Texte intégral
D’année en année, les Journées du patrimoine sont davantage attendues et sont un temps de plus en plus fort dans l’année. Pour les Français, ce sont deux jours de pratique culturelle intense et de découverte des trésors de leur architecture et c’est avec beaucoup d’intérêt et de plaisir que je vous donnerai à cette occasion quelques indications sur les orientations que je souhaite donner à la politique du patrimoine avant de vous parler rapidement des journées 97.
Je voudrais auparavant commenter la décision que nous avons très soigneusement réfléchie, et qui a été prise au début de ce mois, de procéder au rapprochement des directions de l’architecture et du patrimoine.
Cette décision s’inscrit dans le cadre de la réforme de l’État et de la réorganisation de l’administration centrale pour tenter de donner plus de force et de pertinence à notre administration de la culture en décloisonnant deux directions pour en optimiser le travail. Cette décision correspond également à une véritable ambition : le patrimoine – discipline scientifique – est devenu une composante importante du cadre de vie des Français au même titre que la création architecturale. Le souci permanent de qualité de traitement de l’espace anime les restaurateurs et les créateurs, tant pour les créations du passé que pour la réhabilitation de l’architecture d’un passé plus récent. Je souhaite que le ministère et les professionnels de l’architecture, au sens large, trouvent toute leur place dans l’élaboration de la ville d’aujourd’hui comme dans le traitement de ce que le XXe siècle s’achevant nous laisse comme héritage architectural. Nous devons nous positionner tous ensemble très fermement dans ce défi actuel qui est celui de la ville du XXIe siècle. Je souhaite également que ce rapprochement permette aux architectes français d’être plus présents dans le traitement de l’existant et que la restauration du patrimoine constitue un domaine d’excellence exemplaire pour l’ensemble des professions appelées à travailler sur le bâti et l’espace urbain existant.
C’est avec une grande confiance que j’ai demandé à François Barré, directeur de l’architecture, de bien vouloir conduire cette opération. Il a donc été nommé au conseil des ministres du 3 septembre également directeur du patrimoine. Il exercera ces deux fonctions et doit me proposer avant la fin de l’année le cadre d’une grande direction cohérente et pertinente qui tienne compte de l’ensemble des missions exercées jusque-là de façon séparée.
Il organisera une large concertation interne (syndicats, cadres, étudiants) et externe avec l’ensemble des partenaires : collectivités, associations, pour parvenir au résultat le plus efficace. Les services déconcentrés devront être associés pour alléger et fluidifier les rapports avec la direction ainsi créée, pour un meilleur service donné au public et aux usagers.
J’ai voulu vous exposer ce projet à l’occasion de ce temps symbolique des Journées du patrimoine. François Barré et ses collaborateurs, moi-même, seront à l’écoute de l’ensemble des suggestions de chacun.
À l’occasion des rendez-vous de l’architecture qui auront lieu les 2 et 3 octobre à la Villette, je m’exprimerai plus précisément sur ce projet. Aujourd’hui mon propos portera essentiellement sur le patrimoine.
Ce sont plus de 11 000 monuments qui seront ouverts au public cette année. Géographiquement, le patrimoine est présent dans près de 15 000 communes si l’on considère les seuls monuments historiques protégés par la loi du 31 décembre 1913. Mais cette définition demeure très restrictive. Spontanément, les Français se disent attachés à préserver un environnement, aménagé ou construit, qui va des granges aux palais, des lavoirs aux hauts fourneaux, des petits bourgs ruraux aux grands secteurs sauvegardés.
Le territoire du « patrimoine » était autrefois délimité par de rigides frontières historiques ou thématiques ; leur éclatement permet aujourd’hui à chacun, selon sa sensibilité, une approche et une appropriation nouvelles du patrimoine. C’est pourquoi, en quatorze ans, les Journées du patrimoine sont devenues une grande manifestation populaire, pendant laquelle on peut entrer au Palais Royal aussi bien que se retrouver autour d’un kiosque à musique. La visite du patrimoine est avec le cinéma la première pratique culturelle des Français, le contact quotidien des habitants avec l’architecture dépasse largement bien entendu ce qu’on peut comptabiliser en terme d’entrées dans les monuments.
Cette irruption, récente, du grand public, montre que le patrimoine, affaire de spécialistes et occasion de complexes opérations de restauration, constitue aussi la plus familière des approches de notre culture : celle que l’on côtoie à tout instant, sans toujours pouvoir déchiffrer ces traces et témoignages de notre histoire. La nécessaire prise en compte de ses composantes plus modestes, dites « patrimoine de proximité », justifie l’ambition donnée à la nouvelle Fondation du patrimoine qui accompagnera l’effort de l’État et des collectivités territoriales en faveur de ce patrimoine.
La demande massive de patrimoine est une aspiration récente et légitime : la restitution du patrimoine au public sera donc un axe majeur de la politique que nous entendons mener en ce domaine. Les dépenses de restauration des monuments ne peuvent plus, aujourd’hui, se justifier par le seul souci de leur conservation. Le public doit s’approprier cet héritage commun dont la fonction première est d’aider au développement de leur sensibilité esthétique et culturelle, tout en apportant des repères à une société en crise d’identité. C’est « l’architecture pour tous » qui sera le mot d’ordre de la nouvelle direction. Cette restitution au public exige l’approfondissement des connaissances, et la mise en place de structures et d’outils nouveaux. J’accorde une importance toute particulière au travail des services scientifiques qui répondent à cette préoccupation essentielle. Cette démarche en faveur du public rejoint enfin l’indispensable prise en compte des considérations économiques. Le patrimoine s’intègre pleinement dans la politique engagée par le gouvernement en faveur de l’emploi. Aux emplois liés à l’activité touristique, s’ajoutent en effet les marchés passés avec les entreprises et artisans qui œuvrent pour la conservation et la restauration du patrimoine.
1. La politique des publics
Comme les autres secteurs de la politique culturelle, la politique du patrimoine doit mettre le public et l’usager du patrimoine, au premier rang de ses préoccupations. Cela prend des formes diverses.
Dans le domaine de la valorisation du patrimoine, l’État dispose d’un établissement public, la Caisse nationale des monuments historiques et des sites, qui gère la centaine de monuments affectés à la direction du patrimoine et ouverts au public. La mission de service public qu’assure la caisse comporte l’exigence d’une offre de qualité, ce que manifeste la mise au point actuelle d’un « projet d’établissement » qui consiste à adapter les visites et manifestations à l’esprit des monuments, trop souvent considérés par le passé comme des écrins esthétiques et commodes, mais utilisés sans véritable respect de leur valeur et de leurs caractères propres. Toutes les manifestations organisées par la caisse nationale répondent à cette volonté : « Monuments en musique », « La nuit du cinéma », « Côté cour, côté jardin » et « Le monument et ses artisans ». L’objectif de cette dernière opération, qui aura lieu peu après les Journées du patrimoine, est de mettre en valeur le talent et les savoir-faire des artisans à travers des thèmes liés à l’architecture, aux décors et aux collections spécifiques à chaque monument. La rencontre entre professionnels et grand public, notamment les jeunes, fait de chaque monument un lieu d’échange, d’expériences et de projets à même de susciter des vocations.
Cette offre ne se limite pas à l’accueil du public ; récemment chargée de la mise en œuvre de la politique éditoriale de la direction du patrimoine, la caisse devra favoriser la diffusion des recherches et travaux sur ce thème. Le label des éditions du patrimoine regroupe désormais l’essentiel des éditions des différentes entités du service. La réforme engagée permettra une diffusion plus large de ces publications essentiellement scientifiques, tout en poursuivant une collaboration fructueuse avec les éditeurs et les collectivités territoriales. Mais, outre la caisse, d’autres services témoignent du souci du ministère d’assurer le lien entre activités de recherche et mise à disposition du public : la sous-direction de l’archéologie soutient ainsi l’édition de plusieurs revues et ouvrages scientifiques, sans délaisser pour autant l’élaboration de guides et de grandes synthèses. J’ai décidé d’accentuer cet effort de diffusion. La fouille archéologique étant par nature destructrice de l’objet qu’elle étudie : une restitution large et immédiate des observations auprès des chercheurs, de la communauté scientifique et du grand public est donc indispensable.
Cet effort d’ouverture s’attachera particulièrement au public scolaire. Je tiens ici à souligner l’importance que j’accorde au développement des actions éducatives consacrées au patrimoine, menées avec les enseignants ou en dehors du temps scolaire. Limitées il y a plusieurs années aux « classes du patrimoine », spécifiquement liées à un monument et à son histoire et dont le nombre s’élève aujourd’hui à 700, ces activités sont désormais beaucoup plus variées : journée de découverte d’un métier ou d’une technique de construction ou de restauration, mais aussi entreprises à plus long terme, comme l’opération « adoptez un jardin ». Je souhaite que François Barré mène une réflexion sur l’ouverture des classes à l’architecture au sens large.
J’entends développer ces actions en favorisant la formation d’animateurs du patrimoine et de guides-conférenciers adaptés à ce travail, en suivant l’exemple des villes et pays d’art et d’histoire, qui disposent tous d’un service éducatif pour le patrimoine. Ces services ont accueilli en 1996 plus de 430 000 jeunes.
Les collectivités territoriales sont en effet des partenaires privilégiés de notre politique des publics. À celles qui souhaitent s’engager dans une telle démarche, je propose de poursuivre la signature des conventions de villes ou de pays d’art et d’histoire, qui permettent une collaboration permanente, et offrent de nombreux avantages : les ressources d’un réseau national de formation et de communication, un examen prioritaire des projets comportant une aide financière de l’État. Soixante-sept villes et pays d’art et d’histoire se sont engagés aujourd’hui auprès de l’État à valoriser leur patrimoine. Les directions régionales des affaires culturelles devront poursuivre leurs efforts pour développer ce réseau, notamment dans les pays d’art et d’histoire. Le patrimoine est en effet un excellent catalyseur du développement économique des zones rurales.
Les services de l’inventaire général constituent également, au sein des DRAC, un des lieux privilégiés de communication avec le public : la documentation mise en forme atteint aujourd’hui plus de deux millions de pages et deux millions et demi de photographies. L’inventaire a publié plus de 500 ouvrages, dans cinq collections illustrées. C’est un outil de recherche unique au monde. L’État, déjà présent au stade de sa conception, doit intervenir en fin de processus pour évaluer les résultats et les valoriser. Cette action doit s’établir à l’échelle nationale par des publications à la fois savantes et accessibles au plus grand nombre, par leur mise en réseau sur les serveurs mondiaux, par l’accueil de tous dans les centres de documentation du patrimoine.
Les DRAC jouent enfin un rôle très important de coordination et d’incitation, notamment auprès des propriétaires, au premier rang desquels les communes, pour la mise en valeur et la présentation de leur patrimoine.
Mais, le patrimoine peut aussi compter sur les milliers de bénévoles qui consacrent une partie de leurs loisirs à des chantiers de fouilles ou de restauration. Cette participation directe à la préservation du patrimoine monumental ou archéologique, organisée par des associations qui sont nos partenaires, doit être développée. Elle contribue à répandre la connaissance et la compréhension du patrimoine, dont les bénévoles constituent un public privilégié. Elle peut aussi être pour certains jeunes, au-delà de la passion et du travail mis au service d’une cause désintéressée – contribuant ainsi au renforcement du lien social –, un authentique moyen d’insertion. Des organisateurs de chantiers de jeunes bénévoles ont pris des initiatives en ce sens, que l’État a encouragées et continuera d’aider.
2. Évolution et modernisation de la politique du patrimoine
Au-delà du renforcement de ces initiatives, le retour du patrimoine au public doit profiter des nouvelles technologies. L’évolution technologique récente a radicalement modifié notre capacité de traitement des données documentaires et permis leur échange par des réseaux sans cesse étendus. Elle rend désormais accessible à tous la synthèse encyclopédique comme l’analyse de détail. Ces richesses inventoriées, il est possible d’en diffuser la connaissance et les images à un public planétaire. L’enjeu est d’importance, dotons-nous des instruments et des méthodes pour que cette virtualité soit effectivement au service de la démocratisation du savoir. Je sais par ailleurs les avancées techniques tant du laboratoire des monuments historiques de Champs-sur-Marne que des entreprises, je pense au nettoyage par le laser, à la biominéralisation.
Les services scientifiques sont la pierre angulaire de l’évolution du patrimoine. L’ambitieuse entreprise de l’inventaire général des richesses artistiques de la France rencontre aujourd’hui plus que jamais une adhésion forte et multiple. Outil de recherche, conçu à l’origine pour l’étude systématique de l’histoire de l’art national, l’inventaire général est également devenu un outil indispensable pour un aménagement intelligent du territoire, dont il veut dresser le bilan architectural complet. Il permet ainsi la mise en valeur de zones périurbaines vidées de leur passé par exemple, ou de territoires dont la découverte des richesses patrimoniales peut favoriser le développement économique. L’inventaire général est un service de référence ouvert aux demandes des collectivités. La vie d’un pays est souvent modifiée par ses recherches : il prend conscience de richesses qu’il ignorait. L’inventaire d’un territoire doit être l’occasion de sensibiliser l’ensemble de sa population à son histoire locale et au respect des créations les plus modestes.
À la lumière de sa longue expérience, l’inventaire doit cependant adapter ses méthodes d’investigation à l’échelle et aux besoins des pays. Il doit aussi moderniser ses accès en les rendant facilement utilisables par tous, en se dotant des moyens multimédias pouvant fournir à chacun, chercheur, aménageur ou simple curieux, les réponses qu’il attend.
La mission du patrimoine ethnologique répond, comme l’inventaire général, aux nouvelles préoccupations de la politique culturelle sur des questions aussi diverses que la transmission des savoir-faire, l’aménagement du paysage, les processus de revitalisation de fêtes, de coutumes locales, de produits et d’activités économiques traditionnelles. Elle a largement renouvelé les méthodes et les champs de l’ethnologie française : les préoccupations locales débouchent désormais sur des thèmes de recherche d’intérêt national, tels que « les nouveaux usages de la campagne » ou « les fabricants de l’histoire », qui donnent lieu à des rencontres scientifiques et à des publications de réputation internationale. L’ouverture de la mission sur la recherche est contrôlée par le conseil national du patrimoine ethnologique ; son renouvellement est en cours, et je nommerai prochainement le grand ethnologue Christian Bromberger à sa présidence. Deux objectifs devront être atteints : compléter la couverture régionale, de façon à ce que chaque DRAC dispose d’un conseiller à l’ethnologie ; et favoriser sur l’ensemble du territoire la constitution d’un réseau régional « d’ethnopôles » capables de structurer actions associatives et centres de recherche autour de programmes d’intérêt national. Je souhaite par ailleurs une collaboration renforcée entre ce service et les nombreux musées d’ethnologie qui s’ouvrent en France.
L’archéologie contribue en tout premier lieu à l’enrichissement du patrimoine ; elle lui donne une densité spatiale et humaine, une épaisseur temporelle. La carte archéologique, ou inventaire national des sites archéologiques, dont les services régionaux ont la charge, comprend déjà plus de 250 000 sites enregistrés sur un système national. Ce système bénéficiera prochainement d’un nouvel outil informatique, qui facilitera en particulier la gestion des zones de « sensibilité archéologique », dont la définition est devenue nécessaire. Cette nouvelle étape répond à l’évolution radicale qu’a connu la recherche archéologique en France au cours de ces dernières années, due principalement au développement considérable de l’archéologie préalable aux travaux d’utilisation du sol, dite « archéologie préventive ».
Les difficultés que rencontrent nos services en matière d’archéologie préventive demeurent en effet ma toute première préoccupation dans le domaine du patrimoine. Il est essentiel que les traces du passé, si leur intérêt scientifique et patrimonial le justifie, soient étudiées avant leur disparition, à défaut d’être conservées. Tel est l’objet de l’archéologie préventive. Cette discipline connaît une période difficile aujourd’hui. La politique contractuelle, qui conduisait à la prise en charge par les responsables de l’aménagement du sol du financement des opérations, avait permis d’éviter la destruction de sites exceptionnels. Cette action de préservation fut menée à bien grâce au sens de l’intérêt général des services archéologiques de l’État, appuyés par les personnels de l’Association pour les fouilles archéologiques nationales (AFAN) et par la communauté scientifique. Cette politique contractuelle est aujourd’hui remise en cause.
Pour trouver une solution à ces difficultés, une concertation entre les diverses parties prenantes a été engagée. Je souligne plusieurs éléments d’un quasi-consensus :
- la poursuite de l’élaboration d’un document d’alerte, présenté sous forme d’une carte des zones de sensibilité archéologique et susceptible d’être communiqué aux tiers ;
- la réaffirmation du rôle de l’État en matière de prescriptions et de contrôle des opérations archéologiques ;
- la nécessité pour les aménageurs de disposer d’un opérateur de taille suffisante pour répondre immédiatement à toutes les demandes d’intervention archéologique ;
- et, peut-être aussi, le financement de l’archéologie préventive par les aménageurs.
J’ai demandé que quelques questions juridiques ponctuelles et économiques fassent l’objet d’études. Celles-ci sont d’ores et déjà lancées. Par ailleurs, la concertation se poursuivra au cours des prochains mois. Mon objectif est de proposer aux partenaires un ensemble de textes au 1er semestre 1998. Je souhaite que, grâce à une légitimité renforcée, cette discipline scientifique, garante de notre mémoire collective, trouve un nouvel élan. C’est un chantier important et difficile. Je n’ai aujourd’hui pas la réponse, en dehors des principes que je vous ai mentionnés, à toutes les questions fondamentales que pose l’archéologie préventive.
En ce qui concerne l’archéologie programmée, le contrôle scientifique de la recherche archéologique a été réorganisé pour l’adapter aux nécessités de la déconcentration administrative. Six commissions interrégionales de la recherche archéologique sont en place ainsi que le conseil national de la recherche archéologique, doté de nouvelles attributions. Le nouveau système a depuis fait ses preuves et reçoit un excellent accueil de la part de la communauté scientifique, des collectivités territoriales, des bénévoles et des associations intéressées. Je salue la qualité des travaux accomplis par ces instances : tant pour le CNRA qui a élaboré un bilan quinquennal de la recherche nationale et une programmation pour les années à venir, que pour les CIRA qui traitent des dossiers souvent délicats. Je m’attacherai en dépit des efforts demandés en matière d’économies budgétaires, à maintenir les moyens nécessaires au fonctionnement de ces organismes de conseil.
Il me paraît enfin capital d’harmoniser les moyens mis en œuvre par les différents partenaires concernés par la protection et la mise en valeur du patrimoine archéologique : l’éducation nationale et les affaires étrangères, bien sûr, mais aussi les grands ministères aménageurs et les collectivités territoriales. Un groupe informel réunit périodiquement les représentants des ministères les plus directement concernés. Ce groupe animé par Jean Leclant, secrétaire perpétuel de l’Académie des inscriptions et belles lettres, a fait la démonstration de son utilité et de son efficacité. Le moment me semble venu de donner une existence officielle à l’échelon interministériel qui fait défaut : je proposerai donc au premier ministre de créer un conseil interministériel de la recherche archéologique sur ce modèle.
Tout en saluant le travail des services et des COREPHAE, le sens du service public des architectes des bâtiments de France et des architectes en chef des monuments historiques, je crois qu’il faut très sérieusement s’interroger sur la politique de protection et de restauration des monuments historiques. La baisse des crédits qui a frappé ce secteur en 1997 a été une alerte pour le service.
La politique de protection doit être réfléchie. Je pense que le classement et l’inscription n’auraient très rapidement plus de sens si la collectivité publique ne pouvait plus financièrement entretenir et même permettre tout simplement, à ces monuments, de survivre.
J’ai demandé à François Barré de réfléchir à un certain nombre de mesures administratives de rationalisation de la protection ; je cite l’une d’elles : protéger en sachant chiffrer le coût de restauration à moyen terme par exemple. Il expérimentera ces mesures dans le courant de l’année 98. Le rapprochement des deux directions permettra également d’optimiser les procédures dont nous disposons : monuments historiques, secteurs sauvegardés, ZPPAUP.
Il convient également de s’interroger sur les critères qualitatifs de choix de protection. Je cite un chantier colossal qui est celui de l’architecture, fragile et menacée, du XXe siècle. Je suis convaincue qu’il faut d’urgence, à la fois dans l’intérêt du patrimoine et dans celui des propriétaires, bâtir un système de protection provisoire qui permette de prendre du recul (en termes d’intérêt, de coût, de réutilisation, de normes de matériaux, de respect de l’authenticité).
La politique de restauration me soucie également. François Barré réfléchira avec l’ensemble des partenaires du service des monuments historiques à un contrôle efficace et pertinent de la programmation, de l’ampleur et des partis de restauration de chaque opération. L’ambition de ce service doit être de sauvegarder tout le patrimoine plutôt que de mener – sauf exception – de grandes restaurations somptuaires. Les crédits de la collectivité publique doivent avoir cette destination prioritaire. C’est un travail difficile et je compte sur le sens de l’intérêt général de chacun.
Enfin, je souhaite que soient simplifiées les procédures concertées avec les collectivités que sont les ZPPAUP et les secteurs sauvegardés – procédures complémentaires aux protections de la direction du patrimoine.
Vous le savez la notion de monument historique ne se limite pas aux seuls immeubles. Le patrimoine français compte aussi 125 000 objets mobiliers classés parmi les monuments historiques et 132 000 objets inscrits à l’inventaire supplémentaire qui viennent compléter les collections publiques ou privées des musées. L’affaire récente des « châteaux japonais », comme la recrudescence des vols dans les églises rurales désertées ont montré la nécessité d’un renforcement du régime et des mesures de protection de ce patrimoine particulièrement menacé.
Je proposerai prochainement au gouvernement un projet de texte modifiant la loi de 1913 sur les monuments historiques. Ce texte prévoit notamment le rattachement au régime des immeubles par nature (comme dans le droit commun) des immeubles par destination, la protection exceptionnelle d’ensembles mixtes (meubles-immeubles) ou d’ensembles mobiliers qui ne pourront être dissociés ou divisés sans autorisation, l’inscription à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques des objets privés et la possibilité de faire entreprendre d’office à un propriétaire les travaux nécessaires à la conservation d’un objet classé. Ces mesures devraient être assorties de dispositions fiscales apportant, comme dans le cas des immeubles, une contrepartie aux contraintes nouvelles ainsi imposées par la loi. Ce sera également l’occasion de faire le point sur la loi de 1992 sur la circulation des biens culturels en concertation avec les professionnels du marché de l’art.
Par ailleurs, pour lutter contre les vols des objets d’art, le ministère s’est doté d’outils informatiques performants. Une base de données précise sur le patrimoine mobilier sera complétée par la numérisation et la mise en réseau de photographies de chaque objet. Ainsi, les différents services (culture, justice, police, etc.) qui coopèrent en ce domaine, comme pour les musées, pourront bénéficier en temps réel d’informations complètes sur les objets dérobés.
La prévention doit être également renforcée au moyen d’une assistance technique aux propriétaires pour la mise en place de systèmes d’alerte et de protection physique des objets. Je souhaite que dans ce domaine, la collaboration entre les services des monuments historiques et des musées soit renforcée pour plus d’efficacité.
En ce qui concerne le patrimoine photographique, le fonds photographique du célèbre portraitiste Sam Lévin a rejoint, en juin dernier, les collections de la mission du patrimoine photographique qui en assurera la conservation et la diffusion. Cette donation porte à 15 le nombre des fonds confiés à la mission, et vient enrichir le fonds déjà important consacré aux personnalités françaises. Le développement des fonds de la mission facilitera l’accès du public à ces documents souvent inédits, grâce à des partenariats multiples. Une exposition consacrée à Raymond Voinquel sera par exemple présentée à l’hôtel de Sully, à partir du 26 septembre ; les 150 originaux inédits seront accompagnés d’un ouvrage coédité par les éditions du Patrimoine et les éditions du Seuil. Ces opérations de partenariat ne se limiteront pas au territoire national, mais permettront l’organisation et la circulation d’expositions en France et à l’étranger. Elles contribueront à la diffusion du patrimoine national à l’extérieur de nos frontières. Je souhaite là aussi une véritable coopération dynamique entre les différentes entités qui traitent de photographie au ministère, en particulier la DP et la DAP.
3. Enjeux économiques
Les enjeux du patrimoine ne sont pas seulement d’ordre culturel. Dans cette période économique difficile, la mise en valeur du patrimoine ainsi que son entretien et sa conservation constituent des secteurs d’activités susceptibles de générer des emplois et des richesses.
Le programme « nouveaux services, nouveaux emplois » qui accompagne le projet de loi en faveur de l’emploi des jeunes, préparé par Martine Aubry, ministre de l’emploi et de la solidarité, propose à titre d’exemple la création d’emplois d’agent du développement du patrimoine. Ces agents auront notamment pour mission de faciliter l’accès du public au patrimoine en mettant en réseau les équipements culturels et en participant à la formation des personnels de la culture et du tourisme, à l’accueil et au développement d’un large public : touristes, habitants, jeunes. Ce dispositif s’inspire directement des services mis en place dans le cadre des conventions villes et pays d’art et d’histoire qui emploient déjà plus d’un millier de guides-conférenciers, vacataires le plus souvent. Or la demande touristique en augmentation croissante, l’activité permanente des services éducatifs, la sensibilisation des habitants sont à même de conforter ces emplois saisonniers. Il convient donc de renforcer ces structures d’information et d’accueil en étoffant l’offre touristique, en développant une politique patrimoniale tout au long de l’année, en renforçant la collaboration avec les directions régionales des affaires culturelles et en accentuant les relations entre les villes à l’intérieur du réseau des villes et pays d’art et d’histoire.
D’autres initiatives en matière d’emploi sont également à l’étude en partenariat avec les collectivités territoriales, les propriétaires de monuments et les professionnels du tourisme et du bâtiment.
Nombre de monuments et de parcs ouverts à la visite donnent, faute d’interventions élémentaires de petit entretien ou de maintenance, une impression de semi-abandon. Il y a là un gisement d’emplois important que nous devons exploiter. L’expérience menée dans ce domaine au parc de Saint-Cloud par la Caisse nationale des monuments historiques et des sites en partenariat avec le conseil régional et les communes avoisinantes, qui a permis l’insertion d’une vingtaine de Rmistes, doit être développée et adaptée à d’autres sites.
Par ailleurs, trop d’édifices, à commencer par les églises rurales, sont fermés pour des raisons de sécurité. La formation et le recrutement de guides-conférenciers devrait permettre leur insertion dans des circuits de visite et contribuer à leur surveillance.
Il s’agit-là d’orientations que j’entends développer. Elles constituent des potentialités d’emplois éminemment attractifs et valorisants pour les jeunes. Et les propriétaires de monuments, au premier rang desquels les communes, savent bien que leurs efforts pour mettre en valeur leur patrimoine, répondent non seulement aux exigences de conservation et à leurs intérêts touristiques, mais garantissent la qualité du cadre de vie local.
Le public touristique est pour 60 % un public étranger, pour lequel l’image de la France est indissociable de ses monuments et de ses paysages. Les industries et les services touristiques, secteur dont la croissance sera importante dans les prochaines années et où la France est, avec plus de 60 millions de visiteurs par an, à la première place mondiale, créeront des richesses et des emplois. Ces activités reposent en grande partie sur le patrimoine : le coût de sa préservation est certainement un investissement modeste et fort rentable au regard de ces recettes. Supposons que le patrimoine compte pour un dixième dans les motivations des touristes visitant notre pays, le chiffre d’affaires du tourisme étant globalement de 700 milliards de francs, le patrimoine génère donc 70 milliards de francs d’activité, incluant une part de recettes fiscales pour l’État et les collectivités territoriales, sans doute dix fois supérieure aux dépenses de restauration de ce patrimoine ! C’est donc bien d’investissement qu’il s’agit, et d’un investissement rentable !
L’État consacre l’essentiel de ses crédits pour le patrimoine aux travaux de restauration. Il finance les travaux dans tous les monuments historiques, y compris ceux qui ne sont pas sa propriété, au titre de la mission de service public de conservation et de transmission aux générations futures du patrimoine. Ces financements ont des répercussions fortes en termes d’emploi.
Le ministère de la culture dirige ou contribue à la réalisation de nombreux chantiers : 4 660 chantiers de restauration et 3 540 chantiers d’entretien qui valorisent les métiers de la restauration et permettent le maintien d’un véritable réseau d’artisans, d’ateliers et d’entreprises souvent hautement spécialisées. Le marché des travaux de restauration sur les monuments historiques se caractérise par un fort taux de main- d’œuvre : le volume d’activité développé par les seuls crédits du ministère de la culture assure l’équivalent de plus de 8 000 emplois directs par an. Un millier d’entreprises – ateliers artisanaux, petites et moyennes entreprises – travaillent à la restauration des monuments historiques et emploient 34 000 salariés. Ce réseau très compétent constitue un véritable conservatoire des savoir-faire, dépositaire de techniques traditionnelles indispensables à la conservation du patrimoine. Il a valeur d’exemple par ses réalisations, et stimule de façon générale la demande de réhabilitation et de restauration du bâti existant.
En participant au financement de travaux sur le patrimoine rural non protégé, l’État permet à de nombreuses entreprises d’acquérir une expérience et une qualification qui rendent possible leur intervention sur des chantiers de restauration plus importants. J’ajoute que j’ai convoqué le 11 juillet 1997 le premier conseil d’administration de la Fondation du patrimoine et je salue ici le travail persévérant de son président Édouard de Royère et souhaite que cette fondation puisse contribuer, à sa mesure, à la sauvegarde de notre patrimoine.
Je ne peux conclure avant d’avoir évoqué le budget lui-même du patrimoine en matière de travaux. Dans quelques jours, le conseil des ministres examinera le projet de loi de finances 1998, j’en parlerai moi-même au cours d’une conférence de presse le 25 septembre. Parmi les choix difficiles que je fais pour rendre au ministère de la culture les moyens indispensables à son action tout en demeurant dans le cadre des orientations gouvernementales de la politique budgétaire, je peux vous affirmer qu’une de mes premières préoccupations est de remettre à niveau les crédits de restauration du patrimoine qui avaient été dramatiquement amputés l’an passé.
Ce redressement devrait permettre notamment la reprise des programmes de restauration engagés sur les grands édifices cultuels appartenant à l’État, comme les cathédrales de Chartres, Clermont-Ferrand. Il donnera également l’occasion aux villes soucieuses de leur patrimoine de s’engager aux côtés de l’État dans le cadre de conventions pluriannuelles. Je pense tout particulièrement aux villes de Lyon, Rouen et Lille. Enfin, le démarrage d’opérations nouvelles importantes pourra être envisagé comme par exemple, à Paris, la consolidation du Grand Palais ou, en région, la restauration du patrimoine gallo-romain du sud de la France, dont les arènes d’Arles.
Ce sont des choix difficiles, mais je sais la fragilité des entreprises de restauration tant sur le plan strictement économique, qui nécessite un programme régulier de commandes, que du fait de la qualification particulière de leurs emplois, comportant des métiers rares qui exigent une formation et une expérience longues à acquérir. Ces entreprises vont pouvoir, je le pense, retrouver des perspectives favorables, après une année sombre dont les difficultés n’ont pu être qu’atténuées par la mobilisation des services pour accélérer l’engagement des commandes. (Je tiens ici à les en remercier.)
Je sais que, chez tous nos partenaires, cette période budgétaire difficile a suscité des interrogations sur le rôle de l’État vis-à-vis du patrimoine, interrogations renforcées par les réflexions sur la décentralisation dans le domaine culturel et sur la réorganisation des services de l’État. Autant de thèmes importants sur lesquels je ne me prononcerai pas aujourd’hui ; mais je veux d’emblée réaffirmer ici le rôle régalien et régulateur de l’État dans le domaine du patrimoine, en particulier en matière d’archéologie, d’inventaire et de conservation des monuments historiques.
Si le rôle de nos partenaires – collectivités, propriétaires, associations entreprises, Fondation du patrimoine aujourd’hui – est essentiel, je reste cependant convaincue que la maîtrise scientifique, l’expertise technique, la légitimité politique qu’assure la présence de l’État au cœur de notre dispositif sont plus que jamais primordiales et méritent d’être préservées ; c’est d’ailleurs aussi me semble-t-il l’opinion des Français, par ailleurs fort désireux de voir l’administration prendre ses décisions au plus près du terrain, mais qui attendent bien de l’État qu’il demeure le garant de la politique du patrimoine, tant la préservation de ces lieux de mémoire est un élément fondamental de notre citoyenneté.
Les Journées du patrimoine
Je viens de vous exposer les grands axes de l’action que j’entends développer en faveur du patrimoine ; vous aurez noté toute l’importance que j’attache, parmi ces orientations, à la politique des publics, dont les Journées du patrimoine sont à mon sens un bon exemple.
Cette année, les Journées du patrimoine se déclineront autour de trois thèmes : patrimoine, fêtes et jeux – patrimoine industriel – patrimoine et lumière.
Il ne m’est pas possible d’énumérer ici toutes les ouvertures et les animations qui sont proposées au public pendant ces deux jours : je vous renvoie au volumineux dossier qui vous a été remis. Le programme complet des journées est disponible sur le serveur Minitel du ministère de la culture et de la communication en composant le 3615 culture, et une sélection est proposée à nos publics étrangers sur Internet.
Vous savez d’ailleurs qu’à l’initiative de la France, les Journées du patrimoine se déclinent au mois de septembre dans de nombreux pays européens. Cette année, avec l’arrivée de la Fédération de Russie et de la Bosnie-Herzégovine, ce sont 43 pays qui prendront part cette année à cette grande fête du patrimoine.
Je ne voudrais pas clore mon propos sans remercier tous ceux qui, nombreux, se sont associés à l’organisation de ces journées, les propriétaires publics et privés et leurs associations, les nombreux bénévoles qui partout en France font partager leur passion, les médias qui assurent le rayonnement de cette manifestation et bien entendu les architectes en chef des monuments historiques et les architectes des bâtiments de France qui font visiter leurs chantiers, et les personnels du ministère à Paris et en région.
À tous j’adresse mes plus vifs remerciements.