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Fiscalité et prélèvements
L'état des comptes de la protection sociale a obligé le gouvernement, mais aussi les partenaires sociaux, le patronat comme les organisations syndicales, à rouvrir le dossier de la réforme de son financement, et tout particulièrement de la branche maladie. Cela a été une fois de plus l'occasion pour la CFDT de mettre en avant sa revendication d'une contribution sociale élargie à l'ensemble des revenus et venant se substituer aux cotisations supportées par les salariés. Une telle réforme, qui est à peine entamée, chamboule l'architecture d'ensemble des prélèvements obligatoires, prélèvements sociaux et fiscaux. Il était donc nécessaire de se livrer à un réexamen de la fiscalité pesant notamment sur les ménages, alors même que le gouvernement confirmait son intention de réformer l'impôt sur le revenu.
Si, en tant qu'organisation syndicale, la CFDT n'a pas à se substituer au gouvernement et à proposer une réforme, il lui appartient d'anticiper et de rappeler ses principes de justice fiscale et ses exigences en la matière. Les dernières positions de la CFDT sur la fiscalité ne remontent qu'à cinq ans, mais les choses peuvent aller vite dans ce domaine. Il y a tout juste un an le ministre de l'Economie rendait public un important rapport sur les prélèvements des ménages, commandé en 1994 par Nicolas Sarkozy, à l'époque ministre du Budget, à une commission présidée par Monsieur Ducamin (1). Il fallait donc vérifier si nos analyses étaient toujours pertinentes et dans quelle mesure elles avaient besoin d'être actualisées. C'est ce que nous avons fait au Conseil national confédéral d'avril 1996 auquel nous avions invité Denis Clerc et Pierre Concialdi dont les réflexions, qui n'engagent que leurs auteurs, complètent la présentation générale de Jean-François Trogrlic, secrétaire national en charge des questions économiques.
(1) « Les prélèvements sur les ménages : un diagnostic », CFDT-Aujourd'hui n° 117, janvier-février 1996.
Fiscalité et prélèvements
Pourquoi ouvrir ce débat sur la fiscalité ?
Un sondage récent faisait ressortir que deux personnes sur trois avaient des griefs contre le système fiscal mais qu'une même proportion de personnes craignait les conséquences d'une réforme. La fiscalité est ainsi un sujet bien commode de récriminations généralisées, mais à condition de conserver pour l'essentiel le statu quo. Deux raisons justifient cependant que nous prenions l'initiative d'un tel débat.
Première raison : nous sommes d'abord dans le prolongement du débat sur la protection sociale. La réforme en cours du financement de l'assurance-maladie vient modifier la structure des prélèvements, aussi une mise en perspective plus globale nous semblait nécessaire au-delà même des problèmes de financement de la protection sociale. Par ailleurs, les projets du gouvernement concernaient certains aspects, comme par exemple l'imposition des allocations familiales, relevant de la redéfinition de l'ensemble des aides aux familles (prestations et aides fiscales). Même si cela relève de consultations dans un autre cadre, nous devons aussi nous préparer à ce débat, dans la perspective fixée par le congrès d'une politique familiale plus redistributive en direction des plus bas revenus et vérifier la cohérence de nos propositions avec cette perspective.
Deuxième raison : avec beaucoup d'hésitations, d'allers et retours, le gouvernement évoque régulièrement la perspective d'une réforme fiscale et/ou d'une réforme d'ensemble des prélèvements sociaux et fiscaux. Initialement le gouvernement comptait présenter à l'automne un projet de loi d'orientation fiscale engageant un programme de réformes sur au moins cinq ans, à défaut, il entend entamer une baisse des impôts et notamment de l'impôt sur le revenu. Le moins que l'on puisse dire est que pour l'instant les orientations précises demeurent quelque peu obscures.
Le gouvernement semble inclure dans ce cadre les deux volets de la réforme de l'assurance-maladie (cotisation maladie élargie, transfert des cotisations actuelles sur cette cotisation élargie, nouvelle assiette des cotisations patronales d'assurance maladie), non dans une perspective de mise en œuvre immédiate, contrairement aux engagements pris, mais dans une perspective d'une programmation pluriannuelle. Nous devons être vigilants sur ce point et obtenir le respect des engagements pris pour que cette évolution majeure du financement de la protection sociale ne soit pas rejetée aux calendes grecques et intervienne rapidement.
Régulièrement on évoque à nouveau la perspective - un moment envisagée puis abandonnée - d'un rapprochement entre la CSG et l'impôt sur le revenu, voire d'une fusion où la CSG constituerait le premier étage, proportionnel, de l'impôt sur le revenu. Il s'agirait là d'un véritable détournement de la vocation de la CSG qui ne pourrait que rencontrer notre refus.
La CFDT se doit d'être partie prenante de ce débat sur des questions aussi décisives ainsi que sur les autres aspects d'une réforme de la fiscalité et notamment de l'impôt sur le revenu. Une précision importante s'impose à cet égard. Notre objectif n'est pas de proposer un projet de réforme fiscale « clef en main » dans lequel le gouvernement pourrait retenir telle ou telle proposition en fonction de ses propres préoccupations. Le problème est d'abord, pour la CFDT, de s'interroger sur le sens que peut avoir une éventuelle réforme fiscale et sur la direction qu'elle doit prendre. Pour une organisation qui place la redistribution des richesses et des emplois au cœur de ses propositions, ce n'est pas une préoccupation superflue.
La complexité des questions, pour ne pas parler du maquis fiscal, leur technicité, la diversité des situations et l'importance des intérêts en jeu, les idées toutes faites et les préjugés nombreux, autant d'obstacles qui font qu'un débat sur la fiscalité n'est jamais un exercice facile. Il était donc souhaitable d'avoir une phase préliminaire d'appropriation de ce dossier afin d'en cerner les enjeux et avant d'arrêter des positions précises. Le débat du Conseil national confédéral n'avait pas vocation à trancher mais à lancer la réflexion dans l'organisation. C'est ce qui explique aussi l'invitation faite à deux spécialistes de se joindre à nous pour ce débat et de nous faire part de leurs points de vue.
Le champ de la réflexion proposé
Le premier objectif du débat est de vérifier que nos orientations en matière de fiscalité - qui remontent à 1991 - restent pour l'essentiel d'actualité, même si elles doivent être remises à jour à la lumière des débats de ces derniers mois. Nous avons donc délibérément privilégié les questions les plus actuelles : les prélèvements sociaux dans leur articulation avec les prélèvements fiscaux, la réforme de l'impôt sur le revenu, la fiscalité de la famille... D'autres questions comme la fiscalité locale ou la fiscalité des entreprises nous paraissent devoir être abordées dans le cadre d'autres débats : la décentralisation pour la première, l'emploi et la politique économique pour la deuxième. L'ensemble des prélèvements pesant sur les ménages constitue déjà une matière suffisamment consistante et complexe, même s'il faut garder en perspective l'ensemble des prélèvements sociaux et fiscaux. Nous avons également fait le choix de conduire notre réflexion dans le cadre d'une double hypothèse : une première hypothèse de stabilité de la pression fiscale globale, une deuxième hypothèse de stabilité des frontières entre la fiscalité locale, celle des entreprises et celle des ménages. À ce stade, ces choix sont motivés par plusieurs considérations :
– d'abord, parce que la réduction des ressources fiscales ne nous semble pas un objectif prioritaire, même si une telle affirmation va à contre-courant des discours dominants et de la démagogie ambiante. Le niveau et la structure de la fiscalité traduisent aussi des choix de société auxquels correspondent aussi des fonctions et des consommations collectives. Des gains en efficacité des services publics et une meilleure gestion des dépenses publiques sont évidemment possibles mais limités, ils seront vite absorbés par des besoins aujourd'hui non satisfaits, parce que non solvables dans les règles normales de l'économie de marché. L'état de notre société, le poids du chômage, de l'exclusion, les inégalités, justifient que l'on se donne les moyens de renforcer la cohésion sociale ;
– ensuite, parce que le mouvement de bascule qui a allégé les prélèvements, sociaux comme fiscaux, à la charge des entreprises et alourdi ceux qui sont à la charge des ménages ne peut continuer plus longtemps. Même s'il est difficile de dire qui, en bout de course, supporte le prélèvement, le partage primaire dans les prélèvements à la charge des entreprises et des ménages doit être stabilisé ;
– enfin, l'hypothèse d'une stabilité de la masse de prélèvements à la charge des ménages oblige à une plus grande rigueur intellectuelle et empêche les fuites en avant : mettre l'accent sur les effets redistributifs de la répartition des prélèvements contraint à faire des choix, toute baisse d'un prélèvement a sa contrepartie dans le relèvement d'un autre et à préciser qui en profite et qui en pâtit.
Deux séries de réflexions pour lancer le débat
Une réflexion sur les objectifs de la réforme fiscale
Il y a bien sûr plusieurs raisons et argumentations présentées à l'appui d'un projet de réforme fiscale : une première série porte sur un objectif général de réduction des impôts souvent mis en avant par les gouvernements qui se sont succédés. J'ai déjà évoqué son caractère le plus souvent démagogique. Au-delà de cet état de fait, il faut constater que l'instrument de l'incitation fiscale a été utilisé pour les objectifs les plus divers. Le constat largement partagé est que ces aides fiscales n'ont qu'une efficacité limitée, incitent à des choix d'optimisation fiscale et nuisent à la cohérence d'ensemble de la fiscalité. En bénéficient les plus riches et/ou les mieux informés, sous la forme d'une évasion fiscale tout à fait légale dont les contreparties sont en fait supportées par le plus grand nombre. Face à cette situation, il nous semble nécessaire de réhabiliter l'impôt comme un acte de citoyenneté.
Une deuxième série de raisons préconise une refonte des prélèvements obligatoires au nom de l'emploi : c'est dans ce registre que l'on retrouve les multiples formules de réduction des charges sociales sur les bas salaires ou les emplois peu qualifiés. Celles-ci se traduisent en général par une réduction de charges sur les entreprises compensées en fait ou en droit par un prélèvement sur les ménages, sous prétexte de développer l'emploi. La réduction du coût du travail est ainsi devenue l'un des instruments essentiels de la politique de l'emploi avec le succès que l'on connaît. D'où l'urgence d'un changement de logique invoqué par Nicole Notat dans un récent article du Monde (1). Depuis, la nécessité d'une mise à plat et d'une évaluation des aides à l'emploi a fini par s'imposer.
L'objectif implicite souvent mis en avant dans ce type d'argumentation (par l'OCDE, par exemple) est aussi de réduire le coût et le volume de la protection sociale, conçu comme un organisme parasitaire qui pèse sur la compétitivité. Il n'en est rien, puisque les ressources de la protection sociale sont redistribuées et réinjectées dans les circuits économiques où elles soutiennent pour l'essentiel la consommation. Elles traduisent essentiellement un choix de société et un niveau de développement faisant une plus large part aux consommations collectives dans les ressources des ménages.
Le troisième objectif porte sur la simplification du système fiscal : souhaitable en soi, tant la fiscalité est devenue un maquis dans lequel seuls quelques spécialistes se retrouvent. Mais la simplification ne dit rien sur le sens et les orientations de la réforme fiscale : simplification pour qui ? Au bénéfice de qui ? Cela dit, c'est aussi un véritable objectif que de donner davantage de lisibilité au système fiscal. La complexité de la fiscalité et l'accumulation d'avantages plus ou moins fondés contribuent à renforcer le sentiment d'inégalité face à l'impôt et expliquent pour partie que l'impôt sur le revenu est devenu si mal ressenti par les contribuables. Comme on le verra sans doute au cours de la table ronde qui suit, par-delà sa complexité, le système fiscal peut être ramené à quelques principes simples.
Le quatrième objectif général se situe au centre de notre problématique : il vise à rechercher davantage d'équité et de justice dans la répartition des prélèvements entre les différentes catégories sociales et catégories de revenus. Les revenus du travail sont lourdement taxés en France alors que les revenus de l'épargne ou du capital dont la part dans l'ensemble des revenus a beaucoup progressé depuis quinze ans, bénéficient de faibles taux de prélèvement aussi bien social que fiscal. C'est le constat que l'on trouve dans les rapports les plus officiels et toute réforme fiscale qui ne corrigerait pas cet état de choses serait gravement compromise.
(1) Cf. Le Monde du 19 avril 1996.
Fiscalité et prélèvements
Ce dernier point conduit à une seconde série de réflexions : notre système fiscal doit être regardé dans une perspective internationale et européenne. Une note récente de la Commission européenne à destination des ministres des Finances européens met en avant quelques points essentiels dans notre perspective : Le constat de départ est que dans l'Europe des douze, entre 1980 et 1993, le taux d'imposition du travail salarié a progressé de 20 % alors que corrélativement le taux d'imposition des revenus du capital a baissé de 10 %. Il y a bien un mouvement de cause à effet entre les deux phénomènes : la libération des mouvements de capitaux dans le cadre du marché unique s'est opérée sans les digues suffisantes à la fin des années 80, entraînant les États européens dans une concurrence fiscale à la baisse pour attirer chez eux (avec des avantages fiscaux) l'épargne flottante en quête de rémunérations élevées. Il en a résulté une réduction générale de la fiscalité de l'épargne et du capital (la baisse générale de l'imposition des sociétés en est une illustration) et un développement des possibilités de fraude et d'évasion fiscale pour les capitaux les plus mobiles.
La contrepartie en a été une modification progressive de la structure de la fiscalité, qui a dû compenser cette réduction de la fiscalité sur le capital, par un renforcement de la fiscalité sur le travail, dans un contexte de chômage et de besoins croissants de ressources collectives. C'est le résultat du chacun pour soi joué alors par les gouvernements européens : en détaxant très largement l'épargne des non-résidents dans chaque pays, en abritant en leur sein ou à leurs frontières des paradis fiscaux (Monaco, Luxembourg, îles anglo-normandes...), en allégeant globalement la fiscalité de l'épargne (multiplication des produits d'épargne défiscalisés par exemple), la concurrence entre tous a réduit les marges de manœuvre budgétaires et fiscales de chacun. Alors qu'une action concertée doit permettre au contraire de limiter les effets négatifs de la concurrence fiscale et de recréer des marges d'actions pour les pouvoirs publics. Cela signifie l'harmonisation des bases fiscales pour les sociétés, l'application d'un taux minimum d'imposition pour l'épargne, etc. C'est la voie dans laquelle le syndicalisme européen doit peser, car c'est la condition d'un rééquilibrage de la fiscalité plus conforme à la justice sociale. Même s'il faut avoir conscience de la difficulté liée à une économie mondialisée et aux technologies actuelles qui permettent aux marchés financiers de délocaliser aisément l'épargne vers les zones plus accueillantes. Ceci permet toutefois de montrer l'intérêt d'une coordination et d'une convergence des systèmes fiscaux, indispensable complément à la monnaie unique, qui ne signifie pas nécessairement une harmonisation totale des fiscalités mais la limitation d'une compétition à la baisse, nuisible pour tous.
Des sujets de débat essentiels pour la CFDT
J'en viens maintenant à pointer ce qui constitue pour nous les sujets de débats essentiels.
Premier débat : la progressivité des prélèvements et la justice sociale
Porter une appréciation globale sur le système fiscal et social suppose de regarder son impact redistributif entre différentes catégories de revenus des ménages :
– les impôts et les cotisations sociales représentent à peu près 40 % du revenu primaire des ménages, c'est-à-dire des revenus d'activités, les prestations sociales de leur côté en représentent aujourd'hui plus d'un tiers c'est l'ensemble de cette vaste machine à prélever et à redistribuer qu'il faudra bien examiner de près. Si le bilan d'ensemble permet de penser qu'il y a bien au total réduction des inégalités par la redistribution, cette réduction semble plus réduite que ce que l'on s'imagine, des zones d'ombre perdurent (les prestations sociales par niveau de revenu par exemple), et on ne distingue que des éléments partiels qui ne permettent pas de savoir avec précision ce que chaque catégorie donne et reçoit. Il ne s'agit pas de réclamer une quelconque inquisition et d'en attendre une transparence totale, mais moins d'opacité est une condition de légitimité du système de redistribution et d'acceptabilité des réformes nécessaires ;
– le système fiscal au sens large vise à corriger la distribution des revenus telle qu'elle ressort du fonctionnement spontané de l'économie de marché. Un des objectifs, même si ce n'est pas le seul, est la réduction des inégalités (face aux risques sociaux ou dans la répartition des revenus) par un prélèvement inégal, car calculé sur la faculté contributive de chacun et des prestations qui corrigent en partie les inégalités de fait. Notre constat est que globalement le système est trop peu redistributif, notamment à cause de la structure des prélèvements obligatoires ;
– la grande masse des prélèvements est au mieux proportionnelle aux revenus, c'est le cas des cotisations sociales. La fiscalité locale et la fiscalité indirecte sont dégressives, l'impôt sur le revenu est le seul impôt important progressif avec le revenu ;
– le poids important des cotisations sociales a pour corollaire le faible poids de l'impôt sur le revenu : rapportées au PIB, elles pèsent trois fois plus lourd que l'impôt sur le revenu (près de 20 % contre à peine plus de 6 % pour l'impôt sur le revenu) ;
– l'impôt sur le revenu est surtout progressif sur les revenus du travail, ce qui s'explique par les nombreux avantages concédés au fil des ans aux revenus de l'épargne et du patrimoine ;
– si les prélèvements sont peu redistributifs, ce sont surtout les prestations sociales versées aux ménages sous condition de ressources qui réduisent les inégalités au bas de l'échelle des revenus (prestations familiales, allocations logement, RMI...). Nous tirons de cet ensemble de constats une double orientation pour l'évolution du système de prélèvements ;
– en ce qui concerne le financement de la protection sociale, il faut viser un prélèvement véritablement proportionnel à l'ensemble des revenus, au moins pour la partie universelle de la protection sociale (l'assurance-maladie en premier lieu), tout en conservant l'autonomie et la spécificité de ce prélèvement qui ne doit pas se confondre avec l'impôt. Cela suppose de rechercher une assiette, dans son principe élargi à tous les revenus et qui soit en conséquence moins pénalisante pour les revenus du travail ;
– en ce qui concerne les prélèvements fiscaux, il convient de privilégier les prélèvements qui tiennent compte du revenu des ménages et de réduire les autres (TVA notamment). Il faut également corriger progressivement l'inégale situation des diverses catégories de revenus (notamment entre les revenus du travail et les revenus du patrimoine) au regard des prélèvements et notamment de remettre en cause une large part des exonérations, déductions, abattements, dont bénéficient en général les revenus les plus élevés et dont le poids réel est supporté par les autres.
Deuxième débat : les interactions entre le prélèvement social et le prélèvement fiscal
J'ai évoqué à l'instant l'autonomie du prélèvement social à laquelle nous tenons, mais il reste que certains membres du gouvernement agitent périodiquement l'idée d'une fusion de la CSG et de l'impôt sur le revenu. Cette orientation doit être condamnée.
L'autonomie de la protection sociale signifie également que la CSG doit avoir le statut d'une cotisation sociale, qui à ce titre doit être déductible du revenu imposable. La CSG doit être identifiée clairement comme une cotisation sociale, c'est la condition de son extension à tous les revenus et de l'acceptabilité de sa montée en charge.
La déductibilité de la CSG du revenu imposable réduit certes légèrement la progressivité du prélèvement, mais la justice sociale passe aujourd'hui en priorité par l'élargissement de la CSG à tous les revenus plus que par sa progressivité. Par contre, il faut conserver à l'impôt son caractère progressif. Lors de sa création en 1990-91, la CSG a reçu un caractère hybride empruntant certaines caractéristiques aux cotisations, d'autres à l'impôt. Son assiette sur les revenus de remplacement et les revenus de la propriété a été (à peu près) calquée sur celle de l'impôt : tous les revenus d'activités (imposés ou non imposés) sont redevables de la CSG, par contre, pour les autres revenus il faut être imposable pour être redevable de la CSG. Or, être non imposable n'est plus un critère suffisant de pauvreté, surtout lorsqu'il se calcule après avoir pu jouer de toutes les déductions fiscales possibles qui permettent d'échapper à l'impôt sur le revenu.
Il faut donc rechercher un élargissement de la CSG pour qu'elle devienne vraiment « généralisée ». Cela ne signifie pas qu'il ne faut pas prendre en compte la situation spécifique des revenus de remplacement (pour l'essentiel, les retraités) pour lesquels il faut ménager des transitions : le critère actuel pour le paiement de la CSG (imposable/non imposable), outre qu'il n'est plus satisfaisant, crée de plus un effet de seuil très important lorsque l'on devient imposable puisque dans ce cas, les retraités deviennent redevables de la CSG et de la cotisation maladie spécifique des retraités. Le problème est donc de lisser ce seuil et de définir où placer la barre au sein de la catégorie des retraités, et d'avoir recours à des critères de ressources plus objectifs et moins soumis aux aléas de la législation fiscale.
Troisième débat : les problèmes et enjeux d'une réforme de l'impôt sur le revenu
Un rééquilibrage de la fiscalité des ménages dans le sens de plus de justice fiscale et de plus de progressivité dans les prélèvements nécessite de faire jouer un rôle accru à l'impôt sur le revenu, le seul impôt progressif (avec l'impôt de solidarité sur la fortune) dans le système fiscal français. À moins d'accepter une baisse des prélèvements (et donc une baisse des dépenses publiques et des dépenses sociales), les autres impôts et notamment ceux qui pèsent sur la consommation des ménages (TVA) ne pourront diminuer que si le poids de l'impôt sur le revenu s'accroît.
Un tel objectif soulève plusieurs problèmes :
– l'impôt sur le revenu est un impôt mal accepté. Bien qu'il soit en France bien moins important que dans la plupart des autres pays et, en tout cas beaucoup moins lourd que d'autres prélèvements, il est plus mal supporté et entretient le discours général. La complexité du calcul de l'impôt sur le revenu, la difficulté pour le commun des mortels d'en calculer le montant, le sentiment d'une inégalité face à cet impôt et le fait qu'il y a de multiples possibilités d'y échapper ou tout au moins d'en réduire sensiblement le montant, etc., accroît son impopularité et lui ôte sa légitimité. La simplification, la recherche de plus de transparence doivent permettre d'améliorer en partie les choses. De même le prélèvement à la source, que l'on ne saurait écarter sous prétexte de difficultés techniques (on est un des derniers pays à ne pas y recourir, comment font les autres ?), devrait le rendre plus supportable. Mais l'impôt restant l'impôt, il ne déchaînera jamais l'enthousiasme des foules...
La fraude fiscale (en dehors des possibilités qu'offre la législation fiscale). Par définition, non mesurable directement, le montant de la fraude fiscale (toute fiscalité confondue) fait l'objet d'évaluations qui varient du simple au double. Certains avancent un montant équivalent au déficit budgétaire (mais n'est-ce pas là une façon de dire que l'on pourrait retrouver l'équilibre des comptes publics sans impôt supplémentaire et sans toucher aux dépenses ?). L'accroissement du poids de l'impôt sur le revenu nécessite de renforcer la lutte contre la fraude fiscale alors que la création du marché unique comme l'internationalisation des marchés financiers offrent des opportunités accrues d'évasion et de fraude fiscales. Les gouvernements ne sont pas pour autant réduits à l'impuissance. Sauf à imaginer un développement des contrôles fiscaux, la question n'est-elle pas d'accroître la crédibilité de la lutte contre la fraude de sorte que « la peur du gendarme » ou le montant de l'amende dissuadent les fraudeurs ? Il s'agit certes de réduire la fuite devant l'impôt et donc d'augmenter son rendement, mais tout autant d'en attendre un renforcement du sentiment d'égalité devant l'impôt.
Le faible nombre de foyers imposés. Pratiquement, du fait des règles fiscales actuelles, un foyer sur deux n'est pas imposé, sans que cela corresponde nécessairement avec l'échelle des revenus, même si l'on peut, de façon optimiste, supposer que Bernard Tapie a été un cas extrême. Le choix d'un impôt sur le revenu ayant un rendement suffisant, mais surtout une certaine conception, ancienne à la CFDT, de la citoyenneté posent la question de l'augmentation du nombre de contribuables. Le paiement d'un impôt, même faible voire symbolique pour les ménages ayant des revenus faibles, n'est-il pas, autant que les prestations, la reconnaissance de l'appartenance, en responsabilité, à la collectivité ?
L'augmentation du nombre de ménages imposés mettrait directement en jeu les variables techniques qui donnent son allure à l'impôt sur le revenu, mais le calibrage de ces variables renvoie à la sédimentation au fil du temps d'une multitude d'intérêts économiques, de considérations politiques ou d'objectifs sociaux. Toucher à ces variables, même si aujourd'hui elles ont perdu leur justification, c'est toucher à des intérêts divers et variés, qui n'ont en commun que le choix du statu-quo.
La progressivité de l'impôt sur le revenu dépend de la combinaison de quatre variables clés : la détermination et le calcul des revenus qui rentrent dans l'assiette de l'impôt ; le calcul du nombre de parts, déterminé en règle générale par le quotient familial ; le barème applicable, c'est-à-dire un système de tranches de revenus et de taux ; les réductions d'impôt.
Tout le monde sait bien que la progressivité affichée par la lecture du barème est dans les faits fortement réduite par le rétrécissement de l'assiette imposable et par les réductions d'impôt. L'écart entre le taux réel de l'impôt (l'impôt effectivement payé rapporté au revenu effectivement perçu) et les taux apparents est considérable. Les taux réels sont ainsi couramment inférieurs de moitié au taux apparents, et tout particulièrement dans les tranches de revenus élevés.
L'établissement de plus de progressivité et donc de justice fiscale passe tout d'abord par la réduction - si ce n'est la suppression - des dispositions qui réduisent le revenu imposable. Ces dispositions (qui vont de la défiscalisation complète au recours généralisé à la technique de l'abattement) profitent essentiellement aux revenus du capital et de l'épargne financière ainsi qu'aux plus hauts revenus. Les abattements limitent d'autant plus la progressivité de l'impôt qu'ils sont proportionnels et que ces avantages sont plafonnés à des niveaux de revenus très élevés.
De ce point de vue, les réductions d'impôt sont préférables aux abattements, mais, par définition, elles ne profitent qu'à ceux qui paient des impôts, qu'à ceux qui ont les moyens d'entreprendre la dépense qui déclenche la réduction. Elles ne sont acceptables que dans la mesure où leur montant est limité.
La prise en compte de la taille du ménage par le quotient familial, si elle permet d'exempter nombre de familles à revenu faible ou moyen, est un moyen important de réduire la progressivité de l'impôt. La limitation actuelle de l'avantage fiscal que procure le quotient familial est insuffisante. Enfin l'attribution de demi-parts supplémentaires pour des situations sans rapport direct avec la taille du ménage a modifié le but original du quotient familial.
Ainsi la modification du barème est étroitement dépendante de la redéfinition de l'assiette imposable, comme à l'inverse un changement d'assiette obligera à revoir le barème. Aussi, si une réforme de l'impôt sur le revenu peut être progressive et étalée dans le temps, elle ne peut pas se faire par petits bouts. Une réforme qui aurait pour objectif d'accroître sa progressivité, de rétablir plus d'égalité fiscale entre les ménages, à la fois en tenant compte du niveau de revenus mais aussi de l'origine de ces revenus, modifierait sensiblement la situation existante. Mais il faut être conscient que, contrairement à ce que prétend le gouvernement, tout le monde ne peut pas être gagnant. Nécessairement, l'augmentation de la pression fiscale directe est la condition d'un allégement de la fiscalité indirecte et des cotisations sociales à la charge des salariés.
Quatrième débat : la redistribution en faveur des familles
La famille ne doit évidemment pas être envisagée exclusivement sous l'angle fiscal, ni même seulement sous celui des prestations familiales. Les questions posées sont beaucoup plus larges et il ne saurait être question de les régler dans ce cadre. Un éclairage général n'est pas inutile, car il permet de faire prendre conscience des interactions pas toujours heureuses entre la protection sociale et la fiscalité.
De l'avis de beaucoup de spécialistes, les familles en France sont plutôt davantage aidées qu'à l'étranger, au moins au regard des aides financières. Cela tient en grande partie à la combinaison d'aides fiscales (le quotient familial) et de prestations sociales dont une partie est versée à toute la population et l'autre est sous critère de ressources. Le paradoxe de cette combinaison est que, dans beaucoup de situations, l'aide apportée aux familles à revenus élevés est supérieure à l'aide aux familles à revenus moyens ou faibles. De plus, le premier enfant ne donne pas lieu à allocation dans le cas général (il y a des exceptions : familles monoparentales par exemple) ; il fait par contre bénéficier ces parents du quotient familial (1/2 part supplémentaire). Par ailleurs les allocations familiales qui constituent un revenu régulier ne sont pas incluses dans le revenu imposable, même lorsqu'elles bénéficient à des familles à revenu élevé.
La question peut donc être posée de savoir si la répartition de l'enveloppe globale des aides aux familles est correctement répartie. Cela ne nous semble pas être le cas. Les prestations familiales jouent un rôle fondamental dans la réduction des inégalités. Mais ne doit-on pas accroître ce rôle redistributif en direction des familles à plus bas revenu ou des familles qui se constituent (le premier enfant) quitte, pour cela à réduire un peu les aides versées aux plus hauts revenus, par le quotient familial notamment ? Nous avons souhaité lancer la réflexion en évoquant différentes hypothèses qui ont toutes des avantages et des inconvénients à des degrés divers :
– la suppression du quotient familial est la plus logique : on peut le remplacer par un abattement fiscal forfaitaire par enfant à charge, qui ne procurerait pas un allégement d'impôt croissant avec le revenu comme le quotient familial. C'est la position traditionnelle de la CFDT depuis une vingtaine d'années ;
– la mise sous conditions de ressources de l'ensemble des prestations familiales, permettant d'en renforcer le montant pour les plus faibles revenus ou le premier enfant. C'est la solution radicale mais elle écarterait beaucoup de familles où les deux parents travaillent du bénéfice des prestations familiales ;
– l'imposition des allocations familiales, qui a pour effet automatique de rendre imposable certaines familles de ce seul fait. Il serait techniquement possible de limiter ces effets pervers. Reste l'inconvénient à un instant donné de taxer davantage les familles « riches » pour aider les plus pauvres et de n'envisager la redistribution entre famille de taille et de revenus différents.
Il ne s'agit pour l'instant que d'esquisses, mais la question des rapports entre politique fiscale, redistribution et politique familiale doit être reposée, elle ne peut être éludée même si elle est difficile.
En conclusion, je rappellerai les principes qui, pour la CFDT, doivent guider une réforme fiscale digne de ce nom, ils sont simples. Premièrement, mettre un terme au déséquilibre entre l'alourdissement des prélèvements fiscaux supportés par les revenus salariaux et l'allégement des revenus non salariaux, en particulier les revenus tirés de l'épargne financière et ceux de la propriété. Deuxièmement assurer une progressivité effective de l'ensemble de la fiscalité supportée par les ménages. Le premier principe suppose de faire rentrer dans le revenu imposable les revenus qui actuellement y échappent, soit de fait par la tolérance de la fraude fiscale, soit en droit par la multiplication des dispositions fiscales. Le deuxième principe suppose que l'on ne commence pas par alléger l'impôt sur le revenu qui est dans la fiscalité française le seul impôt progressif. L'exonération de quelques centaines de milliers de familles modestes ne saurait cacher que ce sont les plus hauts revenus qui bénéficieront d'une baisse de l'impôt sur le revenu. C'est donc à la fiscalité indirecte, en premier lieu la TVA, et aux impôts locaux, au mieux proportionnels aux revenus, au pire dégressifs, qu'il faut s'attaquer. Il ne faut pas confondre baisse des impôts et réforme fiscale. La baisse ou l'augmentation des impôts n'a rien à voir avec la justice fiscale, mais relève des choix politiques en ce qui concerne la solidarité nationale et les missions que la collectivité entend confier à l'État et aux collectivités locales. Par centre l'équité fiscale réclame une répartition plus égale de la charge des prélèvements obligatoires de façon à ce que l'effort demandé à chacun soit proportionné à ses facultés contributives.