Déclaration de M. Philippe Marchand, ministre de l'intérieur, sur le projet de loi sur le statut de la Corse et la notion de peuple corse, au Sénat le 20 mars 1991.

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Circonstance : Débat sur le projet de loi sur la Corse au Sénat le 20 mars 1991

Texte intégral

Monsieur le Président, 
Mesdames, Messieurs les Sénateurs,

C'est à une réflexion en commun sur l'avenir de la Corse dans la République, que je voudrais vous inviter, à l'occasion de l'examen de ce projet.

Ce débat est un défi, car nous devons ensemble trouver des solutions durables pour la Corse.

Ce débat enfin est une échéance importante : pour tous ceux qui observent la vie publique et qui voient, depuis plus de 15 ans la Corse en crise.

Le Sénat ne s'y est pas trompé. J'en vois plusieurs signes :

– d'abord votre souci de disposer de quelques délais pour mieux examiner le texte,
– mais aussi, la volonté de votre commission des lois de se déplacer dans l'île, pour un voyage hélas écourté,
– enfin, je n'aurais garde d'oublier la démarche individuelle de quelques-uns d'entre vous, qui sont allés en Corse, pour écouter et pour comprendre.

Certes, il n'y a pas de sujet mineur devant le Parlement ; mais il y a des sujets plus ou moins prompts à éveiller la passion. Celui dont nous débattrons ici est des plus sensibles.

Ma première intervention devant votre Assemblée en tant que ministre de l'Intérieur est consacrée à la Corse, et plus précisément, au projet de loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse. Ce sera l'occasion, sans passion mais avec raison, de vous dire ma conviction, de vous exposer le projet du gouvernement pour la Corse, de le soumettre à votre critique, et je le souhaite, de l'enrichir, à l'occasion de vos débats.

Mon prédécesseur Pierre Joxe s'est beaucoup engagé, personnellement, dans la préparation de ce projet. Le texte soumis au Parlement doit beaucoup à sa lucidité et à son courage. Ce texte est aussi le résultat de nombreux mois de dialogue en Corse, avec les élus, avec les acteurs culturels, avec tous ceux qui animent la vie économique et sociale de l'île.

Cette volonté de compréhension s'est tout naturellement traduit par un travail de proposition.

Le projet de statut discuté par le Parlement s'inspire de quelques idées simples, et nous offre l'occasion de dénoncer quelques idées fausses.

Permettez-moi de rappeler quelques-uns de ces principes.

La mise en place d'institutions plus efficaces n'est pas un préalable, comme on a voulu le dire, mais c'est l'une des conditions du développement de la Corse.

Le gouvernement ne considérera pas son œuvre achevée au soir de l'adoption de ce texte, s'il plaît au Parlement de le voter. Le gouvernement poursuit, en parallèle, et avec la même condition, d'autres objectifs.

Le maintien de l'État de droit en Corse figure parmi ces objectifs, ainsi que sa restauration, là où cela paraîtrait nécessaire.

J'ai confirmé ces orientations, après qu'un Conseil restreint, réuni par le Président de la République, ait marqué l'engagement et la volonté du Gouvernement.

Mais le respect de l'autorité de l'État ne s'arrête pas aux affaires graves qui mobilisent sans relâche, au service de la justice, les forces de police et de gendarmerie.

L'État, au quotidien c'est aussi le respect de la loi et des règlements dans des domaines comme l'urbanisme ou la fiscalité.

Ma fonction me conduit à m'en préoccuper, quotidiennement. Les représentants de l'État dans l'île ont reçu des instructions de vigilance et de fermeté. Les observateurs attentifs de la Corse ont pu constater que cette activité ne reste pas sans résultat.

L'État s'affirme aussi comme un partenaire actif des projets économiques de la Corse.

Depuis 1988, le Gouvernement, et en son sein, je dois citer Jacques Chérèque, ont défini et engagé une politique de développement au profit de la Corse.

J'en donnerai trois axes majeurs :

– la construction d'une économie moderne et diversifiée, à partir des potentialités de l'île ;
– le bon usage de la valorisation de ses atouts naturels et culturels ;
– le rattrapage, dans une période de dix ans, des retards accumulés en équipement publics.

Une des dernières illustrations de cette volonté concrète peut être trouvée dans l'avancement du projet de gazoduc franco-italien, une opération lourde de prix de 8,5 milliards de francs.

N'en doutez pas, il n'y a pas, en Corse, de volonté de désengagement de l'État. Ce gouvernement a choisi non pas d'éluder la question corse, mais de la traiter.

Cette même volonté doit s'appliquer à dissiper le malentendu que l'histoire récente a installé entre la Corse et l'opinion nationale.

Permettez-moi de rapporter le propos suivant : « L'opinion nationale ne comprend plus les insulaires qui, de leur côté, doutent de l'État. Depuis quinze ans, les gouvernements successifs ont échoué sur un dossier dont ils n'ont sans doute pas saisi la complexité ».

Ce n'est pas moi qui l'affirme, – mais j'y souscris – c'est José Rossi, député de la Corse du Sud, dans une publication de l'un des groupes de votre assemblée.

Ce groupe parlementaire lui a donné, en effet la possibilité d'exprimer dans un éditorial, son souci de voir la Corse enfin comprise, avec le sérieux que réclament les difficultés qu'elle tonnait.

Une troisième idée est présente dans le projet du gouvernement. La Corse est riche de son histoire, de son patrimoine et de ses, potentialités.

Sa position géographique peut être encore mieux valorisée, dans une Méditerranée occidentale où les liens économiques et culturels sont denses, et importants pour l'avenir.

Son insularité, si elle impose des contraintes, est aussi un atout, par la qualité des sites, et le caractère encore intact de son patrimoine naturel et historique.

Sa culture l'apparente aux plus anciennes civilisations de l'Europe.

J'exprimerai cette idée, en disant que la Corse doit être un atout pour la France.

Avant de discuter du bien-fondé de ce projet, avant de mesurer son impact, il faut en rappeler les points-clés et en évoquer les principales dispositions.

L'on juge une loi à ses dispositions concrètes.

Mesdames, messieurs les Sénateurs, le projet de loi soumis à votre examen aujourd'hui, est d'abord et très simplement, une loi de décentralisation.

Au cœur de ce projet, il faut voir le souhait de confier aux Corses, aux élus de la Corse, davantage de responsabilités.

En Corse, plus encore qu'ailleurs, la décentralisation doit être approfondie. L'appréhension des réalités locales, l'identité insulaire et sa préservation, l'élan à donner à l'économie : autant de raisons qui plaident pour compléter et parfaire le transfert de compétence et de moyens entamés en 1982.

Mais, ce transfert paraîtrait insuffisant, et peut-être même vain, s'il ne s'accompagnait pas de la mise en place d'institutions plus fortes.

Souhaitant doter la Corse, dans le cadre de la Constitution, d'un statut répondant à ces exigences, le gouvernement avait, en fait le choix entre deux attitudes.

Le gouvernement pouvait, c'est vrai, proposer de conserver à la collectivité le caractère d'une région, confirmant le caractère dérogatoire du statut de 1982.

Sur cette conception immobile, le Gouvernement a jugé bon de faire prévaloir une vision dynamique.

Il a considéré que le fonctionnement de cette collectivité dotée de pouvoirs et de moyens renforcés, justifiait un traitement particulier.

Dès lors, s'imposait le recours à l'article 72, qui donne au législateur la possibilité d'ériger la Corse en collectivité territoriale de la République, à côté du droit commun des régions. La Constitution autorise une telle création, dans des conditions que le juge constitutionnel a été conduit à préciser.

Ce choix, qui constitue l'une des innovations du texte qui vous est proposé, ne surprendra pas ceux qui ont examiné l'histoire de la décentralisation, mais aussi, l'histoire de la Corse.

Il faut ajouter que la spécificité institutionnelle de la Corse n'est pas nouvelle. Le statut de 1982 dérogeait déjà au droit commun des régions.

Deux autres arguments plaident en faveur de cette proposition.

Tout d'abord, il convient de rappeler que plusieurs collectivités ont déjà, en France, un statut administratif ou législatif particulier : l'Alsace, ou encore, la ville de Paris.

D'autre part, si le regard se portent au-delà des frontières vers des pays voisins en Europe, force est de constater que la reconnaissance du particularisme insulaire est la règle, et non l'exception.

À l'exception de la Crète, toutes les grandes îles européennes sont régies par des statuts particuliers.

Aux Baléares ou en Sardaigne, a-t-on détecté une grave dérive institutionnelle ?

On m'affirmera, non sans raison, que ces États obéissent à d'autres traditions, ou à d'autres types de Constitution.

Je répondrais que le projet qui vous est soumis, n'est calqué sur aucun modèle étranger. Le gouvernement a voulu pour la Corse, proposer la création, d'une nouvelle collectivité, dans le respect des principes de notre droit.

Enfin, s'il convient d'aller plus loin aujourd'hui, c'est après qu'un inventaire des insuffisances du statut actuel en ait démontré la nécessité.

Au cours de la longue concertation qui a permis l'élaboration de ce texte, trois difficultés ont pu être identifiées.

D'abord, une confusion entre des domaines de compétences : le développement économique, l'action en faveur de la culture voient l'intervention, en ordre dispersé, de plusieurs niveaux de collectivités locales et de l'État.

Souvent menacée de paralysie institutionnelle, la région de Corse s'est montrée, dans un environnement économique certes difficile, peu à même de mener une politique de développement à la mesure des enjeux.

À cela, il faut ajouter un renoncement progressif à certains mécanismes innovants du statut de 1982.

Le schéma d'aménagement de l'île, en dépit de tentatives louables, n'a pu être mené à son terme. La région est ainsi privée d'une véritable politique d'aménagement, d'urbanisme et de protection de l'environnement.

Le préfet de région a dû reprendre, au nom de l'État, l'élaboration de ce schéma. Le Livre blanc préparatoire qui vient d'être édité restera comme un document de référence.

On peut regretter également que soit restée lettre morte la fonction de proposition que la loi donnait à l'assemblée de Corse, pour favoriser les adaptations législatives et réglementaires dont la Corse a besoin.

Aussi, pour de nombreux élus corses, mais aussi pour l'opinion insulaire, la collectivité régionale, en dépit d'efforts incontestables et de résultats appréciés, n'est plus perçue comme le lieu où s'élabore et se décide l'avenir de l'île.

À l'écoute de ce diagnostic, le gouvernement, et en son sein, plus particulièrement le ministre de l'Intérieur, ont entamé une réflexion nourrie par la consultation des élus.

La réponse institutionnelle proposée aujourd'hui repose sur trois piliers : l'élargissement des compétences, le renforcement de l'exécutif, le respect des exigences de la démocratie locale.

Le statut de la future collectivité territoriale de Corse lui offre des compétences élargies. L'ensemble lui confère des responsabilités majeures. Quelques exemples suffiront à l'illustrer.

Dans le domaine clé de la formation des hommes, c'est à l'émergence d'un véritable bloc de compétence que l'on assiste, qui permettra à la collectivité de mener une politique cohérente.

Elle pourra l'entreprendre, à travers la construction des lycées et des collèges, la formation professionnelle, et ce qui est nouveau, l'élaboration de la carte universitaire. À ces compétences, il faut ajouter l'élargissement, concerté et réfléchi, d'un enseignement, ouvert à tous, de la langue et de la culture corses.

Les Corses ont une langue et une culture ancienne, qui sont au cœur de leur identité.

Dans une société qui tend parfois à uniformiser les comportements, les façons de penser, le langage, il est important pour des hommes et des femmes de préserver ce qui compose leur richesse et leur originalité.

C'est pourquoi, le développement de l'identité culturelle de la Corse loin de conduire à une sorte de ghetto culturel, représente au contraire une véritable garantie de l'épanouissement de la personnalité et de l'identité des Corses.

La promotion de la langue et de la culture corse doit être une compétence renforcée de la collectivité territoriale de Corse.

Dans le temps scolaire : la collectivité devra élaborer, en concertation avec l'État, un plan de développement de l'enseignement de la langue et de la culture corses. L'apprentissage du corse ne sera pas une activité complémentaire, assimilée aux travaux manuels mais une composante de l'enseignement scolaire, ouverte à tous.

Ensuite dans les moyens modernes de communication, la collectivité territoriale participera à l'élaboration de programmes audiovisuels destinés à promouvoir la langue et la culture corses, notamment sur les chaînes de radio et de télévision qui ont des programmes spécifiques à la Corse.

Par ailleurs, la collectivité territoriale se verra confier des responsabilités nouvelles et élargies dans le domaine de l'animation et de la diffusion culturelles.

Enfin, la gestion du patrimoine architectural, et plus précisément des monuments historiques n'appartenant pas à l'État, relèvera également de sa responsabilité.

Le projet que vous est soumis a également pour objectif d'affirmer la compétence de la collectivité dans les grands dossiers intéressant l'avenir de la région.

Les transports, lien vital entre l'île et le continent, l'aménagement, pour valoriser et protéger les espaces, les aides à l'économie, pour soutenir et orienter l'investissement privé encore insuffisant, le réseau routier, enfin, pour la desserte intérieure de la Corse.

En dehors même de tout contexte local, une telle concentration de responsabilités sur une collectivité locale justifierait, à elle seule, une organisation et un fonctionnement adaptés, qui soient de nature à en garantir le bon exercice.

Comment, dans ces conditions l'État aurait-il pu sérieusement envisager d'approfondir encore la décentralisation en Corse sans donner à la collectivité compétente les institutions capables d'assumer efficacement ces responsabilités ?

Des compétences aussi importantes ne peuvent en effet être exercées qu'au travers de choix clairement assumés, de processus de décision et d'exécution efficients. C'est ce qui justifie aux yeux du gouvernement le choix d'un exécutif renforcé.

Pour autant, dans une île où l'identité culturelle et le sentiment de partager une destinée commune sont si forts, il faut aussi un lieu où les débats sur les grandes options du développement puissent se dérouler, dans la confrontation de toutes les sensibilités. C'est la fonction dévolue à l'Assemblée de Corse.

Voilà donc les raisons qui ont amené le gouvernement, en accord avec de nombreux élus de Corse, à retenir un système fondé sur une claire dissociation entre les fonctions exécutives et délibératives. Dans ce but, le projet prévoit, en particulier, la mise en place d'un conseil exécutif, dirigé par un président, et responsable devant l'assemblée de Corse.

La demande est grande, dans l'île, pour que les conditions de la démocratie soient améliorées. Ceux d'entre vous qui s'y sont rendus n'ont pu ne pas l'entendre.

Le projet de loi tente de répondre à cette exigence.

Le mode de scrutin pour l'élection des conseillers de Corse s'attache à réaliser l'équilibre difficile, jamais atteint, mais plus nécessaire en Corse qu'ailleurs, entre le souci d'une majorité stable et la nécessité de représenter toutes les sensibilités politiques.

Dans le cadre d'une circonscription unique, renforçant ainsi la cohésion de la collectivité, il est proposé un scrutin de liste, à deux tours, qui préserve le droit à l'expression des minorités.

Mais les systèmes électoraux les plus élaborés, les plus équilibrés, ne sont rien si la confiance fait défaut.

Or, en Corse, les contentieux relatifs à l'inscription sur les listes électorales sont en nombre considérable. Sur les deux départements, dans les dix dernières ·années, le compte fait apparaître près de 30 000 recours. Le malaise est ancien et profond.

Une refonte complète des listes électorales en Corse est de nature à satisfaire ceux qui doutent, sans offenser ceux qui ne doutent pas. Pour être peu fréquent, cet exercice de transparence n'en est pas moins nécessaire.

Cette refonte sera menée, si le Parlement en adopte le principe, avec un souci particulier d'information des électeurs, dont l'inscription obéira aux critères du droit commun, ceux, bien connus, de l'article L. 11 du Code électoral.

Pour autant, la réforme institutionnelle, l'élargissement des compétences ne suffiraient pas à faire de la collectivité territoriale un acteur à part entière du développement de l'île.

C'est en effet là l'objectif essentiel de ce projet, qui est un projet au service du développement de la Corse.

Pour cela, la collectivité doit bénéficier de moyens nouveaux et d'outils d'interventions plus directs.

Je n'entrerai pas dans le détail de mécanismes que nous évoquerons lors de la discussion des articles du texte. Vos commissions, et notamment sur ce sujet la Commission des Finances, les ont étudiés avec attention.

Néanmoins, pour vous permettre d'apprécier, dès maintenant, de quelles marges de manœuvre disposera la nouvelle collectivité, j'exposerais les mesures les plus significatives.

Tout d'abord, le projet de loi propose à la collectivité deux outils d'intervention directe, dans des conditions plus favorables que dans le passé.

D'une part, il est prévu que soit élaboré un régime spécifique à la Corse pour les interventions économiques de la collectivité territoriale. Cette disposition vise à la fois les primes aux entreprises, les bonifications d'intérêts, mais aussi les avances remboursables, ou encore les aides aux terrains et aux bâtiments.

D'autre part, la collectivité territoriale pourra participer à un fonds de capital-risque, destiné à améliorer les fonds propres des entreprises corses, qui en ont un besoin urgent, et sains lesquels aucun développement local ne peut être sérieusement envisagé. C'est là un moyen d'intervention particulièrement dynamique, et qui a fait ses preuves.

À l'amélioration du dispositif d'aides aux entreprises, il convient de joindre la volonté de mettre en place une fiscalité juste et qui favorise les activités économiques.

Le gouvernement entend accélérer cette réforme pour doter la Corse d'un régime fiscal spécifique.

Une loi de décentralisation, celle que nous examinons, ne peut traiter de cette question. Mais elle ne l'élude pas.

En effet, la collectivité sera invitée à faire des propositions. En réponse, le gouvernement s'engage, dans un délai d'un an après la mise en place de la collectivité et de son exécutif, à déposer un projet de loi sur ce sujet.

De même, le cadre d'une politique active en matière de transports est désormais tracé.

L'organisation des transports entre la Corse et le continent présente aujourd'hui une grande complexité. Elle repose sur une multiplicité d'intervenants dont les responsabilités s'entrecroisent et ont, par conséquent, tendance à se diluer. Très souvent, l'usager identifie mal le niveau où se prennent les décisions.

Or, pour une île comme la Corse, relativement éloignée du continent, les transports représentent, on le sait bien, un enjeu capital.

À l'avenir, les choses seront simples : la responsabilité de l'organisation des transports entre l'île et le continent incombera au premier chef à la collectivité territoriale de Corse. C'est elle qui déterminera les conditions de desserte et les tarifs. Elle recevra directement l'enveloppe de continuité territoriale, qui sert à atténuer les coûts de transports.

Par ailleurs, et j'en ai dit l'importance, la collectivité territoriale de Corse aura en charge l'élaboration d'un plan de développement, ainsi que du schéma d'aménagement, qui doit traduire ce plan dans l'espace insulaire.

Le projet de loi entend simplifier les procédures, tout en conférant à l'exercice une portée accrue, puisque le schéma s'imposera aux documents d'urbanisme.

En ce début des années 1990, une collectivité qui ne parviendrait pas à formuler clairement les choix stratégiques de développement, resterait dans une position singulièrement diminuée, dans ses relations avec l'État, ou même avec les instances communautaires.

Le projet donne à la Corse les moyens de décider et d'être entendue.

Je compléterai cet inventaire des nouveaux moyens mis à la disposition de la future collectivité, en indiquant comment elle pourra faire face à ses nouvelles missions.

Son budget sera trois fois et demi celui de l'actuelle région de Corse.

Pour le financement des charges résultant de l'exercice des compétences transférées, le projet de loi reprend les mécanismes désormais traditionnels des lois de décentralisation. Ce financement sera assuré pour partie par le transfert d'impôts d'État et, pour partie par des ressources budgétaires.

S'agissant des ressources fiscales, il est prévu de transférer à la collectivité territoriale de Corse, le produit des droits de consommation sur les alcools perçus en Corse.

S'agissant des ressources budgétaires, le projet envisage la mise en place d'une dotation générale de décentralisation inscrite à un chapitre unique du budget de l'État, et qui regroupera l'ensemble des crédits budgétaires attribués à la collectivité territoriale de Corse, en compensation des transferts de compétences.

Le projet s'intéresse également à rapprocher de la collectivité pour plus d'efficacité, trois offices qui jouent en Corse, un rôle stratégique, et parmi eux, l'office des transports.

S'agissant de ces trois offices, jusqu'ici financés par des subventions de l'État, le projet de loi ne se contente pas simplement d'en faire des établissements publics de la collectivité, présidés par des membres de son conseil exécutif.

En effet, il est proposé que la collectivité, afin de mieux orienter et arbitrer, reçoive, sous forme de dotations décentralisées, les crédits que l'État affecte aujourd'hui aux offices.

Finalement, pour résumer la philosophie générale de ce projet, je dirai qu'il s'agit d'une loi de décentralisation, dont l'objectif est de donner à la Corse l'une des conditions de son développement économique un cadre institutionnel et budgétaire favorable à la mobilisation des hommes qui croient en l'avenir de l'île.

L'appui de l'État leur est assuré, comme partenaire du développement, comme est réaffirmé la présence de l'Etat dans ses missions essentielles.

Tel est donc, présenté à grands traits, le statut de la nouvelle collectivité qu'il vous est proposé d'instituer en Corse.

C'est donc ce statut qui, pour certains, mettrait en cause l'unité nationale !

À l'énoncé que Je viens de faire, qui pourrait sérieusement le croire ? Certains d'entre vous me l'ont dit, les dispositions concrètes de ce projet ne sont en réalité pas en cause. Elles sont même, par beaucoup, jugées pertinentes. La crainte est ailleurs.

Dotée d'un statut qui ne la confond pas avec les régions, la Corse ne vivra pas pour autant en marge des principes qui régissent la vie de nos institutions locales.

Le projet, dont j'ai résumé devant vous la substance, ne méconnaît pas le principe de libre administration des collectivités locales. J'oserai dire qu'il le renforce.

De même, les lois de décentralisation de 1982 s'appliquent à la Corse, dans la limite, bien sûr, des dispositions du texte dont nous débattons, s'il est adopté.

Si le Parlement l'accepte, la loi d'orientation, relative à l'administration territoriale de la République, s'appliquera en Corse, à l'exception des domaines où le législateur, dans le cadre du présent statut, aura souhaité une adaptation aux réalités locales.

Néanmoins, si cette démonstration ne suffit à rassurer ceux qui pensent encore que la cohésion nationale est menacée par le projet du gouvernement, je voudrais m'expliquer sur d'autres aspects de ce texte, ceux qu'exprime son article 1er.

Ainsi, il faut chercher si la loi peut garantir des droits à une communauté historique et culturelle, dont personne ne conteste l'existence.

Cela, les adversaires du projet seraient, me dit-on, prêts à l'entendre.

Il faut rechercher aussi ce qui fait obstacle à ce que cette communauté, dont l'identité est reconnue, soit identifiée par la loi.

J'ai bien écouté les propos tenus, à ce sujet, au cours des derniers mois.

On y trouve des affirmations, souvent sincères, exprimant l'inquiétude, chez certains, même le soupçon.

Pourtant, Je crois retrouver, dans l'histoire de la République, quelques raisons de ne pas craindre l'évocation du peuple corse.

L'histoire de la République est celle d'une unité forgée par des épreuves communes, et j'ajouterai, par une conception partagée de la citoyenneté.

Le Général de Gaulle, dans ses « Mémoires d'espoir », donne une singulière leçon à ceux qui doutent de la capacité, ancienne, de la France, à respecter et à intégrer les particularismes.

« La France vient du fond des âges. Elle vit. Les siècles l'appellent. Mais elle demeure elle-même au long du temps. Ses limites peuvent se modifier sans que changent le relief, le climat, les fleuves, les mers, qui la marquent indéfiniment. Y habitent des peuples qu'étreignent, au cours de l'Histoire, les épreuves les plus diverses, mais que la nature des choses, utilisée par la politique, pétrit sans cesse en une seule nation ».

Depuis plus de deux siècles dans la République, la Corse n'a pas cessé d'être singulière, tout en apportant sa contribution à l'effort national, dans les moments qui l'exigeaient.

Plusieurs d'entre vous sont allés en Corse, afin de préparer ce débat. Pour ma part, j'ai découvert cette île, il y a plusieurs années, hors de toute fonction officielle, et donc de la manière la plus authentique.

Or, pour qui se rend en Corse, le doute ne subsiste pas l'expression « peuple corse » est vécue, profondément, au sein de la population, à travers l'usage de la langue, les expressions de sa culture, ou l'attachement à son patrimoine et à sa terre.

Alexandre Sanguinetti peu suspect de trahir l'idéal jacobin, évoquait le peuple corse dans de nombreuses pages d'un ouvrage dédié, sous forme de « lettre ouverte », à ses compatriotes corses en 1980.

D'autres ne l'ont pas démenti, et même un ancien ministre de l'Intérieur, aujourd'hui membre influent de votre assemblée, évoquait en rappelant ses origines corses « cette nécessité d'en venir à nos sources de peuple fier et libre, vivant au sein d'une France porteuse du message de l'humanisme et de la démocratie ». C'était au cours d'une allocution prononcée le 16 janvier 1987, à l'Hôtel de Ville d'Ajaccio, et dans un contexte d'appel au sentiment patriotique.

L'existence du peuple corse n'étant guère contestable, il reste à assurer, aux uns et aux autres, que l'évocation du peuple corse ne s'écarte pas de notre tradition constitutionnelle.

La souveraineté du peuple français est-elle altérée ? Rien, dans le projet qui vous est soumis, ne porte atteinte à la conception de la souveraineté nationale, inscrite à l'article 3 de notre Constitution, puisque le peuple français en reste le seul détenteur.

L'invisibilité de la République est-elle affectée ? J'attends que l'on démontre que l'article 1er, seul ou combiné avec d'autres dispositions, conduit à diviser le pouvoir législatif.

L'unité de l'État est-elle atteinte ? Les lois de la République, votées par le Parlement, sont applicables en Corse. Les représentants de l'État, dans l'île, n'abandonnent en rien les missions essentielles, qu'ils exercent dans les domaines de la sécurité, de la justice ou du contrôle des institutions locales.

Pour être historiquement fondée, et juridiquement acceptable, l'évocation du peuple corse est-elle, tout simplement, utile ?

Cette reconnaissance de la diversité, au sein de notre ensemble national, n'a de sens que si une majorité de Corses en exprime le souhait ou, au moins, y est favorable. Cette condition me paraît remplie.

L'Assemblée de Corse n'en doutait pas lorsqu'elle affirmait, par une délibération du 13 octobre 1988, adoptée presqu'à l'unanimité, l'existence du peuple corse au sein de la République.

Le projet du gouvernement ne dit rien d'autre.

Mesdames, Messieurs les Sénateurs, je vous ai dit ma conviction.

En Corse, les lois de la République doivent s'appliquer comme ailleurs. L'autorité de l'État s'exerce, là comme ailleurs. Elle n'est jamais négociable.

Cet effort n'est pas suffisant.

En Corse, plus qu'ailleurs, une politique de solidarité et d'aménagement du territoire doit être poursuivie.

En Corse plus qu'ailleurs, un effort supplémentaire de décentralisation doit être conduit, dans le cadre permis par la Constitution.

C'est à cette exigence que le projet de loi du gouvernement s'efforce de satisfaire. Le débat public, que le Sénat entame aujourd'hui, doit être l'occasion de faire entendre, au Parlement, les aspirations de la Corse et la réponse, réfléchie et responsable, du législateur.