Interviews de M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture, à Europe 1 le 7 novembre 1995 et dans "Le Figaro" le 20, sur le montant des contrats des animateurs producteurs de la télévision publique, le rapprochement des chaînes françaises pour un projet de diffusion par satellite ou numérique, la défense de l'exception culturelle notamment dans le cinéma et l'audiovisuel.

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Média : Europe 1 - Le Figaro

Texte intégral

Europe 1 : 7 novembre 1995

O. Rincquesen : Première question, est-ce que ces programmes apportent quelque chose au service public ? Deuxième question, est-ce que le coût de ces programmes est proportionné par rapport aux recettes publicitaires qu'ils apportent ? Je lisais que, pour prendre l'exemple de M. Drucker, il coûte 80 millions de francs mais il rapporte des recettes publicitaires de 200 millions de francs. Et enfin troisième question, c'est la question de la transparence ?

P. Douste-Blazy : Lorsqu'une émission coûte cinq millions de francs, est-ce qu'il faut savoir exactement combien elle coûte et c'est ce qu'il faut savoir. C'est la vraie question qu'il faut se poser car sinon le reste est, à mon avis, un peu trop polémiste.

O. Rincquesen : La redevance, ce sera bien les 700 francs annoncés ?

P. Douste-Blazy : Oui. C'est un budget de rigueur et nous n'avons pas voulu cette année qu'il y ait plus de publicité à la télévision publique. Nous avons voulu faire des économies, 200 millions de francs, et des mesures nouvelles avec un redéploiement. C'est pour cela qu'il y aura deux nouvelles chaînes thématiques : l'histoire et la fiction.

O. Rincquesen : M. Griotieray s'inquiète pourtant des dérives financières de la télévision de service public ...

P. Douste-Blazy : Nous avons prouvé que nous pouvons faire mieux sans dépenser plus. M. Griotieray a parlé hier d'un certain nombre de salaires pour des sociétés de production. Je crois qu'il ne faut pas rentrer dans cette polémique mais il faut surtout faire un effort de gestion remarquable pour la télévision publique. On demande beaucoup aux Français et il est donc normal que les entreprises publiques fassent un effort de gestion.

O. Rincquesen : Vous ne trouvez pas convenable qu'il divulgue les chiffres des contrats passés entre France 2 et les productions Martin, Naguy, Dumas, Delarue entre autres ?

P. Douste-Blazy : C'est surtout un problème de polémique dans la mesure où France 2 est une télévision grand public, elle est dans le secteur concurrentiel, dans un secteur compétitif. Il est donc normal qu'elle ait des animateurs vedettes. Par contre il faut plus de transparence. C'est pourquoi le gouvernement a demandé un audit public sur l'ensemble du secteur audiovisuel public pour France 2, France 3 mais aussi Arte, La Cinquième, La Sept, pour être sûr que ces chaînes sont bien gérées.

O. Rincquesen : Le ministre de la Culture en a-t-il pour son argent de sa télévision de service public ?

P. Douste-Blazy : C'est essentiellement le problème. Être ministre de la Culture aujourd'hui, c'est comprendre que la télévision doit jouer un rôle important dans les émissions culturelles. Il n'y en pas assez aujourd'hui même si France 2 cette année a fait des efforts.

O. Rincquesen : Faut-il défendre une politique des quotas pour la télévision ?

P. Douste-Blazy : Il faut défendre aujourd'hui le cinéma, la production cinématographique et audiovisuelle française si nous ne voulons pas que nos enfants, demain, n'aient plus une culture européenne mais américaine. C'est une nécessité.

O. Rincquesen : Vous réunissez aujourd'hui les professionnels du cinéma. Combien viendront discuter avec vous ?

P. Douste-Blazy : Tous. C'est la première fois que cela se passe. Je l'avais déjà fait quand j'étais ministre de la Santé avec un certain nombre de partenaires. Cette fois nous sommes dans un séminaire à 50 et nous allons parler entre nous, à huis clos, pour qu'il y ait des choses concrètes qui en sortent. Le cinéma français est le deuxième cinéma au monde et si l'on continue il va lui arriver ce qui est arrivé aux cinémas allemand et italien. On a donc besoin aujourd'hui non seulement de réfléchir, mais de prendre surtout des décisions concrètes.

O. Rincquesen : Est-ce que le prix unique du livre suffit-il à protéger le livre à l'heure du multimédia envahissant ?

P. Douste-Blazy : Je suis attaché à deux priorités : à la gratuité du livre scolaire, à la gratuité de la consultation des livres dans les bibliothèques municipales mais aussi à la défense des libraires. Je ne veux pas qu'il arrive à ces derniers ce qui est arrivé aux disquaires ; il n'y a plus que 300 disquaires et il y a 20 000 libraires. Je suis donc d'accord pour que les rabais que l'on donne à l'Éducation nationale ou aux bibliothèques ne dépassent pas 15 %.

O. Rincquesen : Et pour le multimédia ?

P. Douste-Blazy : Il faut faire une différence entre le livre et l'écrit. Le livre est attaqué d'un côté par le multimédia et de l'autre par l'image. L'écrit lui est peut-être ce qui est le plus grand enjeu de cette civilisation car c'est à la fois les archives de notre passé, c'est le présent aujourd'hui avec le savoir et c'est peut-être aussi, demain, ce qui nous permettra de rester dans cette civilisation. L'écrit restera avec le multimédia et c'est le livre qui est peut-être en danger. J'aiderai le livre jusqu'au bout.

O. Rincquesen : 500 maires-adjoints à la Culture se retrouvent aujourd'hui à Paris avec les professionnels de la culture. Que leur dites-vous ?

P. Douste-Blazy : Je leur dirai que le budget de la Culture, cette année et pour la première fois dans l'histoire est arrivé à 1 % du budget de l'État. Je leur dirai que les deux axes nouveaux de cette politique culturelle, c'est premièrement le rééquilibrage entre Paris et la province. Nous profitons de la fin des grands travaux à Paris pour redéployer l'argent vers la province. Deuxièmement, je leur dirai qu'il y a plus d'équipements culturels dans les centres-villes que dans les banlieues et qu'il faut rattraper cela. Et qu'il y a plus d'équipements culturels dans les villes que dans les campagnes et qu'il faut aussi les rattraper.

O. Rincquesen : Et s'ils vous disent qu'il y a un transfert des charges sans transfert des recettes ?

P. Douste-Blazy : Je leur dirai que 2/3 des investissements du budget de l'État concernant la culture cette année, vont vers la province.

O. Rincquesen : Pourquoi intervenez-vous à Orange quand le Front national estime qu'il n'y a pas lieu de subventionner telle ou telle chorégie ?

P. Douste-Blazy : Parce que chaque fois que le FN fera une erreur, et là c'est la première erreur d'un maire FN, je serai sur le chemin de ces maires FN. Depuis 1860 il y a des Chorégies d'Orange. Les hommes ou les femmes politiques ne sont que de passage. En matière de culture il faut tout faire pour créer, pour permettre, mais aussi pour transmettre. Nos grands-parents et nos arrière-grands-parents nous ont transmis les Chorégies d'Orange, le plus vieux festival de musique en France, il n'y a aucune raison pour qu'un maire FN ou un autre, décide de l'arrêter. C'est trop grave !

O. Rincquesen : Même si ça vous vaut d'être traité de « crétin des Pyrénées » par Le Pen ?

P. Douste-Blazy : D'abord je n'ai jamais répondu à M. Le Pen et ensuite on a fait un petit club dans les Pyrénées, en remarquant que les gens qui avaient été traités de « crétins des Pyrénées » par Le Pen, ça va pour nous, merci.

O. Rincquesen : Vous revendiquez pour la France ce que J. Rigaut appelle « l'exception culturelle ». Il fait référence à la pratique de tous les ministres de la Culture de Malraux à vous-même.

P. Douste-Blazy : Malraux avait dit en 66 une phrase magnifique : « Faire de la Culture ce que la IIIème République a fait de l'Enseignement ; tout enfant de ce pays a droit au cinéma, au théâtre, au musée, comme il a droit à l'alphabet ». Depuis ce jour-là je crois que tous les successeurs de Malraux essaient de faire cela. C'est ça l'exception culturelle.

O. Rincquesen : Les Guignols avaient fait de Toubon, votre prédécesseur, un simplet qui se noyait dans les éloges funèbres. Vous-même seriez plutôt du genre obsédé sexuel à cause de S. Stone ?

P. Douste-Blazy : Je sens dans votre humour une pointe de jalousie. La prochaine fois je vous inviterai.


Le Figaro : 20 novembre 1995

Le Figaro : Cette position que vous allez détendre à Bruxelles, devant la Commission des ministres européens, a-t-elle encore des alliés ?

Philippe Douste-Blazy : Aujourd'hui, après avoir rencontré tous mes collègues européens, je pense que oui. La France comprend d'autant plus la nécessité de créer un véritable espace européen dans ce secteur qu'elle dispose d'une industrie cinématographique qui est la deuxième au monde, et d'une industrie de production audiovisuelle importante. Ce qui n'est pas le cas chez la majorité de ses partenaires. Mais notre position est mieux comprise aujourd'hui. Elle consiste surtout à refuser la « clause-couperet » qui prévoit la disparition des quotas dans dix ans. Nous pouvons envisager des dérogations dans ce domaine, mais nous refuserons tout recul par rapport à la directive de 1989. Si nous obtenons ces garanties, ce sera un très grand succès pour la France.

Le Figaro : La création d'une société d'études commune à France Télévision et TF1, dans les domaines du satellite et du numérique, vous semble-t-elle positive pour le service public ?

Philippe Douste-Blazy : Il ne s'agit encore que d'un protocole d'accord. Mais, sana préjuger des développements ultérieurs de ce projet, je suis personnellement favorable à cette association. Face aux enjeux nationaux et internationaux et aux coût de développement que représente la télévision numérique, il est essentiel que les groupes français de communication se rapprochent pour être des acteurs forts et pertinents. Et je suis très attaché à la diversification et à la présence du service public audiovisuel sur les nouveaux modes de diffusion. Donc l'initiative de France Télévision est la bienvenue.

Le Figaro : Deux projets de bouquets de chaînes par satellite se développent aujourd'hui, l'un confié au président d'Arte, l'autre au président de France Télévision. Est-ce une bonne chose ?

Philippe Douste-Blazy : Notre pays doit jouer la carte du satellite. Et ces deux projets ne seront pas concurrents. Le canal réservé par la Sept/Arte sera disponible pour émettre en numérique en 1996, celui de France Télévision en 1997. Au total, ces canaux permettent de diffuser 8 à 10 chaînes, ce qui n'apparaît pas comme une capacité excédentaire outre les chaînes publiques française existantes, deux chaînes thématique d'histoire et fiction, issues du service public seront disponibles sur le câble et le satellite au premier trimestre 1996. C'est une diversification pour le service public. Et les tours de table de ces futures chaînes, outre France Télévision, la Sept/Arte et l'INA, intègrent des opérateurs privés, comme Pathé Télévision ou History Channel.

Le Figaro : Vous avez refusé l'amendement prévoyant une fusion des ressources de la cinquième et de la Sept/Arte. Le débat est-il clos ?

Philippe Douste-Blazy : Ces deux chaînes qui partagent un même réseau doivent travailler davantage ensemble dans le domaine de la diffusion de l'achat ou de la coproduction de programmes. Pour autant, il ne faudrait pas que leurs lignes éditoriales soient appauvries. Nous avons la chance d'avoir avec Arte une chaîne de l'offre, qui plus est culturelle, quand la plupart des chaînes sont basées sur le marché, sur la demande. Il faut sans doute qu'Arte augmente encore son audience. La Cinquième, outil de connaissance, apporte de son côté à la télévision quelque chose de neuf. J'ai refusé de procéder brutalement à leur fusion. Arte dépend d'un traité franco-allemand, du législatif nous sommes dans deux logiques différentes. Par ailleurs, le gouvernement a décidé de procéder à un audit de l'ensemble du service public de l'audiovisuel, dont les résultats seront connus, en avril ou mai prochain et qui peut ouvrir des voies de réflexion. En attendant, toute décision serait prématurée.

Le Figaro : Pourquoi avoir suivi le Sénat dans sa proposition de loi allongeant de trois à cinq ans les mandats des présidents du secteur public de l'audiovisuel ?

Philippe Douste-Blazy : L'audiovisuel public est arrivé enfin à une certaine maturité. Les politiques ont accepté de couper le cordon ombilical. Il est donc normal d'aligner les mandats des présidents de l'audiovisuel sur l'ensemble de ceux du secteur public. C'est l'intérêt des entreprises et c'est un geste politique fort, de la part d'un gouvernement qui, comme le précédent, n'a pas de ministre de la Communication en titre.

Le Figaro : Le projet controversé du futur siège de France Télévision, qui coûtera 1,75 milliard de francs, peut-il encore être remis en cause ?

Philippe Douste-Blazy : Aujourd'hui, les implantations de France 2 et France 3 sont réparties sur seize sites différents. Réunir leurs équipes en un seul lieu permet des économies de logistique et une meilleure communication entre leurs services. Je veillerai avec la plus grande rigueur à ce que le coût annuel de cette opération ne soit pas supérieur à la charge locative actuelle des deux sociétés, conformément aux engagements pris.

Le Figaro : Pensez-vous qu'une restructuration de Radio France soit nécessaire ?

Philippe Douste-Blazy : Radio France est l'illustration de ce qu'est et doit être le service public. En plus de ses missions traditionnelles – la culture, la musique… –, elle a su innover avec France Info. Jean Maheu, son président, a conforté le succès des chaînes, Inter et Info en particulier. La mission du prochain président sera de faire évoluer l'ensemble, en rationalisant ce qui existe, sans casser la dynamique des succès. Il devra sans doute penser aux jeunes, qui méritent une place plus importante sur les antennes du service public.

Le Figaro : Êtes-vous toujours favorable à une extension des pouvoirs du Conseil supérieur de l'audiovisuel ?

Philippe Douste-Blazy : Autant je veux élargir les pouvoirs du CSA, garantir l'indépendance entre l'instance de régulation et le pouvoir politique, autant il est clair que le président du CSA n'est pas le ministre de la Communication. Je prépare, pour le printemps prochain, un projet de loi sur les missions du Conseil, sur ses pouvoirs en matière de déontologie. Il donnera son avis sur toutes les lois concernant l'audiovisuel et sera plus fortement impliqué sur le cahier des charges des chaînes, dont la définition reste du domaine du ministre.