Interviews de M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, à France 2 et dans "Ouest France" les 24 et 27 septembre 1997, sur les dispositions du projet de budget 1998 en ce qui concerne la fiscalité, les prévisions de croissance économique et la politique familiale.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Approbation par le Conseil des ministres le 24 septembre 1997 du projet de loi de finances pour 1998.

Média : France 2 - Ouest France - Télévision

Texte intégral

France 2 – mercredi 24 septembre 1997

D. Bilalian : On a entendu la réplique de l'opposition. Tout le monde reconnaît votre habileté dans la construction de ce budget mais 14 milliards d'impôts nouveaux, on s'était peut-être, nous contribuables, habitués à voir les impôts baisser.

D. Strauss-Kahn : Mais s'il y a 14 milliards d'impôts nouveaux, c'est parce qu'il y a de la croissance. Et en réalité, la richesse nationale augmente de beaucoup plus que ça. Si bien qu'au total, le rapport des impôts à la richesse va baisser. L'opposition, c'est son rôle, je ne lui en veux pas, essaye d'aligner les milliards en plus. Mais heureusement quand le pays se développe, les impôts rentrent plus. Si demain la consommation augmente, ce que j'espère, comme elle le fait en ce moment, la TVA va rentrer plus. Est-ce qu'on va s'en plaindre ? Bien sûr que non. C'est bien que les impôts rentrent plus parce qu'il y a plus de développement économique, parce qu'au bout, ça voudra dire plus d'emplois. Et donc, regardons les choses sérieusement en face parce que c'est le premier point qu'on aborde et il est très important. Les Français doivent savoir que ce budget est fondé sur un État économe : c'est la première fois depuis 20 ans que les dépenses ne croissent pas en termes réels. En termes réels, c'est zéro. Le train de vie de l'État : zéro. Alors on l'a vu, ça fait des économies sur des choses, la dépense par exemple. Et le Président de la République a dit : ça va bien pour cette fois-ci mais enfin l'année prochaine, il faudra un peu augmenter. On en reparlera. En tout cas, il y a des choses qui baissent parce qu'en moyenne, le train de vie de l'État, c'est zéro. Et du coup, il n'y a pas besoin d'augmenter les impôts. Ils augmentent par la croissance. J'ai amené un petit graphique. Que voit-on ? L'impôt sur le revenu, en 1997 et en 1998, il va baisser. Le poids de l'impôt sur le revenu par rapport à la richesse du pays, de 3,6 à 3,5. Vous me direz que ce n'est pas beaucoup mais c'est un premier pas. La TVA par rapport à la richesse nationale : 1997 : 7,7 au total ; 1998 : 7,5, elle baisse. L'impôt sur les sociétés, lui, il augmente. Et donc, la réalité des choses c'est que, parce que nous avons de la croissance, parce que la richesse augmente, les impôts augmentent mais moins et au total, la pression fiscale sur vous, sur moi, sur l'immense majorité des Français diminue. C'était un engagement du Premier ministre, il est respecté.

G. Leclerc : Certains vont payer plus et notamment les familles puisque vous allez réduire de moitié les avantages fiscaux pour les emplois à domicile. Vous diminuez également par deux le bénéfice de l'allocation garde d'enfant plus le plafonnement des allocations familiales. Au total, ça fait 7 milliards environ. Pourquoi s’en prendre comme ça aux familles ?

D. Strauss-Kahn : Il ne faut pas dire une chose pareille. Les familles ne sont pas concernées par cette affaire. L'emploi à domicile dont vous parlez, on diminue le plafond de 90 000 à 45 000. Ça fait moins de 50 000 ménages, 0,25 %. Tous les gens qui nous regardent, les 99,75 % des familles qui nous regardent ne sont pas concernées. Ce sont 0,25 % des familles qui effectivement avaient un avantage, je vous le dis clairement, qu'on a trouvé injuste parce qu'on aboutissait à une situation où les gens qui ont les plus hauts revenus arrivaient à voir leurs impôts baisser à cause de méthodes de ce genre.

G. Leclerc : Mais il y a également l'allocation garde d'enfants, les allocations familiales, tout s'accumule.

D. Strauss-Kahn : Oui tout s'accumule mais l'allocation garde d'enfants comme l'allocation pour l'emploi à domicile, ça touche moins de 1 % de la population. Donc il ne faut pas dire les familles. Je vais vous dire moi : le quadruplement de l'allocation de rentrée scolaire, ça se sont les familles, toutes les familles. Le fait qu'on ait rétabli l'abattement pour frais de scolarité, 1 000 francs pour un enfant au lycée, 600 francs pour un enfant au collège, ça c'est toutes les familles. Le fait qu'il y ait 8 milliards de francs pour les emplois jeunes et qu'il y ait 150 000 jeunes qui vont trouver de l'emploi, ça c'est pour les familles et il ne faut pas dire, même si certains effectivement vont en pâtir, que les familles pâtissent. Certains, parce qu'il y a des injustices. Il faut le dire clairement, ce budget a visé à faire disparaître des injustices. Ça c'était une injustice, il y en a d'autres, d'où des moyens d'échapper à l'impôt. Ce que nous voulons, c'est qu'à même revenu, on paye le même impôt. Il n'y a pas de raison que, parce qu'on a un bon conseiller fiscal, on arrive à trouver des moyens pour échapper à l'impôt. Il ne faut pas que l'impôt soit trop élevé, je l'ai montré là, il va plutôt baisser au total. Mais il ne faut pas qu'il y en ait qui aient des ruses pour échapper à l'impôt.

D. Bilalian : De baisse en baisse, venons-en à des vraies augmentations. Il y a quand même l'augmentation des impôts sur les bénéfices des grandes entreprises.

D. Strauss-Kahn : Sauf que c'est l'année dernière, c'est 1997. En 1998, rien ne change. J'ai vu cela dans votre présentation. C'est un peu exagéré !

G. Leclerc : Il y a 9 milliards de plus quand même sur un certain nombre de mécanismes.

D. Strauss-Kahn : Vous avez raison. Ce n'est pas l'impôt sur les sociétés ; lui, il n'a pas bougé. Il y a effectivement ces 9 milliards en fait au total. 4 milliards, ce sont les injustices corrigées du côté des ménages, 9 milliards se sont les injustices corrigées du côté des entreprises. Là aussi, il y avait des injustices. Encore une fois, un système fiscal, c'est quelque chose qui ne doit pas laisser des gens échapper à la règle que sert tout le monde. Vous croyez que les milliers, les centaines de milliers de PME qui vivent dans ce pays sont contentes de ce que 10 000 entreprises puissent trouver des ruses pour ne pas payer l'impôt ? Ce n'est pas normal ! Il faut supprimer ces ruses. C'est ce que nous avons fait. Mais au total, cela rapporte très peu et ces 14 milliards que vous évoquez c'est beaucoup moins que la croissance économique et donc, au total dans notre pays, l'année prochaine, la pression fiscale baisse.

G. Leclerc : Il y a une idée très largement partagée qui est que trop d'impôts tue l'impôt. Or le gouvernement précédent comptait baisser l'impôt sur le revenu et vous, vous ne le faites pas.

D. Strauss-Kahn : Ce que je sais du gouvernement précédent, c'est que quand il était en place, les prélèvements obligatoires, les impôts ont augmenté. Ce que je veux dire, c'est que j'aime bien les annonces mais j'aime mieux la réalité. La réalité, on l'a vue : cela a été 116 milliards de hausse de la TVA. Tous les Français s'en souviennent.

G. Leclerc : Mais là, on ne pouvait pas faire quelque chose ? Baisser un peu les impôts ?

D. Strauss-Kahn : Il faut quand même rappeler que ce budget est très difficile à faire. Rappelez-vous, au mois de mars dernier, la dissolution ! Une partie des gens dans la majorité ancienne la justifiait en disant que ce n'était pas possible, qu'on n'allait pas s'en sortir. Ils ont lâché le gouvernail dans la tempête en disant : c'est trop dur, il vaut mieux dissoudre ! Nous, on a repris le gouvernail dans la tempête et on a mené le bateau au port.

G. Leclerc : Les experts s'étaient trompés.

D. Strauss-Kahn : Ils ne s'étaient pas tellement trompés. C'est difficile. On a réussi à faire 3 % de déficit et on baisse le déficit pour qu'il y ait moins de dettes à l'avenir parce que la dette, ce sont nos enfants qui la paieront et donc, il faut la diminuer. On arrive à diminuer la dépense. Jamais on a fait autant d'économies, jamais on a limité les dépenses à ce point-là ! On arrive à retrouver la justice fiscale. Ce sont les exemples que je vous ai donnés tout à l'heure et en plus dans l'opération, on arrive à aider l'activité. Je voyais dans vos chiffres que vos montriez, par exemple, que sur la TVA, on va pouvoir la déduire de son impôt et quand on ne paie pas d'impôt, on sera remboursé directement par le fisc, une partie de la TVA que l'on paie sur les travaux d'entretien et la rénovation. Cela va relancer le bâtiment ! Il y a des mesures pour aider les PME innovantes dans le domaine de l'informatique, des logiciels, là où on en a besoin. Cela, ce sont des mesures qui soutiennent la croissance.

D. Bilalian : C'est un budget qui est basé sur une croissance que vous estimez à 3 %. Vous êtes sûr de vous ?

D. Strauss-Kahn : Une prévision est une prévision. Le dernier budget a été prévu sur 2,3 % et cela n'a été que 2,2 %. Là, on prévoit 3 mais je crois que c'est une prévision assez raisonnable. On fera peut-être un peu mieux. 3 %, c'est le retour à la croissance et le retour à la croissance pour nous, cela veut dire à la fois des impôts qui peuvent baisser, la pression fiscale qui peut baisser et demain, c'est-à-dire à partir du milieu de 1998, le retour à l'emploi. Et moi, je vais vous dire, honnêtement, ce budget avec les priorités qu'il a comme l'éducation, la justice, la culture, avec les mesures qui soutiennent l'emploi, avec la fin d'un certain nombre d'injustices sociales, avec la pression qui n'augmente pas, c'était un peu la quadrature du cercle et c'est pour cela que l'ancien gouvernement a lâché le manche. Je crois qu'on y est parvenu, principalement parce que l'État a baissé son train de vie, parce qu'on a été économe.

D. Bilalian : Un mot sur l'enquête de l’Insee sur les inégalités devant l'impôt.

D. Strauss-Kahn : Vous avez vu, la TVA, il faut la baisser. Elle taxe plus fortement les plus pauvres que les plus riches. Il faut donc la baisser et c'est ce qu'on fait.

D. Bilalian : C'est le plus indolore des impôts mais c'est le plus injuste.

D. Strauss-Kahn : C'est le plus injuste, vous avez raison. C'est pour cela qu'il faut que cela se fasse progressivement. Cela se fait lentement, il ne faut pas de révolution. Il faut faire doucement mais il faut la baisser. Et l'impôt sur le revenu, pourquoi ce dernier n'est pas si progressif qu'on le voudrait ? C'est parce que certains profitent à plein des déductions. Eh bien, ce sont ces déductions-là que petit à petit nous faisons disparaître parce que c'est la justice.


Ouest-France : samedi 27 septembre 1997

Ouest-France : L'opposition vous reproche d'avoir truqué le chiffre des hausses d'impôts...

Dominique Strauss-Kahn : L'opposition aligne des chiffres différents selon les interlocuteurs. En fait, elle additionne des choux et des carottes, des hausses de 1997 et des hausses de 1998, des mesures nouvelles et des hausses spontanées dues à la croissance. La réalité, c'est qu'il y a 14 milliards de prélèvements nouveaux. Comme, par ailleurs, la richesse nationale (le PIB) augmente plus vite encore, cela fait in fine une diminution de la pression fiscale.

Ouest-France : Pourquoi de nouveaux impôts sur les ménages ?

Dominique Strauss-Kahn : Le gouvernement de Lionel Jospin a voulu clairement corriger certaines injustices. Un seul exemple : les quirats. Cet abattement d'impôts sur la propriété des navires marchands était censé servir le pavillon français. La réalité, c'est que c'est une manière d'échapper à l'impôt sur le revenu. Les quirats coûtent 5 millions de francs par emploi. La vérité c'est que ça n'a pas tellement servi l'emploi. Mais ça a servi exactement 1 000 contribuables sur 30 millions et 20 sociétés.

Ouest-France : Mais, derrière les quirats, il y a le problème de la survie de la construction navale française ?

Dominique Strauss-Kahn : Les quirats n'ont profité aux chantiers français que pour 25 % du total ! Je ne dis pas que la construction navale n'est pas importante. Je dis que l'outil des quirats canalise beaucoup d'argent pour peu de résultats, qui plus est en favorisant l'évasion fiscale. S'il faut aider la navale faisons-le plus directement.

Ouest-France : Il n'y a aucune mesure sur l'impôt sur la fortune ?

Dominique Strauss-Kahn : C'est un impôt mal construit. Simplement, on veut y aller progressivement. Le gouvernement, après avoir réduit cette année des injustices sur l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés, va maintenant conduire, avec le Parlement, une réflexion sur la fiscalité locale et celle du patrimoine.

Ouest-France : La baisse de la TVA promise sur les produits de première nécessité est passée à la trappe ?

Dominique Strauss-Kahn : Le problème, c’est qu’il n’y a quasiment plus que le chocolat parmi les produits dont la législation européenne autorise qu'ils passent au taux minimal. Il s’agit donc de commencer par faire bouger la liste des produits concernés auprès de Bruxelles. En attendant, on a préféré utiliser la marge de baisse de la TVA sur les travaux de rénovation et d'entretien des logements. Les HLM et les logements sociaux vont bénéficier à plein de la baisse de la TVA sur ces travaux de 20,6 % à 5,5 %. Les propriétaires individuels et les locataires vont également profiter de cette baisse. Ils pourront déduire 15 % de TVA de leur impôt sur le revenu. C'est vrai aussi pour ceux qui ne sont pas imposables : ils seront directement remboursés.

Ouest-France : On vous accuse aussi, dans le budget, de matraquer les classes moyennes...

Dominique Strauss-Kahn : C'est scandaleux. Prenons l'exemple de la réduction d'impôt pour emploi à domicile. Il faut que tout le monde sache que la baisse du plafond de 90 000 F à 45 000 F concerne 69 000 foyers fiscaux sur 30 millions, c'est-à-dire 0,23 %. Cela en dit long sur la population que la droite veut soutenir.

Ouest-France : Votre politique de la famille ne manque-t-elle pas de lisibilité ?

Dominique Strauss-Kahn : C'est possible, on ne l'a sans doute pas suffisamment bien expliquée. Mais il n’est pas douteux qu'on fait beaucoup pour la famille. Ne serait-ce qu’au travers de la multiplication par quatre de l'allocation de rentrée scolaire, du rétablissement de la déduction de frais de scolarité (1 000 F pour chaque enfant au lycée et 400 F au collège) et de la promotion des emplois jeunes.

Ouest-France : L'allocation pour le premier enfant est-elle prévue rapidement ?

Dominique Strauss-Kahn : C'est une idée qui a été évoquée. Mais, pour l'instant, il n'y a pas de décision prise, compte tenu notamment de la situation financière de la branche famille.

Ouest-France : Le CNPF menace d'une politique de la chaise vide pour la conférence sur l’emploi du 10 octobre...

Dominique Strauss-Kahn : Aucun des partenaires sociaux de ce pays ne peut refuser de s'asseoir autour de la table pour discuter du principal sujet d'inquiétude des Français : l'emploi. Ce serait inexcusable.

Ouest-France : Le CNPF est crispé contre la loi-cadre sur les 35 heures. Vous dites maintenant que rien n'est figé. Une nouvelle ouverture ?

Dominique Strauss-Kahn : Je ne fais pas une ouverture. Ce propos ne doit pas être interprété dans un sens ou un autre. Martine Aubry consulte les partenaires sociaux. Le gouvernement donnera sa position le 10 octobre.

Ouest-France : C'est pour quand le retournement des chiffres de l'emploi ?

Dominique Strauss-Kahn : Dans un contexte de reprise de la croissance et de la consommation - plus forte que prévu - on peut espérer une amélioration de l’emploi plus tôt que prévu : vers le milieu de 1998.