Interviews de M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement, à France Info le 8 juillet 1999 et dans "Le Figaro" le 9 , sur les conditions à la réouverture du tunnel du Mont-Blanc et le développement du ferroutage.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - France Inter - Le Figaro

Texte intégral

France Info - Jeudi 8 juillet 1999

France Info
Vous avez rendu public à l’instant le rapport d’expertise relatif à la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc qui a fait 39 morts. Rapport d’expertise finalement très consensuel. Est-ce qu’il ne fallait fâcher personne ?

Jean-Claude Gayssot
- « Non, je crois qu’il faut bien comprendre : il y a une enquête technique et administrative qui vise à essayer de comprendre les causes pour faire des préconisations, des propositions pour ne pas que cela se reproduise. Et puis par ailleurs, il y a une enquête judiciaire qui, elle, se poursuit, pour définir les responsabilités. Là, on voit bien que le fait qu’il y ait eu, disons, qu’il y ait deux directions d’exploitation du tunnel, qui soient séparées également, eh bien est un problème. Et nous décidons, outre le comité technique permanent dont je viens de parler, que les deux sociétés concessionnaires devront mettre en place une direction technique unique. Et que, y compris quand le tunnel rouvrira, il faut qu’il y ait une direction d’exploitation unique de manière à travailler le plus efficacement possible pour tout ce qui concerne la régulation, le trafic mais aussi pour ce qui concerne la sécurité. Il y aura un plan de secours, public, binational, qui sera élaboré, afin que le plan de sécurité interne soit commun aux deux sociétés exploitantes. Il y aura même tous les ans des exercices de secours qui seront organisés. »

France Info
Mais les familles des victimes vous diront que c’est un peu tard ! Comment n’y a-t-on pas pensé plus en avance ?

Jean-Claude Gayssot
- « IL est bien évident que ce tunnel, qui a été réalisé je crois en 1965, et où des choses, des décisions, des mesures pour améliorer ont sûrement été prises. Mais on se rend compte à la lumière de cette catastrophe dramatique, et c’est bien normal que les familles des victimes veuillent avoir toute la transparence et surtout que tout le monde souhaite que tout cela ne puisse plus jamais se reproduire ! C’est pourquoi on ne va pas reconstruire le tunnel dans les mêmes conditions que ce qui a été à l’origine de la catastrophe. Les capacités de ventilation seront considérablement augmentées ; le nombre de refuges sera doublé – de 18 à 56 – et ils devront être résistants ces refuges au feu pendant au moins deux heures pour que des secours rapides, adaptés, puissent être reliés à une galerie d’air frais et être équipés de moyens de ventilation et de communication. On voit bien que, y compris par rapport à l’analyse des experts et de cette enquête technique et administrative, on ne se contente pas de dire : on va remettre en l’état mais on dit : on remettra en service que les conditions de sécurité optimales – ce qui n’était pas le cas avant – seront réunies. »

France Info
Est-ce qu’il faudra faire repasser les poids-lourds par le tunnel du Mont-Blanc ?

Jean-Claude Gayssot
- « En tout cas, le problème de la circulation des poids-lourds est en soi un problème majeur, dont nous sommes décidés à ce qu’il y ait une régulation qui permette de préserver les conditions de sécurité – espacement entre les poids-lourds mais il y a bien plus comme propositions. Et j’ajoute avec beaucoup de force que nous sommes déterminés côté français, mais c'est vrai pour nos collègues italiens, à ce que nous fassions un effort, sans commune mesure avec ce qui a pu se faire jusqu’à présent, en faveur du transport par le ferroviaire et je pense au transport combiné mais je pense aussi au ferroutage. Il s’agit pour les traversées de zones sensibles de créer des conditions pour pouvoir mettre, autant que faire se peut, les camions sur le rail. »

France Info
Le ferroutage ça veut dire qu’on construit un nouveau tunnel ?

Jean-Claude Gayssot
- « Oui, ça veut dire qu’on fera le tunnel Lyon, tunnel avec la traversée des Alpes. Nous attendons la fin des travaux d’étude qui sont tout à fait indispensables et qui seront achevés dans un an – été de l’an 2000. Une fois que toutes les études – on ne peut pas faire une trouée de 50 km sans avoir tous les éléments de savoir par où on peut passer etc. – alors, le Sommet franco-italien pourra prendre les décisions. »

France Info
Et d’ici là que fait-on ?

Jean-Claude Gayssot
- « D’abord on a mis en place des éléments de régulation y compris sur le tunnel du Fréjus. Certains disaient : il n’y a qu’à laisser passer, laisser doubler le trafic sans réguler, sans veiller à ce que les conditions de sécurité soient préservées. Nous avons régulé et nous allons améliorer cette régulation. J’ai rencontré les transporteurs routiers, hier, et j’ai décidé que soient réunis immédiatement, à la fois la SNCF pour le transport ferroviaire mais également les chargeurs et les transporteurs routiers pour avoir la possibilité de mettre en place, sans attendre de nouveaux tunnels, un système de ferroutage par la voie ferroviaire existante, de telle sorte qu’il t ait des navettes qui commencent à mettre sur le rail des camions. »

Le Figaro : 9 juillet 1999

Le Figaro – Quand et avec quels aménagements nouveaux le tunnel du Mont-Blanc va-t-il fonctionne à nouveau ?

Jean-Claude Gayssot – Des travaux complémentaires à la réflexion de la partie de l’ouvrage endommagée sont nécessaires, notamment, pour améliorer ses capacités de ventilation et doubler le nombre de refuges, qui passeront de dix-huit à trente-six. Ceux-ci seront reliés à une galerie d’air frais. Adaptés aux secours rapides, ils devront être résistants au feu pendant deux heures au moins, et être équipés de moyens de ventilation et de communication. L’ensemble de ces travaux est estimé à 1,3 milliard de Francs. Tout sera mis en œuvre pour une ouverture dans les seize à dix-huit mois.

Il est également prévu de mettre en place de nouvelles règles, par exemple en faisant respecter des distances minimales entre les véhicules. Par ailleurs, une étude est engagée pour compléter la liste des produits pouvant être considérés comme des matières dangereuses, notamment certains liquides ayant un fort pouvoir calorifique.

Le Figaro - Qu’apporte le rapport que vous venez de présenter ?

Jean-Claude Gayssot - Quarante et une propositions ont été formulées par les experts français et italiens. Sur cette base, un comité technique permanent de sécurité sera créé auprès de la commission intergouvernementale. Ce comité, opérationnel dès le mois de juillet, aura comme première tâche de suivre et de valider les travaux nécessaires à la remise en service du tunnel. Il donnera le feu vert à la reprise du trafic. Pour une meilleure coordination des deux sociétés concessionnaires, celles-ci devront installer immédiatement une direction technique unique et une seule direction d’exploitation, en attendant de constituer une société de gestion commune. Un plan de secours public binational sera élaboré et coordonné avec un plan de sécurité interne commun. Des exercices de secours, communs eux aussi, devront être organisés tous les deux ans. Ces premières décisions, qui relèvent de la responsabilité des concessionnaires, pourront, si nécessaire, être complétées.

Le Figaro - Pourquoi ce document ne dégage-t-il pas de responsabilités ?

Jean-Claude Gayssot - « Ce n’est pas son rôle. Une enquête judiciaire est en cours. Il lui appartiendra d’établir des responsabilités. La mission administrative d’expertise avait pour objectif de déterminer les circonstances de la catastrophe, les causes de son ampleur et les enseignements à en tirer. La réouverture du tunnel ne peut se faire que dans des conditions de très haut niveau de sécurité. Le rôle de ce rapport, précis et sérieux, était d’y contribuer.

Le Figaro - Comment voyez-vous l’avenir du ferroutage en France ?

Jean-Claude Gayssot - « Je souhaite voir doubler dans les dix ans, le trafic de marchandises transportées par chemin de fer. Compte tenu de la croissance attendue du transport, cela correspond au maintien de la part du marché du fret ferroviaire. C’est pourquoi, dans des zones sensibles, comme les Alpes ou les Pyrénées, il faut aller au-delà de cet objectif. Cela demande d’actionner plusieurs leviers. Agir sur l’offre en rendant le transport ferroviaire plus compétitif par rapport au transport routier. L’État doit y contribuer, en participant à la réalisation de nouvelles infrastructures, ferroutage ou transport combiné, ou en améliorant celles qui existent. Je pense, bien sûr, à la ligne grande vitesse Lyon-Turin. Mais, sans attendre, j’ai décidé de faire examiner, dans le cadre des structures existantes, la possibilité de navettes de ferroutage. Le transport combiné doit également bénéficier d’une politique de volume, analogue à celle mise en place pour les voyageurs, qui se traduisent par des baisses tarifaires. Pour lancer cette politique, une aide des pouvoirs publics se justifie. Autre levier : intégrer progressivement les coûts d’environnement et de sécurité dans les transports routiers. Enfin, je crois qu’il faut raisonner sur le plan européen et ne pas concevoir les transports comme une affaire franco-française.