Interview de M. Gilles de Robien, président du groupe parlementaire UDF à l'Assemblée nationale, à France-Inter le 9 octobre 1996, sur les conditions d'entrée et de séjour des étrangers, la Corse, la loi de financement de la Sécurité sociale et la polémique sur la suppression des avantages fiscaux des journalistes.

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Média : France Inter

Texte intégral

A. Ardisson : Quelques jours après que le Premier ministre ait annoncé un projet de loi modifiant une nouvelle fois les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France, ce projet filtre dans la presse. Le débat est ouvert, du coup, prématurément peut-être. Vous aviez été en pointe au moment de l’affaire des sans-papiers de Saint-Bernard. Le groupe UDF avait manifesté son impatience à Deauville. Êtes-vous satisfait ?

G. de Robien : D’une part, a posteriori, ceci montre, et le nouveau texte le démontre amplement, que ceux de Saint-Bernard, au mois d’août, ont fait les frais d’une législation et de textes réglementaires mal faits. Ils ont été à ce moment-là des victimes d’une législation et de textes réglementaires qui n’étaient pas applicables et qui étaient difficilement explicables. Donc, aujourd’hui, je me réjouis qu’on prenne vraiment le problème en main et que l’on rende les règles plus claires, d’une part avec davantage de fermeté et de lisibilité pour les situations irrégulières et qui se prolongent et, d’autres part, me semble-t-il, plus d’humanité, notamment pour les problèmes familiaux.

A. Ardisson : À ce propos, l’avant-projet de loi est plus laxiste, diront certains, que ce que proposait le rapport Philibert-Sauvaigo. Les parlementaires UDF avaient donc une visée plus répressive ?

G. de Robien : Je crois qu’on ne peut pas parler de laxisme quand il s’agit de problèmes humains. On peut parler de souplesse, on peut parler de regard humain, mais on ne peut pas parler de laxisme. Ce texte a deux volets : l’un est, disons, plus ferme, plus répressif. Il donne de nouveaux moyens au ministre de l’intérieur. Notamment, il permet de fouiller les voitures, le délai de rétention, etc. D’un autre côté, on privilégie les familles. On privilégie les cas tout à fait exceptionnels, notamment le cas des étrangers dont l’éloignement aurait, sur leur situation personnelle, des conséquences d’une extrême gravité. Je crois que c’est bien. Ce texte, sous réserve bien évidemment d’en étudier tous les aspects des passages en commission, répond à ce double souci exprimé par beaucoup, y compris par le Premier ministre, dans cette fameuse semaine du mois d’août : d’une part, la fermeté, la clarté ; d’autre part, l’humanité. Donc, je crois que ce texte ira dans le bon sens, d’une meilleure lisibilité de la politique d’immigration qui ne devra jamais se séparer d’une politique volontariste en matière d’intégration en France, car on ne réussira l’intégration que si les règles sont claires au niveau de l’immigration et, en même temps, en amont – c’est une vocation de la France qui a des rapports privilégiés avec beaucoup de pays africains – avec une vraie politique de coopération dynamique.

A. Ardisson : Autre sujet : la Corse. Le Premier ministre peut-il compter sur l’appui sans réserve du groupe UDF, concernant sa politique de fermeté vis-à-vis des groupes terroristes en Corse ?

G. de Robien : Alors là, vraiment, sans réserve vis-à-vis d’une politique de fermeté. Il ne s’agit plus de problèmes d’immigration : il s’agit d’un territoire français dont une infime minorité des habitants sont des terroristes, purement et simplement. D’abord, je voudrais saluer le courage du Premier ministre. Il était visé dans sa ville, indirectement dans sa personne. Donc, j’ai tenu hier à saluer, à l’Assemblée nationale, son courage mais aussi celui des insulaires qui sont soumis au même régime quasi quotidien dans l’île. Le Premier ministre répond par la fermeté, pourquoi ? Parce que, pendant des mois, il a dit dialogue et fermeté. Ce dialogue, il l’a engagé. Ce dialogue, on y a répondu par la négative en face. À partir du moment où on répond par la négative, c’est la fermeté qui s’impose sur un territoire français qui ne doit pas être un territoire de non-droit.

A. Ardisson : Ne risque-t-il pas d’y avoir un double langage de la part de certains élus, notamment des élus insulaires qui peuvent approuver d’un côté la fermeté et de l’autre, dire « attention, il faut être gentil, il faut dialoguer » ?

G. de Robien : C’est le temps passé. Les élus insulaires – j’en connais certains avec qui j’ai conversé – reconnaissent aujourd’hui que le dialogue, c’était la situation précédente. Devant la mauvaise volonté et la mauvaise foi des terroristes – on peut le dire – ce n’est que la fermeté qui doit être employée. Il faut que les habitants de la Corse soient rassurés sur la volonté de la République française à maintenir ses départements en territoire français comme aujourd’hui, et soient également rassurés sur la volonté des pouvoirs publics, quels que soient ces pouvoirs publics, sur la fermeté et les moyens qu’on va mettre en œuvre pour faire assurer la République sur ce territoire.

A. Ardisson : Troisième sujet d’actualité, c’est la sécurité sociale. Pour la première fois, vous allez avoir à vous prononcer sur une loi de financement, loi de financement qui fixe des objectifs, comme ne pas dépasser l’inflation. Mais dans la mesure où vous ne pouvez pas maîtriser les recettes et qu’en ce qui concerne les dépenses, cela ressemble encore à des vœux, est-ce que cela sert vraiment à quelque chose ?

G. de Robien : Alors, d’une part, ne commençons pas à dire que la réforme de la sécurité sociale n’a servi à rien ! D’abord, la réforme des structures de la protection sociale, cette réforme a été faite l’année dernière à effets différés puisque que c’est la première fois cette année, dans quelques jours, que nous allons voter le budget de la protection sociale. Ce sera une grande première dans l’histoire de France, depuis l’invention de la sécurité sociale. C’est le Parlement qui va fixer le budget de la protection sociale en France. À partir du moment où ce budget sera fixé, il ne pourra pas être dépassé. Et par conséquent, et par la réforme de structures et par le vote d’un budget exactement en parallèle – comme il y a le vote d’un budget pour la nation, là il y aura le vote pour la protection sociale – c’est une façon de sauver notre système de protection sociale en France.

A. Ardisson : À ce propos, puisque la loi qui porte votre nom prévoit des exonérations de charges, beaucoup disent que, compte tenu de son succès, vous êtes en train de faire sauter la caisse. Est-ce vrai ?

G. de Robien : Cela serait très bien parce que cela voudrait dire, d’une part, que cette loi a du succès donc que le chômage est vivement attaqué et que l’on crée des emplois ou que l’on sauve des emplois. Deuxièmement, de toute façon, comme cette loi sauve des emplois et en crée à un coût bien inférieur au coût du chômage, cela voudrait dire que plus la loi aura du succès, moins cela coûtera cher pour la nation.

A. Ardisson : Dernière question, qui concerne entre autres les journalistes. Il y a une polémique actuellement avec votre homologue du groupe RPR, M. Péricard, qui, à propos de pressions exercées sur des parlementaires, a dit « j’ai des listes ». Cela crée évidemment beaucoup d’émotion. Est-ce que l’on peut dire cela quand on est président d’un groupe parlementaire ?

G. de Robien : Écoutez, chacun son style ! Vous connaissez Péricard, c’est un de vos confrères. Donc, il a son langage à lui. J’ai proposé, hier, d’abord de rappeler, parce que c’est important, que la presse et le Parlement sont deux piliers de la démocratie et que l’un ne peut pas jouer contre l’autre, c’est-à-dire que la presse ne peut pas faire de chantage contre les parlementaires qui s’apprêteraient à voter quelque chose qui déplairait aux journalistes. Ceci étant dit, j’ai lancé une formule en disant que l’on ne parle pas avec un pistolet sur la tempe. Une formule qui est aussi exagérée et qui est caricaturale, bien sûr. Donc, je ne suis pas d’accord pour un boycott pour peser sur le législateur, c’est évident. Par contre, il faut être positif. Et je sais que la presse a besoin, pour exister, de moyens et cela, c’est une nécessité de la démocratie. Et j’ai proposé trois pistes : puisque le Premier ministre a annoncé une baisse des impôts, aucun journaliste en 1997, à situation égale, ne devrait payer plus d’impôts qu’en 1996.

A. Ardisson : Cela va au-delà de cette profession d’ailleurs, parce qu’il y a des tas de professions qui sont concernées ?

G. de Robien : Au-delà, tous ceux-là qui ont effectivement des exonérations qu’on veut voir limitées. Deuxième chose, puisque l’on parle beaucoup de baisses de charges sociales, qu’on commence peut-être par les professions qui voient effectivement leurs exonérations limitées. Troisièmement, qu’on regarde de près les aides à la presse de façon à voir si, aujourd’hui, la presse a besoin d’aides supplémentaires pour compenser cela.