Interview de Mme Elisabeth Guigou, ministre de la justice, à TF1 le 24 octobre 1999, sur la visite du Président chinois Jiang Zemin en France, et sur la polémique soulevée par la fuite de Maurice Papon à la veille de l'examen de son pourvoi en cassassion.

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Média : Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

Ruth ELKRIEF : Bonsoir. Je suis très heureuse de vous retrouver pour ce nouveau numéro de « 19 : 00 dimanche ». Notre invitée ce soir est Élisabeth GUIGOU, la Garde des Sceaux. Nous reviendrons avec elle sur la semaine judiciaire très chargée, la fuite puis l'arrestation de Maurice PAPON, les affaires politico-financières mais aussi la justice au quotidien avec un reportage sur les coulisses du tribunal de Créteil, notre équipe y a passé trois jours. Nous retrouverons aussi Jean SAINT-JOSSE, tête de liste des chasseurs aux dernières élections européennes, il n'a rien changé à sa vie et cette semaine, il ouvrait avec ses amis la chasse à la palombe. Enfin qui est vrai Jurg HEIDER ? Le leader de l'extrême-droite autrichienne a surgi sur la scène politique après les dernières législatives et fort de son succès, il cherche à lisser son image. Nos reporters l'ont suivi. Mais bien sûr à présent, c'est notre premier rendez-vous : l'actualité de la semaine.

- Agenda de la semaine -

Ruth ELKRIEF : Élisabeth GUIGOU, merci beaucoup d'être sur ce plateau. Vous êtes la ministre de la Justice, la Garde des Sceaux. On va parler de toute l'actualité judiciaire et politique avant de parler de Maurice PAPON. Juste ces images, Jiang ZEMIN, la chaleur de l'accueil réservé au Président chinois par le Président CHIRAC et son épouse, vous la trouvez normale ou excessive comme l'a dit François HOLLANDE qui parle de maladresse ?

Élisabeth GUIGOU : Je trouve que l'impasse ne peut pas faire l'impasse de relations avec un pays comme la Chine et par conséquent accueillir son chef d'État.

Ruth ELKRIEF : Dans des conditions normales, en faisant un service minimum ou en en rajoutant selon certains ?

Élisabeth GUIGOU : Écoutez, moi je n'ai pas de commentaires à faire sur ce que le Président de la République a décidé de faire dans cet accueil. Je crois que ce qui est important, c'est effectivement de dire deux choses pendant ce voyage, d'abord de dire qu'on veut avoir des relations avec la Chine, c'est un pays de 1,6 milliards de personnes ; et d'autre part de rappeler, ce qu'avait fait Lionel JOSPIN lorsqu'il est allé en Chine il y a un an, que nous insistons pour les Droits de l'Homme et pour qu'enfin aussi on respecte les droits des Tibétains. Moi je me souviens d'avoir rencontré le Dalaï Lama lorsqu'il est venu à Paris et j’étais allée le voir pour qu'il me dise comment il voyait les choses ; et il m'a dit « je ne souhaite pas l’indépendance, je ne souhaite pas que l'on crée un conflit dur, ce que je veux, c'est une évolution ». Bon. Et je crois que Lionel JOSPIN il y a un an, les dirigeants français aujourd'hui vont se faire l'interprète si vous voulez de ces personnes qui veulent en effet que la Chine évolue davantage que ça n'est le cas aujourd'hui, vers un régime plus démocratique. On en est loin, c'est vrai, encore.

Ruth ELKRIEF : Élisabeth GUIGOU, vous auriez dansé avec Jiang ZEMIN ?

Élisabeth GUIGOU : Vous savez, d'abord dans le métier que je fais, j'ai rarement l'occasion de danser malheureusement et donc voilà... la question ne s'est pas posée.

Ruth ELKRIEF : Je n'insisterai pas. Alors on a vu aussi les images de Maurice PAPON évidemment. Vous étiez un peu au cœur de cette affaire, on a parlé d'une affaire d'État, la justice a été mise en cause. Vous avez dit tout au long de l'affaire que l'État de droit était respecté mais franchement, comment l'avez-vous vécue sur le plan personnel ? On vous dit la bonne élève du Gouvernement, vous vous êtes dit : oh là là ! C'est la crise, c'est grave ?

Élisabeth GUIGOU : Évidemment c'était très sérieux puisque Maurice PAPON cherchait à échapper à la justice de son pays. Ça signe d'ailleurs le personnage : la lâcheté... c'est une continuité à mon avis. Quand Maurice PAPON était préfet, il a été complice de la livraison de 1 690 juifs aux Allemands. II faut relire tout ça. Toute une famille… Je voyais un convoi de janvier 44, vous avez une famille TORRES, les deux parents, les huit enfants, de trois ans à dix-huit ans, ils ont été envoyés à Auschwitz, ils ont été tous exterminés. II ne faut pas oublier ça. Donc il y a eu ça, pendant ce temps, il y avait aussi un préfet à la même époque, Jean MOULIN, qui a su dire non. Et donc je trouve que cette fuite, c'est l'aveu d'une vie. Voilà. Alors à partir de là, évidemment c'était très sérieux mais en même temps, comment vous dire... j’ai toujours pensé qu'on le retrouverait. Ce n'était pas possible…

Ruth ELKRIEF : Quelle sérénité ! Vous n'avez jamais douté ? Vous n'avez jamais eu peur qu'on ne le retrouve pas et que l'État français soit mis en échec ?

Élisabeth GUIGOU : Bien entendu mais en même temps, après dix-huit ans de procédure, je me disais : ce n'est pas possible, ce procès a eu lieu et il a fallu se battre pour qu’il ait lieu. Ce procès a été conduit jusqu'à son terme. Monsieur PAPON a été condamné. II faut qu'il exécute sa peine. Alors je ne sais pas... j'avais confiance, je pense, dans la capacité de la police que je veux saluer, qui a fait tout un travail de fond là-dessus.

Ruth ELKRIEF : On va y revenir Élisabeth GUIGOU. Vous, vous n'avez jamais douté, vous n'avez jamais été en crise. C'était une crise politique grave. Vous n'avez jamais eu peur d'un échec, vous vous êtes jamais dit : c'est la tuile ?

Élisabeth GUIGOU : Évidemment, j'aurais préféré qu’il ne s'enfuit pas mais comme on n'avait pas de moyens juridiques de le laisser partir et que ce qui était important, ce qui est important dans la démocratie surtout face à des personnages de ce genre, c'est justement de ne jamais employer les mêmes méthodes, c'est-à-dire de respecter le droit et la loi.

Ruth ELKRIEF : On va y revenir donc bien sûr sur ces questions purement juridiques et politiques autour de l'affaire PAPON. Mais parlons aussi tout de suite de la préoccupation… d'une grande préoccupation des Français : les rapports de la justice et du citoyen. Cécile TIMOREAU et Olivier CALMET ont planté leur camera pendant trois jours au tribunal de Créteil et ils nous montrent le fonctionnement de la justice au quotidien. Alors nous nous sommes bien sûr engagés à respecter l'anonymat des prévenus, aussi je vous précise que les visages sont masqués et les noms, modifiés.

Cécile TIMOREAU : 9h30 mercredi, le tribunal de Créteil foisonne déjà. 250 fonctionnaires travaillent ici. Ils traitent chaque année 100 000 plaintes. C'est un tribunal plutôt privilégié et pourtant cinquante postes sont encore à pourvoir. Tout commence ici pour de nombreux accusés. Nous sommes dans les sous-sols, au dépôt. Monsieur CASANOVA vient de passer son 53e anniversaire dans une des cellules du tribunal. Il a attendu, plus de 24 heures avant d'être reçu par le juge d'instruction. Monsieur CASANOVA gérait une société de vente de meubles.

Juge d'instruction : Vous avez pour habitude de vendre à des personnes plutôt âgées et à des prix défiant toute concurrence. Donc vous avez le droit de faire des bénéfices mais à ce point-là, ça paraît quand même défier les lois du commerce…

Cécile TIMOREAU : Monsieur CASANOVA est mis en examen pour escroquerie. Le juge d'instruction choisit de le laisser libre. Pour tout homme mis en examen, la loi prévoit que la liberté est la règle. La détention provisoire devrait rester exceptionnelle. Et pourtant la France est spécialisée depuis des années dans l'abus de détention provisoire.

Serge PORTELLI, premier Juge d'instruction : Le juge d'instruction, il fait pression sur un mis en examen par exemple pout qu'il avoue.

Cécile TIMOREAU : Vous faites ça, vous ?

Serge PORTELLI : La détention pression, c'est un réel problème. Actuellement, 40 % des gens qui sont en détention, sont en détention provisoire. C'est encore beaucoup trop.

Aude LEQUERRE-DERBISE, avocate à la cour : La détention provisoire ne doit pas être un préjugement ; la difficulté qu'on a aujourd'hui, c'est qu'elle semble en être un dans la mesure où les critères pour lesquels on place quelqu'un en détention provisoire abordent le fond de l'affaire et c'est une atteinte à mon sens grave, a la présomption d'innocence.

Cécile TIMOREAU : Des milliers d'hommes et femmes vivent ainsi en prison en attendant d'être jugés. Trois mille personnes sont en détention provisoire depuis plus d'un an et mille depuis plus de deux ans. En France, le provisoire peut durer très longtemps.

Juge : Est-ce que vous pensez que votre vie conjugale est encore viable, est-ce qu'on peut encore faire quelque chose ou est-ce que vous ne dialoguez plus ?

Intervenant : J'aimerais préserver mon couple, surtout pour les enfants.

Cécile TIMOREAU : Les neuf juges aux affaires familiales travaillent au 2e étage de la tour. C'est la partie la plus active du tribunal : séparation, garde d'enfant, pensions alimentaires représentent plus de la moitié de l'ensemble des dossiers traités au tribunal. La tentative de conciliation a échoué, le processus est lancé, les avocats entrent en scène. En tout, le couple passe un quart d'heure dans le bureau du juge, d'autres couples attendent leur tour.

Patricia GRASSO, juge aux affaires familiales : Les juges aux affaires familiales de ce tribunal ont également d'autres fonctions puisqu'ils participent à un service général, ils participent aux assises, aux audiences correctionnelles. La semaine dernière, personnellement, j'ai passé toute la semaine aux assises, donc mon cabinet a été gelé pendant ce temps-là, et il faut en revenant que je reprenne les dossiers en retard, que je rajoute des audiences pour rattraper celles que je n'ai pas pu tenir si je veux tenir mon rythme de convocations.

Cécile TIMOREAU : Parler de lenteur lorsqu'on parle de justice est une lapalissade. Le juge d'instruction doit se déplacer à l'hôpital pour mettre en examen un chauffard. Il devait quitter le tribunal à onze heures, il est quinze heures.

Serge PORTELLI : Ça fait quelques heures que j'attends. J'attends que le service de police amène cette procédure au parquet ; ensuite je pense que je vais attendre l'avocat, je vais attendre que l'escorte veuille bien venir et puis je vais aussi attendre encore le procureur pour faire un débat à savoir si je mets l'intéressé en détention ou pas.

Cécile TIMOREAU : Premier sous-sol du tribunal ; là, les clients sont des enfants, et ils sont de plus en plus nombreux. Roland a violé son frère pendant des années ; Samia a encore volé des vêtements. Christian, aidé de quatre copains, a passé à tabac trois autres jeunes.

Christian : J'ai aidé un copain à moi, il était en difficulté, ils étaient deux sur lui.

Marie-Odile GENEFORT, avocate à la cour : Oui, mais il y a d'autres moyens de l’aider ; on appelle un médecin, on va au commissariat de police porter plainte, on l'emmène à l'hôpital ; il y a d'autres alternatives que de prendre une barre de fer et d'aller taper sur celui qui a fait ça. II faut expliquer pourquoi vous n'avez pas davantage mesuré les conséquences de votre acte et surtout il faut bien faire comprendre aux magistrats qu'au jour d'aujourd'hui, vous les mesurez et que bien évidemment, ça serait à refaire vous n'agiriez pas de la même manière.

Christian : D'accord.

Marie-Odile GENEFORT : J'espère que c'est ce que vous pensez.

Cécile TIMOREAU :  Christian passera au tribunal. Anthony, lui, a volé pour la première fois. Il va se faire remonter les bretelles mais ne sera pas mis en examen.

Juge : Alors vous savez que bien que vous soyez mineur, il y a des lois, que le vol est puni par la loi et s'il y avait la moindre récidive, vous seriez à ce moment-là convoqué chez le juge.

Cécile TIMOREAU :  La méthode est efficace : plus de 80 % des enfants ne récidivent jamais. Il est 17 heures ; le juge d'instruction a enfin reçu la procédure qu'il attendait depuis le matin. Il se rend à l'hôpital section des prisonniers pour voir Monsieur PERRACHE. Cet homme, rendu fou par le départ de sa femme, a bu, puis a provoqué dix-huit accidents de voiture, il est le seul blessé.

Serge PORTELLI : Vous êtes donc mis en examen pour les infractions suivantes : conduite sous l'emprise d'un état alcoolique, délit de fuite et défaut de maîtrise.

Cécile TIMOREAU : Dans la chambre d'hôpital, la greffière note la demande du substitut du procureur qui réclame la mise en détention provisoire de Monsieur PERRACHE. L'avocate se lance dans une plaidoirie.

Avocate : Je ne crois pas qu'il soit dans un état de dangerosité permanent et à mon avis, ce serait la seule raison pour laquelle il faudrait le placer en détention provisoire aujourd'hui. Ça serait parce qu'il serait éminemment dangereux à tous moments pour les autres. Or je ne crois pas que ce soit son cas.

Serge PORTELLI : Si je vous relâche, qu'est-ce qui me dit que vous n'allez pas reprendre votre camion et foncer sur n'importe quelle voiture ?

M. PERRACHE : Non, je ne recommencerai plus !

Serge PORTELLI : Ah oui c'est sûr, c'est certain, vous me jurez ?

M. PERRACHE : C'est clair.

Serge PORTELLI :  C’est ça, je suis obligé de vous croire.

M. PERRACHE :  Je ne recommencerai plus, c’est clair…

Serge PORTELLI : Je n’en sais rien, moi.

M. PERRACHE :  Je ne recommencerai plus, c’est sûr, ce n’est pas possible, j’ai tout perdu.

Cécile TIMOREAU : Finalement le juge retire son permis au chauffard mais lui laisse la liberté. Un autre juge aurait pu mettre cet homme en prison ; la loi est particulièrement floue en matière de détention provisoire. Chaque année en France, 60 000 personnes mises en examen dépendent ainsi du bon vouloir du juge.

Ruth ELKRIEF : Voilà Madame GUIGOU, on vient de voir ce reportage, donc trois jours au tribunal de Créteil. Ce qui revient tout le temps, c'est la détention provisoire, abus, 40 % des détenus aujourd'hui sont en détention provisoire et la durée ne fait qu'augmenter, inquiétude. Alors dans votre réforme, vous proposez un juge de la détention qui doit contrôler en quelque sorte, qui doit ajouter un peu un nouveau regard là-dessus, mais est-ce que ça suffit ?

Élisabeth GUIGOU : Je pense que c'est une réforme indispensable. Ceci dit, vous voyez, ce qu'on a vu là quand même, c'est des magistrats qui font formidablement leur boulot. Un juge d'instruction qui écoute, le juge aux affaires familiales, l'avocate, la magistrate qui traite en temps réel. Donc ça, c'est très bien de montrer ça. Sur la détention provisoire, je crois qu'il faut un deuxième regard. Je sais bien que beaucoup de juges d'instruction ne prennent pas ça bien parce qu'ils pensent que c'est une mesure de défiance ; moi je leur dis non, je leur dis : dans un pays démocratique comme le nôtre, il faut qu’il y ait des contre-pouvoirs, il faut qu'il y ait des regards extérieurs et c'est comme ça qu'on pourra donner au juge d'instruction toute sa place.

Ruth ELKRIEF : Eva JOLY qui nous a accordé une interview il y a quelques semaines, s'inquiétait de ce juge de la détention en disant : c'est un juge qui ne connaît pas les dossiers, qui sera une personne de plus à faire bouger dans un dossier, ça peut alourdir au contraire les procédures et ça n'ira pas plus vite au contraire.

Élisabeth GUIGOU : Non, je ne crois pas, c'est l'argument qui est avance par ceux qui sont contre. Je ne crois pas parce que d'abord je prends la précaution de dire dans la loi que ce juge de la détention provisoire, ce sera ou le président ou le vice-président du tribunal, c'est-à-dire un magistrat expérimenté. D'autre part, c'est justement l'intérêt qu'il y ait ce regard extérieur ; vous savez, pour mettre quelqu'un en détention provisoire, il ne s'agit pas d'aller regarder toutes sortes de choses techniques... vous avez vu dans votre reportage : est-ce que vous allez recommencer ?

Ruth ELKRIEF : C'est quoi, c'est de l'intuition pure alors, c'est grave, non ?

Élisabeth GUIGOU : Mais ce n'est pas seulement de l'intuition non, non, non. Mais un magistrat expérimenté qui aura vu passer beaucoup de choses, qui aura peut-être été lui-même juge d'instruction... et puis d’autre part, quelqu'un qui aura un autre regard tout simplement. Et je pense que pour le juge d'instruction, c'est une sécurité parce que ce que je n’enlève pas au juge d'instruction, c'est la capacité de laisser quelqu'un en liberté. C'est pour ça que je ne l'appelle pas le juge des libertés parce que j'estime que tous les juges sont des juges de la liberté. Moi j'ai confiance…

Ruth ELKRIEF : Vous êtes optimiste en tout cas.

Élisabeth GUIGOU :  Oui, j'ai confiance dans la justice, j'ai confiance dans ses juges. Pourquoi j'ai confiance ? Parce que je vais sur le terrain, je vais visiter les juridictions, je vois le travail qui se fait ; ce que je sais, c'est qu'il n'y a aucun endroit dans l'administration française où il y a eu des gains de productivité aussi importants que dans la justice. Ça veut dire que le volume des affaires a considérablement augmenté en vingt ans, le nombre de magistrats pas beaucoup sauf que depuis que je suis là, on met le turbo...
Ruth ELKRIEF : Enfin ça reste aussi lent dans l'esprit des gens. Pour les Français, lenteur égale justice.

Élisabeth GUIGOU :  Oui, c'est vrai. Mais tout à l'heure, le magistrat a expliqué qu'ils n'étaient pas seuls responsables. Alors c'est vrai, le principal problème, c'est la lenteur et ce que je voudrais moi - et c'est les réformes que j'entreprends, c'est, en tout cas le premier volet de la réforme, celui d'ailleurs sur lequel les lois sont déjà votées - c'est que la justice soit plus proche des gens, qu'elle soit plus rapide, qu'elle soit plus accessible aussi, qu'on la comprenne mieux. Et pour ça, j'ai des mesures précises. Par exemple, il ne faut pas tout renvoyer aux tribunaux. On a intérêt à privilégier la médiation, la conciliation, la transaction. II vaut mieux une bonne transaction qu'un mauvais procès, ça j'ai une loi là-dessus. II vaut mieux avoir des maisons de la justice et du droit parce qu'on est plus proche, on en a 55 actuellement, on en aura 100 l'an prochain, tout ça pour éviter d'encombrer les tribunaux avec des affaires qui peuvent être résolues par le dialogue social tout simplement.

Ruth ELKRIEF : Pour le moment, ce n'est pas encore ressenti au quotidien.

Élisabeth GUIGOU : Non, mais ça vient. Je sais bien que c'est perçu comme étant trop lent mais ça vient. Pourquoi est-ce que ce n'est pas encore ressenti ? Je vais vous dire, parce que les moyens supplémentaires que je mets dans la justice... vous savez que j'ai créé en trois ans avec le soutien du Premier ministre et de l’ensemble de mes collègues du Gouvernement, parce que c'est une solidarité gouvernementale : j'ai créé plus de postes de magistrat que pendant les dix années qui ont précédé 1997, que nous avons un effort absolument sans précédent, sans parler de ce qu'on fait pour les éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse, pour les jeunes délinquants. Donc je dis que tout ça... le problème, c'est qu'il y a un décalage, c'est qu'il faut trois ans pour former…

Ruth ELKRIEF : Vous dites : patience. Patience, ça arrive.

Élisabeth GUIGOU : Je ne dis pas : patience, parce que je comprends qu’on soit impatient. Je dis : on avance. Je sais qu'il y a beaucoup de choses à faire encore mais on avance dans le bon sens, voilà.

Ruth ELKRIEF : Alors j’ai une question sur quelque chose qui crée quand même la polémique, c'est sur la présomption d'innocence et le droit à l'image. Dans la loi sur la présomption d'innocence, vous avez prévu d'interdire les images qui portent atteinte à la dignité des prévenus, les photos d'un homme menotté, les photos d'une victime d'un attentat et cela suscite un tollé dans la presse, dans la profession, car les journalistes affirment qu'évidemment c'est une sorte de censure. Mais vous avez un discours plus ouvert. Est-ce que vous allez modifier cette loi, est-ce que vous allez élargir un peu les critères, est-ce que vous allez revenir sur cette idée ?

Élisabeth GUIGOU : D'abord, il ne s'agit pas d'une interdiction ; ensuite, il ne s'agit pas de censure parce que moi, j'estime si vous voulez, que toutes les images sont légitimes. Je n'ai pas de jugement moral sur les images, j'estime même qu'il faut des images pour arriver... il faut même des images cruelles, il faut des images dérangeantes pour arriver à dénoncer les horreurs de la guerre, toutes les choses affreuses. Alors le problème si vous voulez, c'est qu'il y a cette liberté des images à laquelle je suis très attachée parce que c'est la liberté d'expression ; et puis il y a l'autre côté qui est la victime. La victime face à ces images, elle est seule, personne ne la défend, elle est en situation de fragilité. Quand vous avez les menottes, vous n'êtes souvent pas en situation de pouvoir réagir ; quand vous venez d'être victime d'un attentat et qu'on vous prend avec les fesses dénudées, c'est je trouve une atteinte insupportable à la dignité…

Ruth ELKRIEF : Comment on trouve la voie moyenne, comment on respecte…

Élisabeth GUIGOU :  Alors justement, le problème, c'est exactement ce que vous dites, c'est-à-dire que c'est une question d'équilibre. Et je dis moi que ces victimes fragiles, seules, eh bien il faut que la loi puisse les protéger. Alors il faut le faire avec mesure. Ce que je ne veux pas, c'est qu'il y ait des abus. Et c'est vrai que dans la législation actuelle, dans l'utilisation de la législation actuelle qui n'est pas la mienne, il y a…

Ruth ELKRIEF :  Qu'est-ce que vous accepterez maintenant, très rapidement ?

Élisabeth GUIGOU :  Je vais vous dire, ce que je crois... d'abord, toutes les images de guerre, de catastrophes naturelles, les tremblements de terre etc. tout ça n'est pas concerné par la loi. II y a deux choses et deux choses seulement : les personnes qui sont menottées, parce que ce n'est pas parce que vous avez des menottes que vous n’avez pas le droit de refuser qu'on vous prenne en photo ; et puis les personnes qui sont victimes d'attentat et d'attentat seulement…

Ruth ELKRIEF :  Là-dessus, vous ne changerez pas d'avis.

Élisabeth GUIGOU : Attendez... dont on pense que la dignité est atteinte. Alors comme je l’ai entendu les craintes - d'ailleurs je consulte beaucoup, j’ai consulté il y a un an mais il y a un an, au moment où j'ai présenté ma loi, il n'y avait pas de protestations, elles sont apparues récemment mais soit. Comme je consulte beaucoup, que je vois beaucoup les photographes, les journalistes, ce que je veux c'est éviter les abus. C'est-à-dire que ce que nous allons faire, c'est que nous allons préciser que d'abord il faut que ce soit à la demande de la victime que cette pénalisation puisse être apportée. Je ne veux pas par exemple, si quelqu'un revendique ses menottes comme José BOVE, il n'y a pas de raison. J'ai confiance. Je ne pense pas qu'aucun tribunal aurait pénalisé cette image. Mais je pense que ça va mieux encore en le disant. Je pense qu'on peut faire la même chose pour les victimes d'attentat ; c'est un droit supplémentaire que nous donnons à la personne et donc c'est à cette personne de dire si elle souhaite que son droit soit acté devant un tribunal et pas a des gens autres que la victime elle-même. Voilà.

Ruth ELKRIEF : Merci Élisabeth GUIGOU. Je vous interromps parce que c'est la pub évidemment, on se retrouve dans un instant et on va parler de l'affaire PAPON. À tout de suite.

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Ruth ELKRIEF : Élisabeth GUIGOU, on revient bien sûr sur l'affaire PAPON, la fuite puis l'arrestation. Est-ce qu'on en sait plus sur les trois faux passeports... ou les trois passeports en tout cas qu'il détenait lorsqu’il a été arrêté en Suisse ? Est-ce qu'on peut dire un petit peu comment ça s'est passé cette fuite, de quelle aide il a bénéficié ? Est-ce que vous comptez poursuivre les complices ? Voilà, trois questions pour démarrer.

Élisabeth GUIGOU : Je n'ai pas d'indications supplémentaires sur les passeports ; on dit qu'il avait trois passeports dont deux à son nom et un au nom de M. de la ROCHEFOUCAULT. Donc une enquête administrative est ouverte au ministère de l'Intérieur. Ce que je peux vous dire, c'est qu'à partir de jeudi dernier 17 heures, c'est-à-dire au moment où la Cour de cassation a rendu sa décision, confirmant la condamnation de Monsieur PAPON a dix ans de réclusion criminelle, à partir de ce moment précis, toutes les personnes qui ont aidé Monsieur PAPON, peuvent être poursuivies par la justice. Elles peuvent être poursuivies pour complicité de malfaiteur, elles peuvent être poursuivies pour utilisation ou complicité d'utilisation de faux papiers. II faut savoir que dans le code pénal, ce sont des infractions qui sont punies de trois ans de prison, de 300 000 francs d'amende... qui peuvent être punies, trois ans de prison, 300 000 francs d'amende et déchéance des droits civiques.

Ruth ELKRIEF : Est-ce que vous avez repéré ces aides, est-ce que vous avez repéré les réseaux gaullistes dont parlait un de ses amis, Hubert de BEAUFORT ?

Élisabeth GUIGOU : D'abord ce n'est pas à moi de déterminer, c'est à la justice de le faire ; ce sera au Parquet de déterminer s’il y a lieu d'engager l'action publique. Comme vous savez, je ne donne pas d'instruction au Parquet. Donc c'est au Parquet de décider si au vu des éléments d'information dont nous ne disposons pas encore mais que nous aurons naturellement... et puis ensuite, alors sur les réseaux, moi je ne crois pas qu'il y ait eu un réseau constitué ; je crois que Monsieur PAPON avait des amitiés dans certains milieux. Je crois qu'il a bénéficié certainement d'aide. Alors encore une fois, jusqu'à jeudi dernier 17 heures, ça n'était pas un délit.

Ruth ELKRIEF : Et après ça l’était.

Élisabeth GUIGOU :  Après, ça l'est.

Ruth ELKRIEF :  Revenons maintenant aux questions... on va revenir sur l'intervention, parce que certains vous reprochent d'être intervenue, on a eu le sentiment au contraire qu’il y a eu une sorte de mobilisation et le Premier ministre lui-même est intervenu pour dire justement : dès que condamnation est connue après le jugement de la Cour de cassation, il y aura arrestation…

Élisabeth GUIGOU : Ah ! Mais il ne faut pas confondre !

Ruth ELKRIEF :  Ce n'est pas une intervention ?

Élisabeth GUIGOU : Alors là je revendique l'instruction que j'ai donnée au procureur général de Bordeaux pour que dès la décision de la Cour de cassation connue, immédiatement, un mandat d'arrêt soit lancé. Pourquoi ? Parce que ce n'est pas une instruction destinée à influencer la cours de la justice, ça je m'interdis de le faire, .c'est une instruction destinée à faire en sorte qu'une décision de justice soit exécutée. Alors celle-là je la revendique parce que c'est mon travail et c'est ma responsabilité.

Ruth ELKRIEF : Alors est-ce que vous revendiquez, Madame GUIGOU, le flou qui a duré... qui a subsisté pendant quelques heures lorsqu'on a appris, alors qu'une condamnation a été prononcée en avril 98, que fin octobre 99, un condamné à dix ans pouvait en fait s'enfuir comme quelqu'un qui partait en week-end ? Alors vous nous avez expliqué que c'était l'État de droit, on l'a compris, mais est-ce que vous comprenez l'indignation, l’incompréhension et... est-ce que vous n'avez pas été trop naïve d'une certaine façon ? Est-ce que vous n'avez pas été négligeante ? Est-ce que vous n'avez pas prévu finalement... vous n'avez pas manqué de vigilance dans cette affaire ?

Élisabeth GUIGOU : Non, je ne crois pas. Alors je comprends, un, d'abord les questions que posent les gens, voire leur colère et leur indignation. Ceci dit, je pense qu'il faut expliquer comment on en est arrivé là. À partir du moment où la Cour d'assises, trois jours après le début du procès de Monsieur PAPON, a décidé de le mettre en liberté, notre droit, notre législation ne lui permettait pas de le mettre en prison au moment où elle a prononcé le jugement parce que notre droit ne permet pas qu'on prononce à la Cour d'assises un mandat de dépôt à l'audience, alors que ça peut se faire au tribunal correctionnel. On s'en est rendu-compte à ce moment-là…

Ruth ELKRIEF : Alors qu'est-ce que vous avez fait ? Est-ce que justement à ce moment-là, vous ne vous êtes pas dit : mais là, il y a une lacune, il peut s'enfuir, on peut être coincé ?

Élisabeth GUIGOU : Mais naturellement.

Ruth ELKRIEF :  Et alors ?

Élisabeth GUIGOU : Mais vous n'imaginez pas qu'on allait modifier la loi pendant le procès de Monsieur PAPON. Il fallait que ce procès puisse se dérouler de façon irréprochable pour qu'on ne puisse pas devant l'histoire, mettre en cause le déroulement de ce procès. Et par conséquent, il était trop tard malheureusement Et donc ce que j'ai décidé de faire - et il y a eu un débat au Parlement à ce moment-là - c'est qu'une fois que ce procès serait terminé, qu'on changerait effectivement la loi. On s'en est aperçu parce que c'est rarissime qu'une personne soit libre comme ça dans un procès de Cour d'assises. Alors non, je ne crois pas avoir été négligente. Je crois que ce qui était important, à partir du moment où notre droit ne permettait pas qu'on mette Monsieur PAPON en prison le jour de son jugement, ce qui était important dans une démocratie comme la nôtre, c'était de respecter la loi. Pourquoi ? Parce que justement face à un personnage comme ça, face à quelqu'un qui a bafoué la loi de l'humanité en étant complice de crimes contre l'humanité, et bien il faut quoi qu'il en coûte, je dis quoi qu'il en coûte…

Ruth ELKRIEF : Oui, Élisabeth GUIGOU, c'est plus facile de le dire ce soir parce qu'il est retrouvé et arrêté ; mais est-ce que ce n'était pas votre boulot dans l'esprit des gens, de Garde des Sceaux et de Gouvernement, d'éviter qu'une telle situation ne se produise, vous comprenez que cela a choqué.

Élisabeth GUIGOU :  Oui, mais pas au point si vous voulez, de violer la loi. Je crois que c'est particulièrement important pour une démocratie de dire : d'abord et avant tout, respectons nos propres règles, et que... évidemment quoi qu'il en coûte parce qu'il en coûte évidemment bien entendu. Mais moi, Garde des Sceaux, voyez-vous, et bien je dis : mon rôle à moi, c'est de dire où est le droit et qu'en toutes circonstances, il faut d'abord et avant tout respecter le droit, c'est même une condition je dirais de survie de notre démocratie, surtout face à des crimes aussi horribles. Alors évidemment je suis très heureuse que ça ait pu aller jusqu'au bout, c'est-à-dire que bien entendu, après ce procès qui a été... dix-huit ans d'attente, parce qu'il faut voir ce que ça a été pour les victimes ; je crois qu'aujourd'hui, elles peuvent se dire : Maurice PAPON purge sa peine en prison ; je crois qu'elles peuvent être apaisées, sans doute peuvent-elles faire leur deuil. Pour notre justice aussi, il le fallait parce qu'il fallait pouvoir montrer qu'un ancien ministre et un ancien préfet, devant la justice française, c'est un homme comme les autres. Je pense qu'on le devait aussi à l'Histoire parce que c'est un devoir de mémoire, c'est le devoir de dire : eh bien voilà, en France aussi, on a su regarder notre passé en face et je pense que c'est important pour les jeunes générations de pouvoir savoir que nous avons été jusqu'au bout et que ça a été fait par la justice avec équilibre parce que je ne pense pas que nos démocraties…

Ruth ECKRIEF :  Aucun manquement…

Élisabeth GUIGOU : Non, je ne dis pas... mais bien sûr, on peut critiquer beaucoup de choses, évidemment ; je dis simplement que ce qui n'était pas évident… c'est-à-dire que ce procès ait lieu. Vous savez moi, quand je suis arrivée à la Chancellerie, mais on disait de partout ; non, non, il n'y a pas la place à Bordeaux ensuite il n'y a pas l'argent, ensuite toutes sortes de difficultés. J'ai dit : il faut que ce procès se tienne et qu'il commence avant la fin de l'année, il s'est tenu. Ça faisait dix-sept ans qu'on attendait. Ensuite, il s'est tenu, il est allé jusqu'au bout et en présence de Maurice PAPON ; et ensuite Monsieur PAPON a été condamné à dix ans de réclusion criminelle et maintenant il purge sa peine en prison. Voilà ce qu’il faut voir maintenant. Ce n’était pas évident.

Ruth  ELKRIEF :  Revenons sur les conditions de son arrestation. C'était aussi un peu loufoque - vous me permettez l'expression - de savoir que le contribuable payait pour qu'il soit protégé et pas surveillé et donc qu'il puisse partir. Est-ce qu'en fait il était vraiment surveillé ? Est-ce que c'est pour cela qu'en a pu le retrouver ou est-ce que ce n'était pas le cas comme on nous l'a dit les premiers jours ?

Élisabeth GUIGOU :  Je vais vous dire : s'il a été retrouvé trois heures après la décision de la Cour de cassation, s'il a été arrêté cinq heures après la décision de la Cour de cassation, c'est-à-dire très vite, c'est parce qu'il y avait tout un travail de fond qui avait été fait par la police depuis plusieurs mois à l’égard de son entourage pour repérer qui était autour de Monsieur PAPON.

Ruth ELKRIEF : Donc il était surveillé.

Élisabeth GUIGOU :  Mais imaginez-vous... c’est un travail de fond. C’est ça, un travail de police. Qu'est-ce qu'il aurait mieux valu ? Qu'on le suive pas à pas pour être obligé de s'arrêter à la frontière, c'est-à-dire de l'accompagner à la frontière et être obligé de s'arrêter là parce qu'on n'aurait pas pu le suivre en Suisse ; ou bien de faire le travail de fond qu'a fait la police à laquelle je rends hommage encore une fois, qui a permis de le retrouver très rapidement ? Moi je dis que... le résultat est là.

Ruth ELKRIEF :  Alors vous allez modifier la loi pour qu’il n’y ait plus cette lacune, c'est-à-dire qu'une Cour d'assises puisse demander un mandat de dépôt contre un prévenu. C'est quand ? C'est bientôt ?

Élisabeth GUIGOU : Nous allons faire face probablement que ce sera en janvier, au moment où le projet de loi présomption d'innocence reviendra en deuxième lecture devant l'Assemblée nationale, donc c'est certainement en janvier.

Ruth ELKRIEF : Est-ce que vous craignez que la Cour européenne des Droits de l'Homme, puisqu'il risque d'y avoir un recours, nous sanctionne ?

Élisabeth GUIGOU :  Alors c'est toujours une possibilité. D'abord je ne sais pas si les avocats de Maurice PAPON introduiront ce recours ; ensuite ça prendra des années de toute façon pour que la Cour européenne des Droits de l'Homme le juge ; enfin d'ici là et rapidement - et je pense en janvier prochain - en même temps j’aurai modifié la disposition que critique la Cour européenne des Droits de l'Homme, cette disposition qui oblige quelqu’un qui est libre à se constituer prisonnier la veille de la décision de la Cour de cassation. On a bien vu dans cette affaire que ça n'empêche rien, que ça n'empêche pas la fuite et que d'autre part, c'est une mesure qui paraît archaïque. Alors je pense que même s'il avait un recours devant la Cour européenne, celle-ci en tiendrait compte et puis…

Ruth ELKRIEF :  Et le recours en grâce médical auprès du Président, elle est dans le droit, elle est possible dans le droit…

Élisabeth GUIGOU : Bien sûr, ses avocats peuvent toujours le faire.

Ruth ELKRIEF :  Et est-ce qu'elle est possible je dirais politiquement, moralement ?

Élisabeth GUIGOU : Ça c'est au Président de la République et à lui seul... vous savez, le droit de grâce, c'est une prérogative présidentielle, qui est une responsabilité très lourde et je pense que personne ne peut se permettre de porter un jugement sur l'exercice du droit de grâce.

Ruth ELKRIEF :  Un mot sur la semaine chargée en affaires judiciaires. On a vu DUGOIN, TIBERI, Monsieur HUE qui a été aussi... qui sera en correctionnelle. Vous n'allez bien évidemment pas commenter ces affaires, mais il y aura le procès... en tout cas des auditions pardon, concernant la MNEF à partir de la semaine prochaine, la mutuelle étudiante et c'est une affaire qui pourrait beaucoup plus concerner la gauche que le RPR. Est-ce que vous pouvez nous assurer que la liberté, les moyens seront donnés sans aucune économie je dirais, aux juges d'instruction qui vont travailler sur ces dossiers ?

Élisabeth GUIG0U : Mais bien entendu ! Vous savez que j'ai créé un pôle économique et financier à Paris. C'est la première fois qu'on donne des locaux, des ordinateurs, des moyens de travail, des assistants spécialisés qui viennent de la Banque de France et du ministère des Finances…

Ruth ELKRIEF :  Donc ils travailleront de la même façon sur la MNEF.

Élisabeth GUIGOU :  Mais exactement de la même façon et d'ailleurs les juges d'instruction sont indépendants. Alors vous me dites : vous n'allez pas parler des affaires. Je ne vais pas parler des affaires qui atteignent la droite, je ne vais pas davantage vous parler des affaires qui atteignent la gauche.

Ruth ELKRIEF :  Non, mais je voulais vérifier qu'il y aurait les mêmes moyens.

Élisabeth GUIGOU :  Mais évidemment.

Ruth ELKRIEF : Donc c'est dit en tout cas solennellement. J’ai une autre question là-dessus. Ce n’est pas encore public je dirais dans les journaux mais les milieux judiciaires savent déjà que Renaud VAN RUYMBECK, le juge d'instruction, ne sera pas nommé comme il le demandait, au pôle financier de Paris dont vous parliez à l’instant ; et dans les milieux judiciaires, on s'émeut, on considère que c'est un peu, une décision politique parce que Renaud VAN RUYMBECK qui avait instruit l'affaire URBA concernant le financement du Parti socialiste, est peut-être connu pour une certaine liberté, est-ce que vous pouvez me confirmer cette information ?

Élisabeth GUIGOU :  Non, en aucun cas il ne s'agit d'un refus de voir monsieur VAN RUYMBECK arriver au pôle économique et financier de Paris. C'est un magistrat vraiment très compétent. Donc il ne s'agit pas de ça. Simplement il faut qu'il ait un poste qui corresponde…

Ruth ELKRIEF : Il n'y a pas de poste, c'est ça ?

Élisabeth GUIGOU :  Non, c'est comme ça. II faut qu'il y ait un poste qui corresponde au moment où Monsieur VAN RUYMBECK... ce qui effectivement me dit-on, n'est pas le cas. Alors on va tâcher de voir comment on peut faire pour résoudre ce problème.

Ruth ELKRIEF :  Ce n'est pas vous qui décidez de ça ?

Élisabeth GUIGOU : Comment ?

Ruth ELKRIEF : Ce n'est pas vous, qui décidez quels postes sont à pouvoir ?

Élisabeth GUIGOU :  C'est moi qui fais des propositions. Pas toujours, quelquefois, c'est le Conseil supérieur de la magistrature. Donc en tout cas, il n'y a aucune espèce de volonté de brider…

Ruth ELKRIEF :  Pas de blocage politique en tout cas.

Élisabeth GUIGOU : Mais évidemment pas !

Ruth ELKRIEF : Alors parlons politique et parlons de vous précisément. Au mois de septembre, vous avez été présentée comme la femme qui monte, la cote de popularité a grimpé ; on a dit « Premier ministrable ». Madame GUIGOU, qu’est-ce que ça a changé dans le regard des autres ou dans votre travail ?

Élisabeth GUIGOU : Dans mon travail, rien. Parce que moi je suis dans le présent et je trouve que quand on a des responsabilités politiques, il faut d'abord et avant tout se concentrer sur ce pourquoi on a été désigné ou élu et que par conséquent, je n'ai aucunement l'intention d'aller m'égarer dans des spéculations sur l'avenir…

Ruth ELKRIEF : Oui, mais les autres... il peut y avoir des jalousies, il peut y avoir des regards… Il paraît que quelqu'un a dit que vous ne pourriez pas être Premier ministre parce que vous seriez trop frêle physiquement.

Élisabeth GUIGOU :  Ah bon !

Ruth ELKRIEF :  J'ai lu ça.

Élisabeth GUIGOU : Non, je suis très solide.

Ruth ELKRIEF :  C'est parce que vous êtes une femme qu'on a dit ça, à votre avis ?

Élisabeth GUIGOU : Oui, en général, c'est ça. Les femmes, elles sont toujours ou trop grosses ou trop maigres, ou trop jolies ou pas assez, enfin il y a toujours quelque chose.

Ruth ELKRIEF : Vous avez dit dans un livre que vous avez publié « Les femmes en politique », que les femmes étaient condamnées soit à gommer leur féminité, soit à se comporter comme un homme, soit à rester marginale en politique. Alors vous n'êtes pas marginale en politique, c'est évident. Donc qu'est-ce que vous avez fait ? Vous avez gommé votre féminité ou vous vous êtes comporté comme un homme ?

Élisabeth GUIGOU :  Eh bien je crois que les temps changent, heureusement pour les femmes qui sont en politique.

Ruth ELKRIEF : C'est-à-dire que vous n'avez ni gommé votre féminité et vous ne vous êtes pas comportée comme un homme.

Élisabeth GUIGOU :  Je ne crois pas.

Ruth ELKRIEF : Parfaite, vraiment Élisabeth GUIGOU, parfaite, c'est ça ?

Élisabeth GUIGOU : Non, oh là là sûrement pas ! On pourrait trouver et on me trouvera sans doute beaucoup de défauts. Et tant mieux.

Ruth ELKRIEF :  C'est quoi votre secret alors ?

Élisabeth GUIGOU : Je ne sais pas, j'essaie avec mon équipe de faire mon travail et puis on est dans un gouvernement qui collectivement fonctionne bien ; on essaie de faire ce qu'on a dit qu'on ferait et je ne prétends pas... il nous reste tellement de choses à faire encore ; mais je crois qu'on avance dans la bonne voie.

Ruth ELKRIEF :  J'ai deux toutes petites questions, je voudrais qu'on y réponde très brièvement. Madame AUBRY a dit qu'elle quitterait le Gouvernement si elle était élue à la mairie de Lille. Vous, vous seriez sans doute candidate à Avignon, vous le serez ?

Élisabeth GLIIGOU : Ah je ne sais pas ; je prendrai ma décision au mois de mars prochain.

Ruth ELKRIEF :  Et dans ce cas-là vous quitteriez le Gouvernement ?

Élisabeth GUIGOU :  On verra.

Ruth ELKRIEF :  Pas de réponse. Dans le 20e arrondissement de Paris, il y a un poste qui s'est libéré comme député pour le Parti socialiste il y a un homme qui est candidat mais c'était jusque-là un poste réservé aux femmes. Alors vous dites, vous : il faut que ce soit une femme à tout prix ou faut que ce soit le meilleur candidat ?

Élisabeth GUIGOU : Moi je pense qu'il faudrait chercher d'abord une femme et si effectivement on ne trouve pas une femme... mais vous savez, quand on cherche, on trouve. Moi…

Ruth ELKRIEF : Donc d'abord une femme...

Élisabeth GUIGOU :
Pas à tout prix une femme, bien entendu, s'il n'y en a pas qui soit en mesure de conserver ce siège à la gauche, évidemment, ça peut toujours se produire... mais je dis cherchons quand même. Moi je vais vous dire : quand je me suis présentée aux législatives sur Avignon en 97, j'ai demandé à une autre femme, une jeune femme - elle n'avait pas trente ans à l’époque - d'être ma suppléante. On m'a dit : oh là là ! Tu verras, tu vas perdre les élections. Eh bien maintenant elle est là, elle fait un travail formidable, elle est députée et donc quand on cherche, on trouve.

Ruth ELKRIEF :  Les chasseurs, en un mot, dans le Vaucluse, il y en a. Vous allez courir après leurs voix.

Élisabeth GUIGOU : Oui, il y en a.

Ruth ELKRIEF :  Vous allez chercher leurs voix ?

Élisabeth GUIGOU :  Écoutez, moi je ne cours après personne.

Ruth ELKRIEF : Vous faites de la politique quand même.

Élisabeth GUIGOU : D'accord mais enfin... vous savez, je crois qu’il faut prendre les gens pour ce qu'ils sont, c’est-à-dire pour leur intelligence. Alors on peut être chasseur ou pas chasseur, il y a des traditions. Chez nous, dans le Vaucluse, on chasse la grive, le problème, c'est qu'il n'y a plus de grives. Alors voilà. II faut trouver un modus vivendi entre les promeneurs à pied dont je fais partie et les chasseurs.

Ruth ELKRIEF : On va regarder, Élisabeth GUIGOU, Jean SAINT-JOSSE, parce que c'est le chasseur le plus célèbre de France, vous savez, il a fait 6,77 % aux élections européennes avec la liste Chasse, Pêche, Nature et Tradition. Et ce mois-ci, comme d'habitude, il  est retourné à la chasse à la palombe. C'est le mode de vie rural qu'il veut préserver. Reportage Laure DEBREIL Bonsoir Élisabeth GUIGOU.

Jean SAINT-JOSSE : La vie est dans les bois au mois d'octobre. C'est une passion. Pour moi, la chasse, c'est la vie. Je crois que c'est une belle école.

Laure DEBREUIL :  En automne, il passe ses journées à trente mètres de hauteur. Jean SAINT-JOSSE, 53 ans, retrouve là-haut dans la palombière ses amis d'enfance. Le Béarnais qu'il est, oublie tout, y compris ses habits neufs de député européen.

Jean SAINT-JOSSE : Je crois que ça n'a rien changé du tout. Je viens à la palombière pendant un mois comme auparavant, mais heureusement que ça ne change rien. Écoutez, si on doit être député pour changer de catégorie, moi je ne suis pas d'accord, je n'y vais pas quoi !

Laure DEBREUIL : Ici, on tire la palombe posée avec des fusils à un coup. L'art consiste à les attirer grâce à des leurres, des pigeons domestiques.

Jean SAINT-JOSSE :  Quand les chasseurs disent : on veut continuer à chasser dans vingt ans, il faut que les espèces soient en augmentation ; mais on n'a pas besoin d'anti-chasse pour nous le dire. On a un combat chasse et anti-chasse. Que les anti-chasses s'occupent d'eux et qu’ils nous foutent la paix, voilà, ça, c'est simple.

Laure DEBREUIL : Chasse, Pêche, Nature et Tradition. Une liste qui a fait un score envié aux européennes, 1,2 million de voix. Mais Jean SAINT-JOSE ne veut pas attraper la grosse tête. Lorsqu'il descend de sa palombière, c'est pour retrouver sa mairie, Coarraze, 2 500 habitants.

Jean SAINT-JOSSE : Les politiques sont complètement perdus. Ils ne sont plus sur le terrain, ce ne sont, plus des élus de proximité. On le reste. J'espère qu'on le restera longtemps.

Laure DEBREUIL : D'ailleurs pour le patron, des chasseurs, le prochain défi est de remporter des victoires aux municipales. Jean SAINT-JOSSE s'y prépare. Il recrute des adhérents notamment au sein des petites communes pour peser le moment venu sur la constitution des listes à commencer par la sienne.

Jean SAINT-JOSSE :  Moi je n’accepte pas qu'une administration dise : c'est la faute du maire alors qu'on sait très bien que c'est l’administration…

Laure DEBREUIL :  Et en Béarn, on finit toujours par traiter les affaires sérieuses autour d'un verre suivi d'un bon repas. Les femmes sont alors invitées à rejoindre les hommes descendus des palombières, des pères, des maris dont elles partagent les valeurs.

Marie-Françoise SAINT-JOSSE : Je dirais que mon mari a plutôt tendance - c'est un sentimental - il a plutôt tendance à croire que « tout le monde il est beau tout le monde il est gentil ». Il a besoin de contact, il aime profondément les êtres humains. Je crois que ça se retrouve au sein du mouvement parce qu’il n'aurait pas pu rassembler autant de monde s'il avait fait ça d'un point de vue ambition personnelle.

Laure DEBREUIL : Jean SAINT-JOSSE n'a pas oublié ses origines modestes : son père vendait des vêtements sur les marchés de la région, lui-même a commencé à travailler très tôt et a pris sa carte au RPR.

Jean SAINT-JOSSE : J’étais fasciné par le Général de GAULLE. II avait une vision tellement extraordinaire du futur que j’étais fasciné par ça.

Laure DEBREUIL : Lassé par les querelles des appareils politiques, il se veut différent. Son mouvement n'est pas à vendre, qu'on se le dise.

Jean SAINT-JOSSE :  On ne me récupère pas, vous savez, je n'ai pas un tempérament à me faire récupérer. On n'est pas en lutte contre le gouvernement de gauche, on est en lutte contre des Verts qui sont intégristes. Mais on peut avoir les mêmes intégristes demain dans un gouvernement de droite.

Laure DEBREUIL : Et au milieu de cette nature sereine et préservée, il n'y a qu'un nom qui fasse bondir Jean SAINT-JOSSE, celui de Dominique VOYNET.

Jean SAINT-JOSSE :  Quand madame VOYNET dit : je suis militante écologiste avant d'être ministre, elle ne mérite pas d'être ministre de la République.

Laure DEBREUIL : Pour dévier la colère des chasseurs, Lionel JOSPIN a nommé un monsieur chasse. Le rôle est tenu par le députe socialiste François PATRIAT. II remettra son rapport le 4 novembre, rapport qui servira de socle à une nouvelle loi. Mais des fuites ont eu lieu, la .tendance n'est pas au compromis.

Jean SAINT-JOSSE :  Si l'État et monsieur PATRIAT ne veulent pas travailler avec bon sens, ils vont se planter ; et la prochaine fois, on ne fera pas 1,2 million de voix, on en fera deux millions.

Laure DEBREUIL :  Jean SAINT-JOSSE est le porte-parole d'un lobby, celui de la chasse, mais il est aussi le défenseur d'un mode de vie, c'est sa force.

Ruth ELKRIEF :  Voilà, le temps nous manque pour ce soir, pour vous montrer ce reportage sur Jurg HEIDER. Vous le retrouverez bien sûr la semaine ou la semaine suivante, après un tournage complémentaire aussi avec le leader de l'extrême-droite autrichien. Merci beaucoup d'être restés avec nous. Je vous laisse tout de suite avec le journal de Claire CHAZAL et à la semaine prochaine.