Interviews de M. Alain Madelin, vice-président du PR et président du mouvement Idées Action, dans "Les Echos" le 12 mai, à TF1 le 13, "La Tribune" le 15, "Le Monde" le 16 et "Le Provençal" le 17 mai 1997, sur les thèmes de la réforme de l'Etat et de la voie libérale française dans la campagne pour les élections législatives de 1997.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Elections législatives les 25 mai et 1er juin 1997

Média : Emission la politique de la France dans le monde - Energies News - Les Echos - La Tribune - Le Monde - LE PROVENCAL - Les Echos - Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

Date : 12 mai 1997
Source : Les Echos

Les Echos : Vous faites de la réforme de l’Etat l’enjeu de la seconde étape du mandat de Jacques Chirac. Pourquoi cette priorité ?

Alain Madelin : La crise que nous vivons n’est pas seulement financière, économique et sociale. C’est la crise de tout un système de pouvoir et d’organisation aujourd’hui usé et inadapté. C’est donc une crise politique. Même si nous avons fait quelques progrès avec la décentralisation et les privatisations, nous avons un Etat trop lourd, trop rigide, trop coûteux et encore trop concentré. Cette crise de l’Etat est en même temps une crise de l’identité française, car la France s’est construite autour de son Etat. Alors que la Grande-Bretagne s‘identifie à la démocratie, l’Allemagne au peuple, les Etats-Unis à la liberté, la France s’identifie à l’Etat.

Les Echos : Premier reproche, l’Etat est trop lourd…

Alain Madelin : Si nous avions le même niveau de dépenses publiques que les Allemands par exemple – et personne ne peut dire que les Allemands sont moins bien éduqués, moins bien soignés et moins bien équipés que nous-, nous aurions 400 milliards de dépenses publiques en moins, c’est-à-dire deux mois de salaire en plus pour chaque Français actif.

Les Echos : Qu’en déduisez-vous ?

Alain Madelin : Nous devons baisser la part de nos dépenses publiques dans la richesse nationale. Il y a pour cela deux voies à emprunter : la première consiste à dépenser moins, en cherchant une meilleure efficacité de la dépense publique au travers de réformes de fond. La seconde consiste à augmenter notre richesse nationale par une plus grande confiance dans la liberté d’entreprise et la liberté du travail. Si le poids du char de l’Etat est trop lourd par rapport au moteur de l’économie marchande, on peut certes alléger l’Etat, mais on peut aussi chercher à augmenter la taille et le régime du moteur.

Les Echos : Voulez-vous dire que vous n’avez pas l’obsession du « moins d’Etat » ?

Alain Madelin : Ce que je cherche, c’est l’efficacité de l’Etat. D’ailleurs, cela fait de nombreuses années que je dis que la méthode des coupes budgétaires pour réduire la dépense publique est une méthode primitive dont la portée est de surcroît limitée. Un assainissement financier durable a besoin de réformes en profondeur de la structure publique et du périmètre d’intervention de l’Etat. Quand une personne veut maigrir, elle peut cesser de s’alimenter. Mieux vaut tout de même la diététique et la gymnastique. L’Etat n’a pas tant un problème de mauvaise graisse qu’un problème de musculation.

Les Echos : Les effets mettent plus longtemps à être visibles…

Alain Madelin : Raison de plus pour commenter tôt. Cela fait des années que je dis que l’Etat n’est pas à sa place. Un pays qui consacre 51 milliards de francs à sa police et à sa justice, c’est-à-dire beaucoup moins que les seules donations annuelles au Crédit Lyonnais, au GAN et au Crédit Foncier, est un pays qui ne tourne pas rond. Quand je regarde sur mon téléviseur de marque Thomson un reportage sur l’insécurité dans les banlieues, je me dis là encore que l’Etat se trompe de missions. Si on avait privatisé plus tôt Air France, France Télécom ou le Crédit Lyonnais, nous n’aurions pas à régler ces problèmes. Et M. Jospin, au lieu de propose l’arrêt des privatisations et la renationalisation de France Télécom, pourrait s’inspirer de Tony Blair qui se réjouit de trouver en Angleterre des entreprises privatisées redevenues performantes.

Les Echos : C’est ce que vous appelez « dépenser autrement » l’argent public ?

Alain Madelin : Il faut apprendre à gouverner autrement et mettre en œuvre un « reengineering » de l’État comme on l’a fait dans les entreprises. Je propose pour cela qu’on utilise comme fil conducteur le principe de subsidiarité ; ce que les citoyens, les entreprises, les associations sont capables de faire, il faut le leur laisser faire. Ce que les collectivités locales font mieux que l’Etat, il faut le leur laisser faire.

Les Echos : Cela signifie-t-il que l’Etat doive être géré comme une entreprise ?

Alain Madelin : Il existe des activités entrepreneuriales de l’Etat qui doivent être privatisées, concédées ou ouvertes à la concurrence. Mais les fonctions essentielles de l’Etat échappent par nature au calcul économique et à la logique d’entreprise. Le nombre de policiers à affecter à Argenteuil ne relève pas d’une décision économique, mais politique.

Les Echos : La redistribution des pouvoirs aux collectivités locales peut-elle se faire sans redistribution de ressources ?

Alain Madelin : La réforme de la fiscalité locale est inséparable d’une nouvelle étape de décentralisation. Il nous faut ouvrir le grand chantier de la réforme de la fiscalité locale. Prenez l’exemple de la taxe professionnelle, dont tout le monde répète, depuis des années, qu’elle est absurde. Je n’ai jamais cru à une réforme isolée de la taxe professionnelle. Celle-ci ne peut être remodelée que dans le cadre d’une réforme d’ensemble de la fiscalité locale. Je pense que le point de départ de cette réforme pourrait être l’affectation d’une ressource de l’Etat aux régions, par exemple une part de la TIPP ou de la TVA.

Les Echos : Dans l’état actuel des choses, la situation financière des collectivités locales paraît quelque peu confuse…

Alain Madelin : La réforme de la décentralisation s’est arrêtée à mi-parcours. Elle a conduit à un enchevêtrement des compétences, à une confusion des financements qui obscurcissent la réalité et diluent les responsabilités. Quand on regarde les pays qui nous entourent, les politiques de l’emploi et de l’insertion, de l’enseignement, de l’action sanitaire et sociale, de la formation professionnelle et de la culture sont laissées aux régions et aux collectivités locales. Le moment est venu de faire de même. Les collectivités locales sont de surcroît des lieux privilégiés d’expérimentation. Dans une société complexe, les solutions ne se parachutent pas depuis le sommet vers la base, mais se découvrent, par l’expérimentation, dans un processus d’essais et d’erreurs. J’ajoute que ces libertés et ces responsabilité nouvelles des collectivités locales doivent s’accompagner de contre-pouvoirs et de règles strictes sur le non-cumul des mandats et surtout des fonctions exécutives.

Les Echos : C’est ce que vous appelez « gouverner autrement » ?

Alain Madelin : L’époque où l’on pouvait prétendre résoudre les problèmes par des ordres venus des bureaux parisiens et par des subventions descendues des guichets est derrière nous. Le bon gouvernement, ce n’est pas celui qui ordonne et qui dépenses, c’est celui qui sait engager les réformes avec détermination et méthode. C’est aussi celui qui utilise les solutions autoritaires comme des solutions subsidiaires. Quand un problème se pose, il faut chercher d’abord s’il existe une solution alternative à l’action publique, chercher les modifications des règles du jeu qui peuvent permettre aux acteurs eux-mêmes de le régler durablement. Cherchons autant qu’on le peut à substituer le contrat à la réglementation publique.

Les Echos : Souhaitez-vous une accélération du programme de privatisations ?

Alain Madelin : Il faut aller aussi loin que possible et le plus vite possible. Il existe aussi une partie du domaine public – Etat ou collectivités locales – qui pourrait être mieux gérée par l’initiative privée. Je pense, par exemple, à des bâtiments publics qui pourraient être financés par le privé et donnés à bail aux organismes publics. Il ne s’agit pas dans ce domaine de faire preuve de dogmatisme. Le problème n’est pas d’avoir un Etat maximum ou n Etat minimum, mais un Etat optimum. Cet optimum varie d’une période de l’Histoire à une autre. On a longtemps pensé que le téléphone ou la télévision devraient être publics. Cela n’est plus vrai aujourd’hui même si cela pouvait être nécessaire à une autre époque.

Les Echos : Beaucoup de Français acceptent l’idée d’une exception française en matière de service public. Que leur répondez-vous ?

Alain Madelin : Redessiner le périmètre de l’Etat pose effectivement le problème de la définition des services publics à la française. Il n’est pas raisonnable d’imaginer qu’à contre-courant du monde, nous pourrions garder à l’abri de la concurrence un modèle de service public que l’on croirait protégé parce que gravé dans le marbre de notre Constitution. Ce qui protège le service public, c’est son efficacité. Vouloir refaire de France Télécom une entreprise publique, c’est montrer une incompréhension totale du monde d’aujourd’hui.

Les Echos : Comment l’expliquez-vous ?

Alain Madelin : Cette incompréhension est le reflet d’un conservatisme de la pensée de la part de note aristocratie d’Etat. Au lendemain de la Révolution française, Tocqueville disait, je crois, aux aristocrates qui avaient la nostalgie de l’Ancien Régime : « Vous pouvez ne pas aimer ce monde, mais vous n’avez pas le droit de ne pas le comprendre ». Cessons d’abriter systématiquement nos monopoles et nos services publics derrière l’idée qu’ils sont les garants d’un « plus social ». Un exemple. La concurrence des transports aériens a permis de baisser les tarifs et de différencier les services. Ainsi, un étudiant qui a moins de contraintes d’horaires pourra bénéficier de tarifs préférentiels par rapport à un homme d’affaires aux heures de pointe. Pensez-vous qu’un monopole ou un tarif unique serait plus social ?

Les Echos : Quels cas faites-vous des problèmes humains que posera la redistribution des cartes dans le secteur public ?

Alain Madelin : La réforme de l’Etat ne doit pas se faire contre les fonctionnaires. Il ne s’agit pas de leur faire un procès, mais de leur offrir un projet. D’autant qu’il existe dans la fonction publique, comme dans n’importe quelle entreprise, des possibilités de gains de productivité. Offrons donc aux fonctionnaires et aux agents des services publics un contrat de modernisation. Il faut les intéresser aux réformes, rendre leur tâche plus intéressante et leur offrir des perspectives d’amélioration de leur situation. Pierre Bérégovoy disait : « Moins de fonctionnaires, mieux motivés et mieux payés ». Je ne dis pas autre chose.

Cela étant, nous n’échapperons pas à une réduction des effectifs de la fonction publique. Tous les pays l’ont fait, quelle que soit leur couleur politique. Il ne s’agit pas de licencier, mais seulement de recruter moins vite par rapport aux départs en retraite. Je me garderai bien cependant de proposer une approche trop globale de la réduction d’effectifs. Il est des secteurs dans lesquels il faut davantage de fonctionnaires, comme dans la justice ou l’enseignement supérieur.

Les Echos : Comment motiver les fonctionnaires dans les administrations où il faut supprimer des postes ?

Alain Madelin : Si l’on recrute moins de fonctionnaires, il faut développer une véritable politique de mobilité accompagnée de la formation et des incitations nécessaires. Lorsque l’on supprime les contrôles aux frontières ou le contrôle des prix, il faut pouvoir redéployer les douaniers ou les contrôleurs des prix.

Les Echos : Vous allez vous heurter aux défenseurs des avantages acquis ?

Alain Madelin : La réforme de l’Etat ce n’est pas seulement une affaire de volonté, c’est aussi, et avant tout, une affaire de méthode. Pour un libéral, un avantage acquis c’est le résultat d’un contrat que l’on ne peut remettre en cause unilatéralement. Et il y a des hommes et des femmes qui ont fait des projets de vie sur la base des contrats conclus avec l’Etat. C’est pourquoi, pour ma part, je dis depuis longtemps qu’un avantage acquis, cela ne se supprime pas. Cela se rachète, s‘échange ou encore s’éteint pour de nouveaux entrants.

Les Echos : Précisément, l’extinction des avantages acquis est l’une des grandes inquiétudes des agents de l’Etat.

Alain Madelin : Pour réformer il faut savoir convaincre, entraîner et rassurer. Prenez l’ensemble de la réforme de la SNCF. J’étais partisan d’une réforme de structure audacieuse, mais dans le même temps j’avais proposé la création d’une caisse de garantie du statut des cheminots, assise sur une partie des actifs de la SNCF, à l’instar de ce qu’ont fait les Allemands. Cela étant, il faut aussi ne pas hésiter à dire la vérité, et expliquer que certaines sécurités d’aujourd’hui sont devenues des fausses sécurités car elles ne sont plus financées. Dans de nombreux domaines, tout se passe comme si l’Etat providence avait distribué davantage de billets gagnants qu’il n’y a de lots en réalité. On ne règle pas les problème en les mettant de côté. Il y a urgence à réformer.

Les Echos : Faut-il parfois accepter l’idée de passer en force ?

Alain Madelin : La réforme de l’Etat et de nos services publics, ce n’est pas une punition mais une chance. La chance de moderniser la France. S’il faut chaque fois que l’on peut chercher le consensus, il ne faut pas que l’absence de ce consensus conduise à l’immobilisme ou aux demi-réformes. J’observe que bien des réformes qui sont aujourd’hui à l’ordre du jour sont souvent de réformes que j’avais défendues il y a dix ans, quinze ans, ou plus. Nous n’avons pas d’autre choix aujourd’hui que de faire preuve de volonté politique pour rattraper le temps perdu.


Date : Mardi 13 mai 1997
Source : TF1

D. Bilalian : Une dissolution pour faire quoi faire si ce n’est pas pour changer de politique et de Premier ministre ?

A. Madelin : Je crois, d’abord, que le Président de la République a eu raison de dissoudre. Je crois que c’est un bon choix pour la France ; c’était l’intérêt de la France. Regardez les négociations que nous allons avoir avec l’Europe, il est bon que le Président de la République puisse parler avec autorité lorsqu’il s’assoira à la table, avec ses partenaires européens. Au passage d’ailleurs, ce serait vraiment une catastrophe s’il devait s’asseoir à cette table avec, à ses côtés, M. Jospin et R. Hue dans les coulisses. La deuxième chose, bien évidemment est que s’il y a eu dissolution ce n’est pas pour faire la même chose avec les mêmes et de la même façon. S’il y a eu dissolution, je crois qu’il est clair que c’est pour faire autre chose et autrement.

D. Bilalian : Pourtant dès les premiers jours de la campagne on a tout de suite entendu les grands ténors de la majorité dire : attention, ce ne sera surtout pas de l’ultralibéralisme à la Madelin.

A. Madelin : Je crois que tout le monde comprend aujourd’hui que l’on a une vraie crise sociale. Ça fait longtemps, vous le savez, que je dis : attention danger, déchirure sociale, ascenseur social en panne. Il n’y a pas assez de places pour tout le monde. Que se passe-t-il quand il n’y a pas assez de places pour tout le monde ? Eh bien c’est la lutte pour les places, et dans la lutte pour les places les plus forts triomphent des plus faibles ; le RMI a tendance à devenir héréditaire et chacun se referme sur lui-même et tout le monde a peur. Donc, il faut ouvrir des places nouvelles. Pour ouvrir des places nouvelles dans la société il faut remettre en marche le moteur de la création d’emplois. Il est évident que l’on ne va pas le faire avec plus de réglementations et plus de dépenses publiques. On a le record des réglementations et le record des dépenses publiques. C’est forcément avec plus de liberté, ce qui permet de remettre la société en mouvement, mouvement de création d’emplois, mobilité sociale. Ce qui permet de le faire, c’est la confiance dans la liberté, la liberté d’entreprise, la liberté du travail. Au début M. Jospin, c’est vrai, a fait un peu peur. Il a dit : attention, ça va être l’ultra-capitalisme. Et tout le monde a eu peur. On a eu tort ; d’ailleurs la campagne a un peu pataugé au début. Ce que je propose pour ma part – et ce que tout le monde propose -, c’est une voie libérale française. Nous ne sommes pas des Américains ; nous ne sommes pas des Anglais ; nous ne sommes pas des Allemands…

D. Bilalian : Vous êtes des blairistes maintenant ?

A. Madelin : …Une voie libérale française c’est, bien sûr, la confiance dans la liberté, pas dans l’Etat. Davantage de confiance dans la liberté, c’est ça le moteur aujourd’hui de l’humanité. C’est la devise de notre République, « Liberté, Egalité, Fraternité » : égalité des chances, égalité de tous devant la loi, et fraternité, c’est-à-dire un modèle de solidarité qui ne laisse personne au bord de la route et qui donne à chacun les sécurités sociales auxquelles on peut prétendre. Mais aujourd’hui c’est l’insécurité sociale. La précarité, le chômage, nous les avons aujourd’hui. Et ce n’est pas le résultat d’une politique libérale mais avec deux septennats socialistes et pas mal d’années de dirigisme.

D. Bilalian : Deux septennats socialistes, mais aussi quatre ans de droite au pouvoir.

A. Madelin : Oui, mais il faut inventer de nouvelles solutions. Tout le monde comprend bien que si l’on veut préserver nos sécurités sociales, là aussi il faut plus de libertés, plus de libertés pour plus de social. On croit être protégé, on a une armure ; l’armure est rouillée. Et quand l’armure est rouillée, eh bien elle paralyse le mouvement d’adaptation de la France.

D. Bilalian : Vous savez que pour certains le libéralisme ou l’ultra-libéralisme, c’est la liberté du renard dans le poulailler. Que feriez-vous si vous étiez responsable dans un prochain gouvernement, si on venait vous présenter un plan social comme celui que Renault a présenté aujourd’hui ?

A. Madelin : Si les gens ont peur, parfois, des licenciements, c’est parce que dans le même temps il ne voit pas les créations ou les naissances d’entreprises à côté. Si on avait un formidable mouvement de créations d’entreprises on ne s’attarderait pas à essayer de préserver des emplois du passé. Il y a une nouvelle croissance, un train de nouvelle croissance, qui vient de partir dans le monde. Le problème est de savoir si l’on va poursuivre la croissance d’hier avec les solutions d’hier, les mentalités d’hier, ou si on va essayer d’adapter notre pays pour prendre à notre tour le train de la nouvelle croissance.  Et en France, le problème c’est que l’on a un moteur qui est bridé. Le moteur de la création économique, de la création d’emplois et donc du progrès social est aujourd’hui un moteur bridé. Il y a des freins à l’embauche, il y a des freins à la création d’entreprises, il y a des freins aux salaires. Les freins à l’embauche : je peux embaucher quelqu’un pour six mois ou à vie ; si j’ai un projet pour 18 mois, je ne peux pas l’embaucher. Vous connaissez sûrement, P. Poivre d’Arvor, autour de vous, un artisan qui a du travail qui pourrait embaucher mais qui hésite parce que les charges sont trop lourdes et c’est trop compliqué, eh bien là, il faut alléger les choses. On a une proposition, enfin dans notre programme, qui tenait depuis longtemps, qui est celle du chèque-emploi. Et puis je disais que dans le même temps, il y a des freins à la création d’entreprise. Se mettre à son compte, ça reste encore un parcours du combattant et puis il manque toujours 50 000 ou 100 000 francs. Pas pour le Crédit Lyonnais, on trouve toujours des milliards ; mais pour les 50 000 ou 100 000 francs de création d’entreprise, on ne les trouve pas. Et puis j’ajoute un dernier mot : la peur du salaire. On ne va pas faire la course dans le monde avec toujours l’idée qu’il faut baisser les salaires, ce n’est pas vrai. Moi, je souhaite un pays qui offre de bons salaires, mais là encore quand vous êtes une petite entreprise, vous dites : je pourrais peut-être augmenter les salaires ; moi, je n’ai pas le droit à l’erreur, je ne suis pas comme au Crédit Lyonnais ou ailleurs, hein ! Moi, je ne peux pas me tromper parce qu’après, je suis responsable sur mes biens propres et je vais devoir vendre mon pavillon. Donc je n’ai pas le droit à l’erreur, donc j’hésite à augmenter parce que demain, je n’aurai peut-être pas mon carnet de commandes qui sera plein. Donc il faut trouver les mécanismes d’intéressement qui permettent, chaque fois qu’on le peut, d’augmenter les salaires. Créer, créer, créer, innover ! Je crois que c’est cela le mouvement aujourd’hui que l’on attend de la majorité, c’est ça le nouvel élan par rapport aux solutions socialistes qui sont, j’allais dire, des solutions de répartition. Là aujourd’hui, tout le monde sent bien que les socialistes se trompent de direction, que l’on ne va pas franchir l’an 2000 avec le Crédit Lyonnais géré par l’Etat, avec un Etat qui fabriquerait des téléviseurs ou qui piloterait une compagnie aérienne, franchement là, on se trompe de direction.

D. Bilalian : Mais ces freins, vous les avez identifiés, cela dit, vous auriez pu, depuis quatre ans, les débrider. Vous avez été vous-même ministre en 1993, plus fugitivement en 1995, pourquoi ça n’a pas été fait ?

A. Madelin : Peut-être parce qu’à un moment donné, on prend conscience qu’il faut plus de liberté. On a du mal à s’y faire en France. Vous savez, il m’arrive souvent de dire des choses depuis des années ; dans un premier temps elles dérangent et puis avec le temps, on finit par trouver que ce sont des solutions qui rassemblent et des solutions qui sont nécessaires. Et puis surtout, on est en train de réaliser que les solutions, elles ne viennent plus d’en haut, elles ne se décident pas autoritairement dans les bureaux parisiens, qu’il faut vraiment faire le choix de la confiance. Confiance dans le plus citoyen, confiance dans le consommateur pour choisir un peu plus librement, confiance dans celui qui entreprend, confiance dans les associations, confiance dans les collectivités locales.


Date : 15 mai 1997
Source : La Tribune

La Tribune : Approuvez-vous la priorité donnée par la majorité à la baisse des charges ?

Alain Madelin : Une vraie baisse des charges sociales pour être vraiment efficace doit être accompagnée d’une baisse des dépenses. C’est ce qu’avait d’ailleurs dit Jacques Chirac pendant sa campagne présidentielle. Sinon, la baisse des charges n’est qu’un transfert de charges : on reprend d’une main ce qu’on donne de l’autre, sans grand effet sur l’emploi au bout du compte. Souvenez-vous qu’en 1995, pour baisser les charges sociales sur les bas salaires, comme le demandait le CNPF, on a augmenté la TVA. J’ai toujours été plus que réservé sur une telle mesure, qui n’a d’ailleurs pas eu le résultat escompté sur l’emploi. Par ailleurs on peut observer, s’agissant des entreprises de main-d’œuvre en concurrence internationale à l’exportation ou avec des produis importés, que la hausse du dollar intervenue récemment équivaut de fait à une exonération totale des charges sociales. Une augmentation de 8 centimes du dollar équivaut à une réduction de 10 % des charges sociales pour une entreprise qui aurait 50 % de main d’œuvre. Cela étant, il existe un véritable problème de coût du travail sur les emplois à faible valeur ajoutée, notamment dans les secteurs des services, de l’artisanat, du bâtiment, du tourisme, qui bien souvent coûtent plus cher qu’ils ne rapportent et ne peuvent en conséquence voir le jour, sauf dans l’économie souterraine. C’est sur ces emplois que doivent être concentrées aujourd’hui, comme le propose la majorité, les marges de manœuvre extrêmement limitées dont nous disposons pour la baisse des charges.

La Tribune : Vous dîtes qu’il faut réduire les dépenses publiques. Cela passe donc par une réduction du nombre de fonctionnaires ?

Alain Madelin : Le problème n’est pas tant de baisser la dépense publique en soi que de baisser sa part dans la richesse nationale. Il faut bien sûr agir pour une meilleure efficacité de la dépense publique. Mais il faut surtout augmenter la taille de l’économie marchande créatrice d’emplois par une plus grande confiance dans la liberté d’entreprise et la liberté du travail. Si nous avions en France le même niveau de dépenses publiques que les Allemands par exemple, et personne ne peut dire que les Allemands sont moins bien éduqués, moins bien soignés ou moins bien équipés que nous, nous pourrions économiser 400 milliards.

La Tribune : Alain Juppé préconise une réduction des effectifs de la fonction publique de l’ordre de 5 000 postes par an. Est-ce un bon rythme à votre avis ?

Alain Madelin : Nous n’échapperons pas à la réduction des effectifs de la fonction publique, comme l’ont fait tous les pays. Il n’est pas question de licencier, mais seulement de recruter moins vite. Embaucher de l’ordre de deux personnes pour trois départs en retraite me paraît être un ordre de grandeur raisonnable. Je me garderai bien cependant d’avoir une approche trop globale de la réduction des effectifs. Car il est des secteurs dans lesquels il faut davantage de fonctionnaires, comme la justice et l’enseignement supérieur. Je voudrais que l’on cesse d’aborder la réforme de l’Etat sous l’angle exclusivement comptable. La réduction des effectifs ne doit pas être le point de départ mais le résultat de réformes de structures. C’est pourquoi il faudrait préalablement créer un véritable statut de mobilité interne à la fonction publique.

La Tribune : Vous êtes partisan d’alléger la législation sociale pour permettre ces créations d’emplois. Quelles réformes précises préconisez-vous ?

Alain Madelin : Gardons-nous de la tentation de nous replier sur nous-mêmes en cherchant à partager les emplois existants. Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est inventer des emplois nouveaux et faciliter de nouvelles formes de contrats de travail. Il me semble nécessaire de développer, à côté du contrat salarial, des contrats d’activité et des contrats de travail indépendants plus proches du contrat commercial que salarial. Aujourd’hui, ce ne sont plus les grandes manufactures qui fournissent les gros bataillons de l’emploi, mais les petites et moyennes entreprises, le travail indépendant. Entre l’extrême rigidité du contrat à durée indéterminée, de moins en moins offert, et l’extrême précarité des CDD ou d’emplois au rabais subventionnés, il existe un juste milieu à découvrir dans l’innovation contractuelle. Prenez le cas d’une entreprise qui a un projet dont elle ne pourra juger de la rentabilité que dans deux ans. Pour développer son projet, elle a besoin d’embaucher une personne pour une durée de deux ans. Aujourd’hui, elle n’a pas le droit de le faire. C’est absurde ! Pourquoi ne pas offrir une plus large liberté contractuelle ?

La Tribune : Etes-vous favorable à une réforme du Smic ?

Alain Madelin : Je ne souhaite pas que l’on identifie une politique libérale à une politique de bas salaires. Pour ma part, j’ai toujours été attaché à l’idée d’un salaire minimum. D’ailleurs, tout le monde comprend que rapprocher le salaire minimum au RMI n’est pas le meilleur moyen de favoriser le travail. Cela étant, je pense que l’on introduire de la souplesse à l’intérieur même du Smic. Au lendemain de l’élection présidentielle, on a fortement augmenté le Smic. On aurait pu en profiter pour l’annualiser. Dans le même esprit, l’idée d’une évolution régionale ou professionnelle du Smic est une idée raisonnable. D’une façon générale, je pense qu’il faut plus de souplesse dans la fixation du salaire. Trop de rigidité salariale entraîne pour beaucoup d’entreprises la peur du salaire. Il est sage, aujourd’hui, de développer l’intéressement et la participation pour avoir une part plus flexible du salaire et pouvoir augmenter les salaires quand l’entreprise le peut, sans être piégée pour l’avenir. Aujourd’hui, la rigidité des salaires est telle que ce sont les effectifs qui jouent le rôle de variable d’ajustement et que l’on licencie quand l’entreprise se porte mal. J’ajoute que la barrière d’exonération des charges sociales à 1,33 Smic crée une pression à la baisse sur les salaires qui ne me paraît pas souhaitable.

La Tribune : Le programme de la majorité défend la loi Robien. Comment réagissez-vous, vous qui l’avez toujours combattue ?

Alain Madelin : Utiliser cette loi pour développer à l’intérieur de l’entreprise davantage de souplesse dans l’organisation du temps de travail peut être une bonne chose.

Ce que je regrette, ce sont les subventions massives à de tels aménagements. En tout état de cause, je combats fermement l’idée même du partage du travail, c’est-à-dire l’idée qu’il n’y aurait pas assez d’emplois pour tout le monde et qu’il faudrait les répartir autrement.


Date : 16 mai 1997
Source : Le Monde

Le Monde : Le thème de la fracture sociale et de la lutte contre l’exclusion est pratiquement absent du discours des candidats depuis le début de la campagne. Pourquoi ?

Alain Madelin : Ce thème n’a en tout cas pas disparu dans mon discours. La situation sociale est explosive. On ne peut accepter que des enfants aient faim dans les écoles, que des familles soient aussi mal logées, que des parents aient peur pour l’avenir de leurs enfants.

Le Monde : Vous avez pourtant durement critiqué le RMI, durant l’été 1995, notamment en affirmant que les RMIstes, dans certains cas, touchaient davantage, sans rien faire, que les smicards.

Alain Madelin : J’ai toujours été un partisan convaincu du RMI. Mais je n’accepte pas que le RMI devienne héréditaire. C’est l’absence de mobilité sociale qui provoque chez moi de la colère. Quand on enferme des familles entières dans l’assistance, quand on les laisse perdre espoir et baisser les bras, ce n’est pas de l’argent que l’on gaspille, ce sont des vies que l’on gâche.

Le Monde : Quelles solutions peut-on envisager pour les sortir de l’assistance ?

Alain Madelin : Instaurer un revenu d’activité, notamment à l’initiative des collectivités locales, dans un parcours d’insertion. Et offrir des emplois nouveaux. La meilleure des sécurités sociales, c’est d’avoir un véritable emploi dans une véritable entreprise. Pour cela, la seule véritable politique de l‘emploi, c’est la confiance dans l’esprit d’initiative et dans les libertés économiques.

Le Monde : Il vous semble donc possible de concilier un credo libéral avec une vraie politique dynamique de lutte contre la pauvreté ?

Alain Madelin : Bien sûr. L’un ne va pas sans l’autre. Les libéraux ont toujours associé la liberté au besoin de sécurité. Ils ont été à l’origine de nos premières institutions de protection sociale : les assurances-maladies, les Bourses du travail, les allocations familiales et même la liberté syndicale. Il n’est pas d’armée triomphante qui ne sache ramasser ses blessés. Je suis très attaché à l’idée d’un filet de sécurité et je partage le besoin de protection sociale qui existe en tout homme. Mais les sécurités d’hier sont devenues les insécurités d’aujourd’hui. Et ce que nous avons, c’est le chômage, la précarité, l’exclusion et la pauvreté. C’est pourquoi il nous faut reconstruire un modèle social vivant : développer de nouvelles libertés pour créer des emplois nouveaux et, dans un même temps, imaginer de nouvelles sécurités.

Le Monde : Faut-il s’inspirer du système tel qu’il est expérimenté dans certains Etats américains, où l’on en vient à pénaliser les familles qui ne jouent pas le jeu de l’insertion ?

Alain Madelin : Je suis contre le service public unique et obligatoire d‘insertion. En revanche, il faut, chaque fois qu’on le peut, transformer les revenus d’assistance en revenus d’activité grosso modo en un mi-temps au service d’une collectivité locale. Mais il faut qu’au-delà de cette première activité on puisse dans un même temps donner aux personne la possibilité d’effectuer, par exemple, dix heures supplémentaires pour une collectivité locale, d’avoir un contrat de travail dans une entreprise, une formation, un travail indépendant. Le tout dans un parcours d’insertion, dont cette activité d’utilité locale constitue la première marche. Car la pire des choses, ce serait d’enfermer les gens dans ces emplois d’insertion.

Il faut aujourd’hui inventer, imaginer. On n’a jamais dépensé autant pour le social et il n’y a jamais eu autant de pauvreté. Sur la politique du logement, par exemple : nous dépensons chaque année de quoi construire 300 000 logements et les donner gratuitement à 300 000 familles françaises. Malgré cela, il y a des gens qui n’ont pas de toit. Cela prouve qu’on dépense mal. Laissons le marché construire des logements sociaux, c’est-à-dire bon marché, et consacrons l’argent des contribuables aux actions d’urgence dont on a besoin dans ce domaine.


Date : 17 mai 1997
Source : Le Provençal

Le Provençal : En cas de victoire de la droite, quelles mesures devraient prendre le gouvernement dans les 40 premiers jours ?

Alain Madelin : Donner un élan de liberté pour l’emploi, la cohésion sociale et la réforme de l’Etat. Emploi : il faut libérer les entrepreneurs de la peur de l’embauche et du salaire…

Le Provençal : Vous voulez faire sauter le verrou du SMIC ?

Alain Madelin : Non. Et ceux qui le veulent devraient s’interroger sur un SMIC au niveau du RMI. Il n’inciterait pas au travail. Ce que je dis, c’est qu’il faut simplifier les contrats de travail et les charges sociales Et qu’il faut une part plus flexible du salaire en fonction de la conjoncture.

Puis, alléger le système. En France, on trouve toujours 100 millions pour le Crédit Lyonnais, mais pas 50 000 francs pour le petit entrepreneur.

Le Provençal : Vous êtes en train de dire qu’une correction des lois du marché doit se faire par l’Etat au travers de banques nationalisées…

Alain Madelin : Pas du tout. Les banques riches prêtent aux pauvres et les banques pauvres prêtent aux riches. Or, nous avons des banques pauvres. Parce qu’au lieu d’aller vers un créateur d’entreprise, l’argent des banques est confisqué par un système d’impôt pour aller par exemple, combler le déficit du Crédit Lyonnais.