Interview de Mme Elisabeth Guigou, ministre de la justice, dans "Le Journal du dimanche" du 28 mars 1999, sur le projet de loi relatif à la présomption d'innocence et aux droits des victimes et la limitation des pouvoirs des juges d'instruction.

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Média : Le Journal du Dimanche

Texte intégral

Q  - L'examen à l'assemblée de votre projet de loi sur le renforcement de la présomption d'innocence a été animé…

C'est normal, c'est un texte important. D'abord, il renforce les garanties des victimes. Leur indemnisation va être considérablement améliorée, elles pourront aussi mieux se faire entendre pendant le procès. Pour ce qui est des personnes mises en cause, nous renforçons les droits de la défense tout au long de la procédure judiciaire et, pendant la garde à vue, avec la présence de l'avocat à la première heure et à la vingtième heure. Nous créons un juge de la détention provisoire, qui sera chargé de prendre la décision de la mise en détention ou sa prolongation, sur proposition du juge d'instruction.

Q  - A quoi attribuez-vous les nombreux amendements visant à limiter les pouvoirs des juges d'instruction et ceux des média ?

Le Premier ministre et moi avons fait un choix très clair : nous maintenons les principes de notre procédure, et nous maintenons le juge d'instruction. Du côté de la droite, notamment autour de M. Balladur, se sont exprimées des positions qui visaient en réalité à basculer dans la procédure anglo-saxonne, qui supprime le juge d'instruction. Je trouve que du  point de vue des libertés individuelles et de l'égalité, notre système est bien meilleur (...) contrôle l'enquête, il instruit à charge et à décharge. Pour faire valoir ses droits, il n'est pas nécessaire d'avoir une fortune énorme et de s'offrir les services de plusieurs avocats. S'agissant de la presse, des projets d'amendements visaient à lui interdire de citer les noms de personnes mises en cause. Je m'y suis vivement opposée parce que le gouvernement refuse tout ce qui pourrait porter atteinte à la liberté d'expression.

Q  - Pourquoi interdire aux médias de montrer des images de personnes menottées ?

Il s'agit de protéger la dignité des personnes mises en cause. On n'a pas besoin de ces images pour faire de l'information. Mon texte prévoit d'ailleurs que les responsables de la justice mettent le moins souvent possible les menottes à des gens qui sont présumés innocents.

Q  - La durée de détention provisoire n'a été réduite que pour les personnes qui voient un juge d'instruction, pas pour celles qui sont jugées en comparution immédiate. N'est-ce pas un système à deux vitesses ?

La comparution immédiate est une procédure rapide, qui permet de traiter la petite et moyenne délinquance. Pour les affaires graves, c'est la juge d'instruction qui est saisi. J'avais proposé qu'il y ait une cohérence entre les seuils à partir desquels on pouvait mettre en détention provisoire. Les députés ont souhaité élever ces seuils pour le passage devant le juge d'instruction. Nous verrons en deuxième lecture comment rétablir la cohérence. Mais en comparution immédiate, il ne faut pas priver les magistrats de pouvoir mettre en détention provisoire pour ce qui concerne la délinquance urbaine. Cela renforcerait le sentiment d'impunité et d'insécurité.

Q  - Que répondez-vous à ceux qui disent que le texte est plus favorable aux puissants qu'aux humbles ?

Si j'avais voulu un texte fait pour les puissants, j'aurais repris la proposition de M. Balladur qui consiste à supprimer la mise en examen et je me serais mois intéressée à la garde à vue et à la détention provisoire. J'aurais accepté qu'on muselle la presse. Mon texte s'intéresse à la protection de M. et Mme Tout-le-Monde, ces personnes qu'on place inutilement en garde à vue ou qu'on met en détention provisoire alors qu'elle vont être reconnues innocentes.

Q  - Comment expliquer l'intérêt croissant des responsables politiques pour ce qui concerne la prison ?

Et bien je m'en réjouis ! Si nous avons encore des prisons qui datent du XVIIIe siècle, c'est parce que la nation tout entière ne s'est pas suffisamment intéressée à ce qui s'y passe. J'ai entrepris des programmes de rénovation, et la construction de six nouveaux établissements. Mon but, c'est d'arriver à une personne et une douche par cellule. Mais il faut encore diminuer la population pénitentiaire.

Q  - Certains députés souhaitent réduire le délai de prescription de l'abus de bien social, ce qui aurait pour effet de réduire le nombre des « affaires »…

C'est une question qui est soulevée depuis quelques années par les députés et sénateurs de droite. J'ai même trouvé un projet de loi quand je suis arrivée au ministère de la Justice. Je dis non. Nous avons trop de délinquance économique et financière. Je ne ferais rien qui limitera les investigations des magistrats dans ce domaine. Nous n'avons pas à donner le signal (...) moins vigoureusement contre la délinquance économique et financière. Nous devons, au contraire, faire comprendre que doivent s'imposer d'autres pratiques.

Q  - On entend à nouveau parler d'amnistie…

C'est demandé officiellement par un responsable de l'opposition. Le gouvernement ne peut pas accepter cela. Au nom de quoi ? Nous avons des lois, il faut les appliquer. Personne ne comprendrait une nouvelle amnistie.

Q  - Dans l'actualité judiciaire, que vous inspirent les affaires Chirac et Dumas ?

Je ne fais aucun commentaire sur les affaires judiciaires en cours.