Interview de Mme Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT, à France 2 le 31 août 1999, sur les retraites, la représentativité syndicale, la seconde loi sur la réduction du temps de travail, notamment le financement des 35 heures par l'UNEDIC et la CNAM.

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Média : France 2 - Télévision

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Q - C'est la mode des mégafusions : hier, dans la grande distribution entre Carrefour et Promodès, dans la banque il y a quelques jours. Ça vous inquiète ?

- « Non. Toutes les fusions ne se ressemblent pas, mais il y a un point commun entre toutes - c'est en tout cas ce que l'on remarque à la CFDT -, c'est que dans tous les cas de figure, les salariés sont quasi hors-jeu pour des décisions qui, quand même, les engagent aussi. Je crois que ça n'est pas durablement tenable. Et ça me semble poser de nouvelles questions aux salariés français et européens, donc aux syndicalistes que nous sommes. Les salariés sont de plus en plus actionnaires, est-ce que ce sont des actionnaires comme les autres ? Ont-ils un rôle nouveau à jouer ? Je crois que c'est une question qu'il faut ouvrir. Et dans ce jeu d'évolution, de recomposition du capital, il est clair que les salariés français, européens, doivent quand même se demander maintenant s'ils vont continuer à laisser les fonds de pension anglo-saxons - c'est-à-dire la retraite des salariés américains - continuer à avoir le monopole de l'intervention dans le capital des entreprises  françaises et européennes. C'est aussi un dossier que nous allons ouvrir. Je crois que c'est de cette manière que nous saurons, dans cette nouvelle phase du capitalisme français, retrouver une manière d'intervenir syndicalement sur des questions hautement importantes pour l'avenir de l'emploi, des entreprises et l’économie. »

Q - Est-ce que, sur les retraites, vous avez l'impression qu'on a du mal à mettre les choses sur la table, en France ? C'est vrai que le problème des fonds de pension est évoqué régulièrement mais ça n'est jamais tranché.

- « Oui, nous n'allons justement pas faire l'amalgame entre la réforme des retraites - il nous faut d'abord consolider le système par répartition - et la question des fonds de pension ou, disons, de la mobilisation d'un capital, d'une épargne, au service de fonds à la disposition des entreprises. Il se peut qu'il y ait un lien entre les deux à un moment donné. Et je crois que la question principale c'est l'origine du capital des entreprises françaises et européennes. Et sur cette question, il est sans doute utile de faire des nouvelles propositions. »

Q - La rentrée politique, économique et sociale est déjà bien lancée : les retraites, les 35 heures. On a l'impression que vous regrettez que les décisions de l'Etat, du Gouvernement, tombent un petit peu d'en haut, non ?

- « Nous pensons qu'il est temps de s'interroger, peut-être d'inventer une nouvelle manière de fonctionner entre les pouvoirs publics, entre l'Etat, et puis ce qu'on appelle “la société civile”, c'est-à-dire les syndicats, les organisations, les associations. Parce que tout simplement il y va de la qualité des décisions que prend l'Etat dans les changements qu'il veut conduire et donc de leur efficacité. S'il n'y a pas vraiment d'implication, de participation, de responsabilité des acteurs qui font les changements réels, tout simplement il risque d'y avoir des changements qui n'iront pas aussi loin que souhaiterions qu'ils aillent. »

Q - La seconde loi sur les 35 heures est en préparation. Les 35 heures c'est votre grande bataille. Est-ce que vous vous sentez trahie par ce qui a été fait sur les 35 heures ?

- « Trahie, non. Au contraire, nous pensons que la logique qui consiste à continuer à donner - là encore à la négociation donc aux acteurs dans l'entreprise : les syndicats, le patron bien évidemment - le soin de mettre en musique par de bons équilibres à trouver, de bons compromis - où les salariés vont s'y retrouver, où les entreprises vont s'y retrouver aussi -, eh bien on voit bien là que la responsabilité, le jeu des acteurs est tout à fait fondamental. La loi fait le pari que c'est la dynamique de la négociation qui fera gagner les 35 heures. Je crois que c'est la direction qu'il fallait prendre. »

Q - Et la mise à contribution des caisses de Sécu et de l'Unedic au financement des 35 heures, ça peut vous gêner ça ?

- « C'est une bombe qu'il faut se dépêcher de déminer. Non, ça, ce n'est pas sérieux ! Je crois que c'est l'exemple même où les partenaires sociaux ont des responsabilités, ils ont fait la preuve d'ailleurs de leur capacité à gérer l'assurance-chômage, les retraites complémentaires. Je crois qu'il n'est pas bon, là, de mettre de la confusion sur une injonction de l'Etat qui déciderait que, désormais, il a lui aussi la possibilité de dire là où iront les recettes de ces organismes. »

Q - La réforme de la représentativité syndicale : on parle de mettre en place des référendums au sein des entreprises. Vous êtes, contre cette démocratie directe ?

- « Vous savez, la démocratie directe en entreprise, il n'y a pas de mystère, c'est un pouvoir accru du chef d'entreprise et de l'employeur. Alors je pense que ce n'est pas le but de l'opération. Il faut que l'on négocie à armes égales, les négociateurs qui représentent les salariés et évidemment le négociateur patronal. Consulter les salariés c'est le B.A-BA de ce qu'un négociateur normalement constitué va faire. Comment peut-il engager les salariés, parler en leur nom sans avoir eu avec eux des relations vraies, de l'information à leur donner, de la consultation. Mais c'est à lui de décider les formes, les moyens et les moments de la consultation. Ce n'est pas au législateur. »

Q - 60 milliards de recettes fiscales supplémentaires, c'est une jolie somme. On en fait quoi ?

- « Nous avons devant nous un problème des retraites qui est connu. Eh bien voilà une bonne occasion d'alimenter le fonds de réserve que le Gouvernement a créé l'année dernière. Il faut l'alimenter de manière significative car finalement c'est un investissement pour l'avenir qui va garantir, qui va amortir tout simplement, le choc démographique des retraites. Donc voilà une bonne orientation. Et puis aussi, puisque le Gouvernement n'a pas encore complètement bouclé son financement sur la baisse, la réforme des dites “charges sociales” - les cotisations patronales dans les entreprises - eh bien voilà aussi une bonne occasion plutôt que d'aller chercher de l'argent dans les organismes paritaires. Voilà aussi une bonne affectation pour les excédents budgétaires. »