Interview de Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication, dans "Libération" le 19 mars 1998, sur la privatisation du groupe RMC, le Mouv' et le projet de loi sur l'audiovisuel.

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Média : Emission Forum RMC Libération - Libération

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Libération : Le forcing de NRJ a visiblement payé pour la reprise de RMC. Comment allez-vous faire avaler la pilule à RTL et à Europe 1 qui crient déjà à la mort ?

Catherine Trautmann : Pour moi, il est important que nous ayons réussi là où nos prédécesseurs avaient échoué à plusieurs reprises. Le dossier choisi (le trio NRJ, Sud Radio et « La Dépêche du Midi », complété par LV and Co, ndr) assure la pérennité des différentes antennes (RMC, Nostalgie, Montmartre). Les repreneurs sont des groupes solides et expérimentés en matière de radio. En tant que ministre de la communication, je me devais de veiller à ce que les fragiles équilibres du secteur de la radio ne soient pas déstabilisés. C’est pourquoi le Conseil supérieur de l’audiovisuel et le Conseil de la concurrence seront saisis. Je suis également très attachée à ce que les accords de régies publicitaires soient effectivement rompus (1). Il faut également que les responsables du groupe NRJ confirment leur engagement à ne pas collecter de publicité locale sur au moins l’un de leurs réseaux (NRJ, Chérie FM, Rire et Chansons, Nostalgie, ndlr).

Libération : Quelles garanties avez-vous obtenues pour éviter le démantèlement à terme du groupe RMC ?

Catherine Trautmann : La préservation de l’unité du groupe RMC n’était pas un objectif en soi. L’essentiel était que la station RMC puisse rester une radio généraliste. Chaque citoyen doit pouvoir s’informer des prises de position politiques. Cette activité d’information est coûteuse, dans un contexte où les généralistes ont une part d’audience plus faible que les thématiques, et avec des recettes publicitaires qui baissent. J’ai également souhaité un audit des fréquences pour sortir du soupçon d’inégalité dans la répartition.

Libération : Comment allez-vous préserver le pluralisme dans ce secteur ?

Catherine Trautmann : Aujourd’hui, le Conseil de la concurrence peut être saisi a posteriori pour juger des abus de position dominante, mais il n’est pas compétent en matière de concentration dans le secteur audiovisuel. Le projet de loi étendra sa compétence dans ce domaine. En outre, le CSA aura désormais le pouvoir de s’opposer à des concentrations qui porteraient atteinte au pluralisme.

Libération : Pourquoi donnez-vous un blanc-seing à Michel Boyon, PDG de Radio France, malgré les fortes réserves émises sur son action par l’audit sur Le Mouv’ ?

Catherine Trautmann : Il n’y a pas de blanc-seing à Monsieur Boyon. Je lui ai demandé comment faire passer Le Mouv’, dont l’audience est restreinte et les moyens importants, à une radio jeune de service public plus largement accessible. J’attends de lui pour la fin avril des réponses précises, en ce qui concerne notamment l’enrichissement du programme et l’élargissement de l’auditoire. Ce projet doit s’intégrer dans la configuration globale de l’entreprise, être compris et porté par le personnel, et pas seulement par la direction.

Libération : Pourquoi avez-vous laissé Michel Boyon lancer Le Mouv’ en juin et vous mettre ainsi devant le fait accompli ?

Catherine Trautmann : Ce projet était prêt à démarrer avant que j’arrive, les gens étaient embauchés, le matériel était installé… Je ne suis pas une liquidatrice. Tout arrêt aurait été interprété comme une décision arbitraire et politique. C’est pourquoi j’ai souhaité un audit approfondi car je veux introduire davantage de transparence dans la gestion des sociétés publiques. Une telle exigence est la contrepartie de la pluri-annualité budgétaire, qui sera introduite dans le projet de loi. Ce qui constitue d’ailleurs un pas considérable de la part de mes collègues de Bercy…

Libération : Pour l’instant, votre projet est quasi muet sur le financement du service public à la télé…

Catherine Trautmann : Je n’ai présenté que les grandes lignes de ce projet, qui intégrera plusieurs autres points. Notamment des mesures visant à contenir le niveau des ressources publicitaires dans l’audiovisuel public. Il ne faut pas que les chaînes soient amenées à perdre leur identité dans un système de concurrence débridé.

Libération : Vous aviez demandé au service public d’être « exemplaire » en échange de l’augmentation de la redevance. L’échec de la réforme de l’info sur France 2 ne vous inquiète-t-il pas ?

Catherine Trautmann : J’ai constaté qu’il y a eu une grève à France 3 et que France 2 est encore à la recherche de son positionnement. J’estime que l’une et l’autre chaîne ont des moyens largement comparables à d’autres chaînes publique publiques européennes. D’ailleurs, la mobilisation d’une entreprise, l’innovation, l’implication des équipes ne passent pas forcément par des moyens financiers supplémentaires. Cela dit, l’État doit jouer un rôle actif d’actionnaire, il doit être à même de poser des critères de qualité. Par exemple, le public réclame, me semble-t-il, davantage d’émissions culturelles à la télévision. Je ne peux pas me déplacer dans les réunions publiques sans être interpellée sur cette question.

Libération : Comment justifier l’écart considérable entre vos annonces cet été et le contenu de votre projet de loi audiovisuelle qui ménage les grands groupes ?

Catherine Trautmann : Je n’ai pas changé sur les objectifs. J’avais bien dit que je n’allais pas provoquer de cataclysme audiovisuel. Certes, je n’ai pas repris la proposition d’un seuil capitalistique limité à 25 %, parce que j’ai constaté qu’un pacte d’actionnaires pouvait facilement contourner ce seuil sans régler le problème du risque d’influence. Pour sortir du soupçon d’influence, j’ai préféré la solution du « cantonnement », qui consiste à empêcher les interférences entre les activités audiovisuelles et les autres activités d’un groupe.

Libération : Croyez-vous vraiment que ce sera efficace, que Patrick Le Lay, PDG de TF1, coupera les ponts avec Martin Bouygues ?

Catherine Trautmann : Ces mécanisme de transparence auront des effets plus dissuasifs que vous ne croyez.

Libération : Cela signifie tout de même que le lobbying a plus de poids que les promesses électorales…

Catherine Trautmann : Le problème des grands groupes existe, et c’est nous, les socialistes, qui l’avons posé. J’ai vu tous les groupes, je les ai tous écoutés. D’ailleurs, ils contestent déjà un certain nombre de dispositions. Quant à la proposition du PS de mettre un verrou à 25 %, elle s’inscrivait dans le débat sur la loi de mon prédécesseur (Philippe Douste-Blazy, ndlr). Dans un domaine aussi capital que celui de la liberté de communication, on ne bâtit pas une loi contre tel ou tel groupe. J’observe d’ailleurs que, pendant longtemps, toute l’attention se portait sur Bouygues. Maintenant, tout se focalise sur la Générale des eaux. Je veux un cadre législatif qui permette d’assurer dans la stabilité les évolutions du paysage audiovisuel des années à venir.

Libération : Est-ce bien le rôle de l’État de protéger les grands groupes français contre les « prédateurs » étrangers ?

Catherine Trautmann : Mais que veut-on ? S’amuser à déstabiliser des entreprises cotées en bourse, avec des investissements importants ? Ce sont des milliers d’emplois et 90 milliards de chiffre d’affaires. Par conséquent, on n’y touche pas sans bien y réfléchir. Dès l’instant où il y aura séparation entre audiovisuel et marchés publics, il n’y a aucune raison de leur interdire droit de cité.

Libération : Ne manque-t-il pas un signe politique fort dans votre projet, puisque la plupart des vos amis politiques vous tirent dessus à boulets rouges ?

Catherine Trautmann : Je ne connais pas de loi audiovisuelle qui ne soit l’objet de critiques, et j’en prends de tous les côtés. Que certains ne soient pas complètement convaincus, c’est évident. Et je profite du report de la discussion parlementaire à l’automne pour approfondir la concertation. Mais je n’ai pas l’ambition de faire une loi symbolique dont les effets dévastateurs se révéleraient après. Abaisser le seuil capitalistique à 25 % se révèle plus symbolique qu’efficace, je préfère donc proposer d’autres mesures. La gauche a créé la chaîne Berlusconi, la droite a privatisé TF1, je ne considère pas, dans ces deux cas, qu’on ait pleinement pris la mesure de ces décisions et de leurs conséquences.

Libération : Avez-vous demandé à Lionel Jospin d’abandonner la fonction de porte-parole pour préserver votre portefeuille de la communication ?

Catherine Trautmann : Je déplore ces interprétations. Avec Lionel Jospin, on ne marchande pas son poste ministériel. Ce n’est pas une affaire de troc. Laissons le soin au Premier ministre d’annoncer ses décisions lui-même.


Recueilli par Marie-Dominique Arrighi et Odile Benyahia-Kouider

(1) La régie publicitaire de NRJ avait passé des accords avec la régie IP du groupe RTL. Le gouvernement a posé comme condition la rupture de ces accords pour ne pas étouffer la régie d’Europe 1, dont la taille aurait été moindre.