Déclaration de M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture, sur la production audiovisuelle, l'aide à l'industrie des programmes audiovisuels notamment par la directive télévision sans frontières, et sur le régime juridique de la diffusion numérique par satellite, Cannes le 7 octobre 1996.

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Circonstance : MIPCOM (Marché international des films et des programmes pour la télévision la vidéo le câble et le satellite), à Cannes du 7 au 11 octobre 1996

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,

La visite de ce MIPCOM est une nouvelle fois l’occasion de mesurer le dynamisme de la production audiovisuelle dans de nombreux pays, et notamment en France.

Avec la création, presque chaque jour, de nouvelles chaînes de télévision thématiques diffusées par satellite, le besoin de nouvelles productions audiovisuelles comme celui de l’acquisition des droits des programmes existants n’ont jamais été aussi forts.

L’enjeu des programmes est aujourd’hui plus que jamais essentiel.

Et avec l’arrivée de la télévision numérique, et de ce besoin de programmes exponentiel, c’est la politique de soutien aux programmes menée par la France depuis des années, à travers un dispositif de soutien financier, une réglementation nationale favorable et la défense au niveau international de « l’exception culturelle », qui se trouve pleinement légitimée.

L’ensemble de ces mesures nous a permis de conserver le premier cinéma d’Europe et une industrie de production audiovisuelle vivante, qui sont autant d’atouts pour les années à venir. Atouts qui doivent permettre aux images françaises de demeurer présentes sur les chaînes diffusées en France, mais également au-delà de nos frontières.

Concernant la production audiovisuelle, je souhaiterais faire deux constats :
 D’abord, les recettes d’exportations de nos programmes audiovisuels augmentent régulièrement. Elles ont ainsi dépassé les 500 millions de francs en 1995 ; et on peut noter sur certains territoires, comme l’Asie, une amélioration de la présence des programmes français à l’antenne des nombreuses nouvelles chaînes en cours de développement. Les aides à l’exportation mises en place par le CNC, en concertation avec les professionnels, semblent donc porter leurs fruits. Elles seront poursuivies en 1997.

Le second constat porte sur la situation des entreprises de production audiovisuelle françaises, situation qui va en s’améliorant.

Le secteur de la production audiovisuelle est en croissance et en relative meilleure santé financière.

Les travaux du Crédit national, mené en collaboration avec le CNC, montrent pour 1995 une amélioration de la rentabilité moyenne des entreprises de production.

Cette amélioration s’explique sans doute par une concentration accrue de la production audiovisuelle autour de plusieurs grosses entreprises qui sont désormais mieux à même de négocier avec les diffuseurs et de trouver des partenaires à l’étranger.

Pour ma part, je tire de ces deux constats positifs le sentiment qu’il faut que les pouvoirs publics continuent leur action visant à renforcer notre industrie de programmes dans trois directions :

1. La progression du soutien financier ;

2. Le maintien de nos objectifs dans le cadre de la négociation de la directive « Télévision sans frontière » ;

3. Enfin, une réflexion sur les rapports existant entre les chaînes de télévision et le cinéma indépendant.

Concernant le soutien à la production audiovisuelle, le budget pour 1997 du compte de soutien à l’audiovisuel sera en hausse de 5,5 %. C’est, je crois, un niveau de progression que peu de ressources publiques connaîtront l’année prochaine, et qui traduit bien la priorité que le soutien à la production audiovisuelle demeure pour mon ministère.

L’année 1997 sera également celle de la dotation, a priori, du fonds de garantie de l’IFCIC dont le changement de statut et de mode de fonctionnement permettra de le rendre plus efficace pour les producteurs et plus sain dans ses relations avec l’État.

Il est important de noter que, pour la première fois, en 1997, le total des crédits attribués à l’audiovisuel sera quasiment équivalent à celui du cinéma.

Le second axe de renforcement de notre production audiovisuelle passe naturellement par la reconduction et l’amélioration de la directive « Télévision sans frontière ».

Comme vous le savez, le Conseil des ministres « Culture – Audiovisuel » est parvenu, sous présidence italienne, le 11 juin dernier, à une position commune sur la directive « Télévision sans frontière ». Position adoptée par 70 voix sur un total de 87 (« la majorité qualifiée » étant de 62 voix).

Cette position commune a permis de consolider un texte, qui constitue la pierre angulaire de « l’espace audiovisuel européen ».

Le gouvernement français a accepté cet accord compte tenu du rapport de force au sein du Conseil, ainsi que des nouvelles oppositions de certains pays à ses positions (notamment l’Espagne), qui aurait conduit, à défaut d’un vote favorable pour la France, à un enlisement, voire à un abandon de cette nouvelle directive. En dépit de l’opposition résolue de nombreux gouvernements, le texte adopté préserve les obligations de diffusion majoritaire d’œuvres européennes prévues par l’article 4 de la directive de 1989. Un comité de contact composé des représentants des États membres et de la Commission sera chargé de veiller à une meilleure application de la directive, y compris la surveillance d’éventuelles délocalisations. Par ailleurs, les règles concernant la protection des mineurs et des consommateurs sont renforcées.

La procédure d’adoption prévoit maintenant de soumettre ce texte au Parlement européen, et une forte mobilisation des parlementaires européens sera nécessaire comme ce fut le cas en première lecture pour permettre notamment :

1° Le renforcement des obligations de diffusion d’œuvres européennes, avec l’éventuelle suppression de l’expression « chaque fois que cela est réalisable ».

Les obligations de diffusion sont, en effet, essentielles car elles garantissent la diversité de l’offre et permettent le développement des industries nationales et européennes des programmes ;

2° L’inclusion dans le champ d’application de la directive des nouveaux services, tels que la vidéo à la demande.

Il importe, en effet, d’éviter tout risque de vide juridique préjudiciable au bon fonctionnement du marché et de prévoir dès à présent le régime applicable aux nouveaux services audiovisuels ;

3° Enfin, l’inclusion dans le corps de la directive d’une clause antidélocalisation.

Cet amendement, voté par le Parlement en première lecture à une large majorité, revêt beaucoup d’importance, dans la mesure où la tentation est particulièrement grande pour un radiodiffuseur de s’installer dans un État membre pour échapper à un droit interne plus strict, notamment en ce qui concerne les obligations de diffusion et de production.

Enfin, dans le cadre de l’action de mon ministère pour renforcer les industries de programmes, je souhaiterais évoquer un troisième axe qui concerne le cinéma et ses rapports avec la télévision. En effet, dans le cadre des nouvelles conventions signées avec TF1 et M6, le CSA n’a pas prévu de disposition relative au cinéma. Il n’a en particulier pas fixé de règles, comme c’est le cas pour la production audiovisuelle, sur le nécessaire recours par les chaînes de télévision à une production cinématographique indépendante. Une réflexion approfondie – et que je souhaite rapide – doit donc être menée sur ce sujet. Elle devra tout particulièrement définir les critères de l’indépendance.

Il ne s’agit pas tant, en l’espèce, de prévoir de nouvelles contraintes pour les diffuseurs – d’ailleurs, je crois profondément que ces derniers ont intérêt à travailler avec des producteurs indépendants –, que de fixer tout simplement les règles du jeu dans ce domaine.

Il en est d’ailleurs de même pour le régime juridique de la diffusion numérique par satellite, où, là aussi, nous souffrons d’un vide juridique. En effet, les dispositions de la loi de 1986 pour la liberté de communication, en ce qui concerne le satellite, étaient devenues obsolètes ou inapplicables.

C’est la raison pour laquelle le projet de loi que je présenterai en Conseil des ministres, le 30 octobre prochain, définira un régime pour les chaînes diffusées par satellite, en tenant compte de quatre nécessités :

1. Articuler la loi audiovisuelle et la nouvelle loi sur la réglementation des télécommunications en ce qui concerne l’accès des opérateurs de bouquet et de services aux capacités satellitaires ;

2. Préserver le pluralisme des offres mis à disposition du public sous forme de « bouquet » ;

3. Confirmer le Conseil supérieur de l’audiovisuel dans son rôle d’instance de régulation « éditoriale », en lui donnant, comme pour le câble, le pouvoir de conventionner les services diffusés par satellite ;

4. Intégrer dans notre droit national les dispositions de la directive relative à l’utilisation des normes pour la transmission de signaux de télévision par voie numérique. Je vous rappelle que cette directive précise les relations entre exploitants, de systèmes d’accès, diffuseurs et câblo-distributeurs.

Il s’agit en l’espèce de prohiber les comportements anticoncurrentiels des détenteurs de licence sur les systèmes d’accès que l’on trouve dans les décodeurs.

L’ensemble de ces règles visent à fixer quelques principes simples, qui ne devraient pas entraver le développement des opérateurs de bouquet satellitaire numérique.

Au moment où l’offre de Canal satellite, premier bouquet satellitaire numérique opérationnel en Europe, connaît un succès qui va grandissant ; ou le second bouquet, TPS, prépare son offre et ses conditions de commercialisation, je tiens à rappeler, au nom des pouvoirs publics, la volonté de voir exister en France, à travers les systèmes de décodeurs, la possibilité pour les programmes de l’un ou l’autre bouquet, d’être reçus sur le terminal de l’autre, ce qui peut passer notamment par une procédure dite de « Simulcrypt ». Le consommateur y gagnera, et je pense que le développement du marché y gagnera également.

Une telle démarche permettra également aux deux opérateurs de régler la question de la reprise des chaînes publiques – celles-ci étant naturellement diffusées gratuitement. En effet, si les deux opérateurs de bouquets satellitaires mettent en place des équipements de réception plus ouverts, tous les foyers équipés en réception numérique pourront accéder à France 2 et France 3, sans abonnement, y compris les clients de Canal satellite équipés d’une double réception Astra/Eutelsat.

Enfin, le texte de loi modifiant la loi de 1986 sur la liberté de communication que je présenterai au Parlement proposera les aménagements suivants concernant les pouvoirs du CSA :
    - Le CSA aura pour tâche de faire respecter la déontologie des programmes, la protection de la vie privée, de la jeunesse.
    - Son pouvoir de recommandation sera étendu à l’ensemble des règles qu’il a pour mission de faire appliquer.
    - Il sera saisi pour avis de tout projet de loi. J’ai d’ailleurs anticipé cette disposition en soumettant ce projet de loi à l’avis du CSA.
    - Enfin, ce projet prévoit une accélération de la procédure de mise en œuvre des pouvoirs de sanction du CSA, tout en réaffirmant les garanties en matière de procédures contradictoires qui doivent entourer de telles décisions.

Pour conclure, je dirais que ce nouveau projet de loi n’est pas tant une nouvelle et « énième » loi sur l’audiovisuel, qu’une adaptation, une modernisation sur un nombre de sujets limités, mais importants, de la loi existante.

Il s’agit d’une démarche pragmatique qui vise à tirer les premiers enseignements de l’arrivée du numérique, sans chercher par avance à tout définir, ou à tout régenter. Notre législation doit prévoir quelques « balises », mais laisser aux opérateurs économiques une capacité d’initiative plus que jamais essentielle, dans un marché émergent, dont nul ne sait encore quel sera son développement à terme.