Extraits de l'interview de M. Michel Rocard, Premier ministre, dans "Le Dauphiné" du 26 septembre 1990, sur le renouveau du service public, le projet de budget pour 1991 et la contribution sociale généralisée.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Inauguration du salon "Cap'Com" (Cap sur la communication) à Valence le 26 septembre 1990

Média : Le Dauphiné libéré

Texte intégral

Michel Rocard : « CAP'COM » est unique en son genre, c'est à ma connaissance, la seule manifestation exclusivement consacrée à la communication des collectivités publiques, qu'il s'agisse des collectivités locales ou de l'administration.
Cette manifestation a donc une grande importance car elle permet à tous les professionnels qui sont préoccupés par l'amélioration de la qualité du service public et de sa communication de se retrouver pour échanger leurs expériences.
J'ajouterai que Valence est une ville dynamique et que ce salon en est la preuve.

Q : Pensez-vous que la communication des collectivités locales et des institutions publiques soit aujourd'hui satisfaisante ?

Michel Rocard : Elle s'améliore régulièrement. Comme vous le savez j'ai lancé une vaste politique de Renouveau du service public en février 89. Une meilleure relation entre l'administration et les citoyens est l'un des objectifs majeurs de cette politique. Les professionnels de la communication ont certainement un rôle à jouer pour que les textes soient clairs, que les informations soient précises, que les plaintes ou les questions des usagers puissent remonter jusqu'au bon interlocuteur, bref, que le dialogue se noue, que le style et la nature des relations puissent se transformer.

Q : Avez-vous des suggestions à faire dans ce domaine ?

Michel Rocard : Je prendrai quelques exemples. D'abord le dialogue avec les fonctionnaires : le ministère des PTE a engagé sa réforme en lançant un vaste « débat public » qui a permis une concertation approfondie. Près de 8 000 réunions se sont déroulées à tous les niveaux hiérarchiques. Le ministère de la Solidarité a fait de même dans les hôpitaux pour la réforme hospitalière et toute la fonction publique s'est lancée dans les rencontres du Renouveau avec 30 forums régionaux au cours de l'année 1990.
Ensuite, le partenariat : les principales campagnes de la délégation à la sécurité routière se font en partenariat avec les constructeurs automobiles, les groupes pétroliers et les assureurs français. Tous ceux qui sont concernés par le problème agissent ensemble.
Enfin, le dialogue avec la population. Aujourd'hui, la plupart des campagnes gouvernementales ne font pas appel aux techniques classiques de la publicité mais mettent en place des dispositifs (Numéro Vert, Minitel) qui permettent aux gens de réagir, de poser des questions, de s'informer sur leurs droits.
Le Numéro Vert pour l'enfance maltraitée mis en place par le secrétariat d'État à la famille est sans doute le meilleur exemple mais il est loin d'être le seul. Aujourd'hui la communication des institutions publiques, ce n'est plus une simple transmission d'informations du sommet vers la base, c'est un dialogue permanent.

Q : Si vous deviez politiquement définir le projet de budget pour 1991, vous diriez qu'il est d'inspiration socialiste, sociale démocrate ou plutôt libérale ? Avez-vous bon espoir d'éviter le recours à l'article 49-3 pour son vote à l'Assemblée ?

Michel Rocard : Le budget pour 1991 est équilibré. Il maintient la priorité à l'emploi et continue de favoriser les investissements des entreprises. Pour les dépenses, les priorités sont elles aussi maintenues, formation, recherche, logement social, justice principalement. Le président de la République et moi-même y avons soigneusement veillé. Ces priorités là me semblent suffire à caractériser le budget. Nous avons également dû prendre diverses mesures d'adaptation à la crise du Golfe pour que les Français n'aient pas à être plus tard victimes de l'imprévoyance des pouvoirs publics. C'est donc à l'évidence un budget de justice et d'efficacité. Je ne sais s'il pourra passer sans recours à l'article 49-3, mais je suis en tout cas prêt à en assumer la responsabilité.

Q : Etes-vous favorable à l'instauration de la contribution générale de solidarité ?

Michel Rocard : L'instauration d'une contribution sociale généralisée répond aussi au souci d'assurer un financement plus juste de la Sécurité sociale et, ainsi, de conforter notre système de protection sociale.
Alors que la Sécurité sociale s'est progressivement généralisée et est pour ainsi dire universelle, le financement repose aujourd'hui sur les seuls revenus du travail. Qui plus est les cotisations sociales sont aujourd'hui dégressives par rapport aux revenus.
La contribution sociale généralisée mettra à contribution tous les revenus, sur le principe simple : à revenu égal, contribution égale. Elle sera légèrement progressive et donc, répondra à notre objectif de plus grande justice sociale.
J'ajoute que la contribution sociale généralisée n'est pas un impôt supplémentaire. Elle se substituera à des prélèvements existants : le 0,4 % sur les revenus imposables prélevé depuis 1987 et des cotisations salariales plafonnées.
Traduction de cet effort de justice sociale : 83 % des salariés y gagneront en 1981. Le salarié au SMIC verra ses charges sociales allégées de 600 à 700 F par an.
Cela fait maintenant plus de 10 ans que la réforme du financement de la protection sociale fait l'objet de déclarations d'intention et de pétitions de principe de la plupart des partis politiques et des organisations syndicales.
Nous proposerons donc, cet automne au Parlement, d'engager progressivement cette réforme structurelle de la Sécurité sociale qui exprime la vocation d'universalité de la Sécurité sociale, traduit nos objectifs de solidarité nationale et recherchent l'équité sociale.
Bien évidemment, il ne s'agit pas « d'organiser la fuite en avant » par une augmentation des prélèvements obligatoires. C'est pourquoi la mise en oeuvre de la contribution sociale généralisée devra s'accompagner d'un effort accru de maîtrise des dépenses sociales.

Q : Il y a maintenant 2 ans et demi que vous avez été nommé à Matignon. Quelles ont été vos plus grandes satisfactions ? Vos plus cruelles déceptions ?

Michel Rocard : Mes plus grandes satisfactions ? Celles que fournissent le sentiment de travail fait avec opiniâtreté et continuité, les réformes que nous avons entreprises sont souvent peu bruyantes mais réellement profondes et je sais que nous en récolterons les fruits.

Quant aux cruelles déception, je n'en ai pas eues, mais c'est sans doute parce que je ne m'étais jamais laissé aller à nourrir des illusions. Je n'ai jamais cru, par exemple, que le chômage pouvait être vaincu facilement et je ne suis donc nullement découragé de continuer à l'attaquer.