Texte intégral
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Une émission proposée par Anne Sinclair
Réalisée par Jean-Claude Delannoy
Présentée par Anne Sinclair
Jacques Chirac
Dimanche 24 mai 1992
Mme Sinclair. – Bonsoir.
Au lendemain des élections régionales et cantonales d'il y a tout juste deux mois, Jacques Chirac est un homme heureux, l'opposition, RPR-UDF, gagne les élections sans triomphalisme mais nettement. Jacques Chirac parle lui-même du désaveu du mitterrandisme et de la déroute du Parti socialiste. De plus, il remporte une victoire morale en refusant tout accord avec le Front national. Enfin, tous les sondages lui donnent une large avance sur Valéry Giscard d'Estaing comme candidat favori des électeurs de l'opposition pour la future présidentielle.
Et puis, tout à coup, patatras, le ciel s'assombrit et renvoie une image confuse d'un RPR déchiré et d'une union de l'opposition qui bat de l'aile.
Jacques Chirac, bonsoir.
M. Chirac. – Bonsoir.
Mme Sinclair. - Familièrement, on a dit : « Jacques Chirac s'est pris les pieds dans le piège de Maastricht », vous allez, bien entendu, répondre longuement et nous dire si vous êtes seul responsable ou si quelqu'un avait tiré sous vos pieds ?
Vous nous direz aussi si l'union de l'opposition reste crédible pour gouverner demain ou si ce qu'on a appelé « l'embellie Bérégovoy » peut faire gagner la majorité ? Une majorité embarrassée par le problème Tapie, puis soulagée par sa démission à laquelle vous réagirez sûrement tout à l'heure.
Mais tout de suite une question plus personnelle, la légende prétend que vous avez un estomac d'acier face à l'adversité. Néanmoins, ce soir, n'êtes-vous pas tout simplement découragé ?
M. Chirac. - Non, d'abord parce que cela n'a jamais été dans ma nature, ensuite parce que je ne vois pas de véritable raison de l'être. Et, à l'occasion de cette émission, ce soir, en répondant à vos questions, je voudrais vous dire pourquoi je suis plus déterminé que jamais à conduire le combat politique qui est le mien pour nous sortir de la politique cotonneuse de M. Mitterrand.
Mme Sinclair. - Nous allons en parler tout à l'heure. L'essentiel, pour commencer, en tout cas, c'est Maastricht. Nous allons revenir sur la procédure ou sur la confusion dont je parlais qui a pu être ressentie par les uns ou par les autres, mais tout de suite une question de fond principale à laquelle on peut répondre par « oui » ou par « non », voterez-vous, oui ou non, ce traité ?
M. Chirac. - J'ai déjà entendu cela.
Je souhaite être en mesure de le voter. Il y a d'abord la réforme constitutionnelle, et j'espère que je pourrai la voter, mais je ne peux encore le dire, tout dépendra du texte et, à partir de là, je souhaite pouvoir ratifier le traité de Maastricht.
Mme Sinclair. - Vous dites : « Je souhaite pouvoir le faire », et vous dites vous-même : « pour l'instant, les conditions ne sont pas réunies ». Tout simplement, est-ce parce que vous ne le trouvez pas bon, est-ce parce que vous trouvez ce traité mauvais ?
M. Chirac. - Je ne dirai pas que c'est un traité qui fera date. Il est confus, mal rédigé, il est insuffisant...
Mme Sinclair. - ... Rédigé à douze, de Kohl à Mitterrand, en passant par Major, ils sont tous dans le même bain.
M. Chirac. - Ce qui explique probablement que ce soit un texte peu compréhensible, mais il est aussi insuffisant par rapport à la vision qui est la mienne de l'Europe de demain. Néanmoins, il s'inscrit, c'est vrai, dans une continuité, c'est la raison pour laquelle je le voterai, sans enthousiasme mais sans réserve.
Mme Sinclair. - Insuffisant sur quoi ? Puisque ce traité ne prétend pas tout résoudre.
M. Chirac. - Il faut avoir, je crois, une vision de l'Europe que je ne trouve pas dans ce traité.
L'Europe doit être d'abord la démocratie et, de ce point de vue, une réforme des institutions européennes est nécessaire. On ne peut pas laisser une commission bureautique, incontrôlée, décider de tout.
L'Europe est ensuite quelque chose qui doit servir la paix et la sécurité, il doit donc y avoir une défense européenne dans un monde dangereux et une capacité d'intervention, quand c'est nécessaire, pour éviter les drames. Il faut voir la Yougoslavie, triste Europe que celle qui laisse à ses portes le drame yougoslave.
L'Europe, cela doit être aussi la solidarité, c'est une famille. L'Europe et donc l'élargissement de la Communauté sont un objectif inéluctable et nécessaire, et rien n'est prévu de ce point de vue.
Et, enfin, l'Europe, c'est aussi la prospérité des Européens et donc la volonté de défendre les intérêts agricoles de l'Europe, ce que l'on ne fait pas face aux prétentions américaines et aux intérêts industriels de l'Europe, face au développement du Japon et du Pacifique.
Mme Sinclair. - Pour revenir sur quelques points que vous venez d'évoquer.
La bureaucratie : l'objet de ce traité n'était pas forcément de réformer les institutions mais, néanmoins, on a l'impression qu'au contraire la Commission aura plutôt moins de pouvoirs, que le Conseil européen en aura plus et le Parlement lui aussi puisqu'il aura des pouvoirs de codécisions et même des pouvoirs pour nommer la Commission et, en tout cas, approuver le choix de son président.
C'est déjà un premier pas vers moins de bureaucratie, il n'y en aura pas plus après Maastricht qu'avant ?
M. Chirac. - Je me méfie un peu du système dans lequel nous sommes aujourd'hui. Nous venons d'en avoir une illustration avec les décisions agricoles qui ont été prises et qui sont dramatiques pour l'agriculture européenne et pour la France - je ne rentrerai pas dans le détail -, mais elles sont le résultat d'une espèce de système qui a concocté tout seul, sans aucun rapport, sans aucune concertation, ni avec les Etats, ni avec le Parlement européen, ni avec les Parlements, ni d'ailleurs avec les organisations professionnelles, mais c'est un système autoritaire, bureaucratique et incontrôlé. Même si cette dérive n'est pas accentuée par le traité de Maastricht, c'est vrai, même si elle est plutôt freinée, il n'y a rien, dans ce traité, qui prévoit une démocratisation de ses institutions et, ça, c'est nécessaire.
Mme Sinclair. - Sur l'élargissement, vous dites : « elle est nécessaire, regardez l'Europe aujourd'hui...
M. Chirac. - C'est la famille.
Mme Sinclair. - Vous connaissez l'argument : « si on fait entrer tout le monde, on tue à la fois la Communauté et on ne leur rend pas service parce qu'ils ne sont pas en état, aujourd'hui, de nous rejoindre ».
M. Chirac. - J'ai entendu cet argument quand la Communauté comportait six membres, puis elle est passée à neuf, à dix, à douze...
Mme Sinclair. - Parce qu'ils arrivaient à un niveau de compétitivité économique et de prospérité équivalente.
M. Chirac. - Croyez-vous que nos amis grecs ou irlandais soient à un tel niveau de compétitivité économique qu'on ne puisse pas les comparer à l'Autriche ou à d'autres ? Non, ce n’est pas un argument. La vérité est qu'au delà de ces problèmes...
Mme Sinclair. - … L'Autriche, la Finlande, la Suède...
M. Chirac. - ... Oui, vont entrer en 1995, ce qui, d'ailleurs, remet le traité de Maastricht à plat, il faudra tout renégocier à ce moment-là, notamment l'union économique et monétaire, c'est pourquoi je dis, ce n'est pas un traité non plus irréversible. J'ai dit que c'était un petit pas dans la bonne direction, et je m'en tiens là.
Mais l'ouverture aux pays qui sont sortis du communisme est une nécessité, c'est la famille européenne. On peut d'abord les admettre dans la concertation politique en attendant que des transitions nécessaires soient faites sur le plan économique, mais on ne peut pas s'enfermer dans notre système cloisonné.
Mme Sinclair. - Un autre point que vous avez cité, c'est la défense. Vous avez vu, au Sommet franco-allemand de La Rochelle, que le Chancelier Kohl et le président de la République, M. Mitterrand, se sont mis d'accord pour un corps d'armée franco-allemand de 35 000 hommes, qui pourrait être l'embryon d'une défense européenne. C'est un petit pas dans la bonne direction lui aussi ?
M. Chirac. - J'aurais mauvaise grâce à le contester puisque j'ai proposé ce corps d'armée franco-allemand le premier, mais c'est un tout petit pas. Je crois qu'il faut aujourd’hui une conception globale dans un monde dangereux de la défense européenne.
Les Américains se replient, ils se replieront de plus en plus, pour des raisons notamment financières et, par conséquent, nous devons assumer aujourd'hui notre défense et notre capacité d'intervention.
Lorsque vous voyez que, ce matin ou hier soir, c'est le ministre américain des Affaires étrangères, M. Baker, qui doit lever la voix pour demander des sanctions contre la Serbie, que je demande sous forme d'embargo, à la fois pétrolier et économique, depuis longtemps, on ne fait rien. C'est tout de même tout à fait consternant comme conception de l'Europe.
Mme Sinclair. - Vous avez dit que vous voteriez « oui » si les choses se présentent comme vous le souhaitez. Vous l'aviez dit, d'ailleurs, dès le mois de décembre, dans un article du Monde où vous disiez justement : « C’est un petit pas mais dans la bonne direction ». D'où vient l'impression, alors que vous dites que vous êtes plutôt favorable à Maastricht, depuis le début qu'on a eu le sentiment que vous étiez contre ?
M. Chirac. - Ceux qui m'ont lu et écouté, vous évoquiez cet article que j'ai écrit dès qu'on a eu connaissance du traité de Maastricht - je n'ai pas changé mon point de vue d'un iota -, ne peuvent pas avoir cette impression.
Je crois que le débat qui fonde cette impression est celui de la réforme constitutionnelle et non pas celui de Maastricht...
Mme Sinclair. - ... Oui, enfin, c'était le débat de fond, tout le monde a débattu sur le fond.
M. Chirac. - Les deux étaient liés. J'entends bien, vous avez raison, les deux sont liés. C'est vrai que, sur la réforme constitutionnelle, j'ai exprimé plus que des réserves dans son texte initial. C'est vrai que je considère que la première étape qui a été faite devant l'Assemblée nationale a apporté des modifications substantielles et intéressantes, dans le bon sens.
Je voudrais dire à ce sujet que, d'une part, c'est pour l'essentiel grâce au RPR qu'il y a eu un grand débat, qu'il n'y a pas eu simplement une sorte d'enregistrement de cette réforme et de ce traité et, d'autre part, que c'est sous son impulsion qu'ont été acquis les quelques progrès importants qui ont été votés par voie d'amendement.
Essentiellement, la réaffirmation, et cela est une affirmation politique, que la France conserve son droit de veto et le fera jouer si ses intérêts essentiels sont en cause et, deuxièmement, ceci est capital à mes yeux, ce que nous avions appelé l'amendement Mazeaud, c'est-à-dire la consultation obligatoire du Parlement français - les autres s'ils le veulent -, avant qu'une décision pouvant avoir des effets sur la législation française soit prise par le Conseil des ministres de la communauté. Ceci est capital.
Mme Sinclair. - Néanmoins, malgré ces progrès, grâce aux amendements RPR...
M. Chirac. - ... Non, c'était des amendements de l'opposition toute entière.
Mme Sinclair. - Absolument.
Malgré ces progrès, vous vous êtes abstenu. Est-ce que quelqu'un qui a gouverné la France ou qui aspire de nouveau à la gouverner peut s'abstenir sur un sujet aussi sérieux ?
M. Chirac. - Je ne rappellerai pas que, dans le vote final du référendum sur l'élargissement de la communauté en 1972, du temps de M. Pompidou, M. Mitterrand et les socialistes se sont abstenus.
Je vais vous dire, je reconnais que, pour des gaullistes, l'abstention n'est pas une réaction naturelle et cela a pu prêter à critique, c'est vrai. Mais il s'agit d'une procédure particulière pour la réforme constitutionnelle, c'est un dialogue entre le gouvernement et chacune des deux Assemblées, Assemblée nationale et Sénat, qui ont chacune les mêmes pouvoirs. Cela veut dire que le vote auquel vous faites allusion n'était qu'un vote d’étape.
L'Assemblée nationale a examiné, elle a amendé et tout permet de penser que le Sénat va, à son tour, amender et améliorer encore le texte, en tous les cas, je le souhaite et j'en suis sûr.
Le vote auquel vous faites allusion n'est pas un vote définitif mais un vote d'attente, ce qui justifie parfaitement une position d'abstention.
Voilà pourquoi j'ai pris, pour ma part, cette position, mais, naturellement, le vote définitif sur le texte définitif appellera de ma part soit un vote « oui », soit un vote « non ».
Mme Sinclair. - On va venir tout de suite à la fin, éventuellement, de la procédure. Encore une question : ne regrettez-vous pas de ne pas avoir affronté directement Philippe Séguin, lequel n'était pas en accord avec la majorité du RPR mais, néanmoins, il a su rallier un certain nombre de députés à sa cause, près de la moitié du groupe, plutôt que d'avoir donné l'impression de subir la division du RPR ? N'auriez-vous pas pu monter à l'assaut ?
M. Chirac. - Je voudrais d'abord vous dire, quel est de votre point de vue le parti le plus moderne et le plus démocratique : celui qui donne deux heures et demie à M. Séguin pour exprimer un avis qui, finalement, est ratifié par 20 % des députés ou celui qui interdit à M. Chevènement de s'exprimer dans le même débat ?
Mme Sinclair. - Le débat était de qualité, notamment grâce à ce débat intégré par Philippe Séguin.
M. Chirac. - S'il était que qualité, c'est beaucoup, il faut dire, grâce au débat qui a eu lieu à l'intérieur même du RPR. A partir de là, je n'ai aucune intention d'affronter qui que ce soit. Je suis le responsable d'un parti politique, que m'appartient-il à ce titre ? Quelle est la vocation d'un chef, d'un leader, comme on dit aujourd'hui ?
Je crois que c'est d'abord de savoir distinguer ce qui est essentiel de ce qui est l'accessoire. Ensuite, c'est de savoir ouvrir un dialogue, permettre à chacun de s'exprimer et, enfin, c'est de savoir décider, prendre une position et entraîner une majorité. C'est très exactement ce que j'ai fait.
Mme Sinclair. - Poursuivons là-dessus : qu'est-ce qui fait qu'au Sénat il ne va pas se passer exactement la même chose ? C'est-à-dire qu'il y a de nouveau des sénateurs RPR qui suivent Charles Pasqua et qui sont assez déterminés. Qu'est-ce qui fera que, demain, vous convaincrez plus Charles Pasqua que Philippe Séguin ?
M. Chirac. – Permettez-moi de vous dire d’abord que Charles Pasqua n’a pas du tout la même position que Philippe Séguin sur ces affaires…
Mme Sinclair. - … Certes, ce n’est pas le même angle mais il reste néanmoins qu’il y a un vrai débat.
M. Chirac. - Le débat au Sénat et, notamment, pour ce qui concerne le groupe RPR qui n'est pas du tout, dans ce domaine, l'objet de divergence de vues, il est unanime, porte sur le droit de vote des ressortissants de la Communauté.
Mme Sinclair. - Vote et éligibilité.
M. Chirac. - La totalité du groupe RPR au Sénat, ainsi d'ailleurs que d'autres dans d'autres groupes, est très hostile à ce vote. Un premier progrès a été fait à l'Assemblée nationale puisqu'un amendement de l'opposition a prévu qu'il y aurait une loi organique qui définirait les modalités de mise en œuvre de ce droit de vote des ressortissants de la Communauté.
Mme Sinclair. - Disons que la loi organique est une loi un peu plus importante dans ses modalités de vote et de fonctionnement qu'une loi ordinaire...
M. Chirac. - ... Oui, et une loi qui requiert des majorités spéciales. C'est un premier pas, insuffisant selon moi, et l'objectif de la majorité sénatoriale est, je crois, et en tous les cas du groupe RPR, d'apporter une amélioration supplémentaire à ce système.
Pour vous dire la vérité, je suis, moi, plus que réservé, je suis hostile au droit de vote des ressortissants. Si vous le permettez, je vais vous dire pourquoi.
Cela ne me choque pas du tout qu'un Allemand installé depuis sept ans ou dix ans à Paris, s'étant fait rayer des listes électorales dans son pays, vote aux élections municipales à Paris, mais je voudrais attirer votre attention sur deux choses :
La première est que nous allons obligatoirement créer chez les autres étrangers, ceux qui ne sont pas de la Communauté et qui sont très nombreux en France, une revendication forte, qu'il sera difficile d'ignorer.
La deuxième est qu'on voit bien que ce sujet divise les Français.
Ce que je trouve dans la politique socialiste, dans les comportements de M. Mitterrand, c'est cette tendance permanente à diviser les Français. Est-ce que, franchement, ce vote des ressortissants étrangers est un élément essentiel de la construction européenne ? A l'évidence, non...
Mme Sinclair. - ... C'est, dans le traité de Maastricht, comme un, principe. D'ailleurs un principe qui, dans la rédaction du traité que vous avez lu attentivement, ne souffre pas de dérogations. Ce qui souffre de dérogations, ce sont les modalités d'application mais, sur le principe, il s'impose aux douze Etats de la Communauté.
M. Chirac. - J'entends. La France a eu un rôle déterminant pour l'insertion de cette disposition dans le rôle de Maastricht, elle a eu tort. Et, ensuite, il y a tout de même des dérogations possibles...
Mme Sinclair. - ... Pas sur le principe encore une fois.
M. Chirac. - Pas sur le principe, mais sur la mise en œuvre de ce vote et, par conséquent, nous pourrions demander une dérogation. Mais ce que je veux dire, c'est que le vote des ressortissants n'est pas un élément important, essentiel d'une construction européenne, chacun le voit bien, il y a des choses infiniment plus importantes, et donc je pense que ce n'était pas nécessaire de diviser les Français pour un sujet qui est un sujet accessoire dans la construction européenne. C'est déraisonnable, il ne faut pas diviser les Français, il faut les rassembler.
Mme Sinclair. - Soyons clairs, terminons là-dessus : vous êtes entièrement derrière les sénateurs RPR et Charles Pasqua pour le rejet total de cette disposition...
M. Chirac. - Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit.
Mme Sinclair. - ... Jusqu'où voulez-vous aller dans la notification ?
M. Chirac. - Je jugerai sur pièce. Je souhaite que la majorité sénatoriale, dans son dialogue avec le gouvernement, obtienne, comme elle le souhaite indiscutablement, des amendements - je n'ai pas à préjuger de leur nature, c'est le problème du Sénat aujourd'hui - qui permettent de rendre cette disposition acceptable, je le souhaite. Est-ce que ce sera possible ? Nous le verrons.
Mme Sinclair. - Disposition dont vous dites qu'elle n'est pas essentielle. Ce n'est donc pas pour vous un motif de rejet du traité ?
M. Chirac. - Je verrai le texte qui sera définitif. Ce que je veux vous dire, c'est que je ne m'abstiendrai pas sur le texte définitif.
Mme Sinclair. - Sur le calendrier, M. Chirac, souhaitez-vous qu'on en ait fini avec Maastricht avant l'été ? Est-ce l'intérêt de l'opposition de passer à autre chose ? Ferez-vous accélérer la procédure, avec votre influence, auprès des sénateurs RPR ?
M. Chirac. - Je ne sais pas quel est l'intérêt de l'opposition dans cette affaire et cela ne me paraît pas l'essentiel. Je crois que c'est tout simplement l'intérêt de tout le monde.
Cette affaire a également un autre aspect. L'affaire constitutionnelle, la réforme européenne, c'est important mais il y a d'autres choses, au moins, aussi importantes, qui sont les problèmes auxquels les Français sont confrontés. Et que voyons-nous aujourd'hui ? M. Mitterrand mettant un rideau de fumée, grâce à la réforme constitutionnelle et à la réforme européenne, sur tous ces problèmes pour justifier le fait qu'il ne les résout pas. Donc je dis, traitons cette affaire le plus vite possible et essayons de mettre l'accent sur les vrais problèmes qui expliquent l'affaiblissement actuel de notre pays.
Mme Sinclair. - Sur la procédure, vous avez exigé un référendum, était-ce une maladresse ?
M. Chirac. - Ce n'est pas moi qui exige, c'est la Constitution. Je veux dire par là que la Constitution...
Mme Sinclair. - ... Il y a deux procédures dans le référendum, elle apparaît comme la première.
M. Chirac. - C'est la loi fondamentale. Elle a été votée par tous les Français. Certes, comme vous le dites, elle prévoit une méthode pour la modifier par le Parlement qui, finalement, se réunit en congrès à Versailles, mais ceci n'est justifié - toutes les explications le disent - que quand il y a une urgence absolue, ce qui n'est naturellement pas le cas aujourd'hui, ou lorsqu’il y a une modification de détail, ce qui n'est pas non plus le cas. Et, par conséquent, je suis profondément choqué par l'option prise par M. Mitterrand consistant à dire : « Cette affaire ne concerne pas les Français, c'est le Parlement », donc je suis favorable au référendum.
Mme Sinclair. - Il n'y a pas une contradiction entre réclamer un référendum et dire que le traité n'est pas essentiel, ce n'est pas déterminant ?
M. Chirac. - Le référendum n'est pas sur le traité mais sur la réforme constitutionnelle et la réforme constitutionnelle n'est pas urgente au point que l'on doive en priver les Français.
Mme Sinclair. - ... Il est indispensable pour ratifier le traité.
M. Chirac. - Bien sûr, mais enfin on pouvait parfaitement prendre le temps d'un référendum.
Mme Sinclair. - Si au bout du compte il y a référendum sur la révision, sur la ratification ou sur les deux en même temps, la question posée par la SOFRES aux Français est la suivante :
Si M. Mitterrand organise un référendum sur la ratification du traité de Maastricht, pensez-vous que M. Chirac doit appeler à :
Voter « oui » : 29 %
Voter « non » : 11 %
Voter blanc ou nul ou s'abstenir : 10 %
Ne pas prendre position : 19 %
Sans opinion : 31 %
Perplexité apparemment, éclatement chez les Français, et notamment chez les électeurs RPR où 31 % sont favorables à voter « oui », 22 % à voter « non » et 17 % sont favorables à ne pas prendre position, donc une sorte d'éclatement à l'intérieur de l'opinion RPR.
M. Chirac. - Cela veut dire une seule chose : c'est qu'au fond les Français n'ont pas très bien compris de quoi il s'agissait et c'est pourquoi je regrette que l'opposition se soit, c'est vrai, divisée sur ce point.
Mme Sinclair. - Qui est divisé ?
M. Chirac. - L'opposition, c'est une famille. Quand il y a une querelle, dans une famille, les torts ne sont jamais tous du même côté, ils sont par définition partagés...
Mme Sinclair. - ... Tout le monde est responsable.
M. Chirac. - Tout le monde est plus ou moins responsable. J'ai tout fait pour essayer dans ce domaine de faire prévaloir l'union de l'opposition, je reconnais bien volontiers que, là, je n'ai pas réussi et je le regrette profondément car, certainement, si l'opposition avait pris une position commune, comme elle l'a fait sur tous les autres sujets qui intéressent la France et les Français, elle aurait été mieux comprise et, mieux comprise, elle aurait été mieux suivie, et votre sondage aurait été profondément différent.
Qu'indique votre sondage ? Simplement qu'il y a une grande confusion dans les esprits et c'est dommage sur un sujet aussi important. Nous en portons une part de responsabilité, le gouvernement aussi qui l'a voulu naturellement.
Mme Sinclair. - Dernière question sur ce sujet, Jacques Chirac : s'il y a un référendum, s'il y a un « oui » franc et massif, comme on dit, estimerez-vous que c'est François Mitterrand qui a remporté la mise ou estimerez-vous, comme François Léotard, que c'est le fond qui compte et que, finalement, si François Mitterrand va dans la bonne direction, autant le dire si on le pense ?
M. Chirac. - C'est le fond qui m'intéresse naturellement sur une affaire concernant la Constitution, concernant notre vision de l'Europe, mais il n'y aura pas un « oui » franc et massif. Faire un référendum, c'est quelque chose de très délicat, il faut que les questions soient simples, qu'elles soient bien comprises et il y a toujours un côté un peu plébiscitaire ou anti-plébiscitaire dans un référendum, et donc je ne suis pas du tout convaincu que ce sera un « oui » franc et massif, mais enfin c'est le fond qui m'intéresse.
Je voudrais dire un dernier mot pour vous dire que si j'ai pris une position favorable à la ratification de Maastricht, sous réserve que la réforme constitutionnelle soit convenable, c'est parce que ce petit pas dans la bonne direction que j'évoque depuis le mois de décembre s'inscrit dans une continuité de la construction européenne qui a été celle qu'a voulue le général de Gaulle lorsqu’il a imposé l'idée de communauté par rapport à l'idée de zone de libre-échange que voulait l'Angleterre, qui s'est poursuivie tout au long, généralement soutenue par les gaullistes, notamment lorsqu'ils étaient au gouvernement, et qui naturellement a conduit à l'Acte unique et, aujourd'hui, au traité de Maastricht.
C'est une politique de continuité et c'est pour cela que je dis que Maastricht n'est pas une grande réforme, mais un petit pas dans la bonne direction.
Mme Sinclair. - On va voir tout à l'heure les conséquences de Maastricht sur la politique française. Dans un instant, l'actualité de la semaine et la poursuite de la discussion sur l'opposition, sur le gouvernement et sur le reste.
A tout de suite.
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Mme Sinclair. - Suite de 7 sur 7 en votre compagnie, M. Chirac. Nous allons regarder ensemble le début de la semaine : Philippe de Villiers, la sécheresse, la Palme d'or à Cannes et une semaine d'émeutes en Thaïlande.
Lundi :
A Bangkok, l'armée réprime violemment des manifestations antigouvernementales.
Dès l'arrivée de l'été, l'eau vient à manquer.
« Combat pour les valeurs » est mouvement d'idées qui devient, ce soir, un mouvement politique. C'est un mouvement qui n'est pas un parti, bien que ce soit un mouvement bien parti. A Paris, devant un Palais des congrès archi-comble, Philippe de Villiers prend ses marques.
Consensuel mais pas exaltant, le palmarès consacre le talent des grands maîtres du cinéma.
Mme Sinclair. - Je ne sais pas si vous avez vu l'un des films qui sort à Cannes ? Allez-vous au cinéma de temps en temps ?
M. Chirac. - De temps en temps, j'y suis allé il y a quelques jours...
Mme Sinclair. - Qu'avez-vous vu ?
M. Chirac. - J'ai vu à la vidéothèque une remarquable rétrospective sur les événements dans les pays de l'Est de 50 à 90, c'était poignant.
Mme Sinclair. - Toujours l'actualité.
M. Chirac. - Sur Cannes, je voudrais simplement dire que la façon dont Depardieu qui est l'un des tout premiers dans le monde d'aujourd'hui a dirigé ce jury avec intelligence et élégance était très impressionnante. C'est ce qui m'a le plus impressionné dans ce festival.
Mme Sinclair. - Plus que le palmarès visiblement.
M. Chirac. - Un petit regret pour les Français.
Mme Sinclair. - Revenons à Maastricht et à ses conséquences sur l'union de l'opposition. On a dit que Maastricht avait mis à mal l'union. Est-ce que pour autant la crédibilité de l'opposition à gouverner est ou non entamée ?
Question posée par la SOFRES :
Le RPR et l'UDF se sont divisés sur la révision constitutionnelle, estimez-vous que ce désaccord remet en cause la capacité du RPR et l'UDF à gouverner ensemble le pays ?
Oui : 40 %
Non : 35 %
Sans opinion : 25 %
Pour une légère majorité des Français la capacité à gouverner ensemble est remise en cause. 34 % des électeurs UDF et 31 % des électeurs RPR partagent néanmoins ce sentiment.
M. Chirac. - L'opposition a toujours tort de se diviser, elle doit être unie. Ceci étant, elle l'est beaucoup plus qu'on ne le pense et elle aura l'occasion de le montrer prochainement, y compris je l'espère sur les affaires européennes.
Mme Sinclair. - Prochainement, c'est notamment aussi les échéances de mars 93. La défaite de la gauche et la victoire de l'opposition paraissaient le scénario le plus probable il y quelques semaines, l'est-il toujours ?
M. Chirac. - Je crois. Dans la mesure où il n'y aura pas de changement de loi électorale, je croix qu'effectivement la victoire de l'actuelle opposition me paraît plus que favorable. Je le souhaite pour sortir la France de cette situation cotonneuse que j'évoquais tout à l'heure.
Mme Sinclair. - On parlera de la politique du gouvernement tout à l'heure.
Philippe de Villiers vous met en garde contre la cohabitation, écoutez-vous ce qu'il vous dit ?
M. Chirac. - Philippe de Villiers, avec son tempérament, son talent, parfois ses excès, exprime en fait une réaction contre le caractère néfaste de la politique socialiste, notamment sur le plan moral, et ça, je peux le comprendre même si je ne partage pas toutes les idées. La seule question que je me pose : était-il nécessaire pour cela de faire un pas dans la direction de la création d'un nouveau parti politique, si telle est son intention ? Est-ce de nature à renforcer la cohésion de l'opposition ? C'est la vraie question.
Mme Sinclair. - Il prétend défendre les vraies valeurs. Il y a des vraies valeurs que vous laissez de côté ?
M. Chirac. - Je ne crois pas. Je crois que nous avons nos valeurs et nous les défendons parfaitement.
Mme Sinclair. - Pendant le feuilleton Maastricht, nous avons appris, le 9 mai, qu'il y avait eu, le 28 avril, une rencontre entre Valéry Giscard d'Estaing et vous-même, pourquoi ne l'a-t-on pas su ? Vous êtes d'habitude plutôt content d'annoncer quand l'opposition se réunit, se met d'accord ?
M. Chirac. - Anne Sinclair, je rencontre régulièrement Valéry Giscard d'Estaing, seul ou en compagnie de tel ou tel de nos amis, et ce n'est pas un événement national...
Madame Sinclair. - ... Là, c'était pour se mettre d'accord sur des primaires...
M. Chirac. - ... Oui, sur le principe et nous avons décidé en nous quittant qu'il n'y avait pas lieu ni de cacher, ne de faire état particulièrement de cette rencontre. L’objet était, effectivement, de dire : « il faut maintenant mettre un terme à l'approximation sur les primaires et arrêter définitivement notre système en cas d'élection présidentielle ».
Mme Sinclair. - Donc il n'y a pas eu de fuite. Il n'y a pas eu de fuite puisqu'il n'y avait rien à cacher.
M. Chirac. - Il n'y avait rien à cacher.
Mme Sinclair. - Vous avez prévu ce système de primaires avec deux possibilités :
L'une, en cas d'échéance normale, l'élection présidentielle en 1995.
L'autre, en cas d'échéance anticipée, d'élection présidentielle anticipée.
A quel scénario croyez-vous ?
M. Chirac. - Nous verrons, je ne veux pas faire de pronostic. Ce que je dirai, c'est qu'en cas d'échéance normale, notre système de sélection d'un candidat unique de l'opposition à la campagne présidentielle est un système qui fait appel aux électeurs et donc qui est très démocratique. C'est celui que je préfère.
Mme Sinclair. - Difficile à organiser.
M. Chirac. - Non, non, ce ne sera pas difficile à organiser. En cas d'élection anticipée qui peut toujours arriver, pour n'importe quelle raison, nous envisageons, nous sommes en train d'étudier - nous terminerons au mois de juillet - un système limitant l'appel, pour des raisons matérielles, pour des raisons pratiques, et notamment de temps, à tous les élus français. C'est, sur le plan de la démocratie, moins bien mais enfin la perfection n'est pas de ce monde.
Mme Sinclair. - C'est un système de collège qui fait un peu IVe République. C'est moins conforme à la tradition...
M. Chirac. - C'est le collège qui avait été retenu dans la Constitution de la Ve République...
Mme Sinclair. - … Modifiée en 1962.
M. Chirac. - Pour l'élection du président de la République. C'est le collège qui avait élu la première fois le général de Gaulle à la présidence de la République. Il a ses lettres de noblesse.
Mme Sinclair. - On parle beaucoup de la durée du mandat présidentiel, récemment à la fois le Premier ministre et le même jour le ministre de la Culture et de l'Education ont fait part de leur préférence pour un septennat non renouvelable, ce qui a laissé penser que, sans doute, le président de la République y pensait lui aussi. Est-ce un système qui vous convient ou tenez-vous dur comme fer au quinquennat ?
M. Chirac. - Personnellement, je suis plutôt favorable au quinquennat, je dis bien « plutôt », mais je vois comment les choses vont se présenter. A peine serons-nous sortis du débat sur la réforme constitutionnelle nécessaire pour ratifier Maastricht que M. Mitterrand va vouloir nous entraîner dans un nouveau débat théorique, juridique et constitutionnel sur la durée du mandat ou sur d'autres modifications de la Constitution. Pourquoi ? Non pas du tout parce que cela s'impose mais, tout simplement, pour continuer à masquer les véritables problèmes que nous évoquerons tout à l'heure.
Je vous dis tout de suite que je ne suis pas du tout de ceux qui considèrent qu'il y a, là, une priorité, il y a d'autres choses à faire pour redresser la situation de la France et rassembler les Français dans un effort dont ils ont besoin.
Mme Sinclair. - Donc on garde le système actuel...
M. Chirac. - ... Je suis, je vous l'ai dit, intellectuellement favorable au quinquennat, mais j'estime qu'il y a un temps pour tout, aujourd'hui ce n'est pas une priorité et cela ne doit pas être surtout un moyen, encore, de diviser les Français. Les Français ont besoin de se rassembler, il faut éviter de soulever les problèmes qui les divisent inutilement.
Mme Sinclair. - Dans tous les sondages qui considèrent les primaires de l'opposition, vous êtes très largement en tête devant Valéry Giscard d'Estaing, mais il y en a d'autres qui prétendent aujourd'hui à ces primaires : François Léotard l'a dit, Philippe de Villiers semble le dire lui aussi. Etes-vous favorable à ce qu'on ouvre au maximum, qu'il y ait beaucoup de monde ? Vous allez me dire : « oui ».
M. Chirac. - Naturellement, c'est d'ailleurs pour cela qu'on fait des primaires. En revanche, je trouverai très, très dangereux de laisser plusieurs candidats représentant l'opposition se présenter au premier tour des élections présidentielles, ce serait probablement la défaite assurée. Nous en avons fait l'expérience.
Mme Sinclair. - On a vu dans les dernières élections que les électeurs avaient sanctionné la gauche sans pour autant plébisciter la droite, que vous manque-t-il pour faire rêver les Français ?
M. Chirac. - Je vous dirai d'abord qu'il nous faut un vrai projet, celui-ci est pratiquement au point après nos états généraux et je souhaite que, dès le mois de septembre, l'opposition unie, ayant passé le cap de l'affaire européenne, puisse présenter un vrai projet aux Français. Nous sommes prêts à le faire.
Je vous dirai aussi qu'il faut toujours chercher à faire rêver. C'est ce que les socialistes ont voulu faire en 1980, faire rêver les Français...
Mme Sinclair. - ... Alors, il faut séduire, il faut emporter l'adhésion, il faut convaincre...
M. Chirac. - ... Et vous avez vu que le réveil est brutal. Il ne faut pas être un marchand de rêves quand on fait de la politique, il faut faire des propositions concrètes et traiter les vrais problèmes des Français, et c'est cela notre ambition.
Mme Sinclair. - On y vient tout de suite. Fin de la semaine, avec la démission de Bernard Tapie, sujet du week-end, la politique agricole commune, revue de fond en comble, un corps d'armée franco-allemand et des mesures pour un sport moralisé et moins dangereux.
Mercredi
Tirant les leçons du drame de Furiani, la loi sur la moralisation du sport renforce également la sécurité dans les stades.
Jeudi
A Bruxelles, les ministres de l'Agriculture des Douze décident d'en finir avec les excédents que génère la politique agricole comme depuis trente ans.
François Mitterrand et Helmut Kohl en maîtres d'école. Au programme, l'Europe, bien sûr, à l'honneur pour une journée dans toutes les écoles de France.
Vendredi
En Bosnie-Herzégovine, alors que les combats continuent de faire rage, la population prend massivement le chemin de l'exode.
Samedi
Bernard Tapie démissionne.
Mme Sinclair. - Jacques Chirac, Bernard Tapie qui démissionne, est-ce légitime ou pensez-vous qu'il a été victime d'un acharnement politique, médiatique ?
M. Chirac. - Cette affaire est devant la justice et par conséquent je ne ferai pas de commentaire. Tout ce que je vous dirai, c'est que, moi, il ne me serait pas venu à l'idée de faire entrer M. Bernard Tapie dans un gouvernement.
Mme Sinclair. - Donc plus l'entrée que le départ qui pose problème.
Ce gouvernement est là depuis deux mois. Pierre Bérégovoy apparaît populaire, il est même présidentiable, comme on dit, puisqu'il apparaît dans les sondages. Trouvez-vous qu'il a pris tout de même des bonnes mesures sur les dockers, sur le sport, sur la ville, sur les 900 000 chômeurs de longue durée ?
M. Chirac. - Je voudrais dire deux choses :
Tout d'abord dans un monde médiatique où une image chasse l'autre. M. Rocard, puis Mme Cresson ont eu une action qui s'est soldée par un échec, ce qui d'ailleurs justifie leur départ, et c'est vrai que, pendant cette période, nous avons vu augmenter considérablement la dette et les déficits, l'insécurité, la délinquance, la criminalité et le chômage, donc un échec.
Quel était le principal ministre et le plus influent du gouvernement pendant cette période ? M. Bérégovoy qui a été l'un des principaux artisans de cette faillite dont il devient aujourd'hui le syndic. Eh bien, je ne crois pas qu'en dix mois, quels que soient les discours prononcés par tel ou tel ministre, avec plus ou moins de talent, il fera ce qu'il n'a pas fait pendant près de dix ans.
Mme Sinclair. - Vous ne lui savez pas gré d'avoir contenu l'inflation et d'être aujourd'hui le champion européen, d'avoir rendu un franc très fort au point qu'on pensait même à sa réévaluation ?
M. Chirac. - Je lui en sais gré, mais ce n'est pas suffisant. Je ne lui sais pas gré de ne pas avoir su mener une politique permettant de limiter le chômage...
Mme Sinclair. - ... Précisément, parlons-en. 900 000 chômeurs de longue durée vont se voir proposer, au cours d'un entretien, soit un emploi, soit une formation, soit un travail d'intérêt collectif. C'est bien cela ou pas ?
Monsieur Chirac. - Naturellement que c'est bien si cela a un résultat positif, et c'est pourquoi le RPR et j'espère avec l'UDF ont décidé de mettre en place un observatoire...
Mme Sinclair. - ... J'allais vous dire, vous êtes tout seul pour faire cet observatoire .
M. Chirac. - Oui, mais enfin nous allons, je l'espère, le faire avec nos amis de l'UDF pour vérifier la suite donnée aux discours gouvernementaux, parce que, vous savez, à Matignon, chaque fois qu'on scelle, on ne bride pas.
Nous avons une deuxième critique à faire sur cette mesure, c'est son financement car pour financer cela, c'est-à-dire pour financer une dépense qui sera répétitive chaque année, celle de l'emploi, de la formation, on vend des participations de l'Etat. C'est exactement comme si vous vendiez votre voiture, au moment où vous avez des difficultés financières, pour payer votre loyer...
Mme Sinclair. - ... Vous êtes favorable à ce qu'on vende des cessions d'actifs pour le désendettement de l'Etat ?
M. Chirac. - Je suis favorable pour qu'on désendette l'Etat, surtout qu'il est considérablement endetté...
Mme Sinclair. - ... Quand on veut financer une mesure, il faut bien la financer d'une manière ou d'une autre, c'est-à-dire soit par l'impôt, soit par le déficit, donc c'est plus direct, c'est tout.
M. Chirac. - Non, non... Une mesure qui se répète chaque année doit être financée par une ressource qui se répète chaque année et non pas par une ressource exceptionnelle qui consiste à vendre des bijoux de famille pour une dépense qui va se répéter chaque année, donc je suis très critique sur ce point et, par conséquent, je le répète, ce n'est pas en dix mois, me semble-t-il, et en faisant ce qu'il fait, qui consiste surtout à ne pas faire de vagues avant les prochaines élections, que M. Bérégovoy réussira.
Mme Sinclair. - Vous dites toujours : « eux, c'est l'immobilisme, nous, c'est le progrès ». Il n'y a rien de bien dans ce qu'ils font ?
M. Chirac. - Je ne dirais pas cela, ce serait excessif mais ils ne font pas ce qu'il faut faire. Que faut-il faire aujourd'hui en France ? La France que je veux, comment est-elle ?
D'abord, il faut lutter pour l'unité des Français et éloigner, je vous le disais tout à l'heure pour le vote des ressortissants de la Communauté, tout ce qui les divise.
Ensuite, il faut promouvoir l'égalité des chances des Français, c'est-à-dire une autre politique économique pour lutter efficacement contre le chômage. Une politique de solidarité qui permette de limiter la croissance actuelle des injustices, des inégalités, de la pauvreté, des exclus, des handicaps.
Et enfin une réforme de l'éducation pour donner à nos enfants la formation et la culture dont ils on besoin.
C'est également une lutte pour la sécurité des Français. Nous voyons toutes les statistiques qui, comme pour le déficit et la dette, explosent en matière de délinquance et de criminalité touchant toujours les plus malheureux, les plus vulnérables.
C'est enfin une lutte pour l'identité de la France, qu'il s'agisse de la lutte pour le maintien de ses zones rurales si cruellement traitées et affectées, et qui vont l'être pire encore avec la désastreuse réforme de la politique agricole commune que le gouvernement français s'est vu imposer par Bruxelles, ou qu'il s'agisse de maîtriser l'immigration et de lutter contre l'immigration clandestine.
Et enfin il faut réhabiliter la justice et il faut restaurer la morale publique et politique, parce qu'il n'y a pas de démocratie sans justice et sans morale.
Voilà pourquoi je vous dis que le socialisme, aujourd'hui, c'est l'immobilisme et que l'opposition incarne le progrès et la réforme.
S'il y a un seul message, Anne Sinclair, que je voudrais faire passer ce soir, c'est celui qui consiste à vous dire : « l'opposition, sachez-le, est là et elle est bien là ».
Mme Sinclair. - On a commencé par une question personnelle, je voudrais qu'on termine par une question personnelle : n'auriez-vous pas intérêt à laisser le RPR dirigé par d'autres et, vous, prendre un peu de hauteur, prendre un peu de distance... je ne sais pas, comme Jacques Delors, cela ne lui a pas si mal réussi ?
M. Chirac. - Oui, je ne fais pas dans le compromis et la coalition.
Je ne crois pas que c'est manquer de hauteur que de présider un parti politique qui rassemble un électeur sur quatre. J'ajoute que les objectifs que je me suis fixé ne sont pas encore atteints.
Les socialistes sont encore au pouvoir, l'opposition, bien qu'elle ait toutes les raisons de s'unir, n'est pas encore suffisamment unie, et puis je crois pouvoir encore rendre quelques services à ma famille politique.
La question n'est pas d'actualité mais, rassurez-vous, le jour viendra.
Mme Sinclair. - Merci Jacques Chirac d'avoir répondu à toutes ces questions, d'avoir vraiment clarifié un certain nombre de choses ce soir.
Dimanche prochain, 7 sur 7 avec Ségolène Royal, le ministre de l'Environnement.
Dans un instant, Claire Chazal recevra Laurent Fabius dans le journal de 20 heures.
Merci à tous.
Bonsoir