Tribune de M. Daniel Cohn-Bendit, tête de liste des Verts aux élections européennes, dans la " Revue politique et parlementaire" de mars 1999 intitulée "De la nécessaire cohésion européenne à l'Europe fédérale", sur la construction européenne.

Prononcé le 1er mars 1999

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Média : Revue politique et parlementaire

Texte intégral

Pour moi, l'Europe, c'est avant tout une certaine idée de la Démocratie et des droits humains. On ne s'étonnera donc pas de ma position sur Kosovo. Elle est la même qu'au moment de la Bosnie : quand un régime fasciste tue, déporte, incendie et viole, intervenir est un devoir.

* Kosovo : l'échec de l'Europe des Nations

Était-il possible d'éviter les horreurs d'une guerre ? En rêve, oui. Alors, rêvons ! Rêvons d'une Europe qui aurait été capable de faire une analyse géopolitique de la situation dans les Balkans dès la fin du conflit bosniaque et en aurait tiré un objectif clair : la fin du régime Milosevic. Rêvons d'une Europe qui, alors, aurait mis en place, le temps qu'il faut (éviter un conflit, c'est long), les moyens matériels, financiers et humains appropriés pour déployer un corps civil de paix, soutenir les démocrates serbes et Ibrahim Rugova quand c'était faisable.

L'Europe actuelle, “l'Europe des Nations”, n'a pas su le faire.

Chacun (ou au moins les “grands” pays européens qui vivent encore sur le mythe de l'autonomie de leur politique étrangère) a voulu jouer sa carte nationale. Personne n'a (ne serait-ce que pensé) joué la carte de l'intérêt général de l'Europe. Ce qui se passe au Kosovo prouve qu'il faut une Europe politique, capable de parler d'une seule voix en politique étrangère, d'anticiper les risques de conflit et d'agir seule en cas de crise, au besoin en s'appuyant sur une armée européenne.

L'Europe des Nations, c'est une Europe paralysée par la règle de l'unanimité, certes de paix en son sein, mais incapable d'éviter les conflits à l'extérieur de ses frontières.

Dès lors que la confrontation n'a pu être évitée, l'intérêt de l'Europe serait que les choses aboutissent le plus vite possible, pour minimiser les risques de déstabilisation, dans les Balkans et jusqu'en Russie où il serait désastreux de voir arriver au pouvoir, lors des élections de décembre prochain, des hyper-nationalistes nostalgiques de l'ère stalinienne. L'intérêt de l'Europe, c'était donc qu'il soit prévu d'envoyer des troupes au sol, ou, au moins de “faire comme si” on y était prêt, et surtout pas de dire, avant même les bombardements, qu'on n'en enverrait jamais.

Tel n'a pas été le cas, pourquoi ? D'abord parce que, même rassemblées, les armées nationales des pays européens n'ont pas la capacité d'intervention des seuls USA. Ensuite parce que, en retard d'un conflit (le bosniaque) sur leurs populations, les gouvernements européens ont considéré qu'il aurait été déchoir, même dans le cadre d'une crise européenne, que d'envoyer leurs soldats, seuls, sans G.I. pour les accompagner. Or, de longue date, les USA privilégient la stabilité d'une région sur la manière dont on y respecte les droits humains. Le projet des USA pour le continent européen et celui de l'Europe pour elle-même sont différents. Résultat ? “La Nature ayant horreur du vide”, l'Otan a adopté la stratégie américaine, a minima.

L'Europe des Nations, c'est une Europe politiquement dominée par les USA.

* L'Europe que je veux

Je veux une Europe où vivent des gens qui, entre eux, se diront européens et seront reconnus comme tels par les habitants des autres régions du monde : les Européens, comme aujourd'hui il y a les Anglais, les Français, les Allemands… Un seul peuple ayant conscience d'être un peuple. Cela, j'espère que mon fils le connaîtra. Mais, quand on voit combien de siècles il a fallu pour que les Français, les Allemands, ou d'autres prennent conscience qu'ils formaient un peuple, même en tenant compte de l'accélération plus qu'exponentielle de la circulation des idées depuis le XVIIIe ou le XIXe siècle, peut-être que seuls mes petits-enfants le verront, et encore.

Je veux un État fédéral européen doté d'un gouvernement et, pourquoi pas, d'un président, doté surtout d'un parlement contrôlant ce gouvernement. Peu importe, pour l'instant, de savoir s'il aura une ou deux chambres. Il faut en revanche qu'il soit élu au suffrage universel direct, et dans l'idéal, à la proportionnelle. Cela, et toutes les institutions qui constituent une structure d'État – Cour de justice et magistrature indépendante, Cour des comptes… – j'espère que je le verrai avant de mourir. Cependant je suis réaliste. Même si les choses avançaient au rythme accéléré où le souhaitaient les Verts, il y a fort peu de chances pour que cela arrive avant que je me retire de la vie politique. Mais cela sera un jour, avant la fin du prochain quart de siècle. J'en suis convaincu et c'est l'une des certitudes qui m'animent aujourd'hui.

Ces deux convictions, que certains qualifieront de rêves, sont sous-tendues par la même idée transversale, celle d'une nécessaire cohésion de l'Europe, cohésion politique, cohésion multiculturelle, cohésion écologique et sociale, enfin. Tel est le fil conducteur de mon action à court terme, des objectifs concrets que je me donne pour le prochain mandat européen.

* La cohésion politique, c'est l'Europe fédérale

Avec le Marché unique, les accords de Schengen sur la police et les entrées aux frontières, avec l'Euro et la Banque Centrale Européenne, au fil des années, le champ des compétences régaliennes des États européens se réduit. Tant et si bien qu'aujourd'hui, 60 à 70 % des lois votées par le Parlement français sont relatives à des harmonisations avec les autres pays européens, harmonisations environnementales, commerciales, juridiques, fiscales… Et voilà que le Kosovo vient nous crier la nécessité pour l'Europe de parler d'une seule voix en politique étrangère, et pour cela d'abandonner la règle de l'unanimité et de construire une défense commune.

Mais si, pour la prévention des conflits, l'Europe doit pouvoir parler d'une seule voix à l'OSCE, et un jour, pourquoi pas, à l'ONU, il doit en être de même à l'OMC pour les échanges internationaux, notamment pour la mise en oeuvre d'une taxe de type “Tobin” ou pour la défense de l'exception culturelle. Derrière ces domaines, il y a la nécessité de parvenir à une définition de l'intérêt général européen. Non comme un préalable à l'action, mais comme fil conducteur de ce qu'il faut faire et comme dépassement de la somme des seuls intérêts nationaux. Ceci inclut une définition de la notion d'intérêt vital de l'Europe, et là, on touche, à nouveau, à la question de la défense commune.

Pour moi, tout cela signifie qu'on s'achemine, petit à petit inéluctablement, vers une Europe fédérale. Mais au lieu d'y aller en catimini, je revendique d'y aller consciemment, parce que c'est la seule possibilité pour y aller de manière démocratique, car contrôlée et élaborée par les peuples, via leurs élus, puis acceptée ou refusée par eux par référendum. Des textes existent qui sont les éléments de base d'une Constitution européenne. Si la volonté politique est au rendez-vous, en quelques mois, ils peuvent devenir la Charte fondatrice d'une Europe fédérale. Un processus constituant peut être initié sous l'égide du Parlement européen afin de les prolonger, préciser, compléter, notamment par une charte des droits fondamentaux du citoyen européen. Partant de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, elle reconnaîtrait la citoyenneté européenne aux 16 millions d'étrangers extra-européens vivant en Europe – droit de vote et d'éligibilité, comme en Suède – et surtout, selon moi, elle devrait garantir à chacun la liberté du mode de vie qu'il choisit : de la reconnaissance des couples homosexuels à l'absence de pénalisation de l'usage de drogues, comme c'est le cas dans la plupart des pays d'Europe, à l'exception notable de la France.

La cohésion multiculturelle est la plus importante pour l'objectif de très long terme d'émergence d'un peuple européen. Construire l'Europe des peuples, cela passe par la connaissance, l'appropriation par chacun, de ce qui fonde les sociétés européennes autres que la sienne. Il faut s'en donner les moyens. L'idée générale sous-jacente est de favoriser le métissage des cultures par les échanges dans tous les domaines relationnels. Ma priorité va aux domaines touchant la jeunesse : dans le cadre de jumelages entre villes européennes, faire se rencontrer les jeunes des quartiers en crise afin qu'ils apprennent des différentes expériences d'intégration ; faire que, au niveau bac, chaque jeune soit capable de parler couramment une seconde langue en plus de la sienne, et qu'il en comprennent au moins deux autres ; étendre à la “fac”, voire dès le lycée, le système d'échanges longs – un an minimum – existant en recherche pour les “post doctorat” ; harmoniser les diplômes, créer des universités européennes, enfin instituer un service civil européen, à accomplir en Europe, à l'extérieur de son pays d'origine, dans des activités humanitaires ou d'aides au développement de l'économie sociale et du tiers secteur.

* La cohésion écologique et sociale

La cohésion sociale pour éviter la dualisation à l'américaine de l'Europe et des sociétés nationales qui la composent. La cohésion écologique pour ne pas laisser aux générations futures des nouveaux lycées Binder-Pailleron, de nouvelles vaches folles ou, pire, des dispersions accidentelles de plantes, d'insectes ou d'animaux génétiquement modifiés. Pour éviter cela, il faut introduire dans les activités économiques, industrielles ou agricoles, les primats du principe de précaution et du raisonnement en “coût global” qui jugent de l'apport de produits ou de techniques en fonction des conséquences à moyen et long terme pour toute la société. Cette cohésion écologique qui peut se résumer en une formule : orienter les économies européennes vers un développement durable.

* D'ouest en est, de grands travaux… écologiques !

Lorsqu'il était chef du gouvernement italien, Romano Prodi avait suggéré de reprendre l'idée lancée au début des années 1990 par Jacques Delors d'une politique européenne de grands travaux. On était à l'époque en plein culte du 3 % de déficits publics au nom des critères de convergence et la proposition avait été torpillée par une sainte alliance de tous les grands argentiers libéraux européens.

Aujourd'hui, la « bulle » de croissance de 1997/98 se dégonfle et le spectre de la récession de 1992/93 se réveille. Même la Banque Centrale Européenne qui a récemment baissé d'un demi point son taux directeur le craint. Les nuages s'amoncellent tandis que 11 % de la population active européenne (18 millions de personnes) est sans emploi. Souhaitons que, cette fois, la suggestion débouche.

Là encore, ce qui se passe au Kosovo doit faire bouger l'Europe. Comment ne pas voir, en effet, que tracer des perspectives claires pour une intégration rapide à l'Union européenne des anciens pays communistes (y compris, un jour, l'actuelle Yougoslavie) est certainement l'un des contre feux pacifiques les plus efficaces que l'on puisse opposer aux nationalismes fous ? La paix sur notre continent par le développement économique de tous, ce n'est pas parce que c'est une idée simple qu'il faut y aller si lentement.

Aujourd'hui plus qu'hier, je soutiens donc cette idée de grands travaux. Toutefois, j'en souhaitais d'autres que ceux suggérés par Jacques Delors et serais donc très attentif à ce que pourrait proposer Prodi. Pourquoi ? Parce que, prisonnier du productivisme idéologique commun à la droite libérale et à la gauche traditionnelle, Delors regardait les grands travaux principalement comme un générateur de croissance créatrice d'emplois, destinée à résorber le chômage. Il se posait peu la question des conséquences à long terme des travaux proposés. Pour moi, comme pour tous les Verts, la prise en compte des conséquences à long terme doit être consubstantielle à toute action humaine. Pour résorber le chômage, nous misons principalement sur la réduction du temps de travail et engrangeons la croissance créatrice d'emplois comme un “plus” conjoncturel. Pour nous, les grands travaux sont avant tout un outil pour construire une société européenne de développement durable.

Pour caricaturer, c'est, d'un côté : “Créons des emplois, on verra bien dans dix ou vingt ans ce qui se passe”, de l'autre : “Construisons un développement durable, ça créera des emplois ; et dans dix ou vingt ans, cela fera du mieux vivre et des économies !”

Pour jeter les bases d'un développement durable en Europe, la reconstruction nécessaire des pays de l'Est, est une opportunité historique. Sur les ruines du communisme, il ne faut pas faire reproduire à ces pays le système que nous avons à l'ouest. Il faut les aider à construire une société qui, d'emblée, leur évite les ornières dans lesquelles nous nous sommes embourbés. Faisons de cette reconstruction une opportunité pour reconvertir les économies de l'Ouest vers le développement durable par l'édification immédiate d'un tel développement à l'Est. C'est possible. Il n'y a rien à inventer. Les savoir-faire sont là, les techniques existent. Il faut simplement la volonté politique de les appliquer malgré les intérêts lobbyistes que cela va déranger.

Au lieu d'un réseau européen d'autoroutes qui va enfermer les pays de l'Est dans le “tout camion tout auto” avec les conséquences que l'on sait, de pollution atmosphérique et d'hécatombe routière, construisons, ensemble, des réseaux européens de transport fluvial, de ferroutage, de TGV, de cabotage. Au lieu de les faire s'orienter vers une agriculture intensive avec ses conséquences de pollution des rivières et des nappes phréatiques, de désertification rurale et de chômage urbain, aidons-les à conforter une agriculture soucieuse de qualité des produits et d'utilisation d'engrais écologiques par recyclage de leurs propres déchets agricoles. Au lieu de leur proposer la construction de nouvelles centrales nucléaires, avec caisson de confinement en option, aidons-les à réaliser les travaux d'économie d'énergie qui leur permettront de créer trois fois plus d'emplois pour cinq fois moins cher. Aidons-les à développer les énergies renouvelables adaptées à leurs conditions climatiques et ressources naturelles propres : solaire dans les pays les plus au sud, éolien et bois dans les plus au nord, biogaz partout. Au lieu de les inciter à enlever dans leurs villes les rails de leurs tramways obsolètes ou les caténaires de leurs trolleys vétustes, alors que nous sommes, nous, en train de réintroduire, à grands frais, ces moyens de transport dans nos propres villes, aidons-les à concevoir des transports collectifs urbains modernes, fréquents, diversifiés. Aidons-les à penser leurs villes selon des critères de valorisation des centres-villes historiques, de minimisation de la pollution atmosphérique et des déplacements domicile/travail.

La liste serait longue des aberrations que les “experts” de l'Union européenne, de l'OCDE ou du FMI sont en train de leur faire commettre et qu'une réorientation de l'Europe pourrait leur éviter.

* L'urgence de l'Europe sociale

L'Europe économique et monétaire est faite mais l'Europe sociale est aux abonnés absents. Depuis vingt ans, l'économie est considérée comme la clé de voûte de l'intégration européenne et les critères économiques priment sur les critères sociaux. De fait, la baisse du chômage n'est envisagée que comme un objectif de long terme. La conséquence, c'est que le chômage de masse qui sévit dans tous les pays européens depuis une vingtaine d'années est un train de produire une génération sacrifiée. Une proportion croissante des jeunes n'aura eu pour modèle familial que des parents au chômage, incapables de leur transmettre quoi que ce soit, non seulement en terme d'héritage, mais surtout en terme de dynamique sociale, d'utilité à chercher à trouver une place dans la société. Cet état de faits porte en lui la mort de nos sociétés européennes si l'on ne sait pas y remédier au plus vite.

Pour espérer trouver des réponses durables à la question du chômage, il convient d'abord d'abandonner l'idée préconçue selon laquelle la croissance pourrait apporter une solution autre que ponctuelle. Du fait de l'accroissement de la productivité du travail et de l'arrivée à saturation de l'équipement des ménages en biens de consommation durables qui ont été le moteur de l'activité économique des “trente glorieuses”, la croissance crée, aujourd'hui, à peine plus d'emplois qu'elle en détruit. Le solde positif est si faible au regard du nombre de chômeurs qu'il faudrait trente ans pour résorber le chômage. Ceux qui tiennent ce discours de résorption du chômage par la croissance acceptent donc, délibérément, de sacrifier une autre génération.

L'alternative doit être un “pacte de solidarité et de développement durable” mettant la monnaie au service de l'emploi.

Le premier pilier, macro-économique, d'un tel pacte c'est un programme européen de grands travaux écologiques tel que mentionné plus haut. Mais la politique macro-économique ne suffit pas. La véritable clef, c'est le partage du travail, en empruntant toutes les voies possibles : formation continue, départs en retraite, durée annuelle, durée hebdomadaire, extension des congés… Comment y parvenir ?

Par la même méthode que celle adoptée pour la naissance de l'Euro : fixer un objectif de réduction de 10 % du temps de travail effectif pour tous les pays d'ici à 2004 afin de diviser par deux les taux de chômage ; faire converger vers le haut les salaires horaires minimaux et minima sociaux ; instaurer un SMIC européen ; garantir un revenu décent à tous.

Cela suffirait-il ? Non. Dans le même esprit, il faut, aussi, harmoniser par le haut les droits du travail, les législations sur le temps partiel, l'égalité professionnelle homme/femme, les droits des travailleurs étrangers et, bien sûr, les systèmes d'assurance maladie et de retraite pour lesquels la création de “fonds d'harmonisation sociale”, sera indispensable. Car, en effet, si les concurrences nationales devaient perdurer au sein de l'Europe, le risque serait celui d'une course à la compétitivité par une surenchère de dumping social et de délocalisations aboutissant à une harmonisation sociale par le bas, destructurante des solidarités.

Ce sera long ? Une dizaine d'années, peut-être, pour converger vers la semaine de quatre jours. Mais souvenons-nous qu'en France, par exemple, de la Libération à juin 1968, les conventions collectives étaient départementales, les salaires minima variaient selon les zones. Le rattrapage du Portugal sur le Danemark mettra sans doute aussi longtemps. Raison de plus pour commencer tout de suite.

* Pour une Europe de l'économie sociale

Il serait erroné de miser sur les seules entreprises pour apporter à tous un travail garantissant un revenu pour vivre dignement et l'estime de soi, et des autres. Les besoins satisfaits par le marché ne sont, en effet, pas les seules sources d'activité et de richesse. C'est particulièrement évident, par exemple dans les banlieues en crise, dans les écoles pour le soutien scolaire ou l'éveil des enfants par des activités, dans les quartiers pour des crèches, des haltes-garderies, l'assistance à domicile pour les personnes âgées, dans l'environnement pour l'entretien d'espaces verts… Il y a là un formidable gisement d'emplois. En France, près de deux millions de personnes travaillent déjà dans le secteur associatif et l'économie sociale. À l'échelle européenne, il existe les “Charities” britanniques, les “coopératives sociales” italiennes, les “régies de quartier” françaises ou les “réseaux alternatifs” allemands. Le Parlement européen a voté en 1994 la reconnaissance de ces nouveaux types d'emploi. Il doit maintenant en défendre le mûrissement. Car chacun convient qu'il s'agit bien là, non d'activités marginales, palliatives pour occuper les chômeurs, mais vraiment d'un nouveau type d'emplois dont il faut aider l'émergence et la professionnalisation. Tout y est à inventer : le croisement des fonds privés et publics dans les instances locales (notamment par la réorientation des aides à l'embauche des chômeurs), celui de bénévoles et de salariés, de nouveaux statuts juridiques, fiscaux…

Comment faire ? On ne peut pas penser le lien social en dehors des gens auxquels il est sensé s'appliquer. Dès lors, la loi et ses décrets d'application ne peuvent tout réglementer. Ils doivent se contenter de fixer les interdits, révéler les possibles et faire confiance aux acteurs sur le terrain pour mettre en place les procédures et les organisations adaptées. Car les gens n'attendent pas seulement des mesures et des moyens pour remédier aux “dégâts du progrès”. Comme citoyens, ils souhaitent que les problèmes qui les concernent le plus directement soient débattus avec eux et que la possibilité leur soit donnée d'émettre leur avis, de proposer leurs idées, de participer à la définition de ces activités nouvelles et à leurs mises en oeuvre.

L'Union européenne, si elle veut s'incarner dans le réel, sur le terrain, doit faire descendre le principe de subsidiarité au niveau des citoyens en validant comme une véritable contrepartie le fait qu'un projet ait été élaboré collectivement, qu'il relève de l'aspiration réelle des habitants du territoire où il est destiné à s'appliquer. Cela doit avoir autant de valeur qu'une subvention. C'est tout à fait réalisable et peut se quantifier.

* Poursuivre le mouvement du 16 mars

Le 16 mars dernier, menacée d'un vote de censure par le Parlement à la suite des conclusions d'une enquête sur sa gestion passée, la Commission de Bruxelles, préférait démissionner. Jusque là, pour le grand public, deux “ordres” semblaient se partager le pouvoir au sein de l'Union européenne : d'un côté les ministres des États membres, périodiquement réunis en “conseil” pour décider des politiques européennes, de l'autre les commissaires, chargés, sous le contrôle théorique des premiers, de préparer puis d'appliquer ces décisions. Et le Tiers-État des peuples, lui, n'était représenté que par un parlement-croupion ayant péniblement arraché au fil des traités de pouvoir participer au processus de décision dans un nombre limité de domaines et, à partir de l'an prochain, de voter sur les nominations de commissaires proposées par le Conseil.

Qu'était ce parlement européen avant le 16 mars 1999 ? Presque rien. Qu'a-t-il réussi à faire ? Contraindre l'ensemble de la Commission à démissionner. Que peut-il devenir s'il sait poursuivre dans la voie qu'il s'est ainsi tracé ? La source de la souveraineté européenne !