Interviews de M. François Hollande, premier secrétaire délégué du PS, à Europe 1 le 15, RTL le 20, et dans "Libération" du 28 octobre 1997, et article dans "L'hebdo des socialistes" du 24, sur la politique familiale, la négociation sur la réduction du temps de travail et les positions de M. Séguin sur le procès de Maurice Papon.

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Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC Libération - Emission L'Invité de RTL - Europe 1 - L'Hebdo des socialistes - Libération - RTL

Texte intégral

Date : mercredi 15 octobre 1997
Source : Europe 1

Jean-Pierre Elkabbach : Vous n’avez pas l’impression que le temps se gâte et qu’il y a de la foudre dans l’air, et peut-être de l’inquiétude ?

François Hollande : Non, moi je pense qu’il y a au contraire beaucoup de sérénité parce que les Français veulent, je pense, qu’on aille vers des réformes profondes. Et notamment tout ce qui ira vers la lutte contre le chômage sera, je pense, une bonne nouvelle pour l’emploi bien sûr, une bonne nouvelle pour l’économie et une bonne nouvelle pour l’idée même de progrès.

Jean-Pierre Elkabbach : Ça, c’est la vision tout à fait optimiste, celle qui continue à croire que la réduction du temps de travail peut permettre de créer des emplois. Mais il y en a qui ne pensent pas comme vous, qui sont sceptiques.

François Hollande : Eh bien à ceux-là je dis : est-ce que si la croissance repart – et je souhaite qu’elle reparte, elle est en train de repartir -, ça suffira pour diminuer le chômage ? La réponse de tous les experts, qu’ils soient de droite ou de gauche est non, la croissance ne suffit pas. Alors il faut faire autre chose. Dans beaucoup de pays, on fait ce qu’on appelle le temps partiel, la flexibilité, l’éclatement du marché du travail. Nous, nous avons choisi de faire une réduction du temps de travail qui permettra à plus de Français de travailler alors qu’aujourd’hui, il y en a trop qui ne travaillent pas du tout.

Jean-Pierre Elkabbach : En quoi les erreurs et les échecs de vos prédécesseurs vous rendent-ils si sûrs et presqu’infaillibles ?

François Hollande : Y compris nos propres échecs. Nous, on a gouverné le pays, on s’en souvient, il n’y a pas si longtemps, et on avait cru, peut-être naïvement, que la croissance suffirait, qu’il suffirait aussi d’ouvrir les marchés, de jouer la concurrence, de faire l’Europe pour que d’un seul coup le chômage diminue. Ce n’est pas vrai, donc il faut faire autre chose. Autre chose, ça s’appelle l’emploi des jeunes, ça s’appelle aussi la réduction de la durée du travail. Ça s’appelle aussi faire partir en retraite ceux qui ont cotisé 40 ans et qui peuvent laisser la place à quelqu’un d’autre. Voilà tout ce qu’il faut faire.

Jean-Pierre Elkabbach : Votre majorité voulait le dialogue social. En imposant ce qui n’est pas un compromis, sur les 35 heures, elle a rompu. J’ai envie de dire, est-ce que vous vous sentez un peu coupable et en quoi le CNPF, que vous attaquez en ce moment, exerce-t-il un chantage sur la société et sur vous ?

François Hollande : Nous n’attaquons personne. Nous disons au contraire : il y a de la place pour le dialogue. On peut négocier dans les entreprises la réduction du temps de travail, même l’aménagement du temps de travail. Tout se négocie. Aujourd’hui, c’est possible dans les entreprises. Et moi, j’entends, par ailleurs, un discours où l’on nous dit : il faut être tueur, il faut faire la guerre. On est même en 1939, paraît-il, je viens de le découvrir. Donc je crois que c’est ce langage que les Français ne veulent plus entendre. Parce qu’on sait bien qu’aujourd’hui, la réduction du temps de travail ne doit pas se faire contre les entreprises mais elle ne doit pas se faire non plus contre les salariés et contre les chômeurs. Donc il faut bien qu’il y ait une négociation où tout le monde y gagne parce que tout le monde peut y gagner.

Jean-Pierre Elkabbach : Mais pour la négociation, est-ce qu’on peut se passer du CNPF ?

François Hollande : On ne peut pas se passer des chefs d’entreprise et il y a beaucoup de chefs d’entreprise qui veulent négocier.

Jean-Pierre Elkabbach : Mais du CNPF ?

François Hollande : Ça, ça dépendra du CNPF. Je pense qu’aujourd’hui, si cette organisation veut faire de la politique, elle fera de la politique. Peut-être constate-t-elle que la droite française n’est peut-être pas assez efficace, offensive, elle veut peut-être prendre la place de la droite politique. C’est son affaire mais ce n’est pas la nôtre et c’est surtout pas celle des Français et même pas celle des chefs d’entreprise parce que l’objectif des chefs d’entreprise, ce n’est pas de jouer le rôle des partis politiques.

Jean-Pierre Elkabbach : Mais est-ce que vous vous faites à l’idée d’avoir dans deux mois, en face de vous, à la tête du CNPF, un tueur ? Et un tueur de qui, de quoi, vous le savez-vous ?

François Hollande : Je ne sais pas. Je ne suis pas sûr qu’ils choisiront ce personnage. Mais il faut faire attention parce que quelquefois, les tueurs se mettent des balles dans le pied.

Jean-Pierre Elkabbach : Vous pensez à qui ?

François Hollande : A personne ; mais enfin, il ne faut pas jouer avec les armes à feu en tout cas.

Jean-Pierre Elkabbach : Le PS, est-ce que vous demandez aux syndicats d’accentuer la pression sur les patrons ?

François Hollande : Je pense qu’il faut effectivement qu’il y ait une pression de l’opinion publique, des salariés, des syndicats qui sont des représentants des salariés pour qu’il y ait des négociations. Moi, je pense aussi qu’il y aura une pression de beaucoup de chefs d’entreprise sur leur propre organisation pour dire : « Oui, cela nous intéresse de négocier. » La preuve, c’est que même dans l’ancien système dit « de la loi Robien », il y avait eu 1 000 accords de signés. Déjà, le CNPF était contre.

Jean-Pierre Elkabbach : Vous n’avez pas peur d’entendre les chefs d’entreprise collabos ?

François Hollande : Je ne sais pas. Peut-être effectivement avec le discours guerrier qui est tenu, tout est possible. Mais je vais vous dire que ceux qui tiennent le discours guerrier, au sein du CNPF, c’est précisément ceux qui étaient les conseilleurs du Président de la République et qui souhaitaient la dissolution, il y a peu de temps, pour avoir enfin les mains libres. Eh bien, ceux-là doivent comprendre que les Français ont voté, qu’il y a une nouvelle majorité et que ce n’est pas le patronat qui dicte sa politique aux Français !

Jean-Pierre Elkabbach : Et que les Français ne vont pas avoir à voter bientôt, bientôt ?

François Hollande : Peut-être qu’il y a une partie du patronat qui pense aussi que ce qui n’a pas marché au moins de mai dernier peut fonctionner dans quelques mois. Je pense que les patrons doivent d’abord être des chefs d’entreprise et pas des chefs d’entreprise politiques.

Jean-Pierre Elkabbach : Est-ce que vous êtes si sûr qu’être électoralement majoritaire vous donne économiquement raison ?

François Hollande : Pas du tout. On sait bien que cela ne peut se faire que par le compromis, le dialogue et que personne ne détient la vérité révélée. Mais en même temps, il y a une expression populaire lors d’un vote et on doit aussi en tenir compte. Les Français veulent aller vers les 35 heures. Pourquoi ? Pas simplement pour avoir plus de temps libre mais aussi pour qu’il y ait plus d’emploi.

Jean-Pierre Elkabbach : Votre politique familiale a été très critiquée : quand allez-vous la modifier ?

François Hollande : Injustement critiquée et critiquée par ceux qui ne sont pas forcément les défenseurs des familles mais les défenseurs des privilèges. »

Jean-Pierre Elkabbach : Et pourtant vous allez la corriger !

François Hollande : Moi, je pense que le plafonnement des allocations familiales, c’est une bonne chose. Je pense aussi qu’il fallait mettre en cause un système fiscal qui aboutissait à ce que l’employeur de maison pouvait se révéler non-imposable quand l’employé de maison, elle ou lui, devenait assujetti à l’impôt ! Mais il y a la garde d’enfant à domicile et je pense que là-dessus, le Parlement, en tout cas le groupe socialiste à l’Assemblée nationale, comme au Sénat, fera entendre sa voix et je pense que l’on modifiera cet aspect des choses, c’est-à-dire qu’on rétablira cette allocation qui répond à des besoins légitimes des familles.

Jean-Pierre Elkabbach : Le congrès du PS aura lieu finalement en novembre à Brest qui est touché par la crise et les reconversions. Est-ce que les syndicats vous ont promis d’être sages ?

François Hollande : Non, il n’y a pas eu de négociation là-dessus. Je crois que ce n’est pas facile –je le dis ici – de tenir un congrès dans une ville qui est confrontée à une situation économique compliquée. C’est le moins que l’on puisse dire. Et en même temps, ce sera l’honneur des socialistes d’y venir et l’honneur des Bretons de nous y accueillir comme il convient.

Jean-Pierre Elkabbach : Et vous ne craignez pas que les CRS aient à protéger le Premier ministre ?

François Hollande : On n’a pas à faire un congrès avec les CRS, on a à faire un congrès avec les socialistes. Ce n’est pas, d’ailleurs, incompatible.

Jean-Pierre Elkabbach : Ce matin, le Conseil des ministres va approuver le projet Chevènement sur l’immigration. Même aménagées et corrigées, les lois vont-elles rester les lois Pasqua-Debré ?

François Hollande : Non, ce sera les lois Chevènement-Guigou. Et ce n’est pas simplement une affaire de patronyme, c’est une véritable rupture par rapport à ce qui existait jusque-là. Qu’est-ce qui existait jusque-là ? La mise en cause de droits fondamentaux : droit du sol, droit d’asile, droit à une famille normale. Cela, ce sera effectivement ces droits. Et puis ensuite, il y aura, parce que c’est la volonté de ce pays une maîtrise des flux migratoires parce que le souci qui est le nôtre n’est pas non plus d’ouvrir large les frontières. Sûrement pas.

Jean-Pierre Elkabbach : Comment renverrez-vous chez eux les sans-papiers non régularisés ?

François Hollande : C’est vrai que nous ne sommes pas pour la régularisation de tous les sans-papiers. Ce sera une régularisation sous critères, c’est-à-dire que ceux qui pourront rester sont ceux qui auront répondu à ces critères-là.

Jean-Pierre Elkabbach : Et les autres ? Il y aura des avions spéciaux, des trains ?

François Hollande : Ce n’est pas tout à fait le genre de ce Gouvernement mais néanmoins, il y aura une politique avec les pays d’origine pour que ces étrangers qui n’ont aucun droit à faire valoir sur notre pays, aucune situation familiale qui ne justifie, aucun droit d’asile à avancer, eh bien, ceux-là devront retourner chez eux. C’est, je crois, tout à fait compris par tous les Français.

 

Date : lundi 20 octobre 1997
Source : RTL

Olivier Mazerolle : Nicolas Sarkozy, Alain Madelin, François Bayrou, l’opposition monte à l’assaut. Elle tire argument de ce que dit Nicolas Sarkozy : le Gouvernement Jospin dresse les Français les uns contre les autres en s’attaquant tantôt aux classes moyennes, tantôt aux familles, tantôt aux entreprises. Vous tenez bon ?

François Hollande : Il est normal que l’opposition s’exprime. Elle n’est pas d’accord sur les emplois-jeunes ; nous, nous voulons les faire. Elle n’est pas d’accord sur les 35 heures ; nous, nous pensons que c’est une solution parmi d’autres pour lutter contre le chômage. Elle n’est pas d’accord sur des mesures de justice fiscale, notamment la mise en cause d’un certain nombre de privilèges qui tiennent notamment à ces financements d’emplois dits familiaux qui permettent à des employeurs de maison de se retrouver non-imposables quand l’employé de maison, elle ou lui, se retrouve redevable de l’impôt sur le revenu. Je veux bien croire que M. Sarkozy défend ses contribuables de Neuilly, de Passy et d’Auteuil mais il est normal que nous ayons d’autres préoccupations et d’autres priorités.

Olivier Mazerolle : Est-ce qu’il n’y a pas tout de même un changement de discours chez vous également, par exemple en ce qui concerne l’allocation garde d’enfant à domicile ? Le Parti socialiste a changé de ton et ne parle plus, comme certains ministres au départ, des familles bourgeoises de Paris !

François Hollande : C’est très différent. Pour les familles bourgeoises de Paris, je crois avoir démontré qu’il y avait quelque aberration fiscale à maintenir des avantages qui profitent aux plus hauts revenus. En revanche, sur cette allocation de garde d’enfant à domicile, qui n’est soumise à aucune condition de ressources, cela profite bien sûr à des ménages très favorisés mais cela bénéficie aussi à des ménages qui n’ont pas forcément de très hauts niveaux de revenus. Donc, il est normal de regarder ce que l’on peut faire par rapport à cette question.

Olivier Mazerolle : Ce n’est pas ce que le Gouvernement disait au départ.

François Hollande : Ce qui était gênant, et je crois que tout le monde l’avait compris, c’est que certains messages, très favorisés, pouvaient cumuler des avantages fiscaux plus une allocation qui amenait finalement des emplois familiaux à être financés à hauteur de 70 % par l’Etat et la Sécurité sociale. Etait-il normal que les employés à domicile bénéficient d’une subvention à ce point en faveur des employeurs de maison ?

Olivier Mazerolle : M. Aubry avait un peu trop chargé la barque ?

François Hollande : Non, je crois qu’elle avait quand même mis le doigt là où ne pouvait plus tolérer une accumulation d’avantages en faveur de certaines familles. Néanmoins, il ne faudrait pas vouloir toucher certaines familles et puis, indirectement, en toucher d’autres. C’est pour cela que nous allons revoir l’allocation de garde d’enfant à domicile. Je pense que le groupe socialiste prendra une décision mardi.

Olivier Mazerolle : Pour ce qui concerne la réduction d’impôts pour les emplois à domicile, est-il logique – c’est une question de principe simplement – qu’une décision prise en septembre, octobre 1997 s’applique dès le 1er janvier 1997 ?

François Hollande : Les déclarations de revenus ne sont pas faites pour l’année 1997. Donc, il est assez logique de dire : on a accordé –c’était Monsieur Balladur – des avantages exorbitants à une catégorie très favorisée de Français, eh bien, lorsqu’on fera la déclaration de revenus, on pourra calculer de nouveau ses impôts avec une mise aux normes parce qu’il n’était pas normal de bénéficier – je l’ai dit – de 45 000 francs de réduction d’impôt quand on avait un ou une employée de maison. On ne bénéficiera plus que de 22 500 francs. C’est déjà beaucoup, diront certains parce que ce n’est pas quand même à l’Etat de financer les employés de maison dans certains domiciles parisiens.

Olivier Mazerolle : L’État peut changer de contrat moral en cours d’année alors que les gens ont financé leurs dépenses en fonction des impôts tels qu’ils avaient été définis à l’avance ?

François Hollande : Je ne suis pas sûr que dans ces ménages-là, on fasse encore la gestion par enveloppes, si vous voulez, c’est-à-dire que tous les matins ou tous les débuts de semaine, on se demande comment on va faire pour finir la semaine. Ce ne sont pas ces familles-là qui sont concernées.

Olivier Mazerolle : Autre attaque de l’opposition : le Budget va exposer, dit Nicolas Sarkozy, parce qu’avec les dépenses nouvelles, les emplois-jeunes, le financement des entreprises qui descendront en dessous des 35 heures, il n’y a pas assez d’argent !

François Hollande : Qu’est-ce qui fait aujourd’hui, et depuis maintenant une décennie, que l’Etat a du mal à boucler ses fins de mois, comme la Sécurité sociale ? Tout simplement parce qu’il y a trop de chômage dans ce pays. Et puisqu’il y a beaucoup de chômage, il y a moins de cotisations sociales qui rentrent, d’où les déficits de la Sécurité sociale et il y a moins d’impôts qui rentrent. Alors, il y a deux manières, à ce moment-là, de rééquilibrer les comptes. Soit on continue à augmenter les impôts comme cela s’est produit ces dernières années et on ne fait rien contre le chômage et alors, on les augmentera encore les années qui viennent, ou alors on lutte contre le chômage, ce qui remet de l’activité, ce qui remet de la consommation, ce qui fait des rentrées fiscales aussi. Et nous avons choisi cette deuxième option.

Olivier Mazerolle : Tout de même, vous disiez pendant la campagne électorale que le financement des emplois-jeunes se ferait à somme nulle parce qu’il y aurait une sorte de transfert de financement d’aides à l’emploi sur ces emplois-jeunes, or vous avez prévu quand même de l’argent en plus, ce qui prouve bien que cela va coûter en plus !

François Hollande : Parce qu’il fallait bien enclencher le processus. Regardez l’attente qu’il y a par rapport à ces emplois. Il se trouve que je suis l’élu d’une région, le Limousin, où on a fait ce processus assez tôt. Eh bien, il y a cinq fois plus de candidats par rapport aux postes disponibles. Donc, il y a encore un besoin énorme par rapport aux jeunes et il aurait été désolant, je le crois, par rapport à cette attente-là, de dire : « écoutez, on est désolé mais on n’a pas de sous pour le moment, vous reviendrez l’année prochaine ». Il fallait enclencher le processus et cela a été fait et bien fait.

Olivier Mazerolle : La loi sur les 35 heures concernera les entreprises de plus de dix salariés, disait vendredi dernier Lionel Jospin. Et puis, le lendemain ou le surlendemain, on est passé subitement à 20 salariés. On calcule cela à la louche ?

François Hollande : De toute façon, en 2002, toute l’économie française sera soumise, et je crois que ce sera plutôt un bien, à une organisation du travail fondée sur une durée légale de travail à 35 heures. Qu’il soit prévu des ajustements pour les petites et moyennes entreprises qui iront plus lentement vers ce processus, cela m’a paru tout à fait normal et cela me paraît tout à fait normal.

Olivier Mazerolle : Alors, pourquoi dix au départ et vingt maintenant ! Pourquoi pas trente ou quarante ou cinquante ?

François Hollande : Je crois que les dix avaient été demandés par le CNPF et donc, on avait prévu plutôt plus haut parce qu’on savait bien que les petites entreprises allaient être, peut-être, ralenties dans le processus. »

Olivier Mazerolle : Les gros patrons veulent canarder les petites entreprises ?

François Hollande : Je ne sais pas ! En tout cas, on a pensé qu’il valait mieux donner un peu plus de souplesse. Nous avons fait le choix de la souplesse, c’est-à-dire négociation – pendant deux ans, cela va négocier dans toutes les entreprises – et adaptation, parce que c’est vrai que ce n’est pas la même chose dans une petite et dans une grande entreprise. On ne va pas quand même pas nous reprocher cette souplesse-là aujourd’hui !

Olivier Mazerolle : Quand certains patrons disent qu’ils vont délocaliser, produire ailleurs en Europe, vous croyez que c’est du pipeau ?

François Hollande : Mais ils le disaient déjà avant ! Ils le faisaient même avant. Je suis même surpris, puisque j’ai écouté Nicolas Sarkozy sur votre antenne hier, qu’il ne soit pas étonné de ce type de comportement. Je crois qu’il y a quand même un moment où, pour les entreprises mêmes qui sont françaises, s’il n’y a plus de producteurs français, il n’y aura plus de consommateurs français. Je crois qu’il faudrait qu’ils s’en rendent compte. Comment prévoir l’avenir d’une économie française si on pense possible d’aller produire ailleurs ? Eh bien, demain, si on va produire ailleurs, on ne consommera plus en France et les entreprises françaises en seront les premières victimes.

Olivier Mazerolle : Tout de même, avec la monnaie unique, puisque c’est prévu pour l’année prochaine, est-il possible à un pays de mener une politique sociale ou une politique fiscale très différente de celles de ses partenaires ?

François Hollande : D’abord, la réduction du temps de travail est un thème qui est aujourd’hui repris partout en Europe : en Italie, en Allemagne et dans les pays scandinaves. Je crois que c’est bien ainsi. Deuxièmement, je crois qu’il faut quand même ne pas sous-estimer les atouts de l’économie française. Nous allons avoir à peu près 150 à 170 milliards de francs d’excédents commerciaux en 1997. C’est un chiffre énorme, qui prouve quoi ? Qui prouve que l’économie française, et tant mieux, est très compétitive. Elle doit le rester mais si elle peut être compétitive avec, en plus, des créations d’emplois, qui s’en plaindra ?

Olivier Mazerolle : Avec ses réserves, ses mises en garde, Jacques Chirac, pour vous, est-il le général de l’opposition ?

François Hollande : Je crois qu’il ne s’est peut-être pas mis au rang de général, ni même de maréchal mais pour l’instant, il a conduit ses troupes avec le talent ou l’ardeur – plus l’ardeur que le talent, il faut bien le reconnaître – des capitaines d’infanterie. Il est monté au front.

Olivier Mazerolle : Cela vous hérisse le poil ?

François Hollande : Non. Je crois que dans nos institutions, et notamment en cohabitation, on connaît parfaitement la règle du jeu : le chef de l’Etat en cohabitation devient très rapidement le chef de l’opposition. Il l’est.


Date : 24 octobre 1997
Source : L'Hebdo des socialistes

Philippe Séguin s’est laissé aller, ces derniers jours, à une polémique aussi étrange qu’inutile à l’occasion du procès de Maurice Papon. Mal à l’aise à la direction du RPR, contraint de laisser à Jacques Chirac le rôle de chef de l’opposition, et à Nicolas Sarkozy la confection des discours RPR de plus en plus marqués par un libéralisme débridé bien loin des options traditionnelles du gaullisme, Philippe Séguin est aujourd’hui à la recherche d’une existence politique et médiatique qu’il peine à trouver.

Tiraillé entre les partisans d’une bienveillance avec le Front national et ceux qui aspirent à la fusion des deux principales formations de l’opposition, le président du RPR multiplie les contorsions et les diatribes, les attaques et les critiques en direction du Gouvernement et parfois même, emporté par son tempérament, contre le président de la République lui-même.

« Ces philippiques », selon l’expression de Lionel Jospin, ne mériteraient pas que l’on s’y arrête si elles n’avaient porté cette fois-ci sur l’un des sujets les plus douloureux de notre Histoire. En laissant sous-entendre que le Gouvernement pourrait être à l’origine d’une « manipulation » et qu’il « entretenait une attitude ambiguë » Philippe Séguin a entraîné le procès de Maurice Papon sur le terrain de la polémique politique.

Le pays a d’abord besoin de clarté et de sérénité. Nous avons un devoir de mémoire vis-à-vis des familles des victimes et un devoir de vérité à l’égard des Français qui n’ont pas connu cette période de notre Histoire. Faire du procès de Maurice Papon un enjeu politique ne peut que conduire à entretenir la confusion dont les parties civiles seront les premières affectées et le Front national le premier bénéficiaire. Le procès de Maurice Papon est avant tout le procès d’un homme. Ce serait une grave erreur que de vouloir lui donner un autre sens.

Rien ne pouvait donc justifier les formules à l’emporte-pièce de Philippe Séguin. Voilà pourquoi Lionel Jospin, à l’Assemblée, leur a fait justice, et a exprimé au nom de la Nation des vérités simples : Vichy fut la négation de la France et de la République qui s’incarnaient à Londres ou dans le Vercors. Et si des administrateurs, au nom d’un « Etat Français », ont perpétré des actes terrifiants, collaborant avec l’ennemi, ils doivent assumer devant l’histoire cette responsabilité. C’est le sens du procès de Bordeaux.

Philippe Séguin aura au moins permis par sa maladresse la délivrance de cette utile leçon d’histoire. Qu’il use à l’avenir son ardeur à combattre la désinformation du Front national plutôt qu’à ouvrir des faux procès aux socialistes et au Gouvernement. A vouloir obstinément chercher un rôle, on finit souvent par oublier son texte.

 

Date : 28 octobre 1997
Source : Libération

Libération : Annoncé par Jospin en juin, le plafond de ressources pour les allocations familiales a été aménagé et la réduction de l’allocation de garde d’enfant à domicile a été rognée par le groupe socialiste. N’avez-vous pas l’impression de reculer ?

François Hollande : Si Lionel Jospin ne l’avait pas fait pendant son discours d’investiture, je doute qu’il aurait été possible d’introduire cette mesure lors du débat d’aujourd’hui. Il est néanmoins normal que le principe ait connu des évolutions. Je pense qu’aujourd’hui nous avons trouvé les bons seuils. Je me déplace beaucoup en France et j’ai pu constater que cette mesure est très populaire à deux conditions : d’une part, que les économies soient réinvesties en faveur des familles – c’est le cas avec le quadruplement de l’allocation de rentrée scolaire – et, d’autre part, qu’on ne la transpose pas à l’assurance maladie.

Libération : Le problème de la branche famille reste de boucher un trou de 14 milliards…

François Hollande : Ce sera l’enjeu d’une conférence sur la famille à la fin de l’année 1998. Nous tenterons, si la branche famille atteint l’équilibre, de dégager deux priorités : d’une part, prolonger les allocations familiales au-delà de la dix-neuvième année pour les jeunes qui poursuivent des études ou à la recherche d’un emploi ; d’autre part, verser une allocation familiale sous plafond de ressources dès le premier enfant, car la politique familiale doit compenser la charge que représente un enfant dans une famille.

Libération : Pourquoi, alors, ne pas la compenser aussi pour les familles « aisées » ?

François Hollande : Parce que c’est déjà largement le cas, au travers du quotient familial. Le paradoxe actuel, c’est qu’à travers la politique fiscale les enfants des milieux favorisés coûtent plus cher à la société que les enfants de ménages modestes. Au nom du principe d’égalité, aujourd’hui, on affecte les mêmes prestations aux enfants de familles aisées et à ceux des milieux modestes.

Résultat : on aide fiscalement plus les premiers que les seconds. C’est de la redistribution à l’envers.

Libération : Pourquoi alors ne pas avoir modifié le quotient familial ?

François Hollande : Parce qu’il nous a semblé plus simple de passer par les prestations. Mais on peut aussi appréhender le problème par la voie fiscale. Les deux modalités aboutissent à la même politique. Je ne suis pas favorable, à titre personnel, à l’intégration des allocations dans le revenu imposable, envisagée par Alain Juppé, car cela revient à rendre imposable des foyers modestes. Mais la réforme du quotient, dans le cadre d’une réforme fiscale générale, pourquoi pas ? Ce sera soumis à la concertation.

Libération : N’est-on pas en train de confondre la politique familiale et la compensation sociale ?

François Hollande : Cela revient à se demander si la politique familiale doit avoir un caractère nataliste. En fait, il y a peu de lien entre l’aide à la famille et la décision de faire des enfants. En revanche, si l’on veut que les familles fassent des enfants, il n’y a pas mieux que la lutte contre le chômage et pour l’emploi des jeunes.

Libération : Comment expliquez-vous qu’aucune centrale syndicale n’approuve votre position ?

François Hollande : Les syndicats ne veulent pas de redistribution entre salariés, et c’est naturel. Ils préfèrent, en général, rééquilibrer le partage entre entreprises et ménages. Nous représentons, nous l’intérêt général. C’est pourquoi nous avons relevé l’impôt sur les sociétés plutôt qu’augmenté les prélèvements sur les ménages pour redresser les comptes publics. Il nous a semblé nécessaire d’organiser une solidarité entre les ménages pour rétablir l’équilibre de la Sécurité Sociale.