans sa spécificité et sa singularité, de rendre l'élan et le goût d'être acteur de leur vie à ceux que la vie a mis en situation de trop subir.
Vingt-neuf sites ont ainsi été retenus, en liaison avec les directions régionales des affaires culturelles et les municipalités.
Les vingt-neuf villes concernées appartiennent à la géographie des deux cent quatorze contrats de ville. Elles sont partenaires de ces projets, dans le cadre d'une coopération approfondie et authentique avec mon ministère. Elles ont, déjà, amorcé une politique dans ce domaine ; elles ont manifesté leur volonté de mettre en place, durablement, un projet culturel; elles s'engagent à concilier exigence de qualité artistique et démarche d'accompagnement des habitants des quartiers concernés.
2. J'en viens au deuxième sujet : la fondation du patrimoine. Vous savez que, le 14 février, j'ai présenté au conseil des ministres le projet de loi qui va permettre de créer, en France, une grande institution privée de mobilisation en faveur du patrimoine.
Il manquait, dans notre pays, une grande institution privée, bénéficiant d'une reconnaissance officielle des pouvoirs publics, dotée d'un statut juridique adapté, qui puisse susciter et fédérer les initiatives en faveur du patrimoine , national dans tous ses aspects, aussi bien le patrimoine naturel que le patrimoine culturel.
Ce sera, bientôt, chose faite avec la Fondation du patrimoine. D'ici au mois de mai, le Parlement adoptera le projet de loi qui a pour objet de créer le cadre qui permette, à la Fondation du Patrimoine, d'occuper, dans le paysage institutionnel français, la place éminente qui doit être la sienne et de jouer un rôle qui deviendra vite irremplaçable.
Je souhaite qu'un partenariat entre l'État, les collectivités locales - en particulier les conseils généraux -, et la Fondation du patrimoine permette de lancer une vaste campagne nationale, en faveur de la restauration d'un patrimoine en péril : le patrimoine de proximité.
Une telle campagne nationale, étroitement articulée avec les dispositifs mis en place par le Gouvernement en faveur de remploi, suscitera un volant important d'emplois nouveaux, dans un secteur qui a particulièrement besoin d'être conforté, celui des petites entreprises, qui ont su préserver des savoir-faire artisanaux.
Les premières simulations que j'ai effectuées démontrent que la création de 8 000 à 10 000 emplois pourrait être attendue d'une initiative de cet ordre.
Cette vaste campagne, en faveur du patrimoine de proximité et de l'emploi, sera déclinée, au plan départemental, - au moyen de conventions associant l'État, la Fondation du patrimoine, le conseil général, les entreprises.
L'Etat apportera, d'une part, les dispositifs en faveur de l'emploi, d'autre part, une participation financière à la restauration.
La Fondation du patrimoine pourra apporter des fonds d'origine privée, et organiser la mobilisation et la médiatisation de ces actions.
Le conseil général complètera les financements et déclinera, au plan local, et autour d'une thématique choisie par lui, la campagne nationale.
Les entreprises, enfin, bénéficieront des fonds mobilisés en faveur de la restauration en contrepartie de l'embauche des jeunes ou de chômeurs de longue durée.
Votre engagement personnel en faveur de cette initiative sera la clef de son succès pour deux raisons essentielles.
La première tient à ma volonté de privilégier l'échelon départemental, qui est le mieux adapté pour la protection du patrimoine de proximité. Il vous reviendra donc de coordonner l'action de l'Etat dans ce cadre.
La seconde raison est qu'il s'agit d'une initiative à caractère interministériel, qui concerne aussi bien le ministère de la Culture que celui du travail et des affaires sociales.
Vous êtes seuls à même d'assurer la mise en cohérence des dispositifs en faveur de l'emploi et de la préoccupation de sauvegarde du patrimoine, pour laquelle vous disposez des services départementaux de l'architecture et du patrimoine.
Je compte donc sur votre mobilisation pour le lancement de cette grande campagne en faveur du patrimoine de proximité, et je souhaite vous associer étroitement à sa préparation. J'ai décidé de constituer, à cet effet, un comité de pilotage restreint, et j'ai demandé à M. Paul BERNARD) préfet de la région Rhône-Alpes, de bien vouloir y participer.
Ces exemples vous auront convaincus de ma volonté de conduire une politique culturelle, qui prenne en compte le développement de la vie culturelle dans nos régions.
Pour autant, nous ne saunons nous satisfaire de l'existant. Appuyé sur l'expérience singulière d'un ministère de la culture qui achève sa quatrième décennie d'existence, le moment m'a semblé venu de poser les bases d'une refondation du ministère. Pour trois raisons.
La première, c'est que les instruments de politique culturelle dont dispose l'État, dans la conduite de sa mission de service public et dans le dialogue avec ses partenaires - régions, associations, entreprises... - ne sont plus, tous et en l'état, opérationnels. Il faut les mettre à jour. Il y va de la crédibilité de l'État.
La deuxième, c'est que si on laisse faire le jeu des seules forces locales, on aboutit, dans le domaine culturel, à un résultat identique à celui qui prévaut dans l'aménagement de l'espace : les riches sont renvoyés à leur richesse, et les pauvres, à leur pauvreté. La mission de service public s'impose, aussi, dans l'ordre culturel.
La troisième, c'est qu'il faut réintroduire la culture et la politique culturelle dans le débat national, ne serait-ce que pour couper court à toute tentative ou toute tentation de désengagement de l'Etat.
Voilà les raisons qui m'ont conduit à confier, à une commission de refondation, la tâche d'écouter, d'analyser, de proposer. Une fois ce travail accompli, les acteurs en région seront saisis du dossier. Alors viendra, sans doute, le temps de l'examen d'une loi d'orientation au Parlement.
L'explication, la mise en œuvre, la réussite des objectifs que j'ai évoqués dépendront, pour une bonne part, des services déconcentrés de l'État. Les directeurs régionaux des affaires culturelles sont, auprès du préfet de région, de véritables conseillers en matière de culture ; ils sont aussi les experts indispensables, les interlocuteurs attentifs, les garants de la continuité de l'État.
C'est bien parce que la puissance publique ne peut agir, notamment dans les régions, qu'avec le concours ou en apportant son concours aux collectivités territoriales, que notre vie culturelle se développe et s'enrichit. C'est là l'un des éléments majeurs de l'exception culturelle française.