Interview de M. Lionel Jospin, premier secrétaire du PS, à France-Inter le 18 février 1997, notamment sur le projet de loi Debré sur l'immigration, la victoire du Front National à Vitrolles, l'emploi des jeunes, l'Union économique et monétaire, la violence en Algérie.

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Média : Emission Qu'en dites-vous ? - France Inter

Texte intégral

M. Hees : Lionel Jospin merci d’abord d’avoir accepté l’invitation de la rédaction de France Inter ce matin, et puis merci également d’avoir accepté de répondre aux auditeurs de France Inter en direct, tout à l’heure, après la Revue de presse, et jusqu’à 9 heures...

On va d’abord parler de l’actualité, si vous le voulez bien, et donc de cet avant-projet de loi qui agite si fort, pas seulement les milieux politiques, j’allais dire Monsieur Jospin mais aussi toute une catégorie de Français qu’on n’avait peut-être pas beaucoup entendue ces derniers temps, les intellectuels et les artistes.

Vous avez attendu jusqu’à hier  j’allais dire hier seulement  pour demander à Alain Juppé de retirer cet avant-projet de loi. Est-ce que cela veut dire que c’est à nous citoyens, de temps en temps, Monsieur Jospin, de faire le travail quand la machine politique bloque ? Et la question je vais la poser plus clairement si vous le voulez : Est-ce qu’il faut désobéir civiquement sur un projet comme celui-ci ?

M. Jospin : C’est deux questions tout à fait différentes. Convenez-en. Sur la première, moi je n’ai pas une vision figée et totalement homogène et unifiée de la société, c’est-à-dire que je ne pense pas que, quand les politiques s’expriment, les créateurs, les intellectuels ou tout simplement les citoyens n’ont qu’à se taire et que, quand les créateurs estiment qu’ils ont quelque chose à dire de fort parce qu’ils le ressentent fortement, cela signifie que les politiques n’ont rien à dire.

Nous sommes dans une société démocratique et, dans une société démocratique, il y a des hommes et des femmes qui sont aux responsabilités différentes, parfois même certains qui ne sont pas en responsabilités, et qui expriment ce qu’ils ont à dire. Heureusement qu’on est comme cela parce que sinon on serait dans des sociétés qui tendraient à être totalitaires.

Donc, les socialistes se sont opposés au projet de loi Debré à l’assemblée...

M. Hees : Pas beaucoup...

M. Jospin : Non, pas beaucoup quantitativement, c’est vrai, pour un certain nombre de raisons. C’était la fin de l’année. Ce n’est pas un hasard, je crois, si le Gouvernement a mis ça juste quelques jours avant Noël. D’ailleurs, la majorité n’était pas très mobilisée non plus.

Pas suffisamment présents, c’est vrai, mais en tout cas leurs positions ont été claires et, au Sénat, ils se sont  quand le texte est venu devant le Sénat  exprimés très clairement. Et puis, il y a un certain nombre de créateurs, surtout sur une disposition particulière qui les a touchés au cœur, qui se sont exprimés. Et moi je m’exprime. Voilà la réalité.

M. Hees : Mais, Lionel Jospin, je suis citoyen aussi. Si je ne suis pas d’accord avec cet avant-projet de loi, qu’est-ce que je dois faire à votre avis ? Je demande conseil au responsable du Parti socialiste. Est-ce que je dois désobéir civiquement ?

M. Jospin : D’abord, je suis sûr qu’en tant que citoyen, vous savez former votre jugement vous-même ou en tout cas c’est l’espoir qu’on peut faire. Je vous donne ma réponse à moi.

Ma réponse, elle est double. Je suis le même homme et en même temps je suis quelqu’un de double, c’est-à-dire que je suis à la fois un homme politique, un responsable, et un citoyen, un homme privé.

Ma réponse, elle est claire. En tant que politique  je ne suis pas à l’assemblée aujourd’hui, je peux y être peut-être demain  en tout cas, si je suis législateur, mon rôle n’est pas d’appeler à la désobéissance civique, mon rôle est de faire la loi. Si la loi ne me paraît pas juste, de l’amender, si la loi me paraît dangereuse ou inique, de l’abroger. Voilà ma responsabilité en tant qu’homme public et c’est celle-là que j’assume et c’est celle-là que je préconise.

Maintenant, il y a Lionel Jospin chez lui, dans sa maison, comme citoyen, comme homme privé. Personne ne peut imaginer qu’un homme comme moi, par exemple, recevant un ami étranger et celui-ci quittant mon foyer, j’aille le déclarer à un quelconque service.

M. Hees : Donc le citoyen Jospin désobéirait à ce genre de loi.

M. Jospin : Je voudrais faire remarquer que la loi, pour le moment, n’est pas votée. C’est un projet. Je pense que le cri qui a été lancé par un certain nombre d’hommes et de femmes est un appel au gouvernement de ne pas les mettre dans cette situation de contradiction, que ce cri est juste.

D’abord sur le plan de la conscience. Enfin, chacun sait bien que, quand on reçoit quelqu’un chez soi, ce n’est pas ensuite pour le déclarer à un service. Un homme de bien ou une honnête femme, comme on disait au XVIIe siècle, d’instinct sent que ces choses-là ne se font pas, et qu’un gouvernement démocratique ne devrait pas appeler à ce type de méthode, ne devrait pas développer ce type d’état d’esprit.

Et puis sur un plan plus juridique, sur le plan du droit, les citoyens dans une démocratie ont droit au respect de leur vie privée. Et avec ce texte, du moins avec une partie de ce texte, paradoxalement, il y a dans le texte de la loi Debré quelques dispositions positives. Je le dis parce qu’il faut quand même être à la fois honnête intellectuellement et puis expliquer clairement les choses à vos auditeurs, quelques parties positives et, l’essentiel, des parties négatives.

Avec ce texte, qu’est-ce qu’on constate ? On constate que la démarche qui consiste à restreindre sans cesse le droit des personnes étrangères en France aboutit insensiblement un jour à poser le problème de la restriction des libertés pour les Français eux-mêmes. Et cette mesure, elle est au cœur de cette transition. Parce que, comme on veut contrôler des gens, alors on demande à ceux qui les hébergent, et donc potentiellement des Français, eux aussi, de livrer en quelque sorte leur vie privée pour une inefficacité totale. Parce que, par ailleurs, si quelqu’un vient chez quelqu’un, qui s’en va, que vous le déclariez ou pas, qu’est-ce qui l’empêche, s’il veut aller dans la clandestinité, d’aller dans la clandestinité ?

Donc cette mesure, en ce qui concerne l’immigration illégale, est nulle d’efficacité. Mais son état d’esprit est détestable. Et c’est pourquoi, un mouvement s’est exprimé et, moi, le laissant s’exprimer, d’abord parce que je n’ai pas à m’en faire le mentor, ensuite parce que je trouve qu’il est bon, y compris pour le Gouvernement, qu’il entende que d’une certaine partie de la société, qui n’est pas après tout négligeable, se disent un certain nombre de choses. Et, il faut que ce débat s’exprime. Il faut que, cette pensée, on l’entende à un certain moment.

Effectivement, je dis mon sentiment et, nous, nous sommes contre ce texte. J’ai dit que, si nous étions aux responsabilités, nous l’abrogerions tant ces dispositions sont contestées et contestables. Mais surtout, je dis au gouvernement sur ce point au moins : « Vous n’êtes pas obligé de partager nos positions à nous, opposition, mais sur ce point, au moins, ayez la sagesse de le retirer », d’autant qu’il n’est pas sûr que cela passera la censure du Conseil constitutionnel. Je dis : il n’est pas sûr, parce que le Conseil constitutionnel prendra sa décision librement.

M. Le Marc : Lionel Jospin, vous souhaitez, dites-vous, aborder clairement et sainement le problème de l’immigration. C’est un sujet qui préoccupe les Français et depuis longtemps. Comment se fait-il que le P.S. n’ait pas encore conduit sa réflexion sur ce point et n’ait pas proposé de politique ? Est-ce que c’est un sujet qui divise les socialistes ?

M. Jospin : Ce n’est pas un sujet qui divise les socialistes, encore qu’il peut y avoir chez les socialistes des sensibilités différentes sur ce sujet  on peut le comprendre  par contre, c’est un sujet extrêmement difficile. Je pense que le Gouvernement ne l’aborde pas de la bonne façon, d’abord parce qu’il ne nous parle finalement plus jamais de politique d’immigration. On n’a pas un débat autour de la politique de l’immigration de la France, on a un débat autour de textes qui se durcissent sans cesse, qui visent à limiter un certain nombre de droits, mais on n’a pas un débat sur les problèmes d’immigration.

Ces textes se durcissent sans cesse et je reviens un instant sur la question de la désobéissance civique. Il faudrait quand même rappeler une chose. Par rapport au texte d’origine Méhaignerie-Pasqua qui, vous vous souvenez, mettait des catégories de la population dans une situation inextricable, sur le plan juridique et personnel, notamment, par exemple  pour prendre un exemple simple  les parents étrangers d’enfants français qui, selon la loi, ne pouvaient pas être régularisés, mais qui ne pouvaient pas non plus être expulsés, et qui étaient donc mis par la loi dans une situation d’irrégularité  ce qui est quand même un comble du point de vue du législateur  qu’est-ce qu’a fait le Gouvernement ? Il a envoyé des instructions à ses préfets pour leur dire : « N’appliquez pas la loi » ? C’est-à-dire que c’est le Gouvernement lui-même qui avait fait la loi qui invitait à la désobéissance civique. Alors vous voyez que cela complique un peu le débat.

Je termine. La politique du Parti socialiste doit, à mon sens, non pas être une politique qui, sans cesse, durcit des textes qui n’ont pas de rapport direct avec le problème de l’immigration en France, il est de définir une politique pour l’immigration. Et c’est pourquoi, effectivement, nous prenons un certain temps et nous réfléchissons à l’ensemble de ces problèmes.

M. Le Marc : Faut-il lutter ou non contre l’immigration clandestine ?

M. Jospin : Attendez, je termine. Je termine d’un mot sur votre première question. Moi, je ne veux pas trancher ce débat parce que nous l’avons actuellement, collectivement. Nous avons une commission qui travaille sur ces problèmes. Puis, nous allons nous en saisir, la direction du Parti socialiste, et faire nos propositions dans un délai d’un mois et demi, deux mois, donc, largement, de toute façon, avant que la question de nos responsabilités éventuelles soit posée.

Il me semble qu’il faut changer d’approche. Il ne faut plus être sur : on durcit sans cesse une législation qui concerne les immigrés irréguliers ou pas irréguliers, il faut définir une politique de l’immigration. Et, je verrais assez bien une loi-cadre sur l’immigration et définissant la politique de l’immigration. Cela passe par quoi ? Cela passe par une lutte résolue  et je viens sur votre deuxième question  contre l’immigration clandestine. Il faut pouvoir distinguer ceux des étrangers qui sont en France en situation régulière et ceux qui sont en situation irrégulière. Il faut lutter contre cette immigration clandestine.

M. Hees : Mais Lionel Jospin, est-ce qu’il y a cette tentation sécuritaire au sein du Parti socialiste comme on la sent dans les autres partis, les partis de la majorité en ce moment ? On a l’impression que c’est, cela, le débat.

M. Jospin : Je ne sais pas ce que c’est que la tentation sécuritaire...

M. Le Marc : Ou électoraliste...

M. Jospin : La tentation électoraliste, elle existe toujours mais c’est une autre affaire. Mais sur la tentation sécuritaire, je ne sais pas ce que cela veut dire. Ce que je sais simplement c’est que, si on utilise les termes de 1789 : la sûreté est une des libertés fondamentales. Les citoyens, les citoyennes, y compris d’ailleurs ceux qui ne le sont pas, c’est-à-dire, les étrangers sur notre sol, ont droit à la sûreté. Ils ont donc droit à la sécurité pour employer un terme moderne.

Moi, je suis attaché à ce que cette sécurité soit assurée. Elle ne se pose pas d’ailleurs à mon sens spécifiquement ou seulement sur le terrain des rapports avec l’immigration. Donc, voilà comment je réponds sur cette question de la sûreté.

Sur le problème de l’immigration, il faut, à mon sens, lutter contre l’immigration clandestine mais, plutôt que de durcir des textes dont on constate qu’ils ne sont jamais efficaces, nous, nous préconisons de centrer l’action, par exemple, sur l’organisation du travail clandestin. Parce que c’est là qu’on pourra tarir des flux importants. Or, ce n’est absolument pas ce qui est recherché par le Gouvernement. Au lieu d’essayer de tarir les sources en démantelant, en centrant l’action, par exemple, contre le travail clandestin, il durcit les situations individuelles sans obtenir de résultat.

Il y a un deuxième aspect, à mon avis, c’est que le problème de la régulation des flux de l’immigration, je dirais, normale, par des accords notamment avec les pays d’où viennent, en règle générale, les immigrants...

M. Le Marc : Et avec des quotas ?

M. Jospin : ...Soit pays d’Afrique du Nord, soit pays d’Afrique, est au cœur aussi d’une politique d’immigration parce que, si on régule mieux la politique normale d’immigration, je pense qu’on peut limiter, au moins en partie, l’immigration irrégulière.

Et puis, je crois qu’il faut mener des politiques de développement ciblées sur certains pays et sur certaines zones de ces pays d’où viennent traditionnellement un certain nombre de flux d’immigration. Voilà comment il faudrait poser le problème. C’est cela que j’appelle poser sainement le problème de l’immigration.

M. Le Marc : L’idée de quotas vous paraît satisfaisante ou ne peut pas être acceptée... ?

M. Jospin : C’est une question dont nous sommes en train de discuter.

M. Rees : Lionel Jospin, l’immigration est le problème numéro 1 des Français en ce moment, est-ce que le mettre en avant, c’est-à-dire, avant le chômage, depuis quelques jours, depuis Vitrolles en fait  c’est le problème numéro 1 qui nous agite  ne fait pas là finalement le travail du Front national qui fixe lui-même l’agenda politique de la France ?

M. Jospin : Vous êtes en train de faire un examen de conscience ?

M. Hees : Non, je vous pose la question...

M. Jospin : Vous vous interpellez vous-même parce que qui met ces questions sur la table ? D’abord, le Gouvernement, vous me direz.

M. Le Marc : Les intellectuels, en disant que vous ne faites pas votre travail.

M. Jospin : Non, les intellectuels n’ont pas dit que nous ne faisons pas notre travail. Les intellectuels ont dit...

M. Le Marc : C’est implicite dans le discours des intellectuels.

M. Jospin : Vous avez une capacité à traquer l’implicite remarquable... Je vous ai répondu sur ce point. On ne va pas reprendre le débat de façon répétitive. Je vous ai répondu tout à l’heure que dans une société démocratique, chacun doit s’exprimer et chacun doit assumer ses responsabilités.

Je pense qu’il y a deux faits qui, à mon avis, illustrent bien la pertinence de votre question. Il y a eu le sommet pour l’emploi des jeunes. Il y a ce texte sur l’immigration. Ce texte sur l’immigration encombre le calendrier parlementaire. Il provoque un débat et de l’émotion dans l’opinion, et un refus dans une partie de l’opinion.

Et par contre, la question sur l’emploi des jeunes, elle a fait, l’espace d’une journée, d’un sommet à Matignon et là la montagne a accouché  je ne dirais pas d’une souris pour parler comme Monsieur Chirac, ni même d’un mulot pour parler comme Canal Plus  mais a accouché de deux mesures qui ne sont absolument pas à la hauteur de l’enjeu, qui sont, d’une part, augmenter le nombre des stages faits dans le cadre universitaire sous forme de première expérience d’entreprise, et, d’autre part, d’augmenter de 100 000, je crois, l’objectif qu’on se fixe pour des formations en alternance, c’est-à-dire, se faisant à la fois dans les universités ou dans les lycées et dans l’entreprise. Ce qui n’est absolument pas à la hauteur des problèmes de l’emploi des jeunes.

Je crois que la préoccupation principale des Français est le chômage et qu’on ne luttera pas contre le Front national si on ne mène pas des politiques économiques et sociales différentes de celles qui sont menées.

M. Hees : Lionel Jospin, on va y revenir dans un instant avec Brigitte Jeanperrin, sur cet aspect social, sur le chômage, mais je voudrais qu’on en finisse avec le Front national.

Il y a eu une accélération avec l’élection de Madame Mégret à Vitrolles. Vous parliez d’examen de conscience tout à l’heure, est-ce que vous faites votre examen de conscience, vous socialistes, par exemple, 15 jours après, enfin 8 jours après, non, 2 jours après  pardonnez-moi, parce que Madame Mégret a été officiellement élue dimanche  l’élection d’un maire Front national à Vitrolles ? Est-ce que vous vous dites : on a une grande part de responsabilités, nous socialistes et notamment la fédération socialiste des Bouches-du-Rhône ?

M. Jospin : Alors chacun doit prendre ses responsabilités dans cette affaire. La gauche et les socialistes. La droite. Et peut-être aussi les médias, c’est-à-dire, ceux qui contribuent à faire l’opinion.

M. Hees : Nous ?

M. Jospin : Oui ! Écoutez, il faut accepter quand même...

M. Hees : Je vous écoute attentivement, Monsieur Jospin.

M. Jospin : Il ne faut pas vous crisper à chaque fois, vous êtes, non pas un pouvoir au sens de ce que sont les pouvoirs  l’État, la justice, le Parlement, le pouvoir économique  vous êtes le pouvoir du contre-pouvoir, et heureusement que vous êtes là, en plus. Heureusement ! Mais néanmoins, vous jouez un rôle dans la vie politique et civique. Vous devez accepter vous-mêmes les interpellations. Alors pardonnez-moi si je suis, sur ce sujet, amené à le faire.

Responsabilité des socialistes ? Je pense que le candidat que nous avons présenté à Vitrolles n’était pas le meilleur. Je pense que, en même temps, il n’était pas inattaquable, disons. Encore que j’ai été fâché de voir que, quand même, la presse, alors qu’elle se disait inquiète par le risque de la victoire du Front national, a passé toute la campagne à taper sur Anglade et a épargné totalement le couple Mégret, avec quand même un phénomène incroyable qui est qu’un homme qui avait été déclaré inéligible pouvait mener campagne à travers son épouse. Ce qui, quand même, était un phénomène de trucage, de manipulation, par rapport à la démocratie qui aurait dû être mis en lumière.

Il faut savoir que Jean-Jacques Anglade, quels que soient ses défauts, a été sous le coup d’une campagne de tracts menée par des gens qui n’étaient pas de Vitrolles, qui venaient de l’extérieur, comment dirais-je, des militants du Front national, une campagne de calomnies extrêmement violente qui n’a pas épargné sa famille. Et c’est quand même sur lui plutôt qu’on a tapé. Mais nous, notre responsabilité elle est sans doute que cet homme n’était pas totalement inattaquable.

Honnêtement, et je continue à parler honnêtement, il était difficile pour nous d’improviser un autre candidat. Il était le candidat sortant. Il avait gagné dans l’élection qui avait été annulée, et ce n’était pas sa propre élection qui avait été mise en cause d’ailleurs. Mais, je pense que la situation est liée aussi au fait qu’il y a des problèmes d’insuffisante rénovation du mouvement socialiste dans cette région Provence-Côte d’Azur et, en particulier, dans cette fédération des Bouches-du-Rhône.

J’ai dit aux socialistes récemment, et avant même l’élection de Vitrolles, que le processus de rénovation du Parti socialiste que j’ai entrepris se ferait partout, pas simplement au sommet, pas simplement dans certaines régions, mais également dans d’autres régions et également dans la fédération des Bouches-du-Rhône.

Et ce mouvement de rénovation s’appliquera à la fédération des Bouches-du-Rhône. Les dispositions, à cet effet, seront prises dans les semaines qui viennent.

Mais, il y a un élément de responsabilité qui est celui de la droite : Pourquoi y a-t-il un maire Front national à Vitrolles ? Tout simplement parce que, à la différence de ce que nous avons fait à Dreux  un appel très clair à voter pour le candidat RPR afin de faire barrage à Madame Stirbois  les appels en direction du maire socialiste sortant, de la part de la droite, n’ont pas été clairs et parce que l’électorat de droite ne s’est pas reporté en direction du candidat socialiste. C’est-à-dire que, si les électeurs des partis de droite à Vitrolles avaient reporté massivement leurs voix sur le candidat socialiste, Madame la représentante de son mari ne serait pas maire, aujourd’hui, à Vitrolles. Donc, il y a aussi une responsabilité de la droite de ce point de vue.

M. Hees : Lionel Jospin, je vous remercie. On se retrouvera après le journal de 8 heures.

M. Courchelle : Journal.

Nicolas Sarkozy, hier soir, sur France 2. Une réaction, Lionel Jospin, à ces propos de Nicolas Sarkozy ?

M. Jospin : Je pense que le pas suggéré par Monsieur Sarkozy, qui consiste à ce que ce soit l’administration et non pas les maires qui ait la responsabilité des certificats d’hébergement, est quelque chose que nous préconisons nous-mêmes. Mais, je pense qu’il ne répond pas au réel problème qui est le problème de la déclaration après le départ, avec le risque de la délation, on le dit, et le risque aussi d’un fichier des hébergeants. Parce que, pour pouvoir faire des sanctions, il faut faire un fichier des hébergeants, c’est-à-dire, finalement ficher certaines catégories de Français, voire d’étrangers vivant en France.

M. Courchelle : Suite et fin du journal.

M. Hees : Je rappelle que Lionel Jospin est notre invité ce matin et qu’il répondra tout à l’heure, après la Revue de presse, aux questions des auditeurs de France Inter.

Nous avons évoqué déjà l’hébergement des étrangers. Vous avez dit que le Premier ministre serait bien inspiré, finalement, de retirer l’avant-projet de loi Debré sur l’immigration. On a parlé de Vitrolles, on a parlé du Front national ; j’aimerais qu’on reste encore deux minutes sur le Front national. Comment fait-on reculer Jean-Marie Le Pen ? Est-ce que cela passe simplement par une amélioration de la situation économique et sociale en France quand les sondages nous disent que pour un Français sur deux, finalement, le Front national est un parti comme les autres ? Qu’est-ce que vous inspirent les résultats de ce sondage ? Bien sûr, on parle de sondage, mais tout de même !

M. Jospin : Le sondage témoigne à la fois d’une hostilité, d’un rejet au Front national comme force politique et puis d’une certaine perméabilité d’un certain nombre des thèmes qu’il développe. C’est généralement ce que disent tous les sondages. Ce qui m’intéresse peut-être davantage que ce sondage, c’est la question, vous-même, que vous posiez. Je crois qu’on ne répondra pas véritablement aux problèmes que se posent les Français, par là même, on ne répondra pas à la démagogie de l’extrême-droite, si on reste concentrés simplement sur la question de nos rapports avec les autres.

Vous vous souvenez que Musset a écrit une jolie pièce, un proverbe qui s’appelait : « il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée », si on se préoccupe constamment de la question de savoir s’il faut ouvrir ou pas ouvrir la porte, et de combien, et qu’on ne s’occupe pas fondamentalement de ce qui passe dans la Maison, à l’intérieur de la Maison commune qui s’appelle la France, on n’avancera pas. Donc, il ne faut pas continuer à se focaliser sur ce problème, même si ce problème doit être traité, et je l’ai dit, globalement, par une politique de l’immigration à laquelle nous travaillons.

Donc, il me semble que c’est sur les questions économiques et sociales, la politique économique et sociale que l’on choisit, c’est sur les questions qui touchent à l’identité nationale, qu’est-ce que la France aujourd’hui ? qu’est-ce que cela veut dire : vivre ensemble à l’intérieur de ce territoire ? autour de quelles valeurs ? le sens qu’on donne à la construction européenne ? la place que nous y prenons, la façon dont l’Europe s’affirme face au reste du monde ? c’est autour de ces grandes questions, à mon avis, qu’on peut redonner aux Français le sens d’un projet, le sens d’une perspective et marginaliser progressivement l’extrême-droite.

M. Hees : Nous allons évoquer ces deux questions avec Brigitte Jeanperrin et Ralph Pinto. Tout d’abord, une courte question de Pierre Le Marc.

M. Le Marc : Dans les résultats de Vitrolles, il y avait deux messages : celui de la rénovation, vous en avez parlé en disant que le PS allait s’y attaquer...

M. Jospin : ...Non, il s’y est déjà attaqué. Parce que, à la veille de Vitrolles, je rappelle...

M. Le Marc : Une partie de sa fédération.

M. Jospin : ...que tous les médias ont souligné, et je m’en suis félicité, qu’une très forte rénovation s’était engagée au sein du Parti socialiste qui, pour les prochaines élections législatives, présenterait près de la moitié de candidats nouveaux par rapport à 1993 et qui, par ailleurs, présenterait aux élections législatives, 30 % de femmes. Donc, cette rénovation est en cours. Mais, elle doit se faire partout, y compris là où elle n’est pas encore suffisamment engagée.

M. Le Marc : Dont acte, elle sera complétée.

Le second message était celui de l’assainissement de la représentation politique. Y a-t-il, au Parti socialiste, une réflexion sur l’attitude à adopter à l’égard des candidats impliqués dans les affaires de la justice ?

M. Jospin : J’imagine que nous aurons très peu de candidats qui seront impliqués dans des affaires de justice.

M. Hees : C’est-à-dire ?

M. Jospin : Et, de toute façon, nous fonctionnons aussi selon la présomption d’innocence. Il faut que vous vous rappeliez tout de même comment j’ai mené campagne, sur quels thèmes j’ai mené campagne. Je pense que, lorsque nous menons campagne contre le cumul des mandats, quand je mène campagne pour l’indépendance de la justice, parce que je rappelle que pendant la campagne présidentielle j’ai demandé que le lien soit coupé entre le pouvoir politique et le parquet, que, par exemple, j’ai eu l’occasion publiquement de souligner l’intérêt qu’avait pour moi l’appel d’un certain nombre de juges européens qui a été lancé pour mettre en place une lutte résolue à l’échelle de l’Europe contre le blanchissement de l’argent sale et des phénomènes de ce type, pour affirmer l’indépendance de la justice, c’est-à-dire que je prends un certain nombre de positions dans le débat public français sur les questions essentielles qui, à terme, aboutiront à un assainissement véritable de la vie publique française.

Je rappelle encore que le Parti socialiste est un parti qui se conforme entièrement, du point de vue de son financement, à la législation. Quand je vois les comptes des partis qui sont donnés, que je sais que, par exemple, le RPR a eu une manne publique considérable, normale d’ailleurs, à la mesure du nombre de ses députés aujourd’hui, et que, en même temps, il présente ses comptes avec un déficit de plusieurs millions de francs, je dois dire que je m’étonne et j’aimerais bien qu’on interroge le RPR pour savoir pourquoi il est en déficit et comment il finance ce déficit ?

Le Parti socialiste, aujourd’hui, finance son activité publique exclusivement à l’intérieur de la dotation publique qu’il reçoit et puis de la cotisation de ses militants.

M. Hees : Vous nous donnerez vos chiffres et puis nous interrogerons le RPR.

M. Jospin : Les chiffres ont été publiés. Vous pouvez les trouver.

M. Hees : Nous les regarderons de plus près.

Mme Jeanperrin : À propos du sommet sur l’emploi des jeunes, tout à l’heure, vous disiez que la montagne avait accouché d’une souris. En quoi est-ce ridicule de penser qu’un contrat d’expatriation peut pousser les jeunes à aller vers les métiers de l’exportation qui sont nécessaire ? En quoi est-ce ridicule que l’université doit s’ouvrir à l’alternance et au monde de l’entreprise ? En quoi, en fait, votre politique, à vous, de vouloir pousser les entreprises à embaucher 500 000 jeunes et faire 300 000 contrats aidés est si différente de la politique actuelle ? C’est toujours la même boîte à outils qu’on utilise depuis 15 ans.

M. Jospin : D’abord, je n’ai pas dit qu’il était ridicule de proposer des contrats d’expatriation, je n’en ai parlé tout à l’heure. J’ai évoqué la formation en alternance, d’une part, et j’ai évoqué des stages dans le cadre universitaire, d’autre part. Vous savez néanmoins que, si des contrats d’expatriation sont proposés, ils vont concerner quelques centaines, maximum quelques milliers d’individus, donc, ce n’est pas à la mesure du chômage chez les jeunes qui touche plus de 700 000 jeunes, qui touche 25 % des jeunes en état ou en âge d’exercer une activité.

Je dis simplement que développer la formation en alternance, c’est nécessaire, je l’ai fait, moi-même, pendant 4 ans quand j’étais ministre de l’Education nationale. J’ai été le premier ministre en France à organiser un forum qui a mis en contact l’ensemble des branches industrielles et de services et l’ensemble des secteurs universitaires qui leur fournissent des étudiants pour que l’on travaille, justement, dans l’esprit, comment veiller à ce que les formations qui soient données puissent utilement aboutir à des débouchés dans le monde de l’entreprise. Donc, c’est une préoccupation non seulement que j’ai, mais que j’ai traduite sur le terrain.

Mme Jeanperrin : Et, là, ce fameux UPEP, l’ancien stage diplômant, c’est une bonne chose ?

M. Jospin : D’abord, tout le monde considère que c’est une bonne chose parce que c’est une façon de liquider ce qui était le projet initial du gouvernement, à savoir les stages diplômant. Stages diplômant dont tout le monde avait compris que cela serait une mesure qui reprendrait le CIP, c’est-à-dire, où on utiliserait des jeunes à un salaire en dessous du Smic. Cela a au moins réglé ce problème et, de cela, on peut s’en réjouir. C’est le seul aspect positif de ce sommet, me semble-t-il !

Mme Jeanperrin : Mais cela ouvre une porte sur l’université, en fait. L’idée de faire passer ces jeunes vers le monde du travail. C’est une bonne chose, vous l’avez souhaité à votre époque.

M. Jospin : Non seulement on l’a souhaité, mais on l’a fait. Je pense que vous ignorez, semble-t-il, que l’ensemble du monde universitaire qui s’occupe des formations professionnalisées le fait à travers, aussi, des contacts avec les entreprises. Ce ne sont pas des novations, ça. Simplement, au bout d’un moment, qu’on facilite ou qu’on ne facilite pas le contact entre l’université ou les IUT ou les écoles d’ingénieurs ou les écoles commerciales et les entreprises, il faut le faciliter. Au bout d’un moment, le problème est de savoir : est-ce que les entreprises proposent des emplois ? Et donc, il y a ce moment du passage. Et, je constate qu’en France, les entreprises ne proposent pas suffisamment d’emplois à des jeunes, y compris quand ils sont bien formés.

Dans ma permanence d’élus, je reçois des jeunes, Bac +4, Bac +5, non pas formés en psycho, comme on dit traditionnellement, voire en Lettres, mais formés en chimie, dans l’ingéniorat mécanique, par exemple, et qui ne trouvent pas avec des formations excellentes, acquises dans la grande université scientifique toulousaine, qu’est l’université Paul Savatier, de débouchés. Donc, le problème est d’offrir des emplois. Et ce qui distingue la démarche actuelle du gouvernement et celle que nous préconisons, c’est qu’on incite...  d’abord, nous n’avons pas dit que les entreprises devaient créer 500 000 emplois, nous avons suggéré qu’elles en créent 350 000. Il serait de la responsabilité de l’État et des collectivités publiques de créer dans d’autres domaines, emplois de services, emplois sociaux, emplois éducatifs, dans le domaine de l’écologie, dans l’environnement, d’autres emplois  ce que nous voulons, c’est une démarche qui pousse à créer des emplois, pas simplement à faciliter le contact entre le monde universitaire et le monde de l’entreprise.

M. Hees : Je ne suis pas doué pour les mathématiques, Monsieur Jospin, mais tout de même ! On parle de 350 000 emplois, plus 350 000, il restera toujours 3 millions de gens sur le carreau, tout de même. Y a-t-il un seul politique dans ce pays qui se dit : « un jour, je serai aux affaires et j’ai une idée, j’ai une "solution" pour régler ce problème qui est source de tous les maux, semble-t-il, de la France » ?

M. Jospin : Une solution, non, mais des solutions, oui, des approches différentes, oui. Si l’on continue à considérer que la politique économique doit essentiellement servir à baisser le coût du travail, je rappelle que le coût du travail dans un pays dont 85 % de la population active est salariée, ce n’est pas simplement le coût du travail de chaque travailleur dans une entreprise, c’est aussi le revenu de ses salariés. Comment voulez-vous équilibrer une économie, comment voulez-vous avoir une croissance suffisante lorsque vous pesez à la baisse sur ce qui est le revenu, non pas d’une minorité de la population, mais de la très grande majorité de la population. Donc, le problème des salaires est posé dans notre pays.

Il me semble que les orientations que nous traçons pour lutter contre le chômage, c’est d’abord d’essayer de trouver une croissance plus élevée, par la politique nationale, mais aussi par la politique européenne. C’est ensuite d’utiliser l’outil de la diminution de la durée du travail progressivement, et c’est enfin une démarche qui consiste à pousser les acteurs que sont les entreprises et les acteurs que sont l’État, les collectivités locales et les associations, à créer davantage d’emplois, notamment en direction des jeunes.

Voilà trois grandes pistes de travail qui sont les nôtres dans nos orientations économiques et sociales.

M. Hees : J’ai entendu le mot Europe. Ralph Pinto.

M. Pinto : Si vous le voulez bien, parlons d’Europe. Estimez-vous nécessaire que les États du Sud fassent partie du premier wagon de ceux qui vont adhérer à la monnaie unique ? Autrement dit, estimez-vous que l’Italie et l’Espagne sont, au même titre que les Français et les Allemands, concernés par la monnaie unique et qu’ils doivent en faire partie, quitte à ce que les critères de convergence soient plus ou moins amendés ?

M. Jospin : Il y a des critères politiques ou historiques ou symboliques. Je rappelle tout de même que l’Italie est membre fondateur du Marché commun initial à six pays. Je rappelle que l’Espagne est un pays très important dans l’équilibre actuel de l’Europe. Je rappelle que l’Europe, ce n’est pas simplement le Nord, l’Ouest, ce n’est même pas forcément l’Est si on cherche à l’élargir, c’est aussi le Sud. Mais, il y a des arguments économiques plus importants : Ou bien on décide que le moment historique est venu pour que des grandes nations, qui avaient des monnaies nationales, dans le cadre du processus d’intégration économique qu’elles ont réalisé, passent de leur monnaie nationale à une monnaie unique, pour être plus efficaces, pour s’affirmer davantage sur la scène internationale, face au dollar, pour mieux résister à la spéculation, et alors une décision d’une telle importance historique doit englober aussi des pays aussi décisifs en Europe que l’Italie ou l’Espagne. Ou bien on estime que ce moment n’est pas venu, mais alors, disons : « prenons notre temps ».

Donc, je crois que, pour des raisons économiques, pour des raisons historiques et politiques, il est souhaitable que l’Espagne et l’Italie rentrent dans la monnaie unique dès le départ.

Je rappelle qu’aujourd’hui la France n’est pas encore en situation de respecter les critères. Je rappelle qu’aujourd’hui l’Allemagne n’est pas en situation de respecter les critères.

M. Pinto : C’est-à-dire qu’il faut repousser la date, alors ?

M. Jospin : Non, je pense que cela veut dire qu’il faut garder le critère comme référence, il faut aller vers la monnaie unique et puis il faut prendre la décision sur la base d’un certain nombre de critères, si j’ose dire, qui ne soient pas simplement des critères d’endettement ou de dépenses publiques.

M. Pinto : Le chômage, par exemple ?

M. Jospin : Non, cela n’est pas dans le traité. Moi, je ne veux pas renégocier un traité. Je n’accepte pas qu’on durcisse le traité, c’est pourquoi je suis contre les dispositions prises au Sommet de Dublin par des ministres de l’Economie et des Finances qui n’en auraient pas le mandat et qui visent à imposer un super-plan de stabilité. Je suis contre, ce n’est pas dans le traité.

Je ne vais pas, moi, me mettre en situation illogique et dire : « il faut renégocier le traité et il faut introduire un critère de chômage ». Par contre, ce que je pense, c’est que la monnaie unique, ce n’est pas l’alpha et l’oméga. La politique économique et sociale de l’Europe va se poursuivre et si l’Europe ne se bat pas pour avoir un taux de croissance plus élevé, des taux de croissance qui ressemblent à ceux qui existent aux États-Unis ou au Japon, ou dans certaines mesures aux pays du Sud-Est, si l’Europe ne se bat pas pour diminuer le chômage, je pense que la cause européenne reculera sur le continent européen. Voilà ce que je pense, mais cela ne se règle pas le jour du passage à la monnaie unique.

Pour la monnaie unique, nous avons mis quatre conditions. On peut en reparler, si vous le souhaitez.

M. Hees : J’espère que vous resterez avec nous. L’heure tourne et on se retrouvera en direct avec les auditeurs de France Inter de « Radio Com, c’est vous ».

Météo et Revue de presse.

Mme Martin : Je vous rappelle que Lionel Jospin est notre invité ce matin jusqu’à 9 heures.

M. Hees : Avant que l’on passe aux questions des auditeurs, Lionel Jospin, un commentaire sur cette Revue de presse de Nicolas Poincaré ? Vous étiez parti en vacances ? C’est ce que j’ai cru comprendre de certains éditoriaux de la presse, ce matin.

M. Jospin : Mal informé. J’étais chez moi à travailler, à réfléchir et à écrire. Je n’ai guère bougé de chez moi pendant ces huit jours.

M. Hees : Dernière étape de votre visite à France Inter ce matin, Lionel Jospin. Vous allez répondre en direct aux questions des auditeurs de « Radio Com, c’est vous », qui appellent en ce moment même au 01-45-24-70-00. Vous allez voir l’exercice n’est pas toujours évident. Les journalistes de France Inter en savent quelque chose. C’est parti, première question, Laurent.

Laurent : Bonjour, Monsieur Jospin et bonjour à tous.

M. Jospin : Bonjour.

Laurent : J’ai une sensibilité de gauche et, en ce moment, il y a pas mal de choses qui font que j’ai envie de m’investir dans la vie publique. Pourriez-vous me donner, par exemple, trois raisons qui me décideraient à faire maintenant un acte et, par exemple, de m’inscrire au Parti socialiste ?

M. Hees : Voilà une question générique, comme si vous étiez à votre permanence. On vous écoute.

M. Jospin : Oui, question un peu gênante en même temps, parce que je pense que l’engagement est d’abord, un ressort que l’on a en soi. Je pense que si vous jugez que la lutte contre les injustices doit rester un ferment essentiel de l’activité humaine, cela peut être une raison de vous engager. Je pense que si vous pensez que, lorsqu’il y a des difficultés, il ne faut faire de personne un bouc émissaire, qu’il faut assumer ses propres responsabilités et qu’il faut travailler avec les autres, je pense que cela peut être une deuxième raison de vous engager. Si étant de sensibilité de gauche, vous avez des proches, des amis qui sont engagés, eux-mêmes, dans une aventure humaine, pourquoi pas la vivre avec eux ?

M. Hees : Une autre question qui nous vient de Marseille, Alain.

Alain : Bonjour, Lionel Jospin.

M. Jospin : Bonjour.

Alain : Comment, vous qui êtes un homme respectable et intègre  cela, tout le monde peut le dire et moi aussi  vous pouvez continuer à diriger la fédération des Bouches-du-Rhône avec, à sa tête, des hommes usés et localement discrédités ? Je pense notamment au secrétaire fédéral qui a déjà été mis en examen il y a plusieurs mois et qui va l’être prochainement une deuxième fois.

M. Jospin : D’abord, comme vous devez le savoir, je ne dirige pas la fédération des Bouches-du-Rhône. D’autre part, le Parti socialiste est un parti démocratique, ce n’est pas un parti totalitaire, ce n’est pas un parti non plus bonapartiste, ce n’est pas le premier secrétaire du Parti socialiste qui désigne les candidats, qui désigne les responsables. Au contraire, chez nous, l’ensemble de ceux qui sont désignés le sont au suffrage universel. J’ai moi-même été élu Premier secrétaire au suffrage universel des militants. Nous avons élu nos candidates et nos candidats au suffrage universel de nos adhérents dans les endroits concernés.

Pour autant, et sans m’attacher un instant aux personnes, surtout en public, je peux vous dire que cette rénovation du Parti socialiste se fera partout et elle se fera dans les Bouches-du-Rhône. Chacun des socialistes, localement et nationalement, sera mis, par moi, devant ses responsabilités dans les quinze jours qui viennent.

M. Hees : Un autre appel, Maurice, vous êtes en ligne.

Maurice : Bonjour, Monsieur Jospin.

Je suis de gauche, profondément de gauche, et totalement consterné par vos propos. Je veux dire qu’on en a un peu marre de voter pour vous par défaut et parce que les autres sont vraiment trop cons. Et, moi, j’ai simplement envie de vous demander une chose, Monsieur Jospin : quand est-ce que vous nous offrirez une véritable politique de gauche ? Je crois que c’est cela la véritable solution contre le Front national, c’est une véritable politique de gauche qui soit en rupture avec la mondialisation, l’Europe des marchands et tout. Quand serez-vous, enfin, de gauche, Monsieur Jospin ?

M. Jospin : J’espère que vous l’êtes, parce que le propos tellement général que vous tenez ne me met pas dans une position très aisée pour vous répondre. Vous dites que vous êtes consterné par mes propos, je préférerais que vous me disiez : « Je suis consterné par le propos précis que vous venez de tenir sur telle question » parce que, dans le laps de temps qui m’est donné, je peux vous y répondre. Si c’est en général, je ne sais pas trop quoi vous dire, si ce n’est que, personnellement, sur la mondialisation  j’essaie de tirer un fil de votre affirmation très globale  ma position est simple : la mondialisation est un phénomène réel auquel nous ne devons pas échapper. Par contre, la mondialisation suppose une régulation. De même que les nations se sont faites pour que des hommes et des femmes, en tout cas dans les systèmes démocratiques, régulent le fonctionnement de la société, que ce soit le fonctionnement de l’économie ou que ce soit le fonctionnement des rapports entre les hommes et les femmes, de même si l’économie devient mondiale, alors, on doit opérer une régulation mondiale.

Les nations peuvent y concourir, les ensembles de Nations, comme l’Europe, doivent y concourir, et c’est pour moi l’objectif de l’Europe, peser davantage dans le monde. Et, troisièmement, il y a un certain nombre d’organisations internationales, qu’elles soient commerciales, qu’elles soient monétaires, qu’elles soient liées au droit social, au droit du travail, qui doivent fixer des règles pour que cette mondialisation soit régulée et non pas anarchique.

Voilà ce que j’essaie de tirer de votre interpellation un peu trop globale.

M. Le Marc : Je complète cette interpellation. Vos éventuels partenaires, Robert Hue et Jean-Pierre Chevènement, qui se réunissent d’ailleurs demain à la Mutualité pour plaider en faveur d’un référendum sur la monnaie unique, vous disent : « Votre projet économique et social est irréalisable si vous ne vous débarrassez pas du carcan de la monnaie unique », que leur répondez-vous ? Et peut-il y avoir accord à gauche sur ce plan ?

M. Jospin : C’est à eux de se poser la question. Moi, je pense qu’il peut y avoir accord à gauche et je pense que les conditions que nous avons définies pour le passage à la monnaie unique sont une façon, je dirais, responsable et positive d’aborder ce rendez-vous. Je ne suis pas favorable à un référendum parce que le référendum a déjà eu lieu. Le peuple français s’est déjà exprimé sur Maastricht et sur la monnaie unique. Par contre, la monnaie unique suppose un certain nombre de conditions.

Elle suppose que l’Espagne et l’Italie soient, dès le départ, dans la monnaie unique. Elle suppose que, face à la Banque centrale de l’Europe qui aura à réguler le fonctionnement de la monnaie, il y ait un gouvernement économique, c’est-à-dire les représentants des États membres dans les conseils de ministres de l’Europe. Ce n’est pas une invention, on part de ce qui est, qui exprime la volonté des peuples, la légitimité des peuples, et qui donne des orientations de politique économique face au pouvoir monétaire.

Elle suppose qu’il y ait un pacte de solidarité et de croissance, c’est-à-dire que l’Europe n’accepte pas de continuer à avoir 18 millions de chômeurs, d’une part et, d’autre part, un taux de croissance historique beaucoup plus faible que les États-Unis ou les autres grands concurrents.

Et, enfin, elle suppose que l’on s’efforce à ce que la monnaie unique, la monnaie européenne, ne soit pas surévaluée par rapport au dollar. Et, il faut croire que c’est possible, il faut croire que ce n’est pas un objectif inatteignable, parce que c’est ce que les marchés nous disent aujourd’hui. Puisque, vous l’avez vu, le dollar, en quelques semaines, est passé en gros d’une valeur de 5 francs à une valeur de 5,75 francs.

M. Le Marc : Vous souhaitez un vote de l’Assemblée nationale et du Sénat sur les modalités du passage à la monnaie unique ?

M. Jospin : Je pense qu’il ne serait pas, effectivement, normal que la France prenne sa décision de passage à la monnaie unique sans que les autorités légitimes de la France, et donc sans que le Parlement, en particulier, soit saisi de cette décision, tout à fait ! Là, ce sont des voies pour avancer, que ce soit avec Robert Hue ou Jean-Pierre Chevènement. Mais, Jean-Pierre Chevènement ou Robert Hue ne peuvent pas penser qu’ils nous feront tourner le dos à ce que sont nos positions à nous.

Et s’il n’y avait pas un accord sur une voie moyenne que, moi, je préconise, eh bien, les Français en trancheraient dans l’élection législative de 1998. On verra bien quels partis ils soutiendront.

M. Hees : J’ai beaucoup d’auditeurs en ligne, Marie-Madeleine.

Marie-Madeleine : Bonjour, Monsieur Jospin.

M. Jospin : Bonjour.

Marie-Madeleine : Une question très claire : que comptez-vous faire pour vous assurer qu’une personne venue avec un visa touristique est bien repartie à l’issue de son séjour normal, un mois, deux mois, trois mois ? Que comptez-vous faire là-dessus ? S’il n’y a pas de contrôle, cela ne sert à rien !

M. Jospin : Madame, si quelqu’un, qui a hébergé une personne qui est venue pour trois mois, fait une déclaration selon laquelle cette personne a quitté son domicile, cela ne donne aucune indication sur ce que cette personne est partie faire après. Donc, la disposition dont nous parlons ne répond pas à la préoccupation que vous exprimez et qui est légitime. C’est pourquoi, à mon sens, les obligations qui sont fixées doivent être fixées aux personnes, elles-mêmes, qui sont concernées et non pas à des personnes tierce qui n’ont pas à assumer une responsabilité pour d’autres. Donc, c’est par rapport à ces personnes qu’un minimum de conditions doivent être fixées. C’est d’ailleurs dans cet esprit, en 1982, que nous avions mis en place le certificat d’hébergement, certificat d’hébergement qui était envoyé à la personne, dans le pays d’origine, c’est-à-dire d’un pays à partir duquel il y avait besoin d’un visa pour rentrer en France afin que, allant devant un consulat français, elle puisse obtenir son visa pour venir en France. L’idée de contrôle de ces mouvements existait bien, mais ce contrôle et la responsabilité doivent être ceux de la personne, elle-même, concernée.

M. Hees : Cela ne vous étonnera pas, Lionel Jospin, c’est le thème principal des appels qu’on a en ce moment à « Radio Com, c’est vous ». Nous avons Daniel en ligne.

Daniel : Bonjour à toute l’équipe, bonjour, Monsieur Jospin.

M. Jospin : Bonjour.

Daniel : La question est toute simple : si les immigrés viennent en France, c’est tout simplement parce qu’ils espèrent trouver du travail. Il y a beaucoup d’employeurs qui proposent du travail au noir dans des conditions infamantes, par exemple, dans le Sentier ou bien au nouveau Stade de France qui est en partie construit par des immigrés clandestins. Quand le Gouvernement et les socialistes, qui ne l’ont pas fait quand ils étaient au Pouvoir, vont-ils attaquer le problème à la racine plutôt que de prendre des mesures inefficaces et à moitié racistes ?

M. Jospin : Je vous rejoins tout à tait sur ce point. C’est pourquoi dans les propositions que nous élaborons, au cœur, doit être mise la lutte contre le travail clandestin. Je pense qu’une des sources de la venue vers nous, dans des conditions irrégulières, d’un certain nombre d’hommes et de femmes dont on peut comprendre, si j’ose dire, la démarche, parce qu’il y a toujours eu des tentations de mouvements de zones moins prospères vers les zones prospères, dans l’Histoire de notre Humanité, je pense que c’est contre le travail clandestin que l’on doit diriger la politique et pas sur les réglementations qui touchent essentiellement les personnes. Il faut donc démanteler et surveiller ces filières de travail au noir.

M. Hees : Diana est en ligne. Elle nous appelle de Toulouse.

Diana : Bonjour, Monsieur Jospin, bonjour à toute l’équipe.

Si je peux me permettre, à mon avis, le contrôle, au sujet des cartes de séjour, doit se faire dans le pays du demandeur. Voilà, je vous téléphone parce que je suis d’origine anglaise, je suis mariée avec un Français depuis 25-30 ans. Nous avons eu des enfants, nous avons fait tous deux une carrière à l’Education nationale, pas de problème ! Mais, depuis l’institution de la carte nationale d’identité dite sécurisée, j’ai un problème, ici, en France, parce que je ne peux pas obtenir le renouvellement ni de mon passeport, ni de ma carte de séjour parce qu’on me demande soit un décret de naturalisation ou un certificat de nationalité. Je n’ai jamais eu ni l’un, ni l’autre, et je ne suis pas seule dans mon cas. Donc, je circule avec mes papiers périmés. Que peut-on faire ? Évidemment, en bonne logique britannique, j’ai demandé qu’on me délivre une carte non sécurisée et, là, je n’ai pas eu de réponse.

M. Jospin : Effectivement, vous vous trouvez dans la situation où se trouvent un certain nombre de personnes. Moi, j’ai reçu il n’y a pas très longtemps en ma permanence une personne française, pied-noir, qui avait toujours été Française, ses papiers étaient perdus, et qui s’est tout d’un coup trouvée dans la situation de ne pas pouvoir obtenir, depuis l’Algérie, d’anciens papiers établissant sa nationalité française et qui se trouve tout d’un coup en train de s’interroger pour savoir s’il est toujours considéré par l’administration de son propre pays comme Français.

Voilà sur quoi débouchent un certain nombre de réglementations tatillonnes qui ne me paraissent pas être efficaces pour lutter contre l’immigration clandestine, qui relèvent davantage de l’action que j’évoquais à l’instant, sur les flux économiques, et qui mettent des personnes dans des situations humaines souvent difficiles.

M. Hees : On change de sujet avec Aimé qui est en ligne.

Aimé : Monsieur Jospin, si vous gagnez les législatives de 1998, réaliserez-vous la proposition que vous aviez faite en tant que candidat à la présidentielle, qui était la création d’un grand Ministère de l’Ecologie et du Territoire, qui regrouperait l’Environnement, l’Aménagement du Territoire, le Logement, le Transport et l’Energie ?

M. Hees : Question précise.

M. Jospin : Oui, je reste attaché à une proposition de ce type. Vous savez, nous n’avons pas gagné les élections législatives. Là, nous étions à la veille de la présidentielle, il était normal que je fasse des propositions dans un certain nombre de domaines, et il n’est pas temps de composer un gouvernement que nous n’avons pas conquis. Néanmoins, je pense qu’il faut regrouper un certain nombre de secteurs qui concourent à la fois à l’écologie et au développement d’un certain nombre d’infrastructures en France pour que les préoccupations écologiques soient intégrées, si j’ose dire, dès le départ.

M. Hees : Il y aura combien de candidats écologistes dans les listes socialistes, les listes du PS aux législatives ?

M. Jospin : Nous sommes à une trentaine de candidats que nous soutiendrons. Ils ne seront pas dans les listes socialistes, ils seront soutenus par les socialistes, ils auront leur personnalité de Verts, mais nous ne mettrons pas de candidat contre eux.

M. Hees : Autre question, Micheline.

Micheline : Bonjour à toute l’équipe de France Inter, bonjour, Monsieur Jospin.

Monsieur Jospin, j’entends que la Sécurité sociale est bien malade, qu’il faut économiser. On instaure le carnet de santé, tout le monde se sert un peu la ceinture, les hôpitaux manquent d’argent, les chefs de service commencent vraiment à en souffrir et, pendant ce temps, on parle d’octroyer aux médecins qui veulent partir en retraite prématurément une prime de 280 000 francs ?

M. Jospin : J’imagine que cette mesure s’explique par les problèmes de démographie médicale, comme l’on dit, c’est-à-dire, par le nombre des médecins dans la population française et, en quelque sorte, par centaines de Français. Donc, c’est une mesure technique qui ne risque pas, je crois, de déséquilibrer la Sécurité sociale. Pour autant, je pense que nous sommes favorables à la maîtrise des dépenses de santé, à condition qu’elles ne pèsent pas seulement sur les assurés sociaux, c’est-à-dire, sur l’augmentation de leurs cotisations ou la diminution de leurs prestations, mais à condition qu’elles puissent aussi être portées par les médecins et que, donc, un certain nombre d’orientations soient respectées. C’est peut-être dans ce sens que le Gouvernement ne va pas suffisamment aujourd’hui et c’est peut-être ce qui explique que, malgré les engagements du Plan Juppé, la Sécurité sociale, en France, n’ait pas réduit son déficit à la mesure de ce qui avait été promis.

M. Hees : Lionel Jospin, je vais interrompre le cours de « Radio Com » pendant quelques minutes. Je viens d’apprendre que 33 personnes avaient été massacrées dans la nuit de dimanche à lundi dans un hameau près de Blida, donc, c’est à une cinquantaine de kilomètres au sud d’Alger. C’est ce qu’indiquent en tout cas les journaux d’Alger. Est-ce que cela appelle un commentaire de votre part ce qui se passe en Algérie, depuis des mois et des mois ?

M. Jospin : Chaque fois que nous apprenons ces égorgements, ces attentats aveugles, nous sommes naturellement horrifiés. Cela me confirme dans ce que j’ai eu l’occasion de dire, un des premiers parmi les responsables politiques, à savoir que la France, la France officielle ou la France tout court, ne pouvait pas rester silencieuse et qu’elle devait très clairement dire aux autorités algériennes, tout en manifestant leur volonté de lutte sans concessions contre les forces terroristes, et notamment les forces fanatiques, qu’elles soient d’inspiration religieuse ou autre, mais de dire que « seule une issue vers plus de démocratie en Algérie, une prise en compte de la réalité du peuple, permettraient d’avancer et de sortir ce pays de l’impasse de la violence ». Donc, je le redis ici.

M. Pinto : Mais, vous avez obtenu des réponses, celle du Gouvernement français qui vous a répondu en quelque sorte : « Non, nous ne ferons pas ça ». Vous avez obtenu aussi un commentaire supplémentaire du Président Giscard d’Estaing qui a dit : « Tous ceux qui se sont présentés aux élections de 1991, y compris les Islamistes, doivent pouvoir participer aux élections qui se préparent, là-bas, en Algérie », et vous avez obtenu une réponse du gouvernement algérien qui nous a dit : « Mêlez-vous de vos affaires ». Estimez-vous, vous, maintenant, qu’il faut aller plus loin et presser un petit peu le Gouvernement algérien pour lui dire : « Vous ne pouvez pas continuer dans un État de non droit en faisant semblant et en nous faisant, en quelque sorte, bénir par un système que vous mettez au point et qui n’est surtout pas démocratique » ?

M. Jospin : Je ne suis pas pour que nous menions la politique de l’autruche. L’Algérie est trop proche de nous, ce qui se passe dans de conditions dévastatrices a des conséquences, peut en avoir, y compris sur le problème de l’immigration dont nous parlions tout à l’heure, et donc, je ne suis pas pour que la France, par précaution diplomatique, ne dise rien. La Méditerranée, c’est presque comme un lac commun autour duquel on vit depuis des siècles.

Je suis pour qu’on manifeste très clairement notre condamnation de toutes les forces de la violence et du fanatisme. Et, il n’est pas question, selon moi, que la porte soit ouverte à ceux qui appuient ou pratiquent cette violence.

Pour autant, je crois que nous devons dire clairement que, nous, nous sommes solidaires des forces, des hommes, des femmes, des mouvements, des associations, des partis politiques, qui luttent pour plus de démocratie en Algérie, et dire au gouvernement algérien que son problème, c’est un problème avec le peuple algérien. Qu’il arrivera à équilibrer, à se légitimer pleinement, s’il offre au peuple algérien une perspective. Voilà ce que nous devons dire. Nous devons être très clairs sur ce que nous condamnons et sur ce que nous appuyons, en Algérie, les forces de la démocratie. Et nous devons exercer notre droit de dialogue avec le Gouvernement algérien pour lui dire : « Vous devez bouger sur ce plan ».

Il ne me semble pas que depuis l’élection au suffrage universel du Président Zeroual, des pas en avant aient été faits dans cette direction. Du coup, l’Algérie reste crispée dans cette situation de violence insupportable.

M. Hees : On redonne la parole aux auditeurs de France Inter. Patrick.

Patrick : En tant qu’ancien ministre de l’Education nationale, je voulais savoir ce que Monsieur Jospin pensait des décisions prises actuellement, du genre suppression des postes de MA, blocage des salaires ? Et, en cas de victoire aux législatives, les décisions qu’il prendrait ?

M. Hees : MA, ce sont les maîtres auxiliaires, bien sûr.

M. Jospin : Comme ministre de l’Education nationale, j’ai été le ministre qui a fait la revalorisation des salaires et des carrières des enseignants. J’ai contribué par là même, par d’autres mesures aussi, à résoudre la crise du recrutement dans le monde enseignant. Je rappelle que, quand je suis arrivé au ministère de l’Education nationale, en 1988, dans toute une série de disciplines, on ne trouvait plus suffisamment de candidats aux concours. J’ai mis en place un nouveau système de formation des enseignants du primaire et du secondaire dans des instituts universitaires de formation des maîtres, les IUFM. J’ai augmenté le nombre des postes aux concours, j’ai revalorisé la fonction enseignante, la crise de recrutement a été réglée.

Naturellement, du coup, un certain nombre de maîtres auxiliaires, s’ils ne sont pas devenus titulaires, peuvent se trouver dans des situations fragiles. C’est la conséquence, si l’on peut dire, négative de pas en avant positifs. C’est au Gouvernement d’assumer, maintenant, cette situation et de faire ses propres efforts. Ce n’est pas en faisant stagner le budget de l’Education nationale, ce n’est pas en réduisant le nombre des postes mis aux concours, que l’on va répondre aux problèmes de l’Education nationale. Et, de ce point de vue, j’ai le regret de constater que Monsieur Bayrou, en dehors de phrases ou de propositions de caractère très général, est surtout très immobiliste depuis quatre ans.

M. Hees : Jean-François qui nous appelle de Grenoble.

Jean-François : Monsieur Jospin, je trouve un peu singulier que Monsieur Juppé s’offusque de l’appel à la désobéissance civique alors que, dans un livre qu’il a écrit, il se délecte de petits oiseaux protégés par la loi, et il trouve cela encore plus rigolo parce que, justement, c’est proscrit par la loi. J’aimerais que les élus soient cohérents. Et, comme je sais que les amis de Monsieur Emmanuelli et de Monsieur Mitterrand se délectaient des mêmes oiseaux, je voudrais savoir si Monsieur Jospin, lui, sera cohérent dans le futur et s’il respectera les petits oiseaux et la loi en matière de braconnage en France ?

M. Hees : Mangez-vous des ortolans, autrement dit ?

M. Jospin : À partir du moment où il faut être honnête, cela m’est arrivé une fois, disons-le. Ensuite, il y a peut-être ce que Monsieur Juppé dit « Entre nous » et puis ce qu’il dit pour les Français. Pour le reste, je pense que les problèmes des oiseaux me préoccupent indiscutablement, mais je dois dire qu’actuellement, c’est peut-être un peu plus les problèmes des hommes et des femmes qui focalisent mon attention.

M. Hees : Marc, votre question.

Marc : Bonjour, Lionel Jospin.

J’avais 20 ans, lorsque j’ai voté pour François Mitterrand, plein de rêves, plein d’espoirs, on nous promettait de changer la vie et de changer la société. Mon fils va avoir 20 ans bientôt, je pense que je vais avoir du mal à le faire rêver avec vous.

M. Jospin : Il peut peut-être se charger de ses rêves lui-même, non ! C’est une suggestion que je lui fais s’il a 20 ans.

Marc : Je parle de son rêve politique. Pour ce qui est de sa culture, son éducation, ça va ! Mais les rêves politiques, que peut-on lui proposer ? Que va-t-on pouvoir lui transmettre ?

M. Jospin : Il faut  je l’ai dit tout à l’heure  se battre contre le chômage, se battre contre les injustices, se battre contre l’intolérance, se battre contre ce mouvement d’extrême-droite, xénophobe, raciste, nostalgique de la période de la collaboration, qui monte en France actuellement. Il faut se battre que l’Europe ne soit pas simplement, effectivement, une Europe de banquiers, une Europe de marchands, mais qu’elle soit aussi une Europe pour les peuples, c’est-à-dire, qu’ils restent fidèles à un projet économique et social qui soit équilibré.