Déclaration de M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale de la recherche et de la technologie, sur l'organisation administrative de l'enseignement supérieur, la modernisation des programmes, l'ouverture aux nouvelles technologies, la coopération universitaire européenne, les passerelles entre universités et entreprises innovantes et le financement de la recherche développement des PME, au Sénat le 22 octobre 1997.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Claude Allègre - Ministre de l'éducation nationale de la recherche et de la technologie

Circonstance : Présentation du projet de budget 1998 pour l'éducation nationale, au Sénat le 22 octobre 1997

Texte intégral

Monsieur le président,

Mesdames et Messieurs les sénateurs,

Ce nouveau ministère de l’éducation nationale, de la recherche et de la technologie a été conçu par M. le Premier ministre pour organiser ce qui devrait être notre force de frappe dans la compétition du XXIe siècle, dans la bataille économique et culturelle autour du savoir et de l’innovation, que l’on qualifie souvent de « bataille de l’intelligence ».

En effet, il importe que la France, pays de culture, pays de science, de tradition, industrielle et technologique, s’efforce d’augmenter son pouvoir d’innovation, de prise de risques, et s’ouvre sur un espace désormais mondial. Il importe aussi que ces innovations et cette prise de risques soient au cœur même de l’enseignement.

D’où la nécessité de lier étroitement la recherche, la technologie et l’enseignement. Il s’agit de permettre l’intégration immédiate de la création de savoir, de nouvelles technologies et de nouvelles disciplines scientifiques dans les divers cursus. Il s’agit aussi de modifier, grâce aux nouvelles technologies – terminologie un peu vague pour qualifier les technologies de l’information et de la communication – la manière d’enseigner dans notre pays.

La situation de la France, dans ce domaine, présente des caractéristiques intéressantes, qui devaient nous permettre de relever ce défi.

Pendant des années, tous les ministres de l’éducation nationale ont eu à répondre, d’abord et avant tout, au défi de l’accroissement continu des effectifs. Cela a nécessité, année après année, l’adoption de dispositions qui n’étaient pas toujours les plus orthodoxes ni les plus efficaces, mais qui avaient pour vertu de faire face à cet afflux de lycéens et d’étudiants.

Il faut rendre hommage non seulement aux divers ministres de l’éducation nationale qui se sont succèdés pendant cette période - disant cela, je pense notamment à M. le président du Sénat – mais également à l’ensemble du corps enseignant qui a réussi à gérer cet accroissement fabuleux, et ce dans des conditions tout à fait convenables. Il ne faut pas oublier, en effet que l’enseignement supérieur français a connu, en trente ans, un accroissement du nombre d’étudiants non pas de 3%, de 5%, de 20% ou de 40%, mais de 500% !

Malgré cela, notre système d’enseignement – je le dis avec quelque fierté pour ce dernier – a été amélioré. Il est incontestable que l’enseignement supérieur actuellement dispensé en France est au niveau de celui des plus grands pays du monde, ce qui n’était pas le cas voilà trente ans.

Telle était donc la situation dans le passé.

Nous bénéficions maintenant d’une situation bien meilleure puisque nous constations une stabilisation des effectifs ; ces derniers diminuent dans l’enseignement primaire, se stabilisent avec une légère décroissance dans l’enseignement secondaire, compte tenu de l’arrêt de la tendance à l’allongement des études.

Si nous enregistrons une diminution du nombre d’heures d’enseignement et d’étudiants/heures de 1,2% dans l’enseignement supérieur, nous notons en revanche, pour la première fois depuis cinq ou six ans, un accroissement dans les enseignements technologiques courts, notamment dans les IUT, où l’augmentation est de 4 à 5%.

Cet accroissement est dû en particulier à une mesure prise lors de notre arrivée au ministère : nous avons accordé une dotation différente aux IUT qui intégrerait des bacheliers technologiques par rapport aux IUT qui accueilleraient des bacheliers généraux. En effet, un élève d’IUT coûtant environ quatre fois plus qu’un élève de DEUG, on ne voit pas pourquoi on créerait des IUT si les élèves de ces instituts poursuivent leurs études ensuite. Autant alors qu’ils s’orientent vers les DEUG.

Cette tendance est accélérée en cas de décentralisation des IUT ; lorsque ces derniers sont situés dans les villes moyennes, les élèves, à leur sortie de ces IUT, cherchent un emploi, alors qu’ils continuent leurs études lorsque les IUT sont implantés dans les grandes villes.

Le plan université 2000, qui a décentralisé les IUT, a donc eu un effet bénéfique de ce point de vue.

Dans cette situation que je viens de décrire, notre appareil éducatif, après avoir répondu au défi de la quantité, doit répondre à celui de la qualité. Nous devons veiller non pas à fabriquer des centres d’excellence pour tous, c’est-à-dire l’excellence dans la diversité.

Naturellement, l’excellence dans la même discipline, dans le même type de cursus n’existe pas. Mais les talents sont multiples. Nous devons donc dans tous les domaines, s’agissant tant dans la création de nouveaux établissements d’enseignement supérieur que de notre approche des étudiants, chercher à offrir des possibilités d’épanouissement à ces talents multiples.

Je pense, pour ma part, que la France recèle une infinité de talents qui, dans le passé, ne se sont pas toujours développés parce que les cursus étaient probablement un peu trop rigides et qu’ils étaient fondés sur un certain nombre de disciplines extrêmement étroites.

Nous devons donc veiller à la recherche de la qualité et à la recherche de l’excellence.

Nous nous devons aussi, de rechercher la modernisation : notre appareil éducatif ne s’est en effet pas modernisé, et ce pour deux raisons.

La première raison est administrative : il est illusoire de vouloir gérer plus d’un million de fonctionnaires d’une manière centralisée. Aucune entreprise, aucune structure ne peut y parvenir.

Par conséquent, le grand défi de modernisation administrative de notre appareil éducatif consiste, s’agissant d’un grand service public national, à déconcentrer la gestion. En effet, l’affectation d’un professeur à Toulouse ne peut continuer à être décidé rue de Châteaudun ! Ce n’est pas possible !

Nous sommes donc entrain de mettre en œuvre des mesures pour faire face à ce grand défi de la déconcentration, et ce même si cela provoque, comme c’est inévitable, des grincements ici ou là.

Par ailleurs, nous devons également moderniser notre appareil éducatif sur le plan des matières.

Notre époque concentre 95% des chercheurs de tous les temps. Contrairement çà une idée reçue, ces chercheurs produisent en permanence des découvertes extraordinaires.

Il est permis de penser que, sur les plans scientifique et technologique, le monde changera plus dans les vingt prochaines années qu’il n’a changé depuis que la science s’est installée sur notre continent.

Comment avons-nous réagi face à cet accroissement des connaissances ? On a empilé, à l’image du mille-feuilles… A force d’ajouter des programmes et des horaires, on a fini par déstructurer progressivement notre enseignement.
De ce fait, actuellement, au niveau tant de l’enseignement secondaire que l’enseignement supérieur, les élèves sont très savants, mais pas nécessairement dans les matières fondamentales, ce que l’on pourrait appeler « les fondamentaux ». La vraie réponse à l’accroissement des connaissances passe à mon avis par une réduction des programmes et des horaires, par une plus grande exigence s’agissant des fondamentaux – c’est ce que j’appelle un enseignement intensif, par opposition à un enseignement extensif – et par une modernisation des contenus.

Cela signifie non pas qu’il faut revenir nécessairement sur les mathématiques et le latin, mais qu’il faut s’adapter et introduire les nouveaux savoirs, et donc choisir, ce qui va être une entreprise très difficile. En effet, le corps enseignant, auquel je tiens à rendre hommage pour la qualité et le dévouement de la quasi-totalité de ses membres est organisé en tribus : or, tout déplacement des frontières des tribus se heurte à des difficultés, comme ce serait le cas si l’on voulait redécouper les départements ou les régions. Mais vous connaissez bien ce problème, mesdames, messieurs les sénateurs !

A partir du moment où s’est établi un régime permanent, la modification de ce dernier posent des problèmes délicats. Les enseignants, qui sont extraordinairement attachés à leur discipline – c’est d’ailleurs bien normal, puisqu’ils ont choisi ce métier pour enseigner telle ou telle discipline ! – ne seront pas d’une perméabilité totale à cette modification !

Il importe également que l’innovation pénètre complètement dans notre système de recherche et dans notre système de transfert technologique.

A ce sujet, je voudrais relever une opinion parfois exprimée, mais que je crois actuellement profondément inexacte, à savoir que la recherche française est excellente en recherche fondamentale mais moins bonne en recherche appliquée. C’est vrai voilà vingt-cinq ans, mais cela ne l’est plus aujourd’hui. La recherche scientifique française est excellente dans les deux domaines.

En revanche, le transfert de technologie entre la recherche appliquée et l’exploitation industrielle fonctionne beaucoup moins bien.

L’avis couramment émis est que les chercheurs ne sont pas assez tournés vers l’industrie. Or, la meilleure manière de transmettre de la technologie, c’est que les étudiants ayant fait une thèse et ayant créé une nouvelle technologie aillent eux-mêmes porter cette dernière dans l’industrie.

C’est pourquoi le Gouvernement met en place un système de bourse post-doctorales qui permettra aux doctorants de passe dans l’industrie : ils seront payés d’abord par l’État, puis par les entreprises.

Pourquoi ces bourses post-doctorales ? Parce que la créativité aura lieu d’abord dans les PME et les PMI. Or, celles-ci n’ont pas suffisamment de ressources pour amorcer la pompe. Par conséquent, nous allons les aider.

Le Gouvernement souhaite également instaure un système de capital-risque qui permette aux doctorants de créer des entreprises. Il a en effet été constaté au Canada pays qui, finalement, n’est pas si éloigné de nous sur certains aspects, que, lorsqu’on mettait du capital-risque à la disposition de chercheurs blanchis sous le harnais des organisations étatiques, ceux-ci avaient beaucoup de mal à devenir des entrepreneurs, mais que, en revanche, de jeunes doctorants étaient prêts à prendre ce risque.

Nous mettons donc sur pied un système de capital-risque pour les doctorants avec – cela figure dans le projet de loi de finances pour 1998, et M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie vous l’expliquera donc – un rétablissement pour les entreprises innovantes de ce que l’on appelle les stocks options. Je ne comprends pas en effet – vous me permettrez de faire un peu de politique, mesdames, messieurs les sénateurs – comment la précédente majorité a pu les supprimer ! Sans ce système, il n’est pas possible de monter une entreprise innovante : la masse salariale augmente, ce qui tue pratiquement l’entreprise qui démarre.

En rétablissant ce système des stocks options, ainsi qu’un système sur l’imposition que vous exposera M. Strauss Kahn, nous voulons favoriser ces créations d’entreprises. Nous associerons le plus possible de la représentation nationale et les collectivités territoriales à cette tâche.

A cet égard, je voudrais dire ici aux membres de cette assemblée, qui représentent des collectivités territoriales de divers types, que le ministre de la recherche que je suis ne souhaite pas que les collectivités territoriales aident la recherche publique directement par de équipements ou des créations de laboratoires. Je pense en effet qu’elles n’ont pas les moyens de l’évaluation. Cette dernière, aujourd’hui, est non pas régionale ou nationale, mais internationale.

En revanche, je souhaiterais que les collectivités territoriales mettent à la disposition des PME et de PMI créatrices d’emplois et innovantes les sommes consacrées actuellement à l’acquisition d’équipements de laboratoires universitaires, qui relève de la compétence de l’État. Nous pourrions développer un partenariat, de manière à aider ces jeunes à créer des entreprises.

Si nous pouvions parvenir à mette en place un système de partenariat dans ce domaine, nous développions largement l’innovation technologique et nous pourrions résoudre plus facilement un problème qui nous préoccupe par-dessus tout, à savoir celui de l’emploi.

Mais tout cela n’est possible que si nous acceptons collectivement la quatrième donnée fondamentale, qui est l’évaluation.

Les projets doivent, en effet, être évalués et jugés ? Il faut pour cela faire appel à la communauté scientifique internationale et, en ce qui nous concerne, européenne. Nous devons en tout cas faire passer dans les mœurs l’idée que l’évaluation ne relève pas du compagnonnage, de l’amitié ou du « copinage », comme on le dit parfois : l’évaluation doit être largement ouverte sur la communauté européenne, et c’est ce que nous allons nous efforcer de réaliser.

Quoi qu’il en soit, nous devons préparer la grande compétition du XXIe siècle, c’est-à-dire l’ouverture de la France sur le monde et la participation active de notre pays à la construction européenne.

Je passe actuellement un temps important en rencontres bilatérales avec mes homologues allemand, italien et britannique pour construire un système universitaire européen permettant à tout étudiant européen, les cursus étant basés sur la même trame, d’être formé dans un pays ou dans un autre. Il faudrait, sans pour autant que ce soit une obligation, que chaque étudiant ait passé, à la fin de son cursus, un an dans un pays étranger.

Cela nécessite, parallèlement, la mise en place systématique dans toutes les universités d’un apprentissage des langues étrangères. Cela nécessite aussi que, en partie grâce aux collectivités locales, une partie des logements étudiants construits en France soit réservée aux étudiants étrangers européens.

Nous pourrons ainsi construire ce qui, à mon avis, est l’instrument de l’avenir, à savoir une vraie université européenne qui, comme au temps d’Érasme, permettra aux professeurs d’aller enseigner indifféremment dans les grandes universités européennes et aux étudiants de se former scientifiquement.

Parallèlement à cela, nous mettons au point un réseau de communication, un Intranet européen, pour permettre aux PME-PMI d’être informés des découvertes scientifiques qui se font dans toutes les universités européennes. En effet, l’un des grands espoirs que peut susciter un espace scientifique et technologique européen, c’est que telle découverte faite à l’université de Bordeaux puisse être exploitée par telle PME-PMI de Dresde, ou que telle découverte faite à Leipzig puisse être exploitée par telle entreprise située à Lille ou à Hazebrouck.

Au travers de cet élargissement de notre espace, de notre offre d’enseignement, nous allons essayer aussi de nous tourner plus largement vers le monde.

A cet égard, permettez-moi de vous communiquer, mesdames, messieurs les sénateurs, un chiffre que vous ne connaissez peut-être pas : l’Australie perçoit actuellement 7 milliards de francs grâce aux inscriptions des étudiants étrangers. Cette somme représente, pour ce pays, le deuxième poste en termes de ressources extérieures ; en outre, grâce à cette offre d’enseignement, l’Australie est en passe de devenir le maître à penser de l’Asie du Sud-Est.

J’étais la semaine dernière en Inde pour essayer, modestement, de formuler à mon tour une offre de formation pour les étudiants étrangers. Actuellement, ceux-ci, il faut bien le dire, sont nombreux en France, mais nous n’attirons pas nécessairement les meilleurs. Or j’ai l’ambition que notre université et nos grandes écoles forment les élites des grands pays qui, demain, seront nos clients. Nous allons nous efforcer d’atteindre cet objectif, notamment avec l’École polytechnique. L’École normale supérieure, l’École centrale et les universités, afin que, demain, un vendeur d’Airbus retrouve en Malaisie son camarade de promotion, ce qui ne peut que l’aider à conclure sa vente.

Notre tâche est difficile, parce que nous devons mettre en place des mécanismes spéciaux pour les concours du recrutement, les diplômes, etc…, mais il est nécessaire de l’accomplir. Il s’agit de l’un de nos grands projets en matière d’ouverture de l’université.

Vous ne serez pas étonnés, mesdames, messieurs les sénateurs, si je conclus mon propos en vous disant que le Gouvernement, qui a de grandes ambitions dans ce domaine, en a fait une priorité de son budget.

Dans un budget contraint, nous avons décidé de limiter le déficit à 3%, pour satisfaire en particulier aux critères de Maastricht mais aussi pour cesser de faire croire indéfiniment la dette publique.

Malgré cela, le budget de l’éducation nationale connaît une augmentation de 3,12% ; quant au budget de la recherche, qui était en négatif ces dernières années, il est de nouveau en positif, et croît de 1,4%. Nous aurons l’occasion, au cours du débat budgétaire proprement dit, d’étudier les grandes orientations de ce budget, mais je ne vous apprendrai rien en disant que notre priorité est la création d’emplois dans le domaine de la recherche, afin d’enrayer un vieillissement de notre personnel de recherche qui, d’année en année, se fait de plus en plus inquiétant.

Je ne vous apprendrai rien non plus si je vous dis que ce budget prévoit également la création d’un fonds pour les étudiants post-doctorants avec un transfert vers les entreprises, ainsi qu’une aide aux laboratoires plus qu’aux programmes.

Sur ce point, permettez-moi d’ajouter une précision : il y a une illusion dans les doctrines actuelles dans la mesure où elles sont dominées par l’économisme, c’est-à-dire pat l’idée que la recherche scientifique serait une machine à sous laquelle on introduit d’un côté de l’argent alors que, après avoir tiré sur une manette, les résultats tombent de l’autre côté.

Je suis au regret de vous dire que la recherche scientifique ne fonctionne pas comme cela. Certes, des sommes d’argent sont bien nécessaires, mais certaines conditions tout à fait particulières doivent être réunies.

A cet égard, les grands programmes comme le « plan calcul », autrefois – j’aurai la pudeur de ne pas faire de commentaires – ou la filière électronique – je n’en ferai pas non plus – sont une illusion. On n’a pas inventé l’électricité en créant un programme pour développer la bougie : c’est un manipulateur qui, faisant des expériences sur des tubes à vide, s’est posé la question de savoir si l’on pouvait propager certaines propriétés fans tels tubes et qui a fini par découvrir l’électricité…, qu’en fait on connaissait depuis les Grecs, qui frottaient une peau de chat sur de l’ébonite.

Vous savez sans doute aussi que notre compatriote Becquerel a découvert la radioactivité parce qu’on lui avait offert un caillou de couleur jaune et qu’il l’avait posé sur son bureau, dans un petit appentis du jardin des Plantes. L’un de ses techniciens, développant des clichés pour des expériences de rayons X, a failli perdre son emploi parce qu’un cliché sur deux était voilé. Désespéré, ce dernier a commencé à faire lui-même des observations et il s’est rendu compte que, lorsqu’il mettait le cliché dans le tiroir droit, il était voilé, tandis qu’il ne l’était pas quand il le plaçait dans le tiroir gauche. Ce technicien a alors fait preuve d’une méthode scientifique en répétant l’expérience. Il lui est apparu ainsi que la cause venait de ce caillou jaune et il a eu l’idée géniale de le déplacer. A ce moment-là, il a vu que la plaque était voilée de l’autre côté. Il a donc sorti le caillou jaune et l’a placé sur la plaque en disant à M. Becquerel que ce caillou était la cause de ces incidents. Comme M. Becquerel était un bon scientifique – c’est-à-dire qu’il savait exploiter la chance – il a compris qu’il s’agissait d’une grande découverte. Ainsi, il a mis en évidence la radioactivité, le nucléaire et d’autres découvertes ont suivi.

La recherche libre est à la base de tout. Or, ces dernières années, nous avons sacrifié les crédits des laboratoires. Nous allons donc accorder une priorité à des recherches plus libres, ce qui ne veut pas dire qu’elles ne seront pas coordonnées, car nous avons en même temps décidé de mettre fin non pas à la compétition, mais à la rivalité entre des organismes qui font quatre fois la même chose en se faisant des crocs-en-jambe, ce qui n’est pas nécessaire.

Quelle sera notre stratégie en la matière ? Nous allons relancer le plan Université 2000 – comme nous entrons dans le troisième millénaire, ce plan s’appellera d’ailleurs désormais U3M, Université du troisième millénaire – en partenariat avec les collectivités territoriales.

Nous allons maintenir le plan de décentralisation de l’enseignement supérieur, en évitant tout saupoudrage, je le dis avec fermeté car nous ne pouvons pas, dans une période où le nombre d’étudiants décroît, nous mettre à créer une université dans chaque village, quel que soit le désir dudit village.

Par ailleurs, nous réfléchissons à un certain nombre d’actions et, à cet égard, je citerais trois missions particulièrement importantes, que nous avons confiées à trois personnalités elles-mêmes fort importantes.

La première d’entre elles est une mission de réflexion sur l’appareil administratif de l’éducation nationale, qui est un peu bizarre. Il y a ainsi des recteurs, des inspecteurs d’académie dont la promotion ne dépend pas des recteurs, ni leur notation d’ailleurs. En dessous, il y a des proviseurs qui, eux, ne sont pas notés du tout et dirigent des établissements dans lesquels les professeurs ne dépendent pas d’eux pour leur promotion. Par conséquent, il s’agit d’un système dont la hiérarchie est extraordinairement mobile.

Nous avons donc demandé au recteur Claude Pair de réfléchir à ce problème car, paradoxalement, dans cette hiérarchie un peu lâche, on constate en même temps une absence quasi-totale de démocratie, c’est-à-dire que chacun vit dans son système autonome. Nous voulons donc plus de responsabilités et plus de démocratie dans le système éducatif.

La deuxième mission, que groupe de nombreuses personnalités du monde de l’industrie, de la recherche, de l’université et des grandes écoles, est animée par M. Jacques Attali. Il s’agit de savoir comment l‘on peut rapprocher les universités et les grandes écoles – je dis bien rapprocher et non pas fusionner, chacun gardant son autonomie – en faisant entrer dans l’enseignement davantage d’innovation. Ce groupe de travail est très actif et il formulera, je le crois, des propositions importantes.

La troisième mission a été confiée à M. Henri Guillaume, qui fut président de l’ANVAR. Elle doit se pencher sur le financement de la recherche technologique et sur les transferts de technologie, en particulier pour utiliser davantage les fonds européens.

Jusqu’à aujourd’hui, le grand défaut des financements publics français, c’est qu’ils allaient uniquement vers les grandes entreprises. Nous avons donc pris la décision, avec mon collègue Dominique Strauss-Kahn, de ne plus financer la recherche de grandes entreprises. Si celles-ci ne sont pas capables de voir que la recherche est fondamentale et qu’elles doivent donc la financer, ce n’est pas la peine de financer cette recherche de l’extérieur ! En revanche, nous allons concentrer toutes les aides sur les PME-PMI, exception faite, bien sûr, du programme aéronautique, qui est spécifique.

Le défaut que je viens de souligner est encore amplifié au niveau européen : les PME-PMI ont les plus grandes difficultés à accéder aux fonds de développement européen. L’une des missions de M. Guillaume est de nous proposer des mécanismes susceptibles d’y remédier.

Telle est l’ambiance qui préside à la préparation du budget et telles sont les orientations générales ; j’ai eu l’occasion d’en parler très longuement devant les commissions sénatoriales. J’ai par ailleurs donné l’autorisation à tous les missionnaires d’être entendus par les commissions parlementaires ou par leurs rapporteurs s’ils en faisaient la demande. Vous serez donc informés.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à ce que tout se passe dans la plus totale transparence. Vous êtes les représentants de la nation et, par conséquent, rien ne saurait vous être caché, pas même mes intentions : parfois vous les approuvez, parfois vous les critiquerez ; peut-être les infléchirai-je en conséquence, peut-être ne le ferai-je pas, et vous aurez alors l’occasion de me critiquer. Mais c’est là le débat politique !

En tout cas, je le répète, tout se passera dans la transparence, et je puis vous assurer que vous aurez toutes les informations pour préparer, discuter, critiquer, amender et, je l’espère, approuver le projet du budget.