Déclaration de M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat à la santé et à la Sécurité sociale, sur les recommandations du rapport Mattei sur le diagnostic prénatal et le dépistage de la trisomie 21, la recherche génétique, l'accueil et l'insertion des handicapés, Paris le 16 décembre 1996.

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  • Hervé Gaymard - secrétaire d'Etat à la santé et à la Sécurité sociale

Circonstance : Remise du rapport du professeur Jean-François Mattei sur le dépistage de la trisomie 21 en décembre 1996

Texte intégral

Je voudrais d'abord insister sur trois points :

Le premier c'est que le rapport du professeur Mattei a bien rappelé la difficulté qu'il y a à édicter une norme en la matière.

Nous sommes dans un domaine juridique, scientifique et social où les sources de décision sont multiples, normes scientifiques, réflexions éthiques, déontologies professionnelles, application de la loi, solutions jurisprudentielles.

Chacun peut apporter ses réponses philosophiques, mais la société doit apporter des réponses juridiques. Comment, par qui et au nom de quels critères des limites légales peuvent-elles être fixées à la diversité des demandes individuelles ?

Le deuxième point, c'est que la réflexion du professeur Mattei n'a pas cherché uniquement à régler le présent mais a également chercher à ne pas obérer le futur. Notre époque et notre science ont appris à ne plus changer uniquement les choses, mais se sont tournées progressivement vers l'homme lui-même. Celle-là l'enjeu des thérapies géniques et de la médecine prédictive. L'homme n'est plus en dehors de la technique, il en devient l'objet même. La réalité humaine peut aujourd'hui être transformée par l'action de l'homme. Je considère là aussi qu'il y a un point crucial qui fait que les questions d'éthique médicale ne se posent plus seulement entre nous dans une même génération. Il faut aujourd'hui, que nous engagions un autre type de réflexion vis-à-vis de l'humanité à venir. C'est vrai pour l'économie, c'est vrai pour l'écologie, c'est vrai pour la technique, c'est vrai aussi pour la médecine. Nous devons apprendre à définir des devoirs vis-à-vis des générations futures dont pourtant nous n'avons nous-mêmes rien à attendre. Je ne peux pas dire aujourd'hui si le problème des marqueurs sériques est le seul point où cette question doit devenir un débat public mais je suis sûr que cette question se reposera et qu'il serait irresponsable de ne pas y réfléchir. Je remercie le professeur Mattei de nous avoir aidé à la poser.

Le troisième point, c'est ce que ce rapport pose enfin le vrai problème qui est de définir la liberté du choix. Ce n'est pas par hasard à mes yeux que le professeur Mattei rappelle que tous les gouvernements successifs ont évité de poser cette question et ont préféré vivre dans l'expertise différée, pour ne pas dire dans l'ambiguïté. Nous sommes en effet confrontés à des questions diverses, dont les réponses sont contradictoires. Nous ne pouvons pas nous reposer sur ces contradictions pour éviter de réfléchir. Il y a bien entendu le risque de la sélection des enfants à naître selon des critères qui ne seront plus forcément, les progrès médicaux et sociaux aidant les mêmes que nous avons au moment du choix ; il y a aussi la tentation de la banalisation qui ferait qu'à partir d'un certain seuil statistique, par ailleurs non homogène, la décision soit contrainte et non plus réfléchie et choisie ; il y a le doute et la douleur de chacun auxquels personne ne peut se substituer, car personne ne sait comment il fera face à la douleur et au doute auquel il sera confronté. Il y a enfin la conviction que ce n'est pas l'argent qui doit être l'arbitre du choix du couple, dans sa douleur, dans son bonheur, ni même dans son indécision.

La liberté des hommes est trop difficile à conquérir par le haut pour que l'assemblée des hommes la contraigne par le bas. L'homme libre n'est pas celui que la société permet. C'est au contraire le propre d'une société libre d'être ce que l'on veut qu'elle soit.

I. - Le diagnostic prénatal

Le professeur Mattei insiste à juste titre sur le fait que dans ce domaine le développement des techniques et des pratiques a procédé en quelque sorte son évaluation. C'est bien ce décalage qu'il nous faut aujourd'hui résorber.

1. Il convient tout d'abord de renforcer l'encadrement éthique de la méthode de dépistage afin de permettre aux femmes d'avoir un choix pleinement éclairé :

- il faut que soit mise en place une information objective, complète et efficace sur les implications du dosage des marqueurs sériques en exigeant la signature d'une déclaration explicite de consentement par la patiente afin de dépasser le cadre de la simple information médicale préalable obligatoire souvent vide de réel contenu et contrôlé par la seule attestation faite par le médecin ;
- il faut éviter que le rendu des résultats ne puisse être fait, comme il est trop souvent constaté, en dehors du colloque singulier médecin-patient.

Ce rendu doit s'effectuer obligatoirement, notamment si l'hypothèse de l'amniocentèse doit être évoquée, lors d'une consultation médicale. Les mêmes précautions doivent être prises et renforcées par un accompagnement psychologique lors du rendu des résultats du caryotype.

Le professeur Mattei recommande également un renforcement du développement de la médecine génétique en France. Ceci retient toute notre attention car il s'agit d'être en mesure, par un maillage étroit du territoire, d'offrir aux couples présentant un risque particulier dépisté par les gynécologues d'avoir un environnement en conseil génétique de haute qualité.

Nous avons demandé à la direction des hôpitaux qu'un effort significatif en faveur de la création de postes de médecins généticiens soit prévu pour l'année 1997. Par ailleurs la parution prochaine du décret relatif au centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal devrait constituer l'opportunité de renforcer le dispositif existant par la mise en place progressive de ces centres afin d’obtenir à terme une bonne couverture régionale.

2. Sur le plan technique :

a) Il est indispensable que différentes mesures d'harmonisation soient arrêtées :

- standardiser les méthodes biologiques utilisées - le dosage des marqueurs sériques s'effectue selon les équipes en utilisant 2 ou 3 marqueurs. Un consensus s'est dégagé en faveur d'un double test associant l'alphafœtoprotéine et la bêta hCG qu'il convient d'adopter ;
- déterminer un seuil de risque unique : le seuil de risques choisi est variable selon les laboratoires, le choix de ce seuil de risques résultant d'un compromis entre le maximum de trisomies 21 dépistées et le minimum d’amniocentèses réalisées. Il semble justifier de fixer un seuil de risque unique afin de pouvoir plus facilement comparer les travaux des différentes équipes ;
- harmoniser les logiciels utilisés : ces logiciels doivent obligatoirement être couplés au dosage des marqueurs sériques pour interpréter les résultats et sont donc indispensables pour l'appréciation d'un risque accru. Ils ne présentent actuellement entre eux aucune homogénéité. L'harmonisation des logiciels s’avère ainsi un impératif si l'objectif fixé par la loi d'une évaluation et d'une comparaison des équipes doit être atteint.

Cette harmonisation sera confiée à un groupe de travail chargé de formuler dans les plus brefs délais des préconisations, d’ordre scientifique ou technique et éventuellement d'ordre réglementaire, permettant d'obtenir une standardisation des méthodes biologiques, une définition d'un seuil de risque unique et une homogénéisation des logiciels utilisés.

Il conviendra d'autre part de vérifier par des inspections de médecins ou de pharmaciens inspecteurs de santé publique, le respect par les laboratoires de biologie médicale de la réglementation qui ne permet qu’aux seuls laboratoires ayant reçu leur agrément en application du décret du 6 mai 1995 de pratiquer ces dosages de marqueurs sériques.

b) Il est également proposé dans le rapport, d'engager une réflexion sur les conditions de réalisation des examens échographiques pour le dépistage de la trisomie 21.

Deux groupes de travail ont été réunis à la direction générale de la santé, l'un sur la formation des praticiens, l'autre sur le contrôle de la qualité des échographes :

- concernant la possibilité de réserver la pratique des échographies à des praticiens « habilités », le ministère du travail et des affaires sociales est dans l'attente des conclusions d'une commission ad hoc de l'Ordre national des médecins ;
- s'agissant du contrôle de la qualité des échographes, les professionnels regroupés dans une association ont entrepris d'effectuer une validation sur une période d'un an des conclusions du groupe de travail de la direction générale de la santé : à l'issue de cette période de validation, un contrôle pourra être rendu obligatoire avec une base législative.

3. Une période probatoire de deux ans permettra de mener à bien un programme d'évaluation, période pendant laquelle la prise en charge de l'examen de caryotype fœtal, sera effectuée par l'assurance-maladie sur la base d'un critère de risque.

a) Il convient de lancer, comme il est recommandé dans le rapport, un programme d'évaluation pendant une période de deux ans pour procéder à une observation et une évaluation minutieuse de l'application de l'ensemble des dispositions qui vont être mises en place.

Durant cette période, il sera assuré un suivi très rigoureux du respect de ces dispositions par un comité de suivi et d'évaluation qui sera chargé de mener à bien ce programme. Il s'agira pour ce comité :

- de vérifier le respect du dispositif ;
- d'évaluer la pertinence de celui-ci en regard des objectifs poursuivis ;
- de faire toute proposition visant à améliorer, tant dans le domaine éthique que dans le domaine scientifique et technique ;
- de déterminer les meilleures modalités possibles de suivi et d'évaluation une fois la période probatoire écoulée.

La composition de cette instance de suivi et d'évaluation sera prochainement fixée sachant qu'elle comportera des membres de la Commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et de diagnostic prénatal ainsi que des personnalités désignées pour leurs compétences éthiques, scientifiques ou juridiques.

b) Concernant le remboursement, et suivant en cela la recommandation du professeur Mattei, la prise en charge se fera, concurremment au critère d’âge qui est conservé, en fonction du risque. Il ne doit pas y avoir d'inégalité d'accès des femmes au remboursement à risque égale.

Concrètement, et pour la période probatoire de deux ans correspondant au programme d'évaluation, l'inscription à la nomenclature des actes de biologie médicale du dosage des marqueurs sériques comme sixième indication de la prise en charge du caryotype sera réalisée.

II. - L'accueil et l'insertion des porteurs de handicaps

Le professeur Jean-François Mattei considère que les questions éthiques et techniques posées par cette méthode de dépistage doivent être mises en perspective dans un cadre plus large qui est celui de la capacité de l'État à offrir un cadre d'insertion aux enfants trisomiques destiné à naître et plus généralement à tous les enfants et adultes porteurs de handicap.

Il s'agit donc de permettre aux femmes d'accueillir ces enfants dans les meilleures conditions. C’est l’un des objectifs de la loi d'orientation en faveur des personnes handicapées.

Les différents volets de cette politique font l'objet de réflexion par 5 groupes de travail mis en place à l'issue du Comité national consultatif des personnes handicapées du 13 mai 1996 qui vont rendre très prochainement leurs propositions.

S’agissant de l'intégration scolaire, les actions engagées depuis près de 15 ans en matière d'intégration scolaire doivent être poursuivies, avec une volonté accrue, en développant encore les structures d'aide et d'accompagnement du jeune enfant maintenu en milieu ordinaire.

Concernant l'insertion professionnelle des personnes handicapées, les CAT doivent remuer avec une de leurs finalités premières qui est de constituer pour certaines personnes handicapées un lieu de transition vers le milieu moins protégé de travail.

Pour l'aide à domicile, une expérimentation tendant à faciliter l'accès des personnes handicapées aux aides techniques selon des modalités rénovées garantissant le libre choix de leur lieu et mode de vie, démarrera dans quatre départements à partir du premier trimestre de l'année 1997.

Quant à l'accueil des adultes lourdement handicapées, l'action de l'État a été constante, continue et volontariste à cet égard, en aidant les associations et en développement très sensiblement les capacités d'accueil des personnes handicapées adultes par l'octroi de moyens financiers réguliers et importants (140 millions de francs en 1995, 100 millions en 1996), effort qui se poursuivra durant l'année 1997.

III. - Le développement de la recherche sur les maladies génétiques et les trisomies en particulier

Une des autres préconisations du rapport est de mettre en place un programme de recherche spécifique sur la connaissance des causes et des mécanismes d'apparition des anomalies chromosomiques.

Les avancées des connaissances dans le déterminisme de la trisomie 21 et plus généralement des maladies liées à des anomalies chromosomiques, la compréhension des bases biologiques de la pathologie ainsi que le développement de moyens préventifs et thérapeutiques reposent sur de nombreuses disciplines scientifiques et sont étroitement liées aux recherches développées dans d'autres domaines. Le développement de ces recherches doit donc reposer sur des réseaux de laboratoires que nous cherchons à favoriser.

Le secrétariat d'État à la recherche et le secrétariat d'État à la santé et à la sécurité sociale ont décidé de confier, en liaison avec l’INSERM et le CNRS, une mission à Monsieur Pierre-Marie Sinet, directeur de recherche au CNRS, directeur de l'unité « Expression génétique et pathologie du développement » et de groupe « Pathologie humaine et chromosome 21 » à l'hôpital Necker. Cette mission devra proposer pour le début de l'année 1997, un plan d'action pour le renforcement des recherches sur les pathologies liées à des anomalies chromosomiques, de la recherche fondamentale à la recherche clinique.

Cette action s'intègre dans les priorités exprimées lors du comité interministériel sur la recherche scientifique et technique, visant à renforcer la recherche médicale et les recherches en génétique sachant que les maladies génétiques constituent déjà un secteur où la recherche est très engagée.

Nous en voulons pour preuve le fait qu'il existe actuellement 66 unités concernées dans le domaine de la génétique à finalité médicale. Parmi celles-ci, 28 unités INSERM se sont consacrées particulièrement au diagnostic génétique et à la recherche de facteurs de susceptibilité génétique. La recherche en génétique est et demeura l'une de nos principales priorités en matière de recherche : les recherches dans le domaine du génome humain et des maladies liées à des anomalies génétiques représentent en France environ 570 MF de crédits publics de recherche.

Voilà donc les principaux points que je souhaitais aborder devant vous. En conclusion, je crois qu'il nous faut continuer à réfléchir à ces questions qui sont entre la solidarité humaine et l'intérêt collectif. Ces notions sont lourdes de sens, d'ambition et de risque. Je ne peux donc évidemment pas présumer ce que nous ou nos successeurs décideront après cette période probatoire. J'ai bien conscience d'avoir ici évoqué de nombreux problèmes et d'avoir moi-même posé de nombreuses questions. C'est une démission du comité de suivi de les approfondir. Nous en suivrons les travaux, Jacques Barrot et moi-même avec la plus grande attention. De ses réflexions dépend en effet la seule question qui vaille et à laquelle je crois, nous avons enfin pleinement restituer le sens : « Quelle société voulons-nous pour quel homme ? »