Déclarations de Mme Catherine Traumann, ministre de la culture et de la communication et porte-parole du gouvernement, sur la place du cinéma dans la société contemporaine, sur l'Europe de l'audiovisuel notamment les programmes Media 2 et Eurimages, sur l'harmonisation des droits d'auteurs d'oeuvres audiovisuelles ou numérisées au niveau européen, sur la distribution et l'exploitation de films, Paris le 16 septembre et Dijon le 25 septembre 1997.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Catherine Trautmann - ministre de la culture et de la communication et porte-parole du gouvernement

Circonstance : Conclusion du Forum européen du cinéma à Paris le 16 septembre 1997. Congrès des exploitants de cinéma à Dijon le 25 septembre 1997

Texte intégral

Conclusion du Forum européen du cinéma - 16 septembre 1997

Je suis heureuse d’être ici pour conclure la deuxième édition du Forum du cinéma européen dans ce lieu où comme parlementaire, j’animais l’intergroupe cinéma. La journée de clôture au Parlement a permis cet exercice précieux qu’est un échange entre professionnels et politiques. Je voudrais tout d’abord saluer la qualité des débats auxquels je viens d’assister qui couronnent le travail réalisé dans les ateliers organisés par le forum. De telles initiatives me semblent être des moteurs essentiels à la construction européenne dans ce qu’elles apportent de contacts de réflexion et de propositions. Je tenais enfin à saluer la force de la programmation cinématographique qui a accompagné les ateliers, et qui, à elle seule, démontre que la lutte pour que perdure un cinéma varié, aux couleurs culturelles riches doit être pour nous une priorité.

Vous savez combien je suis attachée à la construction d’une Europe de la culture. Les convictions que j’ai pu défendre en tant qu’élue, c’est aujourd’hui comme ministre de la culture et de la communication que je veux les affirmer.

Les images animées ont d’abord été projetées, puis transmises par voie hertzienne, par réseaux câblés et par satellites ; elles sont aujourd’hui numérisées. Si les supports et les modes de transmission changent, le film demeure au cœur de toutes ces transformations technologiques.

C’est pourquoi, de manière liminaire, je voudrais évoquer la place du cinéma dans notre société contemporaine. Le cinéma est, depuis sa naissance, un des arts les plus populaires, si ce n’est le plus populaire. Le film projeté dans son milieu naturel, la salle, demeure dans l’ensemble des pays européens la principale pratique culturelle.

Je voudrais souligner que l’industrie cinématographique européenne va plutôt mieux aujourd’hui qu’il y a quatre ans. Je ne citerai que quelques chiffres : la Grande-Bretagne qui produisait 60 films en 1993, en produit quasiment le double en 1996 ; le nombre d’entrées y est passé de 115 à 125 millions. En Espagne, le nombre de films produits a également augmenté d’un tiers (64 à 91), le nombre d’entrées étant quant à lui, passé de 88 à 101 millions. Je ne multiplierai pas les exemples. Je souhaite juste souligner que l’on sent un frémissement qui se traduit par l’augmentation du nombre de films produits, le nombre d’entrées et par l’élargissement du marché pour les films européens.

Il faut ajouter à cela que le patrimoine cinématographique est l’un des grands patrimoines du vingtième siècle. Il fait partie de notre culture commune. Les cinémathèques qui se sont constituées les différents pays européens ont su très vite reconnaître la valeur patrimoniale de cet art et, grâce à des cinéphiles, elles ont depuis de longues années amassé des trésors qu’elles restituent au public, redonnant une actualité toujours intacte à ces images du passé.

Je voudrais maintenant évoquer le rôle de la télévision, puis que l’on ne saurait parler de cinéma sans parler de télévision. Mais il est indispensable de dépasser cette vision binaire de la diffusion du film. La télévision n’est pas qu’un support, elle est objet de culture à part entière. N’oublions pas que la génération des jeunes adultes d’aujourd’hui est née avec elle. La télévision fait partie de notre vie quotidienne.

Elle est constitutive, au même titre peut-être que l’école, de la construction du champ de notre connaissance, du regard que nous portons sur le monde, de notre appréhension de la réalité. Si l’école et la télévision partagent le concept des grilles de programmes, ce devrait être, bientôt, au service de l’éducation de notre regard.

L’évolution très rapide de l’environnement audiovisuel nécessite un renouvellement de l’approche des questions ayant trait à l’audiovisuel. L’émergence des bouquets satellitaires constitue le dernier bouleversement en date dans l’audiovisuel. On constate déjà qu’ils permettent de sortir de la pénurie de canaux de diffusion et favorisent la multiplication des chaînes. Cette nouvelle donne déplace la frontière de nos relations avec le continent américain.

Les bouquets satellitaires sont pour nous une double chance, culturelle et économique. Chance d’abord si l’on prend les moyens d’accompagner cette évolution auprès du public. On peut en effet craindre que cette multiplication banalise encore plus l’image. Au contraire, je souhaite que cette nouvelle richesse puisse être pour le spectateur un moyen d’apprendre à construire une distance par rapport aux images, à devenir partenaire et non plus esclave de ce qu’il regarde à la télévision ou voit au cinéma. Au-delà des intentions, il s’agit de prendre rapidement nos responsabilités. Cette éducation à l’image doit être pensée par les professionnels et les pouvoirs publics pour qu’en effet, ne se creuse pas le fossé entre ceux qui sauront trier et décoder, et ceux qui continueront à subir parce qu’ils manqueront des clés d’analyse.

Chance ensuite car la possibilité pour chacun de recevoir des chaînes de l’Europe entière – et au-delà du monde entier –, participe à la construction de l’Europe culturelle. L’accès à des programmes et à des films en d’autres langues, réalisés par des auteurs d’autres pays européens permet en effet de concilier ce qui nous semble aujourd’hui si difficilement conciliable, l’expression de chaque spécificité culturelle et son appréhension par les autres peuples européens. L’Europe culturelle se fera si l’on parvient à la fois à maintenir des expositions culturelles fortes et diverses et à les diffuser.

Chance enfin parce que la multiplication des canaux de diffusion devrait donner un nouveau souffle aux industries de programmes. Qu’il s’agisse des films, des fictions cinématographiques, des dessins animés, des émissions de divertissement, ou des documentaires, ces nouveaux réseaux créent un espace qui autorise a priori la pluralité d’expression. Mais cela implique d’en prendre conscience, au risque de le laisser se remplir par l’industrie fa plus puissante, l’industrie de programmes américaine. Cela exige aussi de ne pas laisser le film se concentrer sur les chaînes thématiques et disparaître des grilles des chaînes généralistes qui perdraient de ce fait un pilier de leur programmation.

Je voudrais à présent évoquer le caractère irréductible de la spécificité audiovisuelle. L’audiovisuel est traversé, de manière plus ou moins explicite, par ce qui fait l’essence d’une culture. Les Américains l’ont compris très tôt en prenant la mesure de son importance comme vecteur culturel. Aujourd’hui, ne pas se battre pour l’existence d’un secteur audiovisuel européen équivaudrait à ne pas se donner les moyens de véhiculer auprès de chacun des citoyens l’essence même de notre culture.

La convergence entre l’audiovisuel et les télécommunications fait, comme vous le savez, l’objet de nombreux débats, dans les instances nationales et internationales. Déjà, certains programmes de radio peuvent être reçus par l’internet et les câblo-opérateurs commencent à proposer des services de téléphonie. Dans le cadre d’expérimentations, des programmes de télévision sont proposés par l’intermédiaire du réseau téléphonique.

Ces évolutions techniques et la mondialisation des réseaux informatiques comme internet servent de prétexte à certains États pour demander la suppression de toute réglementation sur les contenus, voire pour attaquer les obligations de diffusion et d’investissement sur les réseaux traditionnels.de diffusion.

Soyez assurés que Je Gouvernement français veillera à ce que la déréglementation en cours des infrastructures n’entraîne toutefois pas celle, incontrôlée, des contenus. Nous n’accepterons pas de remise en cause de notre dispositif actuel de soutien à la production. Nous défendrons également dans les négociations internationales l’indispensable liberté pour les États de définir des politiques culturelles et sociales ambitieuse. À ce propos, je tenais à souligner le travail réalisé par la DG X et par son commissaire pour que soit reconnu la spécificité irréductible des contenus de l’audiovisuel.

Dans les mois à venir, cet enjeu va être au cœur des négociations internationales. Notre première bataille a lieu dans les négociations de l’AMI qui ont déjà commencé et pour lesquelles nous tiendrons bon sur notre demande de spécificité culturelle.

Depuis maintenant près de quinze ans, les pays de la Communauté ont commencé à construire une politique audiovisuelle commune. Cette construction s’est frayée un chemin entre des réalités économiques diverses, tant pour la production, la distribution, que la diffusion. Elle a dû s’élever sur des terrains historiques très contrastés. Cette volonté commune a permis la naissance d’instruments européens qui participent à la vitalité du secteur. Il ne faudrait pas nous arrêter en route, car nous pouvons toujours faire plus et mieux.

Dans une vision prospective de cette Europe audiovisuelle, je souhaite évoquer plusieurs points.

Le premier concerne les instruments dont la Communauté européenne s’est déjà dotée. Le programme Média II adopté en juin 1995 a vu récemment l’entrée en vigueur de son volet distribution dont l’objectif est de structurer le marché européen pour des productions européennes. Je tenais à redire mon attachement à des systèmes qui favorisent le soutien automatique car ils renforcent et clarifient le marché.

Parallèlement, Eurimages, créé en 1988, qui soutient les coproductions multipartites a connu un succès considérable. Même si certaines limites du système mises à jour exigeraient une certaine redéfinition du fonctionnement du fonds afin de l’adapter en particulier à son ouverture à l’Europe centrale et orientale. Enfin, je voudrais souligner que le succès remporté par l’Europe lors des négociations du GATT a été une victoire essentielle, dont tous les pays ont, chacun à leur échelle, profité.

Mais il nous faut encore redoubler ces efforts pour créer un véritable marché européen de l’audiovisuel : aujourd’hui, les films européens ont encore du mal à exister sur leur marché national et a fortiori sur le marché européen. Faciliter la distribution des films à l’intérieur de l’union est un objectif auquel je suis particulièrement attachée. Média II et Eurimages participent à cet objectif, mais il faut encore renforcer, en particulier par le biais des coproductions.

Par ailleurs, la France veillera à ce que la directive « Télévision sans frontières » soit correctement transposée et appliquée dans l’ensemble des pays membres, au sein du groupe de contact, la France essaiera d’établir des accords avec ses partenaires pour éviter que des opérateurs peu scrupuleux ne s’établissent dans un pays dans lequel l’application de la directive serait laxiste pour émettre en direction d’un autre, cherchant ainsi à échapper à l’application des textes.

L’Europe doit aussi être le lieu qui permet à ses talents de s’exprimer, à la fois grâce aux programmes européens déjà existants, mais aussi en innovant et en créant des instruments toujours plus en lien avec le marché : c’est dans cette optique que le fonds de garantie a été conçu, et je souhaite insister sur ce projet qui me tient à cœur et pour lequel je continuerai de me battre.

Ce fonds est destiné à encourager la production cinématographique et télévisuelle. Il vise à attirer de nouveaux partenaires financiers vers le secteur audiovisuel en agissant comme co-garant de ces derniers afin de faciliter l’accès des sociétés européennes de production et de distribution au financement des projets destinés aux marchés européen et international. En Europe, l’implication des institutions bancaires dans l’industrie audiovisuelle est souvent insuffisante, et le sous-financement chronique du secteur est l’un de ses principaux handicaps. Nous demandons, en accord avec le Parlement européen et les producteurs, un fonds de garantie expérimental sur une période de cinq ans et dont le fonctionnement serait contrôlé par un système d’évaluation.

Cet instrument à caractère essentiellement incitatif serait peu coûteux pour la communauté : il aurait un effet de levier important et serait beaucoup moins onéreux qu’un nouveau mécanisme de subvention. L’étude du Fonds européen d’investissement, réalisée à la demande du conseil, souligne également que le fonds, tel qu’il est conçu, serait autosuffisant pendant de longues années.

Je vais revenir sur le programme-cadre communautaire que j’avais déjà évoqué l’année dernière et qui, je crois, a suscité des débats dans certains ateliers. J’y suis bien évidemment toujours attachée car j’estime qu’il offrirait une globalité d’approche, une sécurité pluriannuelle et un partenariat entre les Etats membres engageant leur responsabilité dont l’audiovisuel européen a un grand besoin.

Je souhaite enfin et avant de conclure, aborder un sujet qui a été au centre de vos débats et de votre action, celui de la propriété littéraire et artistique, et plus particulièrement, du statut d’auteur au regard des acquis communautaires et des négociations européennes ou internationales en cours. Les acquis de l’Union européenne dans le domaine de la propriété littéraire et artistique me paraissent incontestables et ne sont d’ailleurs pas contestés. Je pense particulièrement à la directive sur la location et le prêt et les droits voisins et à celle sur l’allongement de la durée de protection qui ont élevé le niveau général de protection. Elles ont abouti à une harmonisation réelle des législations nationales. Ceci prouve, une fois de plus, que la construction européenne, lorsqu’elle est précédée et accompagnée d’une concertation approfondie avec les professionnels, abouti à des résultats concrets qui préservent le vivier, de la création dont dépend le développement de nos industries culturelles.

L’environnement numérique suscite aujourd’hui de nouveaux débats. Je suis particulièrement attentive à l’impact de ces nouvelles techniques pour lesquelles il est essentiel de maintenir une approche spécifique. Je considère que la législation française permet de faire face à ces évolutions technologiques. C’est dans cet esprit, en liaison avec les organisations professionnelles et les sociétés de gestion, que mon administration assure la veille juridique sans exclure l’examen, si besoin est, de compléments législatifs. Je sais que la SACD, qui a organisé avec l’AIDAA ce forum, a su moderniser la gestion des œuvres audiovisuelles. La normalisation internationale des méthodes d’identification des œuvres numérisées lui doit beaucoup. Au regard du champ international, les enjeux deviennent plus complexes. La situation qui se présente aujourd’hui comprend un acquis important, les récents aménagements de la convention de Berne qui ont consacré la pertinence et l’adéquation de deux droits patrimoniaux exclusifs de l’auteur, le droit de reproduction et le droit de communication au public, alors que l’on pouvait craindre que ces droits soient fortement remis en cause au nom d’une soi-disant incompatibilité avec l’univers numérique.

En revanche, les auteurs pourraient être menacés par la remise en cause de règles dans les négociations au sein des pays de l’OCDE sur le projet d’accord multilatéral sur l’investissement. Je rappellerai fermement que, pour le Gouvernement français, il n’est pas acceptable que soient remis en cause les acquis difficilement reconnus en matière de droits moraux comme de droits patrimoniaux. Il ne serait pas davantage acceptable que notre conception du droit d’auteur, ses modes d’exercice et de gestion soient menacés, en sorte que l’auteur soit assimilé à un élément du capital d’une entreprise. Notre vigilance s’exerce donc doublement : d’une part, le Gouvernement ne souhaite pas que la protection littéraire et artistique entre dans le champ de cet accord. D’autre part, l’exception culturelle demeurant notre exigence première, nous éviterons le démantèlement des résultats obtenus dans la négociation commerciale de l’OMC.

En conclusion, je souhaite redire encore une fois mon attachement à une politique audiovisuelle européenne dans laquelle le cinéma doit avoir une place centrale. Elle doit passer par les instruments d’intervention directs mis en place par l’Union européenne mais aussi par le développement des accords de coproductions et un véritable engagement des chaînes de télévision, en particulier des chaînes publiques, dans la production cinématographique. La spécificité de l’audiovisuel qui est avant tout culturelle engage la responsabilité des États. Le secteur ne peut pas être abandonné au seul marché, au risque de voir s’uniformiser l’offre de programmes. C’est pourquoi, je veillerai à préserver ce secteur du mouvement de déréglementation qui touche aujourd’hui ses supports et ses moyens de diffusion.


Congrès des exploitants à Dijon - 25 septembre 1997

Je suis heureuse de conclure en votre compagnie ce 52e Congrès qui, je le sais, représente pour vous un temps fort dans l’année. J’ai conscience de m’adresser devant une fédération dont la principale spécificité est de rassembler des membres extrêmement variés. L’exploitation n’est pas une mais multiple : salles municipales, salles arts et essais, exploitation indépendante, circuits. Vos conditions d’exploitation, le niveau de concurrence auquel vous êtes soumis, votre implantation dans une ville, dans un ensemble culturel, vos publics, sont autant d’éléments qui vous distinguent les uns des autres. Je vais tenter de m’adresser à chacun d’entre vous.

L’exploitation est traversée par un bouleversement qui n’arrive qu’une fois par décennie. Je dirai même : la révolution des multiplexes n’a pas eu d’équivalent depuis les années soixante-dix, lorsque vous avez inventé le concept de complexe pour infléchir la chute des entrées entamée à la fin des années cinquante. Ils y sont alors parvenus. Les chiffres de la fréquentation prouvent encore une fois aujourd’hui que le dynamisme paie : vous aussi, par vos innovations, vous ramenez le public vers les salles. Votre dynamisme est pluriel, à l’image de la diversité des lieux. Il se retrouve dans tous les types de salles : dynamisme des investissements mais aussi dynamisme dans la programmation, dans l’animation, dans la recherche de nouveaux réalisateurs... Autant de raisons de se réjouir.

Situation de l’exploitation

Le nombre d’entrées augmente depuis quelques années, renouant avec les 130 millions d’entrées depuis 1995, peut-être demain avec les 140 millions. On sait également – ce qui, en tant que ministre de la culture et de la communication m’importe beaucoup # que cette augmentation de la fréquentation recouvre un élargissement public : les salles de cinéma attirent de nouveaux spectateurs. La recette moyenne par spectateur, les investissements, la part du film français sont en hausse, dépassant depuis 1995 les 35 % d’entrées. Enfin, vous êtes parvenus à conserver le marché de l’exploitation, pour l’essentiel, entre les mains d’entreprises françaises. C’est un atout pour toute l’industrie du cinéma française.

Pourquoi s’interroger sur le devenir des salles ?

Je souhaite avant toute chose vous dire ce qui animera mon action envers les salles de cinéma. Trois points m’apparaissent essentiels :

- que l’exploitation française continue d’être dynamique ;
- qu’elle offre aux Français le meilleur du cinéma ;
- et qu’elle joue un rôle actif dans la vie des villes.

Je sais que vous avez aussi des interrogations, des demandes que je vais maintenant évoquer devant vous.

L’intégration dans le monde plus vaste de l’audiovisuel

L’exploitation occupe une place très particulière dans le monde de l’audiovisuel. La salle de cinéma reste le lieu, dans la grande chaîne de la vie d’un film, où se cristallise son destin sur l’ensemble des supports (chaînes hertziennes, vidéo, chaînes thématiques sur le câble et sur le satellite, et marché extérieur). Voilà une raison essentielle pour réfléchir ensemble sur son devenir.

À ce sujet, un mot sur le délai vidéo. Je suis très attachée à maintenir ce délai qui protège la sortie des films en salles. Mais il nous faut prendre ensemble conscience que le délai de six mois tend à se généraliser dans un grand nombre de pays. Notre spécificité va encore se renforcer avec l’arrivée du DVD puisqu’il permettra de commercialiser simultanément le même film, en plusieurs langues. Avec un délai de neuf mois, les films français seront vendus en DVD, trois mois après les films étrangers sortis à la même date en salles. Voilà une raison majeure pour s’interroger sur notre législation.

Autre évolution : vous savez que la directive « télévision sans frontières » a été adoptée dans sa formule minimale. Nous allons devoir l’intégrer dans notre droit interne. Mais je développerai tous les moyens en ma possession pour que cette évolution ne se fasse pas au détriment du cinéma français, même si nous allons devoir accepter certains assouplissements de notre réglementation. Mais, je serai très vigilante sur la question des quotas et sur la préservation d’un équilibre entre les chaînes de télévision et les salles de cinéma.

Relations avec les collectivités locales

Entrons à présent dans des sujets plus quotidiens mais pas moins importants pour autant. Je commencerai par les relations avec les collectivités locales.

Ces collectivités, surtout grâce à la politique conduite par l’Agence pour le développement régional du cinéma, ont montré qu’elles savaient s’impliquer dans les salles de cinéma. Je sais que vous êtes souvent confrontés à la rigidité des règles d’urbanisme et que vous avez le sentiment que les salles de cinéma ne sont pas assez prises pour ce qu’elles sont : des lieux culturels. Je vous encourage sur ces questions à avancer sur le chemin déjà emprunté par un grand nombre d’entre vous, la signature de conventions, d’accords ou de protocoles signés avec certaines villes. Il me semble essentiel de renforcer et d’améliorer les rapports que vous pouvez entretenir avec ces collectivités. C’est au nom de votre mission culturelle que vous devez vous y attacher.

Le prix des places

Autre sujet qui je sais vous oppose aux distributeurs : la fixation du prix des places. Cette question a toujours été un sujet sensible. L’arrivée des multiplexes a amplifié ce phénomène. Il faut avouer que le secteur connaît là une originalité dont il existe peu d’exemples : le prix des places, aujourd’hui, fixé par vous seuls, à des implications, non seulement sur vos revenus mais aussi sur ceux de vos fournisseurs (en pourcentage).

Si le prix moyen des places de cinéma a peu évolué depuis le début des années quatre-vingt-dix, passant de 31,4 francs en 1990 à 34,9 francs en 1996, les écarts de prix selon les lieux et les films n’ont jamais été aussi forts. Je me réjouis de cette évolution, principalement liée à une politique tarifaire dynamique (cartes d’abonnement, séances à tarif réduit en matinée, réductions par catégories...). Mais je comprends aussi la demande des distributeurs d’être associé à ces politiques de plus en plus variées.

Vous avez engagé avec les distributeurs une négociation sur cette question. Je souhaite qu’elle puisse aboutir avant la fin de l’année. Si cela n’était pas le cas, il me faudrait agir par voie réglementaire, ce qui me semble moins souhaitable pour l’ensemble de la profession qu’un accord négocié.

L’accès des films aux salles

Autre sujet qui préoccupe cette fois-ci, non pas les distributeurs mais les producteurs : la question de l’accès des films aux salles. L’Observatoire de la diffusion cinématographique a été mis en place pour que nous puissions réfléchir à partir de données incontestables : il analyse la programmation des salles, la diffusion des films selon leur nationalité et leur type, la position respective des différents distributeurs et diffuseurs, à Paris, dans la banlieue parisienne et en province.

La dernière série de chiffres confirme la tendance à l’amélioration de l’accès des films français aux salles et la position satisfaisante des distributeurs de petite ou de moyenne taille. Nous avons la très grande chance d’avoir la possibilité de voir, dans de bonnes conditions, le plus grand nombre de films, de toute nationalité, et dans des conditions de sortie plutôt bonnes.

La question qui se pose à nous aujourd’hui est plus d’ordre qualitatif que quantitatif : principalement, les conditions de promotion des films français et la durée de leur programmation. C’est sur ces aspects que nous devons progresser pour que le film français continue d’être un produit fort dans les salles.

La réforme du soutien

Je voudrais maintenant aborder la question de la réforme du soutien.

Cette réforme a été conçue par le CNC selon trois principes :

1. Le nouveau barème vise en premier lieu à consolider le caractère distributif du dispositif : il me semble normal que les grands établissements qui génèrent un grand nombre d’entrées aient un taux de retour plus faible que l’exploitation moyenne.

2. Il vise ensuite à favoriser l’exploitation moyenne, centrale dans l’aménagement du territoire, en élargissant le mode d’intervention du soutien sélectif et en accroissant ses moyens.

3. Enfin, il permet d’accompagner le mouvement de modernisation, en maintenant les dotations de l’exploitation dans un contexte budgétaire du compte de soutien stabilisé.

La réforme s’organise autour de deux axes majeurs : substituer le calcul par écran au calcul par établissement et modifier les tranches du barème. Le nouveau dispositif qui conjugue deux modes de calcul permet d’appréhender un établissement à la fois, selon son importance économique et sa taille. Les coefficients majorateurs mis en place doivent jouer un rôle de redistribution relativement important, sans toutefois perturber profondément la logique de soutien économique que doit jouer ce système.

Aménagement technique certes, mais aussi volonté d’adapter l’aide automatique comme un instrument de politique publique.

Les multiplexes

Venons-en à la question centrale, celle qui vous concerne tous et me préoccupe : les multiplexes. Il m’apparaît clairement aujourd’hui que la situation actuelle n’est pas satisfaisante, que la loi de juillet 1996 n’a pas permis d’atteindre l’objectif qu’elle poursuivait, que les décisions prises par les CDEC ne permettent pas une régulation harmonieuse des implantations de salles.

Nous ne pouvons que regretter de ne pas avoir su être plus prospectif et plus inventif en calquant une loi destinée à l’implantation de grandes surfaces et qui se révèle inopérante pour les équipements culturels que sont les salles de cinéma-multiplexes ou pas.

Il faut avouer que l’analyse de ce nouveau phénomène, qui nous a tous beaucoup déconcerté, n’a pas manqué d’être manichéenne : après les avoir quasiment diabolisés, ils ont été présentés comme le cheval de Troie du cinéma américain. Essayons, maintenant que nous avons assez d’exemples derrière nous, de faire une analyse qui sort de la fantasmagorie pour s’appuyer sur le réel.

Revenons un instant en arrière pour analyser les raisons pour lesquelles je souhaite ne pas assister passivement à cette révolution du parc des salles sur le territoire français. Plusieurs motifs m’animent :

1. Le premier, c’est que les salles de cinéma ne sont pas des équipements indifférents à l’urbanisme d’une ville ou d’une agglomération ; nous parlons bien d’équipements culturels. Les décideurs locaux se doivent, par conséquent, de réfléchir aux liens qu’ils tissent entre les salles de cinéma, que l’on appelait autrefois les « théâtres cinématographiques » et les autres lieux culturels, comme un théâtre, une bibliothèque, un musée... Il se doivent aussi, à mon sens, de réfléchir sur le lien que ces équipements permettent de tisser entre le centre de la ville et sa périphérie : un lieu culturel est un lieu de regroupement, souvent de passerelle entre différents quartiers. Cette dimension ne doit pas être oubliée.

2. Le deuxième, c’est que les salles de cinéma jouent un rôle très important dans la diffusion du film : on ne peut dissocier la salle de l’ensemble de la filière cinématographique, de la production et de la distribution. J’ai le souci, non seulement de chacun des secteurs pris séparément, mais aussi comme formant un ensemble.

3. Le troisième, c’est qu’une partie des fonds investis dans les multiplexes sont des fonds publics par l’intermédiaire de l’aide automatique accordée par le compte de soutien.

Trois voies claires se dessinent pour aborder le futur :

1. Éviter les surcapacités – taille des nouvelles implantations, nombre d’implantations sur une même agglomération.
2. Privilégier les établissements qui prennent des engagements clairs vis-à-vis des cinémas qui se trouvent dans leur zone de chalandise – part du film européen, multiprogrammation, VO/VF, ...
3. Et, renforcer le rôle du comité de la diffusion cinématographique et du médiateur, lorsque les parts de marché locales dépassent un certain seuil.

À partir de ces points de départ, j’envisage de diffuser très rapidement auprès de l’ensemble des participants aux CDEC – corps préfectoral, DRAC, chambres et élus des grandes villes de France – un document synthétique dont l’objet sera double : présenter les enjeux culturels, sociaux et économiques des multiplexes et suggérer quelques grandes lignes pour orienter les décisions. En particulier, je veux les inciter à réfléchir, non pas de manière absolue, comme l’incite le fonctionnement actuel des CDEC, mais de manière relative, par rapport à la zone de chalandise du futur équipement.

Je suis parallèlement en train de réfléchir à l’opportunité de déposer un nouveau projet de loi au Parlement pour pallier les carences de la loi en vigueur. Je sais que vous avez abordé le sujet des multiplexes et des limites de la loi au cours de votre congrès. Je serais très honorée si vous pouviez nous faire partager le fruit de vos réflexions.