Interviews de M. Franck Borotra, ministre de l'industrie de la poste et des télécommunications, dans "Les Echos" et "Le Parisien" du 26 avril 1996, sur le maintien des missions de service public de La Poste et sur le sommet du G7 à Moscou sur la sécurité nucléaire.

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Média : Les Echos - Le Parisien

Texte intégral

Les Échos : 26 avril 1996

Les Échos : Comment résoudre l'équation entra l'écrémage des activités rentables de La Poste et son avenir ?

Franck Borotra : La Poste appartient au premier cercle des services publics, elle est un élément de réponse aux exigences de la cohésion sociale. Par conséquent, on ne peut pas s'en tenir à l'application sommaire des seules lois du marché. Il peut y avoir un risque concernant l'écrémage des activités les plus rentables, pour laisser La Poste en face des activités les moins rentables. Il appartient au gouvernement de mettre en place une réglementation qui protège La Poste de cet écrémage et, au contraire, qui lui permette de pouvoir disposer des moyens dont elle a besoin pour être viable durablement et offrir un service de qualité à l'ensemble de nos concitoyens. Je constate que la Commission européenne a reconnu explicitement la possibilité d'un niveau suffisant de prestations réservées à l'exploitant public, de telle manière qu'il puisse financer les missions de service public. Le gouvernement sera très vigilant sur ce point.

Les Échos : Quelles sont, selon vous, les véritables missions de service public de La poste, puisqu'elle s'oriente vers des activités concurrentielles ?

Franck Borotra : Premièrement, le service du courrier. Avec ses caractéristiques d'égalité de traitement des usagers, en particulier pour les tarifs ; d'universalité, c'est-à-dire l'obligation d'offrir un service public à tous les Français, et d'adaptabilité, c'est-à-dire un service qui évolue en fonction des besoins. C'est essentiel. La deuxième mission, c'est la distribution de la presse. Sans l'aide de La Poste, celle-ci, qui est un des éléments déterminants du jeu démocratique, aurait des difficultés graves de diffusion. Troisièmement, l'aménagement du territoire. La Poste a 17 000 points de contact avec le public, et parfois, en particulier dans certaines zones en voie de désertification, elle reste le seul élément d'animation publique. Enfin, elle a un rôle social et, en particulier, dans son activité financière. Il y a un million de RMIstes en France et plusieurs millions de personnes qui sont souvent en situation de grande fragilité financière. Le seul intermédiaire financier, en particulier pour assurer les aides personnelles, c'est La Poste. Dans cette activité, elle remplit un rôle éminent de nature sociale, parce que cette intermédiation financière, ce ne sont pas les services privés de la banque qui l'assureraient. Souvent, il s'agit d'un risque. C'est La Poste qui le prend au nom de l'État.

Les Échos : Le ministre s'est engagé à ne pas supprimer d'emplois. Cela ne risque-t-il pas d'arriver malgré tout ?

Franck Borotra : Il n'y a pas et il n'y aura pas de licenciements à La Poste. Les postiers sont des fonctionnaires, ils ont la garantie de l'emploi et il n'est pas question de la remettre en cause.

Les Échos : En 1998, la Commission européenne pourrait avoir la liberté de modifier la législation sur la concurrence. Quelle est la volonté française dans ce domaine ?

Franck Borotra : Ce n'est pas l'Europe qui va décider à notre place de la prestation de nature sociale que l'on rend vis-à-vis de nos concitoyens. Les problèmes liés à l'aménagement du territoire sont un choix français, pas européen. Le principe de l'universalité, le service rendu à tous les concitoyens où qu'ils habitent sur le territoire, est un choix qui relève de nous et pas de nos partenaires européens. J'ai une confiance totale dans les capacités techniques et humaines des agents de La Poste. Elle a prouvé qu'elle pouvait être parmi les meilleures, je suis certain qu'elle le restera.


Le Parisien : 26 avril 1996

Le Parisien : À quoi a servi le G7 du week-end dernier sur le nucléaire ?

Franck Borotra : D'abord, convaincre les Russes et les Ukrainiens de la nécessité d'accepter les règlements internationaux concernant l'énergie nucléaire, ce qui est très important. Quand le président de la République propose que la Russie devienne le huitième partenaire du G7, c'est pour qu'elle se comporte comme un pays qui prend en compte les priorités internationales, y compris en ce qui concerne le nucléaire.

Ensuite, faire accepter l'idée qu'il faudra fermer les centrales qui ont un niveau de sécurité insuffisant – c'est une nouveauté. Enfin, reconnaître la nécessité d'une autorité indépendante qui contrôle le fonctionnement de ces centrales. Enfin, accepter la transparence des informations sur l'ensemble du fonctionnement des centrales nucléaires. Deux autres sujets importants ont été évoqués : celui des déchets nucléaires radioactifs – donc l'arrêt de leur rejet en mer – ainsi que celui des trafics organisés autour des matières radioactives et, en particulier, le plutonium.

Le Parisien : Comment lutter justement contre ces trafics ?

Franck Borotra : La création d'un Interpol du nucléaire a été évoquée par les chefs d'État pendant le G7. Il est sur les rails. Mais pour qu'une telle organisation existe, il faut que la Russie soit partie prenante. Et les Russes ont pris des engagements.

Le Parisien : Quel est le prix à payer pour la fermeture de Tchernobyl ?

Franck Borotra : Fermer Tchernobyl coûtera environ 15 milliards francs dont 2,5 milliards de subventions. Mais, en réalité, il y a des problèmes de différents types sur une cinquantaine d'installations pour un coût total de plusieurs centaines de milliards. Leur remplacement coûterait 500 milliards…

Le Parisien : Qui est prêt, aujourd'hui, à payer pour la sécurité nucléaire ?

Franck Borotra : À ce jour, 966 projets sont déjà engagés, ce qui représente près de 7 milliards de francs de subventions. Au total, l'Union européenne finance 73 % des aides. La France est au deuxième rang, derrière la République d'Allemagne. Ce sont des efforts importants.