Texte intégral
- JEAN-MICHEL BAYLET, Président du Parti Radical Socialiste
Quelle démocratie pour la France de demain ?
Il ne s'agit pas là d'une mission relevant seulement de l'État ou du monde politique, il s'agit bien plus d'un combat à mener par les citoyens de notre République, à titre individuel ou à titre collectif, pour améliorer sans cesse le concept démocratique et l'utilisation qui en est faite.
Pour bon nombre de nos concitoyens, la réflexion sur la démocratie et ses perfectionnements relève de l'exercice de style. On sait pour le moins que le modèle occidental, et plus particulièrement français, est envié de par le monde, mais pour le vivre au quotidien, on en oublie non seulement la saveur mais aussi le prix qu'il a fallu payer pour l'obtenir.
Le fonctionnement usuel des institutions démocratiques produit en quelque sorte un affaissement du civisme qui, si l'on n'est pas vigilant, conduit à miner de l'intérieur le système démocratique. La démocratie recèle donc en elle-même sa part d'autodestruction.
Si la démocratie française trouve son enracinement dans l'Histoire de notre pays, son adaptation progressive et la constante nécessité de son perfectionnement sont les garanties de sa survie au siècle prochain.
Il ne s'agit pas là d'une mission relevant seulement de l'État ou du monde politique, il s'agit bien plus d'un combat à mener par les citoyens de notre République, à titre individuel ou à titre collectif, pour améliorer sans cesse le concept démocratique et l'utilisation qui en est faite.
Les fondements de la démocratie se trouvent dans l'Histoire de notre pays. La philosophie des lumières, la Révolution française, la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, en sont le socle.
Cela n'a cependant pas empêché la France de retomber à plusieurs reprises dans la dictature de type monarchique tout au long du XIXe siècle. La démocratie française a donc dû trouver de sérieux renforts pour pouvoir s'imposer.
Il est certain que la République est encore ce qui est arrivé de mieux à la démocratie. La République fixe en effet des objectifs de vie en société, fondés sur des valeurs essentielles, la liberté, l'égalité, la solidarité, la laïcité, l'universalisme, qui forment un cadre dans lequel évolue le système démocratique en tant que moyen d'action et non en tant que finalité.
Les radicaux ont pris une part active à la définition de la République et à l'évolution du système démocratique en France.
Mais la République a subi depuis cent ans un certain nombre d'attaques qui, à leur tour et parce qu'elles ont échoué, ont contribué au renforcement de la démocratie dans notre pays. La période de Vichy, comme, dans une moindre mesure, celle de la guerre d'Algérie, ont provoqué des sursauts démocratiques qui ont renforcé la prise de conscience démocratique et favorisé l'évolution de nos institutions.
Les événements dramatiques ne sont d'ailleurs pas les seuls facteurs d'influence. Le passage de la démocratie indirecte à la démocratie directe, l'évolution constitutionnelle qui, à chaque étape, prend soin de préserver le meilleur des constitutions précédentes et d'accroître le champ des libertés, la pression du corps social sur la législation grâce, il faut le dire, au développement sans précédent des moyens d'information, enfin l'expérience inédite de cohabitations politiques au plus haut sommet de l'État, sont autant d'éléments qui permettent aujourd'hui d'asseoir la démocratie française au cœur des mœurs publiques.
La démocratie est évidente, aucun autre système n'est acceptable.
Le modèle démocratique français a d'ailleurs inspiré, et inspire toujours de nombreux pays étrangers, en Afrique, en Amérique latine, en Europe de l'Est. C'est peut-être là aussi une de ses plus grandes forces. Faut-il pour autant se satisfaire de notre démocratie aujourd'hui ? Ne faut-il pas sans cesse recherche l'amélioration d'un système où le citoyen participe à la vie publique plus en spectateur qu'en acteur ?
Les radicaux ont toujours appelé de leurs vœux un cadre nouveau susceptible (l'accroître le champ des libertés, (le garantir aux citoyens des règles d'équité, (le favoriser et de développer les actes de solidarité, d'assurer le respect des individus et la tolérance dans notre société par un renforcement de la laïcité.
La discussion sur la constitution n'est pas passée de mode et les radicaux sont favorables à l'instauration d'une VIe République.
On peut regretter aujourd'hui l'appauvrissement du débat politique, qui est essentiellement lié à l'incroyable prééminence de l'élection présidentielle. Son mécanisme est violent et simplificateur. L'hypermédiatisation, l'influence des sondages marginalisent finalement les autres scrutins électoraux pour lesquels les citoyens se montrent de plus en plus indifférents.
Dans la mesure où l'élection du Président de la République au suffrage universel direct ne sera pas remise en cause, il convient d'envisager un rééquilibrage des pouvoirs.
Cette nécessaire réforme peut prendre plusieurs directions l'indépendance accrue des pouvoirs politiques, l'affirmation du rôle du Parlement, la juste représentation des opinions, le renforcement de la décentralisation, l'indépendance réelle du pouvoir judiciaire.
L'indépendance des pouvoirs politiques suppose la réduction des conséquences néfastes du mécanisme majoritaire : cela revient à supprimer le droit de dissolution mais aussi la censure. Ainsi, comme aux États-Unis, les pouvoirs exécutifs et législatifs pourraient-ils pleinement jouer leur rôle.
Affirmer le rôle du Parlement, c'est lui restituer les prérogatives que les textes et la pratique lui ont enlevées. Les radicaux ont toujours considéré la démocratie représentative comme le stade le plus élaboré de la civilisation de droit. Il faut donc revenir sur ce que l'on appelle le « parlementarisme rationalisé », c'est-à-dire la maîtrise de l'ordre du jour par l'exécutif, l'escamotage du débat lors de la question de confiance, le verrou à l'initiative parlementaire pour les dépenses de l'État) la globalisation des votes budgétaires, l'absence totale de compte rendus d'exécution des lois votées, le défaut de procédure de contrôle parlementaire efficace de l'action de l'administration. Cette liste n'est pas exhaustive.
Quant au choix du mode de scrutin, il est en France plus une affaire de circonstances que de doctrine. Pour que la représentation soit juste et totale, les radicaux se sont déclarés en faveur du mode proportionnel.
Je ne néglige pas l'intérêt du scrutin majoritaire au regard de l'efficacité. Je pense cependant qu'une introduction d'une bonne dose de proportionnelle dans tous les scrutins serait une réforme de nature à développer l'esprit de civisme et la participation citoyenne à la vie politique.
L'opinion publique ne sera d'ailleurs représentée dans toute sa diversité qu'une fois que tous les contribuables pourront élire les représentants qui décident des recettes et des dépenses publiques. Cela suppose bien évidemment l'acceptation du vote des étrangers. Il faut en finir avec le couple « nationalité-citoyenneté » dont les motivations historiques sont totalement dépassées.
Je conçois cependant qu'une telle réforme puisse rencontrer des résistances. Pourquoi ne commencerions-nous pas avec les élections municipales ? Je suis certain qu'à l'occasion de ce premier scrutin, cette nécessaire réforme trouvera un écho favorable auprès de nos concitoyens.
Parmi les améliorations envisageables pour notre système démocratique, je n'oublie pas le renforcement de la décentralisation, tant cette réforme voulue par la gauche a permis un rééquilibrage des pouvoirs et de responsabilités sur l'ensemble du territoire.
La décentralisation doit être poursuivie, améliorée et vivifiée. La commune doit devenir le niveau principal, prééminent, de décision dans la vie quotidienne des Françaises et des Français. Il convient aussi de renforcer la démocratie locale par l'information, la participation, le référendum local d'initiative populaire, le réseau associatif.
Aujourd'hui, l'État tente de mettre un terme à ce grand mouvement de démocratie locale en transférant aux collectivités de plus en plus de responsabilités et de charges sans leur attribuer de ressources supplémentaires. Ce n'est pas acceptable.
Enfin, la garantie essentielle des libertés tient à l'indépendance réelle du pouvoir judiciaire, qui érige des barrières contre les abus de position dominante des autres pouvoirs. On pense bien sûr à la suppression du corps unique d'État de la magistrature pour le remplacer par une profession judiciaire, chargée d'une gestion d'ensemble confiée à une autorité vraiment indépendante, et une gestion centralisée. On peut aussi imaginer le renforcement des pouvoirs du parquet, en envisageant même son indépendance totale du pouvoir exécutif.
Bien d’autres réformes méritent d’être engagées : l’ouverture de la saisine du Conseil constitutionnel, quant aux matières, quant au nombre des demandeurs, quant à leur qualité ; la création de nouvelles autorités administratives indépendantes (comme la COB ou la CNIL) dans des domaines où l'Etat se désengage et où se jouent aussi les libertés publiques : urbanisme, consommation, environnement, télécommunications.
Autre exemple, à l'heure où l'on parle de professionnaliser les armées, ne serait-il pas temps de sortir les militaires de l'état de sous-citoyens où ils ont été placés en d'autres temps et de les intégrer plus encore dans la société. Par cela, il faut réviser profondément le statut des militaires et autoriser notamment le droit d'association.
Le champ des libertés à conquérir est inépuisable.
La République, à laquelle tous les citoyens de ce pays doivent prendre part, doit montrer le chemin à un système démocratique en perpétuelle évolution.
La démocratie, elle, doit garantir au citoyen l'exercice de tous ses droits au sein de la République.
Il n'y aura pas de République forte sans démocratie vivante.
- FRANÇOIS BAYROU, Ministre de l'Éducation Nationale
Quelle démocratie pour la France demain ?
La civilisation des humanistes va vérifier qu'elle est mortelle. Je ne peux pas m'y résoudre. Il a fallu vingt-cinq siècles de miracles philosophiques, politiques, économiques et sociaux, pour découvrir et fabriquer ce trésor sans équivalent sur la planète : l'idée que chaque être humain mérite un respect absolu.
Et si, sous la crise, il y avait une autre crise ? Sous la première crise, la plus évidente, la crise économique et sociale, s'il y avait une deuxième crise, plus profonde ? Comment expliquer autrement ce quelque chose qui ne va pas dans la vie des démocraties ? En France, sans doute. Ailleurs aussi. Les hommes publics, les journalistes qui les accompagnent, les commentent et les critiquent, s'égosillent dans les micros. Et personne ne les écoute plus. La première idée qui vient à l'esprit de ceux qui constatent cet immense et profond désintérêt, c'est que la « communication » est en cause. Alors les politiques courent prendre des cours de télévision et reviennent sur les écrans en poussant la chansonnette, en soignant la couleur de leur cravate ou le rythme de leur diction, ce qui n'est pas loin d'être la même chose. Un peu plus tard, ils découvrent avec désespoir que rien n'a changé. Alors, parfois, ils en viennent à se demander si, par hasard, ils ne seraient pas en train de se tromper, un peu, ou largement, de sujet. « Hors sujet », du temps des rédactions ou des dissertations, c'était une condamnation du devoir et de son auteur. Dans la vie d'une démocratie, cela risque hélas d'aboutir à la condamnation de la démocratie.
Je voudrais poser la question à ma manière : et si, en analysant la crise, nous nous trompions de verbe ? Et si la crise était une crise du verbe être au lieu d'une crise du verbe avoir ? Ou si elle était au moins autant du verbe être que du verbe avoir ? Si le plus dangereux et le plus grave des périls de notre temps n'était pas dans les défauts, nombreux, de notre organisation économique, mais dans notre incapacité collective à parler aux esprits et aux cœurs ? Si ce n'était pas seulement notre vie matérielle qui était en cause dans nos angoisses et dans nos manques ? Si le mal venait de plus loin, avait des racines plus profondes ? Si, aujourd'hui comme hier, les êtres humains voulaient d'abord savoir ce qu'ils construisent ?
Cette interrogation va à contre-courant de nos habitudes. La plupart des études et des débats qui traversent notre vie publique sont devenus obsessionnellement économiques. Tout se passe comme s'il y avait là le seul sujet d'importance. D'où vient alors que ces débats tournent court ? Nos millions de paroles forment comme un magma. Elles se mêlent et s'annulent et ne franchissent même plus le mur de l'attention de nos concitoyens. Sans toujours réussir à exprimer leur attente, ils demandent un autre message. L'appel, mille fois répété, à la lisibilité » des politiques publiques est une manière d'inviter à ce changement. Les hommes politiques s'en agacent : « Que veulent-ils que nous leur disions ? Nous ne cessons pas de leur expliquer ! ».
Ils ne comprennent pas que les mots sont trompeurs. Lorsque nos concitoyens déclarent aux sondeurs qu'ils voudraient savoir où ils vont, où on les conduit, ce n'est pas qu'ils soient devenus sourds, où qu'ils ne saisissent plus les discours des puissants. C'est que ce qu'ils entendent ne leur suffit pas. Ce qu'ils comprennent, ils le jugent, d'instinct, trop court ou déplacé. De nos déclarations économiques, budgétaires, monétaires, ils ont, chaque Jour, leur content, jusqu'à satiété et lassitude. Mais ils ont l'impression que ces rois sont nus et que les moulinets de leurs sceptres de carton-pâte ne répondent en rien à l'attente profonde qui est la leur, comme elle ni celle des générations d'hommes de tous les temps : ils attendent des raisons de vivre et meurent de soif de n'en pas trouver.
Les causes qui expliquent que nous soyons ainsi entrés, tous ensemble, toutes les sociétés développées, dans le grand désert du sens, ne sont ni accidentelles ni secondaires.
D'une certaine manière, nous sommes ainsi arrivés au terme du long cheminement, millénaire, de notre humanité occidentale. C'était l'aventure même de notre civilisation que de nous libérer des raisons de vivre toutes faites, préfabriquées et forcées. Il a fallu des siècles et des millénaires pour accomplir cette libération. Nous y sommes. C'est là que nous découvrons qu'ainsi dépouillés, nous sommes nus. Et l'irrationnel prend sa revanche : nous cherchons n'importe quoi pour couvrir cette nudité qui nous est insupportable.
C'est ainsi qu'aux portes du troisième millénaire nous retrouvons les angoisses mythiques de l'an mil.
Sans doute ne sommes-nous plus terrassés par la peur de la fin des temps, mais nous sommes envahis de l'impression confuse de traverser, sans beaucoup de lucidité, la fin d'une époque. Tous les cadres solides et durables qui donnaient sens à la vie des hommes nous paraissent s'être effacés. Nous sommes les premiers humains à faire l'expérience d'un temps sans repère. Dans le grand désert des références morales, identitaires, spirituelles, civiques, nos contemporains courent de désillusions en désillusions. Un jour, ils ne courront plus du tout et se satisferont de n'importe quel tyran, charlatan de l'engeance commune, qui promettra de rendre le monde lisible et fera de la haine ordinaire le misérable matériau de sa dictature.
En attendant, c'est dans les yeux de nos enfants que nous devons lire la honte de l'échec de nos entreprises. À force de consommation, à force de matérialisme, à force de promesses intenables, à force d'ignorer l'essentiel nous voilà contemplant le vide de leur vie. Il arrive que leurs mains se chargent d'armes qu'ils tournent contre leurs semblables. Il arrive beaucoup plus souvent que, dans le vide auquel ils sont exposés, ce soit leur propre disparition qu'ils conçoivent. Les pays développés, et parmi eux la France, ont le noir record du suicide des jeunes. Nous le sentons bien, nos réponses habituelles sont d'une catégorique impuissance. C'est au moral qu'ils souffrent et nous ne savons répondre qu'au matériel. Et il ne s'agit pas uniquement de la souffrance adolescente. Les jeunes ne sont pas seuls en cause, même si, sur tous les fronts, de la drogue au Sida, ils sont en première ligne et souvent les premières victimes.
Les banlieues, les campagnes et les vallées désertes, la situation faite aux chômeurs et aux plus pauvres, les transgressions télévisuelles, disent chacun dans leur langue le mal de notre temps.
La question est donc toute simple : citoyens parlant à des citoyens, avons-nous quelque chose à dire qui permette de rendre du sens à la vie ?
C'est une question difficile, parce qu'elle laisse craindre que celui qui pose la question ne veuille en même temps imposer la réponse, sa réponse, personnelle et intolérante. Or, rien n'est plus sensible, plus secret, plus intime que la recherche d'un sens à la vie. En cette matière, nos contemporains sont vaccinés. Ils redoutent que l'on vienne penser, vouloir et décider à leur place. Ils ont pris l'habitude de dénier à quiconque le droit de le faire. Et s'ils sentent le manque, ils ne voient pas de chemin sans risque pour corriger ce manque.
Telle est la question que j'ai voulu traiter. Je l'ai fait avec la même crainte que les plus ombrageux des libertaires. Je l'ai fait en faisant abstraction de mes propres convictions. Non pas qu'elles me soient lointaines ou indifférentes. Je ne les cache pas ; je n'en rougis pas ; au contraire, elles me rendent profondément heureux. Je suis croyant et je suis chrétien. Je lis la Bible et l'Evangile. Je confesse le Credo. Pour moi et pour beaucoup des miens, cette espérance est vie. Mais je connais aussi le nombre des musulmans qui vivent sur notre sol, le nombre de ceux qui sont français et le respect qu'ils méritent. J'ai une grande vénération pour le judaïsme, pour la part française du peuple juif, aussi bien que pour la part juive du peuple français. D'un autre côté, la vie m'a donné de rencontrer nombre de laïques, d'admirer, de comprendre et d'approuver l'effort rationaliste, la tentative pour réduire la part des superstitions dans l'esprit humain, constamment attiré vers les brumes et la lumière trompeuse dont les magiciens se servent pour séduire. Et aucun des autres, non plus, ne m'est étranger, ceux qui vraiment n'ont aucune idée de la question, aussi bien que ceux qui continuent d'essayer d'y répondre loin des sentiers battus, par exemple sur les chemins d'Orient que j'ai fréquentés dans les livres de mon adolescence. C'est comme cela que je vis, en essayant de comprendre. Et au fond, nous sommes très nombreux à nous gouverner ainsi : les doutes sont si profonds, et sur tant de sujets, que même la certitude philosophique quand elle existe, dans un sens ou dans un autre, ne devrait plus former d'intolérance. Et rien, vraiment, ne serait plus heureux.
C'est un droit de l'homme de croire ou de ne pas croire. C'est un droit de croire ce qu'il veut dans l'ordre religieux, théologique, spirituel ou rationnel. Et nul n'a le pouvoir de se mêler de ce cheminement. Mais c'est un drame quand une société, une nation, n'a plus rien à croire de commun.
La réflexion que je présente ici a donc choisi d'être une réflexion laïque. Elle pose comme principe qu'il existe deux univers pour la conviction : le monde des convictions privées, protégé et celui, ouvert à tous, des convictions communes qui nous fondent comme peuple, comme nation, comme République. C'est la définition même de la laïcité. Les institutions publiques et la vie privée ont chacune leur domaine, leur importance et leur dignité. Jules Ferry l'affirmait en 1875 : « La mise en œuvre de la liberté de conscience consiste d'abord à mettre l'Etat, les pouvoirs publics, en dehors et au-dessus des dogmes et des pratiques des différentes confessions religieuses » Mais cette idée de laïcité a souvent été comprise de manière restrictive. Il est vrai qu'inventée en France, la laïcité a joué dans notre pays un rôle qu'elle n'a trouvé nulle part ailleurs. Bien entendu, elle a d'abord été un signe de contradiction, le drapeau d'une agressivité à l'égard de la religion dominante. Mais il m'a semblé qu'avec les années et les exigences du temps, cette conviction pouvait être devenue un lieu de réconciliation, où tous les Français se retrouveraient. Nous avons plus besoin que jamais de ce que la laïcité représente de respect pour toutes les attitudes spirituelles, religieuses, agnostiques ou incroyantes. Nous avons plus besoin que jamais de ce qu'elle peut offrir comme espace pour que s'élabore à nouveau le ciment qui a fait la France et la République.
Le temps que nous vivons ne nous permet plus d'éviter des réflexions de cette nature. Chacun sait bien qu'elles sont de maniement délicat, qu'il convient, en écrivant sur ce qui fait vivre les hommes ensemble, de le faire avec prudence et respect, de recourir à la nuance. Il y a là plus de dynamite que dans bien des arsenaux. Mais il me semble que nous ne pouvons plus esquiver. Les réponses habituelles de la politique, celles qui se limitent à la gestion, ont montré leurs limites. Il est temps d'oser lever les yeux, de dépasser le travail sur les manières de vivre, et d'aller plus loin, jusqu'aux raisons de construire ensemble un monde libre.
En achevant la biographie d'Henri IV, que j'ai publiée il y a deux ans, je dédiais ce livre aux hommes de réconciliation. L'inspiration, en réalité, est la même, appliquée à notre époque moins violente pour l'instant mais aussi profondément tourmentée. La réconciliation des Français est à l'ordre du jour autant qu'elle l'était au XVIe siècle. Il y a quatre cents ans, c'était, si j'ose dire, par trop-plein de convictions, par débordement de foi que la France se trouvait menacée, chacun défendant sa religion et ne reculant devant rien pour condamner et ruiner celle de l'autre. Aujourd'hui, au contraire, nous ne savons même plus ce que nous croyons en commun. La haine continue de nous menacer. Mais il s'y est ajouté l'indifférence.
Pour sortir des guerres de religion, il a fallu que des gens de bonne volonté acceptent de passer les frontières convenues, en courant les plus grands risques pour que se refonde la communauté nationale et qu'elle connaisse une profonde renaissance civique. Le besoin est exactement le même aujourd'hui. Ceux qui croient que les Français sont moins heureux sans la France ne sont pas si nombreux. Ceux qui pensent qu'il convient de rallumer la confiance dans la République pour que s'allègent quelques-unes de nos difficultés personnelles doivent, de la même manière, se reconnaître et se retrouver.
Bien entendu, je n'oublierai pas, chemin faisant, ce que m'a appris l'expérience, sous deux gouvernements du ministère de l'Éducation nationale. Rien n'est plus émouvant que d'avoir en dépôt, pour un moment, le destin des jeunes et l'avenir du pays qu'ils forment avec nous. Rien n'est plus éclairant sur les ressorts qui gouvernent les sociétés et les réactions d'opinion. L'école a été pendant des décennies un lieu de discorde. Je sais maintenant que l'on peut en faire un thème de concorde. Il n'y a qu'une condition : respecter, non pas dans les mots, mais dans les actes et la conduite quotidienne, tous ceux qui en sont les piliers et les soutiens, de la maternelle au Collège de France. Il ne s'agit pas de ces bons sentiments dont on tartine la démocratie sous le règne de la télévision. C'est la seule manière d'être pris au sérieux. Sans cela, tout simplement, personne n'écoutera plus.
C'est ainsi que j'ai essayé d'écrire mon livre (Le Droit au sens). Une seule chose me préoccupe : élargir un peu l'horizon de nos débats démocratiques, leur donner un peu de cette chair et de cette âme qui leur font tant défaut. Confusément, obscurément, nous savons tous qu'il est tard. Beaucoup pensent même qu'il est trop tard et que la prophétie de Valéry va se réaliser. La civilisation des humanistes va vérifier qu'elle est mortelle. Je ne peux pas m'y résoudre. Il a fallu vingt-cinq siècles de miracles philosophiques, politiques, économiques et sociaux, pour découvrir et fabriquer ce trésor sans équivalent sur la planète : l'idée que chaque être humain mérite un respect absolu, que chaque être humain relève d'un infini, qu'on le voie éclairé de l'intérieur par la lumière de Dieu ou par celle de la raison. Bien entendu, nous ne savons plus ce qu'est cet humanisme que nous avons entre les mains. Nous avons oublié sa rareté et son prix. Le trésor est devenu banal. Métal précieux, il a pris à nos yeux la couleur de l'habitude. Le trésor que tant de peuples cherchent depuis le début des temps traîne dans notre maison, au fond de nos tiroirs et nous manquons le jeter chaque fois qu'il nous arrive de déménager les meubles. Parfois il roule sous le buffet ou nous sert à caler la table. C'est lui pourtant qui protège nos journées et nos nuits et qui fait grandir nos enfants. Il n'est pas seulement un talisman. Il est une source de bienfaits pour l'humanité. C'est seulement après l'avoir perdu que nous en découvririons le prix.
Faut-il en arriver là, par aveuglement et par lassitude ? Le parti-pris de mon essai est de répondre non. Il faut renoncer au renoncement, aller s'il le faut jusqu'à l'acharnement thérapeutique, soigner le vieil arbre, analyser le terreau, pratiquer les amendements nécessaires, et nous lui verrons alors pousser des racines nouvelles, inventer des floraisons inédites. L'humanisme qui paraît épuisé est peut-être au début de son histoire.
- LIONEL JOSPIN, Premier secrétaire du Parti Socialiste
Réinventer sans cesse la démocratie
Pas de liberté vraie sans progrès de la justice sociale, mais pas de vrais progrès de la justice sociale sans liberté : telle est l'originalité de la vision socialiste. Notre démocratie est donc une social-démocratie.
La démocratie et le système le plus juste et le plus efficace que les hommes aient institué pour organiser leur « vouloir vivre ensemble ». Gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple, c'est le seul qui permette de fonder une ambition collective, un projet commun, non sur la négation mais, au contraire, sur l'épanouissement des individus. Bref, de concilier la poursuite des bonheurs particuliers et l'accomplissement de l'intérêt général. Sa valeur essentielle tient précisément au fait qu'elle repose, non sur la contrainte, mais sur l'adhésion. Non sur la force de quelques-uns, mais sur la volonté de tous.
Pour autant, l'idée démocratique se laisse difficilement cerner, se prêtant à des interprétations parfois contradictoires et accueillant des visions politiques fort différentes. Celle des socialistes se résume en un impératif : la Démocratie doit concilier liberté et égalité.
* La démocratie, creuset nécessaire de la liberté et de l'égalité
Depuis le discours de Léon Blum au Congrès de Tours en 1920, le monde sait qu'il existe un socialisme démocratique : le nôtre. Depuis cet acte fondateur, les socialistes français revendiquent fièrement la constance de leur engagement en faveur de la liberté. L'Histoire de notre pays montre que la gauche socialiste fut, dans la rue ou dans les urnes, souvent le précurseur, toujours l'acteur, de ces combats pour la liberté. Par son œuvre législative également, la gauche de gouvernement a considérablement consolidé le socle de libertés fondamentales sur lequel s'élève notre Démocratie : la libéralisation des moyens de communication, les lois Auroux ou l'émergence de contre-pouvoirs locaux par la décentralisation, en offrent trois illustrations parmi bien d'autres.
Dans le même temps, les socialistes ont toujours conservé à l'esprit le message de Jean Jaurès, pour qui il ne pouvait exister de liberté véritable là où des inégalités séparent les hommes. Pour que vive la démocratie, nous pensons que celle-ci doit concourir à l'unité et à la cohésion sociale lorsque se creuse le fossé des inégalités, le « vouloir vivre ensemble » sur lequel se fonde notre vieille Nation ne peut que perdre, dangereusement de sa substance.
Pas de liberté vraie sans progrès de la justice sociale, mais pas de vrais progrès de la justice sociale sans liberté : telle est l'originalité de la vision socialiste. Notre démocratie est donc une social-démocratie.
Concilier la liberté et l'égalité au sein du creuset de notre démocratie est ainsi un impératif sans cesse renouvelé. Ici encore, les Socialistes ont massivement contribué à ce devoir de fraternité qu'exige la Démocratie : instauration d'un nouveau contrat entre les salariés et la République- à travers les congés payés, la création d'un régime général de protection sociale ou les lois Auroux - démocratisation de l'éducation et de la culture, lutte contre la discrimination frappant les femmes grâce aux lois Roudy et Neiertz.
« Liberté, égalité, fraternité : depuis deux cents ans, la Démocratie prend, pour nous, le visage de la République ».
* La démocratie, approche exigeante du pouvoir politique
Cette vision se complète d'une conception exigeante du pouvoir politique. À l'instar du philosophe Claude Lefort, nous entendons le pouvoir comme « un lieu vide », c'est-à-dire une entité inappropriable que nul clan ne peut accaparer. Et il a fallu des années de combat pour que chacun comprenne que l'alternance au pouvoir est l'essence même de la démocratie. Voilà pourquoi en montrant, avec le soutien des Français, que la gauche au pouvoir n'était plus « une anomalie éphémère, un accident de parcours, ou un mal à prendre en patience », pour reprendre ici ses propres paroles, François Mitterrand a fait faire un progrès considérable à notre démocratie. Sa capacité d'alternance apaisée représente aujourd'hui l'une de ses plus grandes forces.
Mais pour les socialistes, la Démocratie n'est pas qu'un échiquier policé sur lequel se joue la reconquête du pouvoir. Elle est un contrat passé entre les citoyens et leurs représentants. Elle est une confiance entretenue et renouvelée entre les uns et les autres.
Cette confiance procède d'une certaine conception de la vérité en politique. Plus que jamais, les Socialistes adhérents aux principes de Pierre Mendès France, tels qu'il les exprimait en 1955 à Evreux : « L'homme politique doit faire moins d€ promesses de toutes sortes : mais une fois un engagement pris, s'y tenir avec rigueur. Ainsi, il méritera le respect dont il a besoin pour s'acquitter de ses tâches. C'est bien ce qu'entendait Montesquieu lorsqu'il disait que la vertu est le principe, le ressort de la République ».
La méconnaissance de cette vertu est à l'origine de la crise sensible qui mine, à l'aube du XXIe siècle, trois composantes essentielles de notre démocratie.
* La démocratie donne aujourd'hui des signes de fragilité
La démocratie présuppose, tout d'abord, la participation active de l'ensemble des citoyens. Or, l'extension des inégalités économiques dans notre pays, quelle qu'en soit la manifestation – accès à l'éducation puis à l'emploi, revenu, logement, santé – mine la cohésion de la Nation, fissure le corps social et jette dans l'exclusion une proportion croissante de nos concitoyens. Les socialistes sont plus que jamais convaincus que renforcement de la démocratie française passe par une réduction de ces inégalités. À leurs oreilles résonne toujours l'avertissement de Victor Hugo : « La misère n'attend pas ».
La conviction qu'ont les citoyens d'être les acteurs de changements dont ils seront collectivement les bénéficiaires constitue le deuxième fondement de notre démocratie. Ce trait est aujourd'hui en pleine déliquescence. D'une part, nos représentants se complaisent trop souvent dans une « culture de l'exécutif » qu'illustrent l'abaissement du Parlement, la faiblesse des assemblées locales, ou l'incapacité chronique de nos élites à la consultation, à la négociation. Le mépris technocratique ne saurait remplacer la pédagogie citoyenne. Cette concentration des pouvoirs, qui précipite la coupure entre gouvernés et gouvernants, se double d'un paradoxe insupportable. Disposant de pouvoirs plus importants que dans bien des démocraties comparables, nos gouvernants justifient pourtant leurs maigres résultats par le truchement d'une rhétorique de l'impuissance et de la contrainte de l'Europe, contrainte des marchés internationaux, contrainte de la mauvaise foi des médias, contrainte du conservatisme des Français.
La démocratie suppose enfin une identité entre gouvernés et gouvernants. Or deux Français sur trois, aujourd'hui, affirment avoir du mal à se reconnaître dans un parti ou dans un homme politique. Multiplication des affaires et impunité des dirigeants impliqués dans des scandales financiers nourrissent la désaffection croissante des Français pour la vie politique.
En mutation continue, la démocratie est sans cesse à réinventer.
Qu'on ne se méprenne pas, cependant. Sévère, ce constat n'est synonyme ni de fatalité, ni de résignation. La Démocratie est, par nature, inachevée : elle est d'abord et avant tout un mouvement, un questionnement permanent de ses finalités et de ses méthodes. Ce questionnement, le peuple le veut et souvent le provoque, comme lors des manifestations de décembre 1995 peuple n'est pas devenu aphone, ce sont ses représentants qui sont sourds ».
Car ce ne sont pas tant les Français qu'il faut réconcilier avec leurs institutions, que les institutions qu'il faut rapprocher d'eux. Il faut faire franchir à la démocratie française, à bien des égards immatures, une étape nouvelle. Il faut rompre avec notre tradition de méfiance à l'égard des libertés des citoyens, des corps intermédiaires et des contre-pouvoirs.
Tel est l'enjeu, qui sous-tend la consolidation de notre démocratie à l'aube du XXIe siècle. C'est là un débat auquel toutes les sensibilités politiques doivent apporter leur contribution. Celle des socialistes, au terme d'une profonde réflexion, est désormais prête.
Elle comprend trois grands axes développés dans notre convention sur « Les acteurs de la démocratie ».
Conforter les contre-pouvoirs – équilibre des médias, indépendance et respect de la justice, instauration d'un véritable statut de l'opposition – pour asseoir la régulation démocratique.
Moderniser les institutions politiques et la représentation des citoyens – limitation de la durée du mandat présidentiel, renforcement des pouvoirs du Parlement, introduction d'une dose de proportionnelle, limitation du cumul des mandats, transparence du financement des partis politiques, rôle des femmes – pour régénérer notre vie politique et entrer de façon résolue dans le millénaire prochain.
Relancer la citoyenneté — participation réelle et active de nos concitoyens aux décisions qui les intéressent, à travers leur information, le soutien à la vie associative et à la citoyenneté dans l'entreprise pour refonder le pacte républicain.
Au seuil du XXIe siècle, les citoyens refusent de voir leurs espérances méprisées, refusent l'indigence du débat d'idées, refusent de se voir cantonnés à un rôle politique accessoire. Les citoyens souhaitent un renouveau de leur vie politique et veulent approfondir la Démocratie.
Les Socialistes, dès aujourd'hui, sont prêts à répondre à cette attente partagée et à engager l'indispensable mouvement du progrès.
- BRICE LALONDE, Président de Génération Écologie
La démocratie française indissociable d’un progrès pour la nation
Le monde a besoin d'un peuple indépendant qui contribue à ordonner sa marche. Ce peuple, c'est peut-être la France, tant il est vrai que la démocratie, dans notre pays, est inséparable d'un projet pour la nation.
Dans ce qu'elle a de singulier, la démocratie française est toujours marchandage avec le colbertisme. On s'adresse plus volontiers au ministère qu'au Parlement. Et sur le ton de la révérence. Toutefois Colbert est plus hésitant sur la marche à suivre tandis que la confusion croissante entre la politique et la haute administration transforme le corps d'élite en noblesse indécise. Même les premiers de la classe ne sont plus ce qu'ils étaient, ayant perdu trace du terroir pour se fondre dans les beaux quartiers et Je parler pointu. Loin de la Cour où se pressent ceux qui doivent se montrer, amis des Arts et des journalistes, le territoire est encombré d'un fouillis de collectivités et structures, avec leurs notables, qui rappelle l'enchevêtrement du Moyen-Âge. À l'étage au-dessus, le désordre européen n'est pas moins opaque, dans l'attente de quelque Messie. Le passant découvre au bord des ronds-points qui marquent notre époque des panneaux vantant l'action des seigneuries modernes : « Ici le conseil général, le conseil régional, la DDE, tel Fonds européens investissent pour votre avenir ». Pour le contribuable la puissance publique reste encore une, en dépit de ces efforts de communication désordonnés.
Le modèle est pourtant brouillé à cause. Du fouillis. Et parce que les cantons, départements et sénateurs ne correspondent plus aux agglomérations urbaines. Absence de patron d'un côté, monarchie de l'autre, on en vient à douter du colbertisme s'il n'est plus légitimé par l'efficacité, la clarté, l'équité ! Autant s'en remettre aux rapports de force ou à la débrouillardise. La politique finit par désintéresser, la société se construisant ailleurs. Peut-être est-ce le moment d'asseoir la démocratie sur le peuple tout entier, dès lors que les prêtres n'y suffisent pas. La force de la France ne repose pas uniquement sur son élite, surtout si celle-ci s'abâtardit en noblesse, mais sur chaque citoyen, plus instruit, plus informé, plus disponible que naguère. Renforcer les pouvoirs du citoyen, voilà le programme...
Dans ce qu'elle partage avec les autres démocraties, la France n'échappe pas aux questions nouvelles introduites par la technologie. Par exemple la télévision. Son arrivée a bousculé la Constitution plus que toutes les révisions parlementaires réunies. Il est pire de ne pas être vu à l'écran au Palais Bourbon. Ce qui n'est pas montré n'existe pas. Le quatrième pouvoir façonne la représentation du monde de nos contemporains, il est donc devenu le premier. Mon idée naïve de la politique la conçoit comme l'art de poser et résoudre les problèmes de la société. J'ai vite appris qu'elle était plutôt le métier de se faire élire à la prochaine élection et qu'elle devenait pour partie le privilège de « passer à la télévision » sans que des règles bien sérieuses en contrôlent l'exercice.
Également nouvelle est la puissance des outils modernes, qui permet ici de raser un quartier, là de bâtir une ville nouvelle, parfois de laisser des déchets pour l'éternité) et désormais de créer des chimères mi-chèvre, mi-chou, voire des clones de savant ou de dictateur. La démocratie est bien en peine d'organiser le choix des techniques, des aménagements, des recherches. Persuadé que tout est bon au royaume de Prométhée, surtout s'il est ingénieur de l'État, elle laisse aux groupes de pression le soin de trancher. Beaucoup de Français sont donc privés du droit de maîtriser leur environnement quotidien, à plus forte raison de contribuer au monde du siècle prochain. Les savants fous, les Ponts et Chaussées, les professionnels y veillent à leur place, sans que la politique y trouve à redire. L'écologie réclame un nouveau chapitre dans l'histoire de la démocratie : dès lors que l'environnement devient artificiel, par quelles procédures le choisit-on ?
Pour autant je crois moins au succès d'un hypothétique modèle de démocratie française qu'aux Français eux-mêmes, dans leur aventure séculaire à la surface d'une planète dont ils sont l'un des sels. Peut-être sommes-nous à la veille d'une de ces secousses révolutionnaires qui suppléent à notre paresse réformatrice, notre démographie engourdie, notre provincialisme résigné. Le monde a besoin d'un peuple indépendant qui contribue à ordonner sa marche. Ce peuple, c'est peut-être la France, tant il est vrai que la démocratie, dans notre pays, est inséparable d'un projet pour la nation.
- JEAN-FRANÇOIS MANCEL, Secrétaire général du R.P.R.
Réveiller la démocratie
Qu'on ne s'y trompe pas, la démocratie ne trouve sa légitimité que dans les choix des peuples et dans la volonté de ceux qui les incarnent. Jacques Chirac a eu bien raison d'en faire l'un des thèmes majeurs de sa campagne. Notre démocratie avait bien besoin du retour des politiques.
La démocratie est un mot terrible. Depuis son invention, combien d'hommes sont morts pour elle, combien de pages de l'Histoire de l'humanité lui ont été consacrées, combien d'espérances elle a suscitées, combien de déceptions elle a engendrées !
Quoi qu'il en soit, elle n'en demeure pas moins aujourd'hui le meilleur type d'organisation et de fonctionnement pour les États-Nations, même si elle doit être sans cesse adaptée aux peuples et aux pays qui ont choisi de la pratiquer. Il en maintien de démocratie justifie sans cesse qu'elle se renouvelle, qu'il s'agisse de connaissance comme de son exercice.
Commençons donc par son apprentissage, domaine dans lequel nous sommes, hélas, totalement défaillants. Comment reprocher à l'électeur adulte son peu d'empressement dans l'exercice de la démocratie, lorsque l'on constate le peu de cas que fait l'école de la République de son apprentissage. Nous nous satisfaisons du cours d'initiation civique et nous nous réjouissons d'envoyer chaque année, et encore depuis peu, 577 petits Français siéger une journée à l'Assemblée Nationale. À ce rythme, encore quelques générations et la démocratie se déclinera au passé dans les cours d'Histoire. Il est temps de se ressaisir et de profiter de la réforme globale de notre système éducatif dont le Président de la République a fait, à juste titre, un de ses engagements les plus solennels, pour y introduire l'apprentissage de la citoyenneté. Non pas comme une matière annexe, mais comme l'un des trois piliers autour desquels doit s'organiser la formation des jeunes : apprendre à être citoyen, acquérir une culture, préparer une vie professionnelle. Gageons que si ce principe était arrêté) sa mise en œuvre accomplie par une ouverture croissante et diversifiée sur tous les aspects de la démocratie, nous aurions à l'âge de la majorité, des citoyennes et des citoyens qui apporteraient au fonctionnement de nos institutions le dynamisme et la force qui lui manquent parfois.
Apprendre la démocratie est une chose essentielle, la vivre quotidiennement l'est tout autant. Or, à part quelques exceptions non négligeables, il faut bien reconnaître que le traitement de l'information, tout particulièrement à la télévision, compte tenu de son impact, n'apporte que bien peu à la qualité de la connaissance quotidienne de la vie démocratique. Où sont les grands débats, où sont les analyses de fond, où est la pédagogie de la démocratie qui prolongeraient l'apprentissage scolaire et universitaire ? Et que l'on ne vienne pas nous dire que l'on n'intéresserait pas les téléspectateurs en regardant la démocratie par autre chose que le petit bout de la lorgnette. Nous ne manquons pas de talents susceptibles d'intéresser les Français à la monnaie unique) à la défense nationale, ou à la politique étrangère. Et n'est-ce pas là une vraie mission de service public, plutôt que de courir après l'audimat en copiant les « trucs » du secteur audiovisuel privé ? Une chose est sûre, on peut faire beaucoup mieux.
Supposant apprise et connue la démocratie, encore faut-il améliorer les conditions de son exercice. Constatons d'abord que la décentralisation, qui était un excellent approfondissement de la démocratie, s'est arrêtée en chemin. Il faut donc reprendre la réflexion, et retrouver l'esprit de réforme, dans le cadre d'une approche globale qui consiste à analyser chaque compétence publique et à l'attribuer au niveau d'administration territoriale (commune, département, région, État) le plus apte à l'exercer efficacement et démocratiquement. Ce serait sans aucun doute l'occasion de surmonter, à travers cette redistribution des compétences publiques, bon nombre des obstacles qui grèvent d'archaïsmes notre société démocratique et donnent si souvent au citoyen le sentiment qu'il n'est pas écouté et que, même s'il l'est, on agit différemment de ce qu'il attend. Une réforme de fond de l'État devra accompagner cette nouvelle répartition des tâches. L'État doit être l'acteur essentiel de la vie démocratique à condition que la volonté politique lui en donne la capacité. Son hypertrophie actuelle, sa lenteur à s'adapter aux mutations sociales, ses moyens figés dans des corporatismes d'un autre âge, sont autant d'obstacles à l'exercice de sa mission.
Enfin, tant que l'on n'aura pas le courage d'expliquer aux Français que la démocratie a un coût et que si l'on veut que les formations politiques participent réellement et d'une manière moderne à l'expression du suffrage universel, il faut leur en donner les moyens, nous continuerons de « bricoler ». Est-il conforme à nos idéaux démocratiques qu'un candidat aux élections législatives dispose de moyens financiers inférieurs pour communiquer ses idées à ceux d'une grande surface pour vendre la dernière marque de pâtes alimentaires ? Est-il équitable qu'un élu local dispose de moins de facilités à l'égard de sa vie professionnelle pour exercer son mandat qu'un délégué syndical ? Est-il normal que la première formation politique française perçoive au titre de l'aide de l'État le dixième de ce qui est versé au comité d'entreprise d'une grande entreprise publique ? À force de restreindre les moyens des formations politiques, des élus et des candidats, au nom d'on ne sait qu'elle vision passéiste fondée sur la ridicule pureté démocratique du retour au préau d'école, on finira par leur ôter la capacité à s'exprimer dans le langage et avec les méthodes du XXIème siècle : c'est le meilleur moyen d'enterrer la démocratie.
Bien d'autres pistes sont envisageables pour réveiller, accroître, conforter notre vie démocratique. Encore faut-il avoir la volonté et le courage de les emprunter après les avoir découvertes et défrichées. Ce n'est pas si facile dans un système politique où le poids de la technostructure s'est emparé peu à peu des leviers de commande abandonnés par ceux qui devaient les manœuvrer. Qu'on ne s'y trompe pas, la démocratie ne trouve sa légitimité que dans les choix des peuples et dans la volonté de ceux qui les incarnent. Jacques Chirac a eu bien raison d'en faire l'un des thèmes majeurs de sa campagne. Notre démocratie avait bien besoin du retour des politiques.