Texte intégral
Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs, Chers amis,
Certains anniversaires n’évoquent pas simplement le temps qui passe, mais aussi le temps qui dure. Un temps qui, avant même la création de votre association, trouver ses racines dans l’honneur d’un capitaine et le courage d’une poignée d’intellectuels : un temps qui se concrétise avec le refus des pogroms et l’exigence de justice autour desquels naît la LICRA. 70 ans de la LICRA, ce sont 70 ans d’une lutte qui a fait l’histoire.
Depuis 1927 en effet, derrière Bernard Lecache d’abord, votre fondateur, puis aux côtés du président Pierre Bloch, à qui je veux rendre un chaleureux hommage, et du président Aidenbaum, que je salue amicalement, avec celles et ceux qui, profondément militants, font vivre votre cause, vous avez été en première ligne du combat pour les droits de l’homme, contre l’antisémitisme, le racisme et la xénophobie. Fidèles au titre de votre journal, vous avez proclamé le « droit de vivre » dans le monde entier, en Afrique du Sud contre l’apartheid, en Europe de l’Est aux côtés des refuzniks, en Asie du Sud-Est pour aider les boat people, et d’abord bien sûr en France.
Dans la confusion fréquente des esprits, votre action est aussi indispensable aujourd’hui qu’elle l’était hier. Nous n’avons en effet pas fini de tenir les comptes de la folie destructrice qui semble parfois envahir la planète, de nous opposer à l’exploitation ou à l’asservissement, de nous dresser contre tout ce qui porte atteinte à la dignité humaine. Inlassablement, vous êtres, nous devons être attentifs aussi bien aux dangers nouveaux que font naître l’exclusion et la pauvreté, qu’au retour des marchands de haine, qui prospèrent sur la désespérance ou sur le malheur. Lorsque les difficultés économiques s’installent, lorsque les repères s’estompent, l’obscurantisme et le fanatisme sont une tentation. Malaise et mal-vivre en Europe, attentats et assassinats ailleurs, les porteurs de haine, au nom de la race, de l’intégrisme, du nationalisme, accomplissent leur sale besogne, parfois presque sous nos yeux. L’outrance s’érige en mesure, la haine devient normalité et la barbarie un « détail ». C’est cela contre quoi, ensemble, nous luttons. Soyez salués et remerciés par votre juste et permanent combat.
Car nous savons qu’il existe une autre France, notre véritable pays qui n’est pas celui des fossoyeurs de la démocratie. 1998 sera riche d’événements qui rappelleront à notre nation sa tradition de tolérance et de respect de l’autre. Je pense notamment au quatre centième anniversaire de l’Édit de Nantes, au cent cinquantième anniversaire de 1848 et de l’abolition de l’esclavage, au centième anniversaire, le 13 janvier prochain, du « J’accuse » d’Émile Zola, au cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme dont René Cassin, l’un des membres de votre comité d’honneur, fut le rédacteur inspiré. Autant de dates qui jalonnent l’histoire du progrès de la démocratie et de la justice et que célébrera en 1998 comme il convient l’Assemblée nationale.
En ce moment même, un homme est jugé à Bordeaux. Un homme face à des crimes et face à son passé. Vichy n’était pas la France, mais Vichy est en France. La liberté, l’égalité, la fraternité, n’existaient plus, mais l’administration continua de fonctionner au service de ceux qui bafouaient ces valeurs. Il y eût des résistants et des collaborateurs. Il y eût des silencieux et des courageux. Il y eût des justes et il y eût des traîtres. Ni mémoire sélective donc, ni mémoire à éclipse, un pays adulte ne doit pas nier une partie de son histoire pour être légitimement fier de l’autre.
Mais l’indignation ne suffit pas si elle n’est pas soutenue par un souvenir vivant. C’est celui que vous entretenez. Je regardais récemment un reportage à la télévision. À la question « Savez-vous ce qu’est le génocide ? », plusieurs adolescents répondaient tout simplement « Non ». Ils vivent dans le pays de 1789, ils ont été élevés par l’école de la République et ils ne savent pas ! Alors, décrire, témoigner, expliquer, n’est-ce pas là, Monsieur le Président, votre devoir, notre devoir ? Vous le remplissez avec force. Développer l’esprit de citoyenneté, enraciner la vertu du civisme, c’est aussi une partie du mandat qui nous est confié.
Dans cet esprit, il faut aussi, il faut surtout combattre l’extrême droite. C’est une de vos priorités. L’actualité montre combien vous avez raison. Les prud’hommes sont une vraie originalité française dont nous pouvons être fiers, simple et claire – employeurs et employés régulant le marché du travail. Là, comme ailleurs, l’extrême droite a voulu pervertir le système. Là comme ailleurs, elle s’est avancée masquée, sous des prête-noms, à travers des structures de circonstance. Il y aura donc, sous réserve du verdict des tribunaux, des juges FN aux prud’hommes et chacun comprend ce que cela signifie. Ils ne seront pas nombreux mais leur élection signifie d’abord la défaite du droit.
Et puis, il y a eu le récent et ignoble appel de Munich, la récidive du « détail ». Face à l’injure que constituent certains propos, on hésite entre la révolte, l’indifférence et le mépris. Mais l’insulte faite à des millions de morts, la perversité obstinée, la récidive négationniste, ne peuvent pas être laissées sans réponse : je souhaite que l’action publique soit systématiquement déclenchée. Ce n’est pas tomber dans le piège de la provocation que de faire appliquer le droit.
Bien sûr, nous le savons, l’amélioration des conditions de vie, celle des résultats en matière d’emploi ou de sécurité, seront des facteurs déterminants dans le recul de l’extrémisme, mais l’exemplarité des responsables politiques est une condition fondamentale. Toutes les formations politiques doivent avoir un discours clair. Tous ceux qui se déclarent républicains devant l’opinion ne doivent pas être complaisants devant les urnes. Les prochaines échéances régionales seront à cet égard une épreuve de vérité. Il nous faut lutter et lutter avec les armes permanentes que nous donne la République : l’engagement citoyen, l’école et la loi.
1) La loi, parce qu’en République, le racisme n’est pas une opinion mais un délit. La LICRA a instruit, plaidé et gagné de nombreux procès. Appliquer les lois existantes et leurs sanctions est un préalable.
Renforcer l’arsenal juridique existant est aussi selon moi une nécessité. Un projet de loi avait été déposé, lors de la précédente législature, par la majorité d’alors. Déposé, mais pas discuté. Il devait beaucoup au travail effectué par votre association. Nous en avions approuvé le principe. À condition d’en définir rigoureusement les termes, l’instauration du racisme comme délit, indépendamment des dispositions relatives à la presse, permettrait une plus grande efficacité des poursuites. Je souhaite – et je le dis ce soir – que la nouvelle majorité et le gouvernement avancent concrètement en ce sens.
Puisque nous parlons de loi, on ne comprendrait pas que je n’aborde pas, fût-ce d’un mot, les débats actuels sur l’immigration et la nationalité. L’essentiel est de concilier humanité, justice et efficacité, d’en finir avec les lois du soupçon. Les étrangers ont été, malgré eux, trop souvent placés au centre de notre vie politique. Une majorité constructive, une opposition responsable, je crois que nos concitoyens attendent cela de leurs élus. Je souhaite que les débats retrouvent une certaine sérénité, que les tactiques s’effacent devant l’intérêt général et que ces textes ne soient pas deux textes de plus, amenés à être à nouveau changés, réécrits, transformés, mais un point d’équilibre pour notre droit.
2) L’école est aussi le lieu de la lutte contre le racisme, parce que tout commence là. Le refus du racisme et de la haine est une éducation, une conquête. De ce point de vue, je veux saluer les initiatives du gouvernement, dans le domaine de l’instruction et de la morale civique. Au moment de définir précisément les contenus, nous devrons choisir une pédagogie du dialogue, avec le langage et les outils du monde moderne. Une citoyenneté active dans un monde interactif : la laïcité, pilier de l’école républicaine, comme fondement d’une intégration réussie.
3) On l’a suffisamment répété : beaucoup de nos concitoyens sont lassés de la politique, beaucoup sont réticents à l’égard des formations partisanes. Le Front national fait de ce rejet un fonds de commerce. Cherchons à redonner à nos militants le goût de l’engagement et d’attirer à nouveau les Français vers les formations politiques et les associations. Dans des villes sans repères et des territoires souvent abandonnés à eux-mêmes où la violence et l’incivilité prennent trop fréquemment le dessus, il faut que les formations politiques et les associations puissent s’investir, au travers de leurs militants, dans des actions de proximité, d’écoute et de dialogue.
Dans ce travail de vigilance au quotidien, j’aimerais que nous soyons particulièrement attentifs à deux enjeux d’actualité.
1) Le gouvernement porte une attention légitime au problème de la sécurité. Il a ainsi décidé la création d’un Conseil supérieur de déontologie policière. Puisse ce Conseil s’attacher à améliorer les relations entre nos forces de police, qui accomplissent souvent un travail remarquable, et l’ensemble des citoyens, quels que soient leur âge ou leur origine. La confiance doit prévaloir. Là est la clef d’un État authentiquement républicain et d’une vraie politique de sûreté.
2) Le travail est évidemment le meilleur facteur d’intégration. Faut-il ajouter au mal du chômage, la déqualification par le nom ou par les origines ? Or, ce type de comportement est fréquent. Il se répand aussi dans l’accès au logement. L’État ne peut pas rester passif devant le racisme dans l’emploi. Les moyens doivent donc être mobilisés pour lutter contre la discrimination à l’embauche et au sein de l’entreprise.
Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, Chers amis
Votre anniversaire, celui de la LICRA, m’a donné l’occasion de rappeler les valeurs que nous partageons et de tirer les conséquences de ce magnifique principe : les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit ! Puisse ce message, vieux de deux cents ans, mais toujours aussi actuel, être entendu et compris au-delà de ces murs, singulièrement sur notre continent !
Dans la LICRA, il y a international. C’est un de vos devoirs de faire vivre et rayonner cet idéal. Depuis 70 ans, vous n’avez cessé de le faire. Le siècle qui s’achève a été marqué par le crime contre l’humanité. Nous devons unir nos efforts pour que le siècle qui commence sache punir, partout, la répétition de semblables horreurs : ce serait à cet égard un symbole fort et un acte politique concret qu’un tribunal permanent international puisse entrer en vigueur pour l’an 2000. Je ne commenterai pas ce soir le détail technique d’une procédure nécessairement complexe, mais je souhaite que la France fasse entendre sa voix clairement en ce sens lors de la prochaine conférence de Rome en juin prochain.
50 ans après la Déclaration universelle, jamais on n’a parlé autant des droits de l’homme. Jamais l’information n’a autant circulé sur les atteintes qui y ont été portées. Mais rarement l’impunité et l’impuissance à les faire respecter n’ont été aussi patentes. D’où le besoin pressant de poursuivre votre tâche, vous, les acteurs indispensables de la vigilance et du sursaut. Dans cette maison de la République, du droit et de la loi, je veux vous souhaiter, à vous, amis de la LICRA, très bon anniversaire et vous dire combien, avec la représentation nationale, je suis entièrement à vos côtés.