Texte intégral
Date : jeudi 25 septembre 1997
Source : Ouest-France
Ouest-France : L’opposition pense que vous êtes le « maillon faible » du Gouvernement : la ministre capable d’en claquer la porte. Bon diagnostic ?
Dominique Voynet : Elle se trompe, et ce sont ces mêmes élus de l’opposition qui se pressent dans mon bureau pour me soumettre leurs dossiers locaux et régionaux, tout heureux de ne pas entendre un discours parisien et centralisateur. Placé à la frontière des Transports, de l’industrie, de la Santé, de l’Agriculture… l’Environnement est le poil à gratter du Gouvernement. Mais, pour autant, je ne suis pas le bouffon de la cour. J’assume le poste inconfortable de cette qui tente d’impulser des politiques nouvelles, non destructrices pour la santé, l’environnement. Je ne suis pas là pour réparer les dégâts, mais pour les empêcher. Personne ne me le reproche au Gouvernement. Et je me sens très bien dans ce rôle.
Ouest-France : Sujet difficile, la reconquête de la qualité de l’eau. Avez-vous le sentiment que les politiques de vos prédécesseurs ont été efficaces ?
Dominique Voynet : Bilan très mitigé. La politique de maîtrise des pollutions a reçu une forte adhésion du monde agricole et a donc l’avantage de lancer une dynamique de réduction de ces pollutions. Cependant, elle coûte fort cher – plus d’un milliard de francs par an – pour une efficacité contestable. Elle bénéficie en priorité aux gros éleveurs, les plus polluants, et qui coulent du béton pour construire des fosses de stockage. Nous sommes encore loin d’une reconquête de la qualité de l’eau, malgré les moyens consentis. Et nous ne répondons pas à certaines attentes des agriculteurs qui souhaitent l’installation de jeunes et le développement des petits élevages familiaux.
Ouest-France : Vous ne craignez pas de heurter certaines organisations agricoles ?
Dominique Voynet : Non, car avec Louis Le Pensec, qui partage mon souci, nous avons engagé une concertation avec l’ensemble de ces organisations. Et elles sont toutes prêtes à une révision du programme de maîtrise des pollutions agricoles pour le rendre plus équitable et plus efficace.
Ouest-France : Pourquoi, selon vous, les petits agriculteurs se retrouvent-ils les victimes de la lutte contre la pollution ?
Dominique Voynet : Une logique paradoxale et assez perverse a fait que nous avons abandonné le système pollueur-payeur, pour celui du pollueur-payé. Je m’explique. Les plus gros pollueurs ont bénéficié des plus fortes subventions et ont acheté des terres d’épandage pour leur lisier. Au contraire, les petits élevages, objectivement moins pollueurs, ne serait-ce que pour des raisons de taille, et parce qu’ils agissent souvent de façon plus respectueuse de l’environnement, n’ont pas accès à des surfaces d’épandage et n’ont pas les moyens de financer de la dépollution. Nous sommes submergés de demandes de petits agriculteurs nous disant : « Je veux bien me mettre aux normes, mais aidez-nous ».
Ouest-France : Que préconisez-vous ?
Dominique Voynet : Il s’agit, à la fois, de plafonner les aides à la dépollution, les surfaces d’épandage et de confirmer le gel des extensions d’élevage. Par ailleurs, pas question d’amnistier les élevages qui ont continué de croître depuis 1994. Tout cela, non par volonté de punir, mais parce qu’il faut permettre, je le répète, aux petits élevages d’atteindre la taille économique suffisante, et aux jeunes de s’installer.
Ouest-France : N’est-ce pas également le moyen de couper la tête à l’agriculture intensive ?
Dominique Voynet : Non. Les syndicats agricoles sont d’accord sur ce point. Ils ne défendent pas le droit de quelques très gros éleveurs à confisquer à leur profit la quasi-totalité des surfaces, aux dépens des jeunes et de la survie des plus petits. Pendant trop longtemps, on a privilégié le fait de produire beaucoup, vite, et avec peu de main-d’œuvre. Je défends au contraire l’idée que les paysans doivent être nombreux, bien répartis sur le territoire, vivant dignement de leur travail, en proposant aux consommateurs des produits de qualité.
Ouest-France : A propos de consommateurs, certains en Bretagne bougent et font de la rétention sur leurs factures d’eau. C’est un mouvement qui vous réjouit ?
Dominique Voynet : Une société civile qui interpelle les pouvoirs publics, alerte, conteste, propose, c’est indispensable à la démocratie. Il n’est pas dans mon rôle de ministre d’encourager des comportements aujourd’hui illégaux. Mais je comprends de tels mouvements. J’espère qu’ils pourront rapidement solder leurs factures et obtenir gain de cause.
Ouest-France : L’Ouest débat également beaucoup de la question du TGV. On vous accuse d’être hostile au TGV-Ouest.
Dominique Voynet : Absolument pas. Je n’ai jamais dit que j’étais hostile à ce TGV-Ouest. J’ai simplement demandé à Jean-Claude Gayssot, le ministre des Transports, que le débat ne se focalise pas autour des seuls tracés, mais prenne en compte un aménagement du type train pendulaire, sans affirmer que c’est la solution et qu’elle conviendra aux Bretons. Mais pourquoi ne pas examiner toutes les hypothèses, dans la mesure où le dossier est loin d’être bouclé sur le plan financier ?
Ouest-France : Les partisans du TGV vont vous accuser de vouloir retarder ce projet au profit d’autres lignes ?
Dominique Voynet : Je comprends que cela agace. Mais il faut comprendre que plusieurs dossiers sont présentés côte-à-côte comme des priorités, TGV-Est, Sud-Est, Sud-Ouest, Rhin-Rhône, sans que pour autant les moyens financiers soient mis en face pour les faire décoller. Pour l’ensemble des TGV, le budget annuel est de 500 millions de francs. Nous sommes loin des milliards nécessaires. Je vois donc un écueil à cette affaire de TGV. C’est qu’il est extraordinairement difficile d’obtenir des élus d’une région qu’ils arbitrent entre plusieurs priorités : autoroute, TGV, aéroport de proximité… Les finances publiques, dans leur état actuel, ne peuvent pas y répondre. Il faut faire des choix et cesser de traiter secteur par secteur les grands projets d’aménagement. C’est la source d’une gabegie de fonds publics. Je souhaite donc un peu moins d’autoroutes et plus de transports collectifs, un peu plus de voies ferrées et une plus grande place aux transports de marchandises par le rail.
Date : octobre 1997
Source : Les Échos
Les Échos : Enjeux. Peu après votre nomination, vous avez été confrontée aux polémiques sur l'arrêt de Superphénix et les rejets de l'usine de La Hague. Quelle leçon en tirez-vous ?
Dominique Voynet : Cette affaire prouve une fois de plus les difficultés de l'industrie nucléaire peu soucieuse de transparence. Le nucléaire s'est imposé en France comme l'unique solution pour produire des quantités massives d'électricité dans des conditions acceptables. On a investi des sommes phénoménales dans la recherche alors que des années durant les économies d'énergie et la diversification ont été les parentes pauvres. Il faudrait évaluer l'efficacité économique d'une filière dans son ensemble l'impact sur l'environnement et la santé, le coût de la recherche et de l'aval du cycle, l'emploi. Le coût du démantèlement des centrales a été sous-estimé, l’élimination des déchets est très centralisée avec d’énormes installations et quelques centaines de travailleurs par centrale. Pour la même production d’électricité, fournie par des installations thermiques plus petites, disséminées sur le territoire, vous créez plus d’emplois fécondant le développement local.
Les Échos : Les entreprises pourraient-elles être moteurs dans l’utilisation d’énergies nouvelles ?
Dominique Voynet : Mon objectif est de donner une impulsion nouvelle à la politique de maîtrise de l’énergie et à la promotion des énergies renouvelables auxquelles le Gouvernement est particulièrement attaché. Mon ambition est de relancer l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), qui aura bientôt un nouveau président. Je souhaite qu’on sorte de la phase d’expérimentation qui a trop duré. La plupart des technologies aujourd’hui sont performantes. Le budget de l’ADEME est ridicule et comme il n’est pas destiné à exploser, le moment est venu d’utiliser cet argent pour faire levier. Il faut cesser de financer des programmes expérimentaux et passer à la dimension industrielle.
Les Échos : Comment agir sur les comportements des uns et des autres ?
Dominique Voynet : Nous réfléchissons à une écotaxe sur les émissions de gaz carbonique et la consommation d’énergie pour limiter le prélèvement de ressources non renouvelables et lutter contre l’effet de serre. De premières dispositions devraient être prises dans la loi de finances 1998, qui sera débattue au Parlement cet automne. Le produit de cette taxe permettrait de réduire les charges sur le travail, qui freinent la création d’emplois, et de financer le développement des énergies renouvelables. L’efficacité de cet outil est prouvée. L’écotaxe permet non seulement d’influer sur le comportement mais aussi de couvrir les coûts induits pour la collectivité (entretien des routes, accidents) et enfin de générer des ressources pour mener une gestion dynamique de l’environnement. La charge de l’écotaxe est répartie entre le générateur de nuisance et le consommateur. Il faudrait encourager l’achat de produits peu complexes, facilement revalorisables. Dans le cas d’un bien au prix peu élastique, comme l’essence, c’est le consommateur qui paie. A l’inverse, pour les lessives aux phosphates, c’est le producteur. En Belgique, une écotaxe plus importante a été mise en place sur les bouteilles PVC. En quelques mois, les industriels se sont adaptés et les bouteilles PVC ont disparu du marché.
Les Échos : Malgré vos projets, vos décisions donnent parfois l’image d’un ministère empêcheur de tourner en rond…
Dominique Voynet : Je suis convaincue qu’environnement et économie vont de pair. Le laisser-aller écologique peut avoir un impact économique important, comme l’a montré le surcoût du Stade de France lié au nettoyage du site laissé par GDF. La prise en compte de l’environnement doit être perçue comme un nouveau challenge pour l’entreprise, un critère de compétitivité et un secteur d’innovation technologique. Or, j’ai souvent l’impression qu’en France, encore trop d’industriels en restent à une vision contraignante de l’environnement. Ils cherchent à repousser cette contrainte, à gagner du temps. Dans d’autres pays, ils la prennent comme un stimulant, qui les amène à adopter des processus de production plus efficaces, à limiter leurs consommations et leurs rejets. En Allemagne, les entreprises ont une attitude de conquête écologique : elles économisent les matières premières et l’énergie, simplifient leurs processus de production et gagnent ainsi des parts de marché.
Les Échos : Les entreprises françaises n’auraient pas encore suffisamment intégré la dimension de l’environnement ?
Dominique Voynet : Il faut les aider à s’y retrouver dans le maquis de la réglementation de l’environnement. Cela passe, à mon avis, par la mise en place d’un guichet unique, au niveau régional, qui serait l’émanation du Conseil régional, de la Chambre régionale de commerce et d’industrie et de la Direction régionale de l’industrie et de la recherche (DRIRE), trop souvent perçue comme un gendarme. Certaines régions, comme la Bourgogne, ont mené une expérience de ce type. D’une façon plus générale, mon ministère a une responsabilité évidente en matière d’affichage des signaux de long terme (réglementations et normes). Plus concrètement, il faut aider les entreprises à mieux maîtriser, d’amont en aval, les consommations (eau, matières premières, énergie, déchets…) Mais ce n’est pas suffisant. Il faut aussi prendre en compte l’environnement au niveau de l’organisation même de l’entreprise, avec la mise en place de systèmes de management vert. Ceux-ci permettent à la fois de mobiliser le personnel et de gagner des parts de marché. En France, cette révolution culturelle reste à faire. Si quelques grandes entreprises sont déjà certifiées aux normes ISO, beaucoup n’ont rien fait, notamment des PME-PMI.
Les Échos : Comment concilier développement économique et environnement ?
Dominique Voynet : En décidant l’arrêt du projet de canal Rhin-Rhône, j’ai agi en connaissance de cause. C’était un projet de papier, sans rentabilité économique démontrée, extrêmement cher en investissement et en fonctionnement. Mon souci, c’est d’identifier quel investissement efficace et rentable peut être proposé en alternative. La solution est dans le fret ferroviaire et la complémentarité entre modes de transport, pas dans la réalisation incantatoire d’un équipement voué à ne transporter que de l’eau, comme l’avait très bien dit le général de Gaulle. Quant à Roissy, ADP et Air France y ont un projet très ambitieux, créateur d’emplois de court terme, probablement logique difficilement parable si on ne veut pas être accusé de supprimer des emplois. Mais on s’est mal comporté vis-à-vis des riverains. Ils devaient entendre des réponses satisfaisantes à leurs questions avant qu’on leur impose la construction de deux nouvelles pistes. Il y a là de grands chantiers créateurs d’emplois : 2 millions de personnes vivent dans des logements avec plus de 70 décibels. Isoler, faire des murs antibruit, ce sont des emplois. Quand on réhabilite des logements, la moitié de l’investissement, c’est du travail humain. Ce n’est pas le cas des grands travaux d’infrastructure.
Les Échos : Que peut-on attendre des éco-industries en termes d’emplois ?
Dominique Voynet : Il y a aujourd’hui 155 000 emplois dans les éco-industries françaises. Les déchets, qui représentent environ 47 % de ces emplois, en incluant la récupération, recèlent un potentiel de 20 000 emplois nouveaux sur les cinq prochaines années. Mais d’une manière plus générale, il faut distinguer, dans notre domaine, les activités rentables, assurées par le secteur privé, de celles qui ne le sont pas. Celles-ci sont confiées au bénévolat, à l’associatif, à l’insertion et ne gagneront jamais la moindre crédibilité économique. Elles s’adressent à des publics en difficulté, sans formation, et ne s’appuient pas sur une filière. Reste toutes les activités où il faut une impulsion publique pour crédibiliser des nouveaux métiers. Avec la création des 350 000 emplois pour les jeunes, l’Etat aidera à identifier des gisements d’emplois et à mettre en place les filières professionnelles qui permettront à ces activités de devenir rentables, parce qu’une bonne détection de marché aura été faite mais aussi parce que des mesures d’accompagnement conduisant à la solvabilité de ce marché auront été prises.
Date : mercredi 1er octobre 1997
Source : France 2
Bruno Masure : P. Devedjian dit que c’est une mesure anti-banlieusards ? C’est vrai que ce n’est pas simple pour ceux qui habitent loin de Paris !
Dominique Voynet : Je crois que les faits n’ont pas donné raison à P. Devedjian. Tous les Franciliens ont participé de bon cœur avec beaucoup de responsabilité et de sens civique à cette journée tout à fait exceptionnelle. Cela dit, il pose un vrai problème qui est celui non pas des liaisons entre la banlieue et Paris, mais surtout des liaisons entre banlieue et banlieue. C’est sans doute l’un des maillons faibles de l’offre de transport en Ile-de-France. Pour y remédier, il faudra investir dans ce domaine. On a entendu tout à l’heure, J.-P. Bailly, président de la RATP, qui insiste sur le fait qu’il aimerait être exemplaire d’un point de vue environnemental, mais qu’il a des contraintes financières difficiles à résoudre. J’espère que P. Devedjian s’en souviendra au moment de voter son budget. »
Bruno Masure : Est-ce que vous avez été étonnée par le civisme des automobilistes parce qu’on dit volontiers le Français râleur, frondeur ? La bagnole, c’est sacro-saint.
Dominique Voynet : On avait annoncé, et je le craignais, le grand embouteillage du Siècle, et on a eu finalement une journée qui permettait de réconcilier les usagers avec la ville. Je crois que les gens ont apprécié non seulement de mettre en œuvre d’autres modes de transport, mais aussi de retrouver une certaine fluidité dans la ville. C’est vrai pour les véhicules individuels, c’est vrai aussi pour les bus et les transports collectifs. Pour ma part aujourd’hui, à Paris, j’ai apprécié la ville, et je pense ne pas avoir été seule.
Bruno Masure : Vous êtes arrivée tout à l’heure dans nos studios dans une Clio électrique. Je signale que vous aviez oublié d’éteindre les phares, ce qui est embêtant pour une voiture électrique. Est-ce que ce n’est pas un gadget, vous utilisez votre Clio de 5 à 7 ou un peu plus souvent ?
Dominique Voynet : Je vous promets que je l’ai déjà utilisée avant le pic de pollution. Cela dit je pense que la voiture électrique peut rendre des services ponctuels, que ce n’est pas la solution. Il y en a d’autres, je pense à d’autres types de véhicules propres : les voitures au gaz de pétrole liquéfié, au gaz naturel véhicule. Je pense aussi, bien sûr, au développement des transports collectifs. Les usagers l’ont dit très bien, ils veulent des transports, sûr, réguliers, commodes, confortables, qui circulent aux heures où ils en ont besoin – ce qui n’est pas toujours le cas. Ils sont attentifs au prix. C’est normal. J’ai entendu aussi des usagères dire : « comment se fait-il qu’on n’y ait pas pensé plus tôt. » Moi, j’aimerais leur dire : continuez, continuez à être solidaires, à vous entraider pour aller chercher vos gamins à la sortie de l’école, pour aller faire vos courses, pour vous attendre l’une l’autre à la sortie d’une réunion. C’est du lien humain en même temps que de la responsabilité écologique qu’ils vont inventer.
Bruno Masure : Le paradoxe c’est qu’aujourd’hui été autorisés à rouler les véhicules les plus polluants : les taxis au diesel, les autobus de la RATP qui font beaucoup de fumée, les camionnettes qui ne sont pas toujours très propres. Qu’allez-vous prendre comme mesure ? Par exemple pour les autobus de la RATP : il y a une expérimentation au GPL en ce moment à Lille. Vous me diriez que ça coûte très cher.
Dominique Voynet : La RATP a déjà dépassé depuis longtemps le stade de l’expérimentation. Pour passer à la vitesse supérieure, il faut de l’argent, beaucoup d’argent, et la RATP ne l’a pas. Moi, je souhaite qu’on puisse investir davantage dans les transports collectifs, et utiliser à cet effet des fonds qui sont disponibles et qu’on utilise trop souvent pour faire des routes, des autoroutes, ou pour encourager à l’expansion continue du réseau routier. J’aimerais aussi qu’on travaille davantage avec les (flottes captives ? Ndlr) comme celles des transports publics ou comme celles des taxis, pour essayer de les inciter à une mutation vers d’autres carburants. C’est le cas dans bien des grandes villes à travers le monde. Par exemple, les taxis de Tokyo roulent tous au GPL. Je vais engager sur une discussion, et je crois que J.-C. Gayssot sera d’accord pour que nous le fassions ensemble.
Bruno Masure : Prochaine étape la fameuse pastille verte. Pourquoi l’accouchement est-il aussi laborieux ?
Dominique Voynet : Tout simplement parce qu’il y a débat sur ce qu’est exactement une voiture propre. Moi je pense que la pastille verte est tout au plus un marquage, et ne constitue en aucun cas une autorisation de circuler. Alors on devrait vraiment donner la pastille verte aux seuls véhicules qui sont effectivement propres, et année après année, il y aura de plus en plus de voitures qui l’auront. Si on la donne aujourd’hui à tous les types de véhicule, elle sera inefficace. Et la belle idée sera sabotée, ce que je ne souhaite pas.
Bruno Masure : Tout le monde a joué le jeu. La prochaine fois, est-ce que les forces de l’ordre appliqueront les PV de 900 francs pour les mauvais citoyens ?
Dominique Voynet : Il y a eu très peu de mauvais citoyens. En fait, d’après les chiffres de la préfecture de police, c’est tout au plus 5 % des véhicules qui circulaient, qui n’auraient pas dû se trouver là. Donc c’est très peu et ça doit être salué. Ce que j’espère, c’est qu’on va pouvoir développer des solutions en amont qui vont réduire la fréquence des pics de pollution et qu’on n’aura jamais vraiment à se poser la question de savoir s’il faut ou non punir. Moi j’aimerais convaincre, j’aimerais inciter, j’aimerais que les citoyens qui ont fait la preuve aujourd’hui de leur volonté de changer des choses en convainquent leurs élus, et en convainquent les financeurs des politiques publiques dont on a besoin.
Date : 1er octobre 1997
Source : Libération
Libération : C’est une petite révolution que vous mettez en œuvre aujourd’hui…
Dominique Voynet : Si tout se passe bien aujourd’hui avec la circulation alternée, quelque chose aura changé en France. Je continue pourtant à penser que c’est un pis-aller. Les vraies solutions efficaces et acceptables pour l’usager, ce sont une amélioration de l’offre des transports collectifs, des modifications des rythmes de déplacement dans la ville, la limitation de l’impact polluant des carburants, le développement des véhicules propres. Pour l’instant, la multiplication des pics m’aide à maintenir l’intérêt du Gouvernement pour ce dossier. J’ai pris cette décision avec l’accord de Lionel Jospin et des ministres concernés. De toute façon, voir une ministre de l’Environnement annoncer à la préfecture de police une telle mesure est une avancée.
Libération : Ça vous conforte dans votre décision de participer au Gouvernement ?
Dominique Voynet : Quand on me l’a proposé, j’ai pris le temps de réfléchir. Je suis issue d’un mouvement qui n’a pas encore de culture de Gouvernement. Je souhaite disposer de la liberté de m’exprimer avant qu’une décision soit prise et, une fois qu’elle est prise, je ne veux pas me retrouver en situation d’avoir à défendre les options qui n’ont pas été les miennes. C’est un contrat tacite passé avec Lionel Jospin. On discute puis il décide. C’est une règle que j’accepte. Jusqu’à maintenant, ça tient. Globalement, je me sens à ma place. Ministre de l’Environnement, ce n’est pas un rôle consensuel puisque, par définition, on se heurte aux conséquences néfastes de certains projets conçus par d’autres. Il y a deux conceptions du ministre de l’Environnement : soit c’est la bonne pâte qui passe la serpillière après les dégâts des autres, soit c’est quelqu’un qui tente d’infléchir en amont les décisions.
Libération : On vous imagine assez mal dans le rôle de la bonne pâte…
Dominique Voynet : Je tiens beaucoup au principe de plaisir. C’est comme une vague : chaque avancée est bonne à prendre et chaque recul n’est pas définitif. Pour l’instant, c’est assez équilibré. Paradoxalement, c’est avec les Verts que les relations sont les plus difficiles : ils trouvent que cela ne va pas assez vite, pas assez loin. C’est leur rôle de contre-pouvoir. Ceux qui me reprochent de ne pas gagner sur tout savent que certaine de ces luttes étaient « ingagnables ». C’est le cas du doublement des pistes de Roissy. Je tiens à inscrire mon action dans la durée. L’accord Verts-PS ? C’est ma ligne de défense arrière. Je ne demande pas que tout soit fait tout de suite. On a d’ores et déjà gagné plus que depuis 1981. Des années à militer sans rien gagner, ça m’aurait rendue amère. A moins d’être Alain Krivine.
Libération : Et être une femme, ça aide ?
Dominique Voynet : Au Gouvernement, on ne joue pas à être des femmes. Il n’y a pas de relations de femmes ni de connivences particulières entre nous. D’autres critères jouent davantage. Lionel Jospin a des complicités historiques avec certains, comme Claude Allègre. Ou des complicités de parti. Même si on s’entend bien, je n’ai pas une telle intensité de relation avec lui.
Libération : Sur les 35 heures, ne craignez-vous pas d’aller au-devant de quelques déceptions ?
Dominique Voynet : Je n’ai aucune raison de douter de la volonté de Jospin de respecter les accords sur les 35 heures. Ce dont je ne veux pas, c’est d’une baisse du temps de travail lente, en escalier. Ce n’est pas créateur d’emplois. Nous les Verts, nous n’avons jamais dit 35 heures sans baisse de salaires, mais sans baisse des bas et moyens salaires. On a le choix entre deux modèles très différents. Si on dit : c’est 35 heures, le gain de temps n’est pas suffisant pour que les gens admettent l’idée de perdre un peu de leur salaire. Si c’est 32 heures, le gain de temps libre est tellement important qu’une écrasante majorité des gens admettent qu’on touche un peu à leur revenu.
Libération : Et s’agissant de la date butoir ?
Dominique Voynet : Nous, les Verts, avons une préférence pour le 1er janvier 1999. Mais si l’Etat s’engage maintenant par une loi-cadre sur les 35, voire sur les 32 heures et que cette réduction est effective pour tous au 1er janvier 2000, cela me va.
Libération : Sur le gazole, vous avez perdu ?
Je ne me sens pas humiliée de ne pas avoir gagné là-dessus dès le budget 1998. Un groupe de travail fonctionne depuis début juillet avec les ministères des Transports et de l’Industrie et du Budget. Dans le budget 1999, il y aura un volet sur la fiscalité écologique. Je reste convaincue. Il n’est pas normal que le diesel, qui est le plus polluant, soit le moins taxé.
Libération : Un ministre de l’Environnement est cerné par les lobbies. Lequel est le plus actif ?
Dominique Voynet : Je ne souffre pas tant que ça du poids des lobbies professionnels, parce que je les connais. Les constructeurs automobiles, les transporteurs routiers viennent discuter dans mon bureau et ils s’achètent des pages de publicité dans la presse. Il y a aussi les agriculteurs et même, dans une certaine mesure, les écolos. Mais il y a une forme de lobbying plus subtile, donc plus difficile à combattre, c’est celles des élus locaux. Quand je discute avec les députés de tous bords, ils me disent : « Je soutiens ton TGV si tu soutiens mon petit bout de route. » C’est dangereux. Je leur dis : « Méfiance. Dans deux ans on rediscutera les contrats de plan (Etat-régions). » Ce sera une occasion très précieuse pour réorienter les choix, faire moins de routes et d’autoroutes et plus de ferroutage, de transports collectifs en ville. Mais si, petit bout par petit bout, les élus ont arraché au Premier ministre, à Jean-Claude Gayssot (ministre des Transports, ndlr) ou à moi-même des morceaux d’infrastructures ruineux qu’il faudra payer, on aura amputé notre liberté de choix.
Libération : Pour les élections régionales, êtes-vous pour renouveler l’accord Verts-PS ?
Dominique Voynet : Pourquoi changer une stratégie qui marche ? Mais il faut tenir compte de la sensibilité locale. Dans certains endroits, les accords seront difficiles : les Verts auront ainsi du mal à faire alliance avec André Labarrère à Pau après la querelle sur le tunnel du Somport. Mais, souvent, les désaccords sont dépassables. Il faut que les listes d’union soient construites sur la base de contrats de région avec une répartition proportionnelle des responsabilités. C’est aussi l’intérêt des politiques de mon ministère : une grande partie de mon travail se fait dans le dialogue avec les régions notamment pour l’élaboration des schémas d’aménagement du territoire : si je peux ne pas avoir des interlocuteurs insensibles à la politique de développement durable, c’est pas plus mal !
Libération : Si vous avez beaucoup d’élus, les Verts vont finir par être touchés par le cumul…
Dominique Voynet : Il faut une loi sur le cumul des mandats, et qui aille assez loin. C’est le type de mesure qui peut modifier profondément les relations entre électeurs et élus. Marie-Christine Blandin (présidente Verte de la région Nord-Pas-de-Calais, ndlr) défend l’idée d’un seul mandat électif par personne. Ça m’arrache le cœur, car je ne serais plus conseillère municipale à Dole. Je penche plutôt pour un maximum de deux mandats dont un seul exécutif.
Libération : Quand vous avez déclaré avoir déjà fumé du cannabis, c’était une boulette ?
Dominique Voynet : Personne ne m’a fait la tête au Conseil des ministres, pas même le président de la République. Je reste convaincue que la politique française en matière de drogue est largement inefficace et par certains aspects dangereux. Un vrai débat est nécessaire.