Déclaration de M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances, sur la modernisation du cadre de gestion financière, budgétaire et comptable des collectivités locales, Paris le 10 octobre 1996.

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Circonstance : Colloque sur "La Modernisation et la transparence des finances locales" à Paris le 10 octobre

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,

Je suis heureux de saluer ce matin M. Christian Poncelet, président de la commission des finances du Sénat, M. Paul Girod, vice-président du Sénat, M. Jean-Paul Delevoye, président de l'association des maires de France, M. Gilles Carrez, député du Val-de-Marne, ainsi que tous les élus, magistrats et hauts fonctionnaires qui ont accepté de participer à cette journée de travail.

J'ai le plaisir de vous accueillir au centre de conférences du ministère de l'Économie et des Finances pour introduire cette journée de débats sur la modernisation et la transparence des finances locales, en vous livrant quelques réflexions introductives sur le thème de vos travaux d'aujourd'hui.

Les deux exigences de modernisation et de transparence sont au cœur des préoccupations du Gouvernement, et guident très largement les travaux sur la réforme de l'État. Un État plus accessible aux citoyens, moins distant, plus attentif aux préoccupations quotidiennes, plus efficace. Un État moins coûteux aussi, pour être pleinement au service de l'ensemble de nos concitoyens, sans étouffer l'économie par des niveaux de prélèvements insupportables, ce qui suppose des efforts de réforme ou de réorganisation dont ce ministère doit savoir donner l'exemple. Ces préoccupations ne sont pas moins essentielles pour les collectivités locales.

La décentralisation, en supprimant les tutelles de l'État sur les collectivités implique en contrepartie la responsabilité directe des élus vis-à-vis des électeurs et des contribuables dans l'utilisation des fonds publics, ce qui suppose beaucoup de transparence.

En quinze ans de décentralisation, des progrès ont été accomplis, mais certaines lacunes ou certaines déficiences ont amené plus ou moins progressivement, parfois plus brutalement, si l'on pense à certains sinistres financiers de collectivités locales, à la prise de conscience de la nécessité de mener à bien des réformes pour accompagner le mouvement de décentralisation qui s'est d'abord traduit sur un plan institutionnel, par la modernisation du cadre de gestion financière et budgétaire.

1. – La transparence est une exigence démocratique intimement liée à la décentralisation

En supprimant les tutelles et en élargissant les compétences, la décentralisation a rapproché l'élu local et le citoyen et, par là-même, renforcé l'exigence d'information, notamment financière.

Nos concitoyens, électeurs et contribuables, ont en effet une attente de plus en plus forte d'informations, soit par eux-mêmes, soit par le relais de groupements ou d'associations. Les élus eux-mêmes, lorsqu'ils ne participent pas, comme adjoints ou comme vice-présidents, à l'exécutif des collectivités, éprouvent ce besoin d'information financière, qui est devenu une des composantes du débat démocratique local. Dans notre pays, la démocratie s'est construite sur cette idée très forte du consentement à l'impôt, et du droit qu'a chaque citoyen de demander des comptes aux agents publics, c'est-à-dire aux élus. Il en va de même lorsque l'on perçoit une redevance ou le prix de services livrés dans le cadre de régies. C'est donc une bonne chose que la dimension financière ait toute sa place dans la vie démocratique locale.

Ceci est d'autant plus important que, en confiant de nouvelles compétences aux collectivités locales, la décentralisation a accru leur importance économique : 10 % du PIB, 30 % des dépenses des administrations publiques, 12,5 % des investissements de la Nation.

Ces quelques chiffres illustrent le besoin de dialogue pour expliquer les choix économiques et sociaux des collectivités, qui pèsent tant dans la vie économique et dans la vie quotidienne de nos concitoyens et pour rendre compte de la mise en œuvre et de leurs conséquences financières notamment fiscales.

Or, les risques attachés au mangue de transparence sont importants.

En premier lieu, le poids de la fiscalité locale, nécessairement accru par les nouvelles responsabilités des collectivités locales, rend le contribuable local plus sensible à l'impact fiscal des décisions. La transparence doit aussi leur donner un peu plus de visibilité sur l'évolution de la fiscalité.

Les collectivités ont d'autre part des partenaires financiers, des banquiers ou des prêteurs, qui doivent pouvoir analyser leur risque, en disposant d'informations financières, comme ils le font vis-à-vis des entreprises, n'oublions pas que si la collectivité rencontre un jour des difficultés pour honorer ses dettes, ce sont les prêteurs qui en devront en supporter les conséquences.

Enfin, l'État, c'est-à-dire le contribuable national, doit pouvoir mesurer les risques qui pèsent globalement sur les finances publiques. Je vous rappelle qu'en comptabilité européenne, les comptes de toutes les administrations publiques, y compris les collectivités locales, sont consolidés, pour mesurer le besoin de financement ou l'endettement public.

Mais il faut aussi se souvenir que la solidarité nationale a été parfois appelée, d'une manière qui doit demeurer exceptionnelle, à payer les conséquences d'une gestion hasardeuse, opaque, aggravée par la multiplication de satellites ou d'engagements « hors bilan ». Il existe bien sûr des dispositifs de contrôle et de prévention des dérapages financiers, qui font intervenir le Préfet, le réseau du Trésor Public et les chambres régionales des comptes, mais pour que ces mécanismes puissent fonctionner il faut que les informations financières soient complètes et sincères. Je n'ai pas besoin de citer d'exemples : certains sont devenus malheureusement emblématiques des dysfonctionnements attribués à la décentralisation, et ont favorisé la prise de conscience de la nécessité de faire évoluer les choses, et d'entreprendre des réformes, qui sont venues compléter les réformes institutionnelles de la décentralisation.

2. – Les réformes qui ont été engagées concourent à la fois à la transparence et à la modernisation. Elles doivent toutefois être complétées

La satisfaction de l'exigence de transparence ne peut se faire en effet sans la modernisation des outils et des méthodes appliquées aux finances locales.

La situation ancienne était très imparfaite. Les comptes des collectivités locales souffraient de graves lacunes, notamment en ce qui concerne la détermination du résultat de l'exercice ; de nombreuses causes d'appauvrissement et d'enrichissement n'étaient pas retracées dans une optique patrimoniale, les risques hors bilan n'apparaissaient pas.

La transposition au secteur public local du nouveau plan comptable général de 1982 applicable au secteur marchand, a fourni l'occasion d'une réforme comptable qui se concrétise pour les communes par l'instruction « M 14 », dont l'entrée en vigueur générale est prévue au premier janvier prochain.

La modernisation de la gestion budgétaire et comptable des collectivités locales a pour but de remédier aux insuffisances que je viens d'évoquer.

Deux grandes étapes ont été franchies dans la réalisation de cette entreprise.

La loi du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République a visé à améliorer l'information financière, notamment des tiers, sur les budgets de l'ensemble des collectivités territoriales. Elle crée, dans le secteur local, le débat d'orientation budgétaire dans les deux mois qui précèdent le vote du budget et elle introduit une première notion de consolidation de I' information financière, qui permet d'avoir une vue plus complète qu'auparavant des différentes activités de la collectivité.

En second lieu, la loi du 22 juin 1994 et l'instruction M 14 mettent en œuvre la modernisation de la gestion des communes. Elles sont le résultat d'une intense concertation entre les représentants des collectivités – élus et fonctionnaires territoriaux – et l'État. Je crois pouvoir dire que cette réforme dépasse fort heureusement les clivages de nature politique.

En rapprochant les règles comptables appliquées par les collectivités locales des principes du plan comptable général, comme la logique de continuité d'exploitation, l'indépendance des exercices et la patrimonialisation des comptes, on favorise une meilleure lisibilité et une fiabilité accrue des finances locales pour tous ceux qui sont concernés par leurs décisions et leurs actions : élus, citoyens, entreprises, prêteurs.

On donne en même temps aux décideurs locaux des instruments qui leur permettent d'améliorer sensiblement leur gestion, que ce soit pour planifier leur effort d'investissement, ou pour se prémunir contre les risques financiers.

Naturellement, cette réforme tient compte des particularités qui s'attachent aux comptes publics. Elle ne peut pas transposer purement et simplement des règles applicables aux entreprises du secteur marchand à des collectivités dotées de prérogatives de puissance publique comme la levée de l'impôt et investies de missions inconnues chez les agents privés. L'intense concertation menée sur le projet de loi comme sur les décrets d'application a permis, je pense, de prendre en compte de manière satisfaisante ces spécificités par exemple en lissant dans le temps l'impact budgétaire de la réforme comptable. Je pense que ceci fera l'objet d'une partie de vos débats d'aujourd'hui.

De nouveaux progrès sont cependant nécessaires.

Il faut d'abord entreprendre, sur le modèle de la comptabilité communale, la modernisation des comptabilités des départements et des régions. Les mêmes principes guideront ces travaux de modernisation, en les adaptant aux contraintes particulières de ces collectivités, dans le même souci de concertation : des groupes de travail ont été constitués dans ce but avec l'APCG comme avec l'APCR.

D'autre part, il restera nécessaire de poursuivre l'enrichissement de la vision patrimoniale des comptes des collectivités locales, en prévoyant, notamment, une démarche de consolidation du périmètre communal pour que l'ensemble des risques soient appréhendés.

Je crois qu'il faudra aussi progresser dans le sens d'une modernisation de la gestion des investissements par la mise en œuvre des procédures d'autorisations de programme et de crédits de paiement, au moins dans les grandes collectivités. Il conviendra de vérifier la cohérence entre les AP et les CP en évitant les dérives constatées dans le passé, notamment dans le budget de l'État.

D'autres réformes sont tout aussi nécessaires et contribuent également aux progrès de la transparence ; je pense en particulier à la réforme du code des marchés publics à laquelle travaille Yves Galland sur la base du rapport qui avait été demandé à Monsieur Trassy-Paillogues. Cette réforme visera, au premier chef, à clarifier et à simplifier des règles fondamentales pour la transparence de l'action publique locale. On aura soin d'éviter la « paperasse » et de privilégier la transparence et l'éthique qui préside aux décisions.

3. – La transparence repose aussi sur les acteurs de la vie locale : élus, organes de contrôle, administrations d'État

Les élus ont un rôle fondamental à jouer qui va bien au-delà de la seule application des réformes que je viens de citer. La transparence est un des fondements du débat démocratique que les élus doivent faire vivre.

Les élus locaux disposent pour cela de plusieurs moyens autour de ce que l'on appelle la « communication financière ». Cette expression peut apparaître un peu pompeuse pour certaines petites collectivités, mais il est essentiel que les élus communiquent sur les finances de la collectivité, vis-à-vis des contribuables et des partenaires financiers.

À cet égard, les élus locaux ont un rôle pédagogique crucial à remplir vis-à-vis des contribuables, et la modernisation comptable est là aussi pour aider les élus à tenir un langage de vérité.

Les instances de contrôle et de régulation, notamment les Chambres régionales des comptes, constituent bien entendu un rouage essentiel pour assurer le respect des règles et jouent donc un rôle irremplaçable pour la préservation de la transparence financière. À cet égard, la loi du 29 janvier 1993, qui a organisé la communication aux assemblées locales des avis des chambres régionales des comptes a représenté un progrès dans le sens d'une plus grande transparence. Je souhaite pour ma part que les chambres régionales des comptes privilégient la certification de la régularité et de la sincérité des comptes publics. Il n'entre pas dans leur mission de porter une appréciation sur les politiques mises en œuvre.

Enfin, les services de l'État ont aussi un rôle à jouer et concourent directement ou indirectement à satisfaire les exigences de transparence financière.

Le Préfet joue un rôle capital, puisqu'il exerce des compétences particulières en matière de contrôle de légalité et de contrôle budgétaire.

Les services du ministère de l'économie et des finances apportent eux aussi, cela va de soi, leur contribution à l'effort de transparence : En matière de concurrence et de marchés publics, les services de la DGCCRF apportent leur expertise dans les commissions d'appel d'offres ; les services fiscaux également jouent un rôle important au service des collectivités.

S'agissant de gestion financière et comptable, le rôle du comptable public est naturellement central.

Il ne fait pas de doute que la décentralisation a été au début des années 1980 l'occasion d'interrogations sur le rôle du comptable public, et plus généralement sur la pertinence des règles de la comptabilité publique pour les collectivités locales. Après quelques débats, il fut admis que les finances d'une collectivité publique qui tire ses ressources de l'impôt devaient obéir à des règles, à des garanties particulières, et que la comptabilité publique offrait un certain nombre de garde-fous, voire de protections pour les plus petites collectivités, sans être nécessairement un obstacle à la modernisation, bien au contraire. Tout en maintenant les principes, le droit comptable a largement permis la modernisation des procédures et des méthodes.

Aujourd'hui, le Trésor public exécute les budgets locaux et tient les comptes des collectivités locales dans un cadre harmonisé et en cours de complète rénovation.

La position particulière du comptable public lui permet ainsi de jouer un rôle de conseil, à disposition des élus, sans jamais se substituer à leur responsabilité, en s'appuyant sur les outils méthodologiques mis au point par la direction de la comptabilité publique en matière d'analyse financière notamment.

Par ailleurs, l'existence d'un réseau comptable permet d'effectuer des centralisations d'informations financières sur les collectivités locales et de fournir une vision globale des finances des collectivités. Ces centralisations sont utiles, non seulement à un niveau « macro-économique », mais aussi en donnant aux décideurs locaux des éléments de référence et de comparaison avec des collectivités présentant des caractéristiques voisines.

Ces différents thèmes feront l'objet de tables rondes au cours de la journée, et je tiens à remercier tout particulièrement les personnalités qui ont accepté de présider ou de participer à ces tables rondes. Elles seront consacrées :
    – à la transparence, enjeu de la démocratie locale, présidée par M. Christian Poncelet, président de la Commission des finances du Sénat ;
    – aux instruments de la transparence, présidée par Monsieur Limouzin Lamothe, président de Chambre régionale des comptes ;
    – aux acteurs de la transparence, présidée par M. Jean-Paul Delevoye, président de l'Association des maires de France ;
    – à l'apport du Trésor Public à la modernisation de la gestion locale, présidée par M. Michel Gonnet, Directeur de la comptabilité publique.

En conclusion, je dirais qu'à certains égards, la gestion financière des collectivités locales est en avance sur l'État, comme en témoigne le « retraitement » du budget de l'État sous la forme du budget d'une collectivité locale, qui a été un élément fort du débat d'orientation lors de la présentation du budget pour 1997.

Cette avance montre que la comptabilité des organismes publics n'est pas chose figée et qu'il existe sans doute dans le secteur public local une référence pour le chantier de mise en œuvre d'une véritable comptabilité patrimoniale pour l'État auquel j'attache une importance primordiale. Ainsi la décentralisation aura-t-elle servi dans le domaine comptable, comme dans d'autres, d'aiguillon pour une modernisation de l'État.

La qualité de nos instruments comptables nous offre les moyens d'assainir nos finances publiques. Dès lors, la baisse des taux d'intérêts allège le poids des charges et nous redonne les moyens d'investir et de construire l'avenir.

Je souhaite que vos travaux d'aujourd'hui permettent aussi de trouver quelques pistes, quelques voies d'avenir pour progresser encore dans le sens d'une plus grande qualité du système financier et comptable public.

Au total, j'ai bon espoir que l'amélioration de I' information comptable constitue l'un des bons leviers pour réduire le poids des impôts. L'État comme les collectivités locales doivent s'attacher à maîtriser la dépense publique. C'est au prix de cette détermination que nous retrouverons des marges de liberté. C'est alors que nous serons pleinement en mesure d'enrichir la croissance, de susciter des investissements productifs, d'accroître la valeur ajoutée nationale, de créer des emplois et de renforcer la cohésion nationale.

Nous démontrerons que la transparence est bien le gage de la régulation républicaine et de la démocratie.