Déclaration de M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur, sur le rôle des collectivités locales dans la création de 350 000 emplois publics pour les jeunes et les finances locales, Paris le 10 juillet 1997.

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Circonstance : Réunion du comité des finances locales le 10 juillet 1997.

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les membres du comité des finances locales,

Je vous renouvelle mes remerciements, Monsieur le Président, de m’avoir invité à votre réunion du Comité des finances locales, réunion, au demeurant fixée par la loi, puisqu’il s’agit, pour le comité, d’examiner le montant de la régularisation de la dotation globale de fonctionnement 1996.

Comme élu local, j’ai pu mesurer l’importance de votre rôle, de vos avis et décisions. Comme tous les maires, je suivais vos débats avec un vif intérêt.

Comme ministre, j’y serai encore plus attentif, tant la place et l’autorité du Comité, sous votre conduite, Monsieur le Président, se sont affirmées au cours de ces 18 dernières années.
Votre comité a su dépasser les clivages traditionnels pour faire prévaloir une véritable vision de la décentralisation. La qualité de vos débats, la pertinence de vos observations et propositions lui ont conféré un rôle essentiel dans la concertation nécessaire pour les pouvoirs publics et les élus locaux.
Je souhaite, Monsieur le Président, approfondir encore cette concertation, tant il est vrai que l’action publique ne peut être efficace sans une articulation étroite entre les objectifs et les moyens de l’État et ceux des collectivités décentralisées dont les compétences touchent, aujourd’hui, à tous les aspects du fonctionnement de notre société et de la vie quotidienne de nos concitoyens.
Une telle démarche ne peut être fructueuse que si elle repose sur des relations équitables, stables et confiantes entre l’État et les collectivités territoriales.

I. – Le rôle des collectivités locales dans la conduite des actions prioritaires de notre pays au premier rang desquelles l’emploi.

Lieu de démocratie par excellence, les collectivités décentralisées ont aujourd’hui une place majeure dans les équilibres économiques et sociaux de notre pays, Elles sont à mon sens, des espaces d’initiatives et d’innovations qui complètent le rôle de l’État, qui a façonné la France.
Je vois dans cette configuration institutionnelle un avantage.

Au côté d’un État garant des principes républicains, les collectivités peuvent être les opérateurs de politiques publiques de proximité, permettant grâce à une démocratie vivante cette intégration citoyenne qui est au fondement de notre République.

L’État et les collectivités locales, animés par un puissant élan démocratique, constituent d’irremplaçables instruments de démocratie, d’égalité et de justice sociale.

En matière financière comme sur les autres sujets, seule une vision trop simpliste présenterait comme antagonistes les intérêts de l’Etat et des collectivités.

Il y a entre ces derniers, une communauté forte qui est avant tout celle de l’intérêt général.

Avec des budgets de l’ordre de 750 milliards de F., 1 400 000 agents et 70 % des investissements civils publics, les collectivités interviennent dans tous les secteurs de la vie de nos concitoyens.

Leurs interventions au profit des projets économiques s’établissent à 15 milliards de F. – hors garantie d’emprunt –. Je sais que ces interventions présentent des difficultés et que leurs modalités ne sont pas toujours des mieux adaptées. Nous aurons l’occasion de réévoquer ces aspects sur lesquels je réfléchis.

Ces dernières années, les collectivités locales ont fait face à des nouvelles contraintes qu’elles ont su surmonter, notamment par une maîtrise des dépenses de fonctionnement, une gestion très fine de la dette qui, dans la plupart des cas, s’est traduite par un allégement de son coût et une réduction de l’encours.

En 1996, elles ont dégagé une capacité de financement. L’effort d’investissement s’est cependant réduit.

De même, si l’évolution des dépenses de personnel qui représentent plus d’un tiers des dépenses de fonctionnement en moyenne et plus de 45 % de celles-ci dans les grandes communes, devrait continuer de se ralentir, après l’achèvement du plan de revalorisation des carrières issu de l’accord Durafour de 1990, les marges de manœuvre demeurent étroites.

À ce ralentissement des dépenses correspond un ralentissement des recettes.

C’est vrai du produit fiscal, en dépit d’un redressement perceptible des bases ; c’est vrai aussi des concours de l’État qui, pour 1998, s’inscriront dans les règles du dispositif dénommé « pacte de stabilité financière » et que pour la bonne compréhension de mon exposé, je dénommerai « pacte » dans le reste de mon intervention, sans méconnaître le caractère quelque peu incongru de ce terme.

Je n’insiste pas sur l’ensemble de ces aspects financiers que le projet de rapport sur la situation des collectivités locales, présenté par le sénateur BOURDIN à votre observatoire, met parfaitement en lumière.

Je connais, enfin, les charges d’investissement auxquelles nos collectivités auront à faire face, notamment en matière d’eau, d’assainissement, d’élimination des déchets. Je ne suis pas certain que nous pourrons satisfaire à tous ces besoins dans les échéances fixées, sauf à se priver de toute autre forme d’initiative répondant également à des besoins prioritaires.

Il me semble en effet, qu’existe une priorité qui devance toutes les autres et sur laquelle les collectivités locales se doivent d’être particulièrement présentes : je pense ici à l’emploi et en particulier à l’emploi des jeunes.

Nous savons tous, dans nos communes, nos départements, nos régions, la détresse que constitue le chômage et un pays qui ne sait pas offrir de perspective d’avenir à ses jeunes est un pays qui accepte le déclin.

Il n’y va pas seulement de la survie de notre économie, mais de la survie de la Nation. Qui ne se rend compte que ce sont les fondements mêmes de la République qui se dissolvent dans cette grave crise du chômage ?

L’investissement massif des collectivités est essentiel dans la bataille de l’emploi. La proximité vis-à-vis des citoyens qui est le propre de l’action des élus locaux est en effet le gage que pourront être déterminés au mieux ces besoins nouveaux de nature à permettre la création d’emplois nouveaux.

Je suis sûr qu’au-delà de nos différences politiques nous saurons nous rassembler pour faire reculer le fléau du chômage des jeunes.

Si l’État peut vous donner des moyens pour réussir, il ne peut réussir sans votre mobilisation.

Sa responsabilité est première mais, il ne peut pas tout, tout seul.

La première contribution qui est demandée aux collectivités locales est celle de la création de 350 000 emplois publics pour les jeunes.

Beaucoup de dispositifs existent déjà, qu’il s’agisse des contrats d’emploi-solidarité, des contrats d’emploi consolidés, des « emplois-villes » et les collectivités territoriales ont pris leur part dans la mise en œuvre de ces mesures qui concernent aujourd’hui près de 900 000 jeunes.

Le trait commun à l’ensemble de ces dispositifs est l’insertion mais il faut reconnaître qu’aujourd’hui, le chômage ne touche plus seulement les jeunes en difficulté. Force est de constater que nous avons peut-être trop travaillé, par le passé, sur des dispositifs institutionnels qui n’ont qu’imparfaitement fonctionné. Je pense en particulier aux dispositions d’accompagnement en matière de formation des CES.

La démarche que le Gouvernement, et singulièrement Madame AUBRY, ministre de l’emploi et de la solidarité, a engagée est différente. Elle s’appuiera moins sur la mise en œuvre de dispositions institutionnelles que sur la négociation et la discussion avec les partenaires débouchant sur la création d’activités nouvelles, utiles à nos concitoyens, et sur l’emploi des jeunes.

À cette fin, un inventaire des besoins, des activités et des emplois est conduit pour les grands domaines de création et de développement d’activité : services aux personnes et notamment aux personnes âgées ou dépendantes, activités liées à l’environnement et au traitement des déchets, au développement culturel et aux nouvelles techniques de communication, à la justice et au monde judiciaire, à la sécurité et à la prévention de la délinquance, à l’éducation nationale et au temps de l’enfant, au logement, à la jeunesse et aux sports, au tourisme, au transport...

Cette démarche rejoint les propres réflexions des élus locaux.

Je sais, en effet, que les associations d’élus ont déjà travaillé sur ces questions et ont préconisé une démarche décentralisée, adaptée à la diversité des initiatives locales. Le président DELEVOYE me le confiait, il y a quelques jours à peine.

J’ai désigné, pour ma part, pour des missions courtes, M. Christian PROUST, président du conseil général du territoire de Belfort, à l’effet de recenser les besoins des collectivités et de procéder à un premier examen des conditions de leur mise en œuvre, ainsi que M. Bruno LEROUX, député-maire d’Epinay-sur-Seine, sur la sécurité de proximité, afin d’analyser les emplois à créer en ce domaine.

Il est pour le moment envisagé que ces emplois soient financés pendant 5 ans à 80 % par l’État. Il ne faut pas se cacher que l’effort budgétaire sera significatif pour les collectivités locales comme pour l’État.

L’objectif est de solvabiliser à terme et de professionnaliser ces emplois mats nous savons que la solvabilisation des activités, pour maintenir les services publics en milieu rural, pour satisfaire des besoins sociaux, ou pour développer ou satisfaire les besoins des quartiers urbains, dépend largement du soutien des collectivités locales.

Eu égard à l’urgence et à l’importance attachées à la mise en œuvre de ces dispositions qui, pour l’heure, font encore l’objet d’une réflexion interministérielle, je m’attacherai à vous informer régulièrement des mesures qui pourront être envisagées.

Je serai évidemment constamment disponible pour recueillir vos suggestions pour la réalisation de cette action publique prioritaire, puisqu’elle engage l’avenir de notre pays, au travers de sa jeunesse.

Je sais aussi que pour réussir, cette politique suppose des relations équilibrées, stables et confiantes entre l’État et les collectivités territoriales, notamment dans le domaine financier.

II. –  Des relations équilibrées, stables et confiantes entre l’État et les collectivités territoriales

Il serait évidemment irréaliste de ne pas tenir compte de la masse des budgets locaux dans l’appréciation de la situation de nos finances publiques.

Les concours de l’Etat, actifs ou passifs, pour reprendre une distinction maintenant couramment utilisée, approchent en effet 245 milliards de francs, soit 15 % du budget de l’État.

De ce point de vue, le « pacte de stabilité », malgré ses insuffisances au regard notamment de la moindre place qu’il réserve désormais aux dotations d’investissements, est constitutif d’une approche dont je prends acte et dont le Gouvernement actuel, à ce stade avancé de l’élaboration du projet de loi de finances, ne peut changer les données.

Je reconnais l’intérêt pour les collectivités, de cette approche fondée sur une telle notion de stabilité, que je serai vigilant à défendre dans les travaux préparatoires de la loi de finances initiale.

Pour autant, j’entends examiner avec soin les conditions de la sortie du « pacte », dont bien évidemment je discuterai les termes avec vous.

Dans cette perspective, je crois qu’il nous faudra être plus particulièrement attentif, non seulement à l’évolution des dotations aujourd’hui inscrites dans le périmètre du pacte, mais surtout à l’évolution des compensations pour exonérations et des dégrèvements.

Vos travaux, notamment à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances ou de l’examen des conditions de répartition des dotations, avaient déjà révélé que si les dotations actives connaissent une progression modérée, en revanche, il était loin d’en être de même s’agissant des compensations et dégrèvements. Cette année encore, les premières indications sur 1997 montrent que la dérive se poursuit.

Le poids des compensations d’exonérations et des dégrèvements législatifs – de l’ordre de 60 milliards de francs, dont 40 milliards de francs pour la seule taxe professionnelle – est excessif, d’autant plus qu’il a connu une croissance particulièrement vive ces dernières années. L’État est ainsi le premier contribuable local et les collectivités locales y perdent une part importante de leur autonomie.

Je suis personnellement convaincu qu’il est souhaitable d’éviter que se développe encore cette situation qui peut présenter des risques budgétaires tant pour l’État que pour les collectivités locales et qui ne vont pas dans le sens de la transparence financière.

Il conviendra enfin d’être attentif à l’évolution de la DGF. Sa structure, issue de la réforme de 1993, répondait à un triple souci de :
– stabilité des budgets ;
– maintien de la solidarité ;
– financement de l’intercommunalité.

Elle remplit globalement ses objectifs, mais il est vrai que, dans un contexte de faible évolution de sa masse et dans une période de montée en charge de l’intercommunalité et qui requiert 400 millions de F. supplémentaires par an, la conciliation de ces objectifs nous contraint à un exercice de plus en plus délicat. La régularisation de la DGF 1996 dont vous examinerez les conditions tout à l’heure, ne devrait malheureusement pas, à cet égard, élargir considérablement les marges de manœuvre de votre Comité, lorsqu’il repartira la DGF 1998 même si la croissance du PIB devrait être meilleure que l’an dernier.

Je crois qu’il faut se fixer pour objectif, dès que les conditions le permettront, de renforcer la fonction péréquatrice de la DGF, au-delà même des mécanismes de solidarité urbaine et rurale.

Cela suppose bien évidemment que les critères et les bases servant de fondement à la mise en œuvre de cette péréquation soient affinés.

Je connais, à cet égard, les travaux conduits par votre Comité, s’agissant de la révision des valeurs locatives. Je suis personnellement favorable à cette révision sur laquelle le Gouvernement aura à se prononcer.

Je souscris aux recommandations que votre Comité a émises. Je suis en effet convaincu que la révision est un élément de justice sociale, en même temps qu’elle est nécessaire à une meilleure maîtrise de la fiscalité locale et une répartition plus conforme aux réalités des dotations.

Mais je suis tout aussi persuadé que de telles modifications ne sont concevables que si leur mise en œuvre est progressive. En effet, l’ampleur des modifications des bases sont d’autant plus grandes que nous travaillons encore sur des bases qui ont 27 ans d’âge pour la plupart.

C’est pourquoi, l’étalement préconisé par votre Comité me paraît être de bon sens.

Ainsi, pourrait se réaliser progressivement une modernisation de notre fiscalité locale, toujours réclamée mais rarement entreprise.

La taxe professionnelle qui représente à elle seule la moitié des recettes fiscales directes a, à cet égard, fait l’objet de récents et nombreux débats.

Je suis convaincu qu’il faut lui préserver son caractère d’impôt local si l’on souhaite, comme la situation l’exige, que les collectivités locales participent au développement local et au développement de l’emploi.

Pour autant, il m’apparaît nécessaire, tant dans le souci de rationalisation de l’aménagement que de péréquation, de tendre à un rapprochement progressif des taux et à une mutualisation de la ressource.

Le développement soutenu de la taxe professionnelle d’agglomération, souvent évoqué, peut concourir à cet objectif.

Votre Comité connaît bien cette question et il a dernièrement encore eu à en débattre à l’occasion de l’examen du projet de loi prépare par M. PERBEN.

Si je souscris à certaines des orientations de ce texte, je souhaite néanmoins procéder à son réexamen, notamment pour mieux prendre en compte la dimension du développement économique local.

Je travaille à des propositions que je ferai connaitre d’ici la fin de l’année.

Je désire aussi, compte tenu des contraintes qui pèsent sur la DGF des communes et de leurs groupements, m’assurer que les mesures incitatives que je crois nécessaires, sont pertinentes, bien dirigées et équitablement réparties.

Je crois utile, Monsieur le Président, de rediscuter le moment venu, l’ensemble de ces questions avec votre Comité, étant entendu que je veillerai à ne pas introduire de rupture dans un mouvement qui s’est considérablement développé depuis la loi du 6 février 1992.

Telles sont, Monsieur le Président, les principales orientations de l’action que je souhaite conduire dans les mois qui viennent.

Pour l’heure, l’actualité immédiate est constituée par la préparation de la loi de finances pour 1998.

Je l’ai dit tout à l’heure, cette préparation s’inscrit dans le cadre de l’achèvement du « pacte » avec, s’agissant de la DGF, une régularisation importante.

Le Gouvernement souhaite que les effets de cette régularisation soient neutres au regard du pacte.

Par ailleurs, je l’ai également indiqué, la préparation de la loi de finances s’inscrit dans un contexte où les collectivités ont su maîtriser leurs dépenses mais où les marges de manœuvre demeurent étroites.

Si l’on souhaite promouvoir l’investissement et l’emploi, il conviendra donc d’être vigilant sur les charges.

Je connais votre sensibilité à tout transfert de charges issu de politiques dont la mise en œuvre n’est pas suffisamment concertée.

Les études d’impact qui accompagnent les projets de loi et de décrets constituent un progrès mais elles ne s’accompagnent pas pour autant de procédures de concertations nouvelles.

Je sais aussi votre vigilance quant aux conditions d’équilibre de la CNRACL.

La situation de celle-ci demeure préoccupante.

Le rapport démographique, même s’il reste favorable, connaît une évolution qui pèsera, à terme, sur l’équilibre de la Caisse.

Dans l’immédiat, ce sont, bien entendu, les prélèvements opérés au titre de la compensation et surtout de la surcompensation au profit des autres régimes spéciaux, qui posent problème.

Le prélèvement de 4,5 milliards de l’opéré au début de cette année sur le fonds d’allocation temporaire « invalidité » a permis d’éviter un nouveau relèvement des cotisations après celui, très brutal, décidé à la fin de 1994 et qui a pesé lourdement sur les budgets locaux de 1995.

Chacun sait cependant que cet abondement – exceptionnel – ne peut être réitéré et que, s’il a permis de retarder les échéances, il n’a pas pour autant effacé le problème qui demeure.

Je me rapprocherai pendant l’été du Secrétaire d’État au budget afin d’analyser la situation de la Caisse, pour être en mesure de vous apporter un éclairage précis, car si les conditions de l’équilibre de la Caisse ne relèvent pas de la loi de finances, je n’oublie pas qu’un point de cotisation représente pour les collectivités près d’un milliard de francs.

La décentralisation a maintenant 15 ans. Les préoccupations ne manquent pas mais des acquis sont là et les réussites également.

Il appartient à l’État d’impulser les politiques nationales et d’exercer ses missions de contrôle et d’évaluation. Mais ce sont les collectivités territoriales qui désormais sont les mieux placées pour développer les initiatives aptes à répondre avec souplesse et originalité aux nouveaux besoins de nos concitoyens.

L’État et les collectivités doivent donc collaborer, dans le cadre de relations claires, stables et confiantes qui doivent être celles d’une République moderne.

C’est mon ambition que de conforter ces relations en m’appuyant, si vous le permettez, sur votre Comité qui, sous votre autorité, Monsieur le Président, a apporté en de multiples occasions la démonstration de son attachement à la décentralisation mais également à une conception de l’État sur laquelle je sais que la plupart d’entre nous sauront se retrouver.