Texte intégral
Le Figaro : 13 mars 1996
En définissant des règles nouvelles pour un nouveau paysage commercial, le gouvernement suscite quelques réactions chez certains grands distributeurs. C'est normal !
Cette nouvelle politique, voulue par le président de la République, a pour objectif d'être favorable aux PME du commerce et de l'artisanat. Le contraire signifierait que les ambiguïtés des deux précédents septennats perdureraient.
Nous sommes en effet déterminés à corriger certains abus. Nous ne sommes pas opposés à la modernisation de la distribution, mais nous voulons chasser les mauvaises pratiques.
Les deux projets du gouvernement, l'un pour un urbanisme commercial équilibré, l'autre pour une concurrence loyale, définissent ensemble nos quatre priorités qui, dans le débat, constituant nos quatre vérités.
I. – Le consommateur paie la facture des destructions d'emplois
La distribution se félicite souvent des emplois créés dans le commerce. Ce fut vrai pour certaines périodes en ce qui concerne les salariés, et au niveau global. Mais, dans ces calculs, on oublie que la bouchère qui disparaît avec le boucher n'est pas dans les statistiques, que les créations en banlieue ne consolent pas des destructions en régions rurales, mais surtout que des emplois sont détruits dans les PME soumises à certaines exigences de la distribution.
Le consommateur est aussi citoyen ; c'est lui qui paie la facture du chômage. Avec certaines ventes au rabais, véritable promotion du chômage, le consommateur peut croire qu'il est gagnant, mais en réalité tout le monde est perdant.
Tout cela est si vrai qu'aujourd'hui la peur du chômage déclenche une forme d'épargne de précaution sociale qui freine la consommation. La meilleure relance viendra de la baisse du chômage.
II. – La distribution doit partager ses marges avec les PME
Les résultats de la grande distribution sont significatifs. Certains de ses leaders s'inquiétaient récemment des conséquences des nouvelles lois pour les PME. Ils peuvent être rassurés. Avec la lutte contre la vente à perte, par exemple, on va stopper des effets pervers comme la dévaluation du travail des salariés des PME.
Pour les investissements, pour les produits nouveaux, pour les salariés, les PME ont besoin de reconstituer leur marge. Il n'y a pas de raison pour que la profitabilité d'une filière soit concentrée en aval, chez le distributeur. Le partage des marges profitera à l'innovation et facilitera l'émergence des produits nouveaux.
La « logique des hangars »
III. – L'avenir de l'Europe se joue sur la qualité des produits
Le laisser-faire aujourd'hui conduirait au succès de la « logique des hangars » de plus en plus grands, avec des produits de plus en plus étrangers. Nous ne gagnerons pas la guerre des bas de gamme et des bas salaires dans une économie réellement mondialisée.
L'avenir est à la qualité, certains distributeurs heureusement l'ont compris. Le maintien de standards élevés de qualité exige la vitalité d'un secteur artisanal, garant des normes de l'excellence.
Le cas de la boulangerie est exemplaire. Pour que les enfants ne perdent pas le goût du bon pain, mais aussi pour qu'ils ne limitent pas leur vision du commerce aux grilles d'un chariot, la boulangerie doit survivre. C'est vrai de beaucoup d'autres métiers.
IV. - Commerce et territoire, même combat
Le commerce, l'artisanat, les PME, en réalité, relèvent du même dossier que l'aménagement du territoire.
Quand le commerce respire, le cœur du territoire bat ; la respiration du territoire, c'est l'animation commerciale. Pour cela, il faut changer les règles de l'urbanisme commercial, c'est-à-dire stopper la création de nouveaux hypermarchés, stimuler la reconquête commerciale des centres villes, inventer de nouvelles formes de commerce rural, améliorer l'environnement des zones commerciales...
La réforme de la loi Royer va nous permettre, réellement et concrètement, de maîtriser l'urbanisme commercial.
Pour corriger les abus, de nouveaux textes législatifs sont nécessaires. Certains voudraient nous reprocher de trop légiférer. Nous devons rappeler à ceux qui donnent des leçons de libéralisme que la loi est la liberté du plus fragile face au plus fort.
Personne dans ce pays ne peut ni ne doit prendre le consommateur en otage, ni faire le chantage à l'inflation, qui n'est pas aujourd'hui une menace.
Dans sa démarche, le gouvernement s'adresse à l'intelligence du « consommateur-citoyen », il s'adresse aussi à l'audace des distributeurs, en proposant plutôt la réforme que la mise en cause.
La Tribune Desfossés : 25 mars 1996
La situation française en matière de création d'entreprise recèle un paradoxe : le dynamisme des porteurs de projets est exceptionnel (180 000 entreprises créées en 1995), alors que la France est l'un des trois pays d'Europe où le taux de mortalité des jeunes entreprises est le plus élevé ; une entreprise sur deux disparaît avant sa troisième année d'existence. Cette exception française est la source de destructions d'emplois qui pèsent sur l'ensemble de l'économie et induisent des conséquences individuelles parfois dramatiques.
Dès lors, pour y remédier, il appartient aux acteurs de l'intérêt général de résoudre l'équation suivante : comment diminuer ce taux de mortalité tout en maintenant la dynamique de l'esprit d'entreprendre ? C'est pourquoi il apparaît indispensable de concentrer l'action publique sur le « créer mieux » plutôt que de miser sur le « créer plus ». Il faut passer d'une vision aujourd'hui plutôt sociale de la création d'entreprise à une approche plus économique et une démarche pragmatique de politique de qualité des projets.
Une entreprise qui est créée est comparable à un enfant : il y a le moment de la conception, une période de gestation, puis la naissance et la croissance. Comme un enfant a besoin de ses parents pour se développer, l'entreprise qui se crée a besoin d'un environnement public de qualité pour franchir dans les meilleures conditions les premières étapes de sa vie. C'est ainsi que les jeunes entreprises pourront grandir et participer à la création d'emplois durables et que les fonds publics seront efficacement utilisés.
Aussi, au paradoxe national doit répondre une stratégie fondée sur une politique respectant deux concepts : qualifier le créateur et la définition de son projet, mettre en place une politique d'accompagnement et de suivi professionnalisé des jeunes entreprises. La mise en place d'outils permettant aux chefs d'entreprise de bénéficier des formations nécessaires à la définition et à la bonne mise en œuvre de leur projet ne doit cependant pas donner lieu à des comportements malthusiens.
C'est dans cet esprit qu'un prochain projet de loi sur l'artisanat affirmera cette exigence de qualification de la création. Il est à souligner qu'une action de formation des créateurs est d'ores et déjà entreprise par les chambres de commerce et d'industrie et les chambres de métiers. Quant au lancement d'une politique active de suivi de la jeune entreprise, les initiatives des réseaux de proximité nous montrent la voie à suivre. Les réseaux consulaires mettent en place actuellement un dispositif ambitieux sous le label « Entreprendre en France » qui, en les associant aux partenaires essentiels de l'entreprise, banques, experts-comptables, experts juridiques... permettra d'instiller une véritable approche mercatique de la création d'entreprise et d'assurer une mission de conseil pendant la période de risque maximal des jeunes entreprises. Plus de mille points d'accueil et d'appui des créateurs seront prochainement opérationnels sur l'ensemble du territoire.
Dans cette mobilisation pour la création, l'Etat doit être un acteur déterminé en s'engageant dans un nouveau partenariat. Au sommet du dispositif un « conseil national de la création d'entreprise » pourrait rassembler les principaux acteurs, publics et privés souvent eux-mêmes « têtes de réseaux ». « Entreprendre en France » serait avec l'État au centre de cette nouvelle organisation. L'Ance rénovée deviendrait le pôle d'excellence et de compétence chargée de la définition d'un « programme national de la création d'entreprise », d'une mission de réflexion sur l'amont de la création (inventaire des initiatives, évaluation…). La maîtrise des opérations sur le terrain serait gérée par les réseaux (consulaires, collectivités territoriales, associations d'entreprises…) dont « Entreprendre en France » assurerait la dynamique générale.
Par une pertinence renforcée en matière de méthodologie et par une organisation modernisée et structurée en réseau la mobilisation nationale pour la création d'entreprise profitera à la fois de l'expérience et de la compétence de l'Ance et de l'énergie et de l'engagement des partenaires de terrain. Enfin, il nous faudra mener une réflexion sur notre système de formation, qui reste encore très axé sur la sélection de cadres destinés à œuvrer au sein de grandes structures. Or la France a besoin non seulement de gestionnaires, mais aussi d'entrepreneurs ; il faut fournir des femmes et des hommes engagés et mobiles, formés aux défis de l'ouverture du monde, à la croissance aléatoire, aux technologies modernes pour innover, vendre et créer des produits. 2,5 millions de salariés de ce pays travaillent dans des entreprises qui n'existaient pas il y a cinq ans, mais seulement 3 % des diplômés de l'enseignement supérieur créent des entreprises. Il y a donc là un gisement de création d'entreprises dynamiques sur lequel nous devons travailler.
L'objectif de notre politique est simple : nous devons « faire échouer l'échec » pour que, d'ici à l'an 2000, le taux de mortalité des jeunes entreprises passe de 50 % à 20 % et que le nombre d'entreprises en France puisse ainsi approcher les trois millions, soit 500 000 nouvelles entreprises solides, au service de l'emploi et de la dynamique économique du pays.