Texte intégral
Le Figaro Magazine : 20 juillet 1996
Le Figaro Magazine : Les mesures adoptées par le gouvernement ne semblent pas avoir eu, jusqu'ici, les effets que vous espériez.
Jean Arthuis : J'éprouve une grande impatience à voir la croissance prendre de la consistance. Pour l'instant, elle demeure hésitante. C'est la raison pour laquelle, l'hiver dernier, nous avons adopté des mesures fiscales pour accélérer le rythme de l'activité. Mais notre message est sans doute resté en partie brouillé par le décalage qui s'est produit entre l'annonce des nouveaux avantages, en janvier dernier, et la promulgation des textes, qui a eu lieu seulement au printemps.
Nous avions pourtant pris la précaution de faire savoir que les mesures nouvelles entreraient en vigueur immédiatement. Les textes réglementaires ont constitué la mise en forme, après consultation des professionnels.
Le Figaro Magazine : Ne faut-il pas aujourd'hui accorder des délais supplémentaires, pour donner plus d'efficacité à ce dispositif ?
Jean Arthuis : Nous avons déjà allongé la période, en repoussant au 30 septembre la plupart des mesures dont la validité ne devait pas excéder le 30 juin. Si nous devions encore modifier la date, ce serait le meilleur moyen de prolonger l'attentisme : les consommateurs se diraient qu'ils ont encore le temps. On ne doit pas se méprendre. Tout ce dispositif a un aspect temporaire, parce que transitoire. Il a été mis en place pour faire la soudure avec la réforme fiscale présentée cet automne et qui va s'étendre sur cinq ans, en apportant une transformation fondamentale à l'impôt sur le revenu.
Le Figaro Magazine : Que conseillez-vous aux Français ?
Jean Arthuis : La période des vacances est propice à la prise de décisions, après une réflexion mûrement pesée. Elle peut être l'occasion de visiter un appartement dont on rêve, ou de découvrir au hasard d'une promenade une maison de campagne attachante. La baisse des droits de mutation, les exonérations de plus-values sur les cessions de sicav, l'utilisation des plans d'épargne divers sont autant d'outils qui permettent d'améliorer le financement. Sans parler de l'amortissement de 80 % du prix d'un logement neuf, à raison de 10 % pendant chacune des quatre premières années, qui constitue un avantage sans précédent.
Le Figaro Magazine : Les intermédiaires financiers sont moins enthousiastes...
Jean Arthuis : Il est vrai que le dispositif gouvernemental n'a pas reçu de la part des professionnels tout l'écho qu'il mérite. Peut-être parce que le nombre des mesures a donné une impression de foisonnement. Pourtant, je les invite à prendre le relais : c'est leur mission d'expliquer en détail les avantages qui sont proposés, et de contribuer ainsi à la relance de l'activité. Je n'ose imaginer que certains auraient souhaité conserver la gestion de ces comptes d'épargne.
Le Figaro Magazine : Il y a aussi d'importantes novations en matière de transmission ?
Jean Arthuis : Le gouvernement a pris conscience qu'il fallait accélérer la transmission du patrimoine, dès lors que la prolongation de l'espérance de vie conduit souvent des retraités à être des héritiers ordinaires. Non seulement les droits ont été allégés en matière de donation-partage, mais les mesures fiscales s'appliquent quel que soit le rapport de parenté (oncle-neveu, par exemple) ou même en l'absence de lien de parenté. Et, par ailleurs, j'ai créé un abattement nouveau de 100 000 F entre grands-parents et petits-enfants. Je compte sur les notaires pour développer une prise de conscience dans ce domaine, et engager un grand mouvement en profondeur.
Le Figaro Magazine : Vous réfléchissez aussi sur la réforme fiscale, dont les premières lignes devraient être dévoilées à l'automne, au moment de l'élaboration de la loi de finances pour 1997.
Jean Arthuis : Si l'on n'y prête garde, la France deviendrait une véritable centrifugeuse fiscale, si elle devait maintenir des prélèvements obligatoires excessifs. Une telle orientation nous est désormais interdite, car nous devons plus que jamais tenir compte de la mondialisation. Celle-ci implique que nous ne prélevions pas plus que les autres, et aussi que nous cessions d'opposer nos concitoyens en termes de revenus, sous peine de contribuer au départ de ceux qui sont créateurs de richesse. Il faut éviter la jalousie qui divise les uns et les autres. La France doit être attractive et ne pas faire fuir les contribuables. Pour faire de la croissance économique, nous avons besoin d'hommes et de capitaux. C'est pourquoi la réforme doit aller dans le sens de l'équité, de la simplification, de la lisibilité et de l'efficacité économique. J'ai ainsi l'espoir qu'un premier geste significatif pourra être accompli en 1997.
Le Figaro Magazine : De quelle manière ?
Jean Arthuis : Les choses ne sont pas arrêtées dans le détail. Mais il y aura un allègement pour tous les niveaux de revenus.
Le Figaro Magazine : Ne craignez-vous pas une dérive des déficits qui vous empêcherait de réaliser cette promesse ?
Jean Arthuis : Certes, nous n'avons pas encore la mesure des recettes exactes sur lesquelles nous pourrons tabler cette année. Les réactions alarmistes que j'entends ici ou là ne reposent pas sur des données objectives. Mais si d'aventure un dérapage était noté, il serait aussitôt corrigé par des gels de crédits supplémentaires.
De toute manière, la situation est en voie d'amélioration. La croissance a été positive au premier semestre. Le mouvement devrait s'amplifier au second, d'autant que des signes de reprise apparaissent en Allemagne, notre premier partenaire. Et l'Amérique ainsi que le Sud-Est asiatique continuent d'être des locomotives.
Le Figaro Magazine : Vous estimez donc qu'il faut agir ?
Jean Arthuis : Oui, car les taux d'intérêt sont au plus bas. C'est maintenant qu'il faut en profiter. Nous devons retrouver l'esprit d'entreprise, la capacité à risquer, le courage d'investir, en nous engageant sur la durée. C'est un moyen de croire en nous-mêmes et de croire en la France.
Le Journal du Dimanche : 28 juillet 1996
Le Journal du Dimanche : Votre objectif d'économiser 60 milliards sur 1 552 sera-t-il atteint ? L'an passé, vous n'avez même pas réussi à trouver 4 milliards d'économies…
Jean Arthuis : L'an dernier, le Parlement a voulu faire des économies sur un projet déjà adopté au Conseil des ministres. Les marges de manoeuvre sont alors presque nulles. Le Premier ministre a souhaité, pour la première fois, d'ouvrir cette année le débat parlementaire dès le printemps, avant les arbitrages gouvernementaux. Ainsi, tout le monde a pris conscience de l'urgence absolue à trancher dans le vif.
Le Journal du Dimanche : Quelles sont les mauvaises nouvelles ?
Jean Arthuis : Moi, j'en vois surtout de bonnes. Pour la première fois sous la Ve République, le budget de l'Etat n'augmentera pas d'une année sur l'autre ! Pour la première fois encore, le budget de l'Etat distinguera entre dépenses de fonctionnement et dépenses d'investissement, comme cela se fait dans toutes les communes. Cette nouvelle présentation fait apparaître que les recettes de fonctionnement ne couvrent même pas les dépenses courantes. Chaque jour, nous empruntons 300 millions pour le fonctionnement (soit un déficit annuel de 109 milliards).
Le Journal du Dimanche : Alors la France est en faillite ?
Jean Arthuis : Non tant qu'elle trouve à emprunter. La nouvelle présentation souligne donc que la première urgence est de cesser d'emprunter pour les dépenses publiques. Pour cela, il faut remettre en cause toutes les dépenses, toutes.
Le Journal du Dimanche : C'est l'austérité la plus noire.
Jean Arthuis : Mais l'austérité de l'État, la réduction de son train de vie, c'est une excellente nouvelle. Par exemple, j'ai arrêté la construction, évaluée à 650 millions, d'un Bercy III. Nous réaliserons 10 % d'économies de fonctionnement avec un contrôle de gestion plus serré. Nous prendrons le train plutôt que l'avion. L'avion pour les déplacements du ministre sera plus petit, nous achèterons moins de voitures, moins de journaux. Mille emplois environ ne seront pas renouvelés après le départ à la retraite. Un effort similaire sera fait dans chaque ministère.
Le Journal du Dimanche : Supprimez-vous les aides à l'emploi que le patronat juge inutiles ?
Jean Arthuis : On envisage de les réduire de 20 milliards (sur 150). Etre un bon ministre aujourd'hui, ce n'est pas avoir un budget qui augmente, c'est être réaliste et contribuer aux économies. Il n'est plus possible de demander de l'argent aux contribuables, le niveau de l'intolérable est atteint ! Et l'excès d'impôt peut entraîner des attitudes de révolte ou de contournement.
Le Journal du Dimanche : Il est question, dit-on, d'augmenter les cotisations sociales à la rentrée. Vous vous y opposeriez donc ?
Jean Arthuis : Oui. Ce serait contradictoire avec les efforts du Premier ministre pour alléger les prélèvements obligatoires.
Le Journal du Dimanche : Que vous inspirent le trou de 100 milliards au Crédit Lyonnais, les pertes du Crédit foncier ?
Jean Arthuis : La décision que le gouvernement vient de prendre sur le Crédit foncier illustre sa détermination à stopper toutes les dérives et rompre avec l'opacité. Nous proposons une solution lucide et courageuse qui préserve les finances publiques, l'emploi, les actionnaires. Quant au Crédit Lyonnais, il faut chercher les responsabilités. Les entreprises publiques ont été trop souvent les coulisses de l'exploit politique.
Le Journal du Dimanche : Mais le Trésor, la Banque de France ne sont-ils pas coresponsables ?
Jean Arthuis : Il y a eu, plus globalement, un déficit de contrôle et il convient de mesurer les responsabilités.
Le Journal du Dimanche : Une fois les responsables trouvés, que se passera-t-il ? Des actions en justice ?
Jean Arthuis : Si elles sont fondées, sans aucun doute. C'est déjà le cas au Crédit Lyonnais et au Crédit foncier. Quoi qu'il en soit, je suis partisan de la clause de conscience. Un président d'entreprise publique, nommé par le gouvernement, ne peut pas faire n'importe quoi et je demande aux membres des conseils d'administration, s'ils ont le moindre problème de conscience, de se manifester, de démissionner.
Le Journal du Dimanche : La réforme fiscale sera « juste et perceptible par tous les contribuables », dites-vous. Comptez-vous élargir l'assiette des assujettis ?
Jean Arthuis : Seize millions de foyers fiscaux sur trente paient l'impôt. Il ne s'agit pas de faire tomber dans la trappe fiscale des gens qui y échappaient. La réforme ne se fera pas avec des gagnants et des perdants. Tous ceux qui paient déjà devront payer moins. Et l'impôt sera plus simple et plus lisible.
Le Journal du Dimanche : Que pensez-vous de l'idée d'un taux unique d'imposition assez bas sur les revenus du travail et d'un taux plus élevé sur les revenus du capital ?
Jean Arthuis : C'est une idée simplificatrice. Je reste attaché à la Déclaration des droits de l'homme : chacun participe en fonction de ses facultés et c'est la progressivité de l'impôt. Le capital, c'est l'épargne, et bien souvent le fruit d'un revenu qui a déjà été taxé.
Le Journal du Dimanche : Croyez-vous les études qui affirment que des capitaux fuient à l'étranger ?
Jean Arthuis : C'est un risque que nous n'avons pas quantifié. Mais, lorsque la pression fiscale est trop forte, certains peuvent avoir tendance à aller se faire imposer ailleurs, c'est préjudiciable à la France qui, pour faire de la croissance, a besoin de tous les Français. On ne crée pas d'emplois sans croissance et l'on fait de la croissance avec de l'emploi ?
Le Journal du Dimanche : Jacques Chirac dit que la France s'est paralysée ; qu'en pensez-vous ?
Jean Arthuis : Il a sans doute voulu dire que certains hésitent à aller de l'avant. C'est comme un peloton du Tour qui aurait cessé de pédaler. La France a pourtant tout pour réussir. IBM, Motorola, Federal Express viennent de choisir la France pour s'implanter, c'est bien la preuve qu'elle est attirante, qu'elle a du génie, que tout n'est pas si sombre ! Ne doutons pas de nous-mêmes alors que d'autres nous font confiance.
Le Journal du Dimanche : Jacques Delors dit qu'il faut augmenter les salaires.
Jean Arthuis : Je lui demande : dans une économie ouverte, mesurez-vous le risque d'emplois en moins en France ?
Le Journal du Dimanche : Édouard Balladur dit qu'il faut « faire du nouveau ».
Jean Arthuis : Il a bien raison, il faut réduire la dépense publique, cesser de se raconter des histoires, cesser de vivre à crédit, de présenter des budgets virtuels. Le « nouveau », nous le faisons.
Paris Match : 22 août 1996
Paris Match : Pourquoi avoir réclamé des poursuites judiciaires à l'encontre de l'ancienne direction du Crédit lyonnais ?
Jean Arthuis : La Cour des comptes m'a récemment transmis des informations complémentaires sur la déroute financière du Crédit lyonnais et de certaines de ses filiales. Je comprends la révolte des citoyens devant un sinistre d'une telle ampleur et j'estime indispensable que les responsables rendent compte de leur gestion. Le droit pénal français reconnaît les délits à l'échelon de chaque filiale, mais il n'y a pas aujourd'hui de délit de faux bilan consolidé, c'est-à-dire au niveau du groupe. J'ai donc demandé au garde des Sceaux de saisir la justice afin qu'elle se prononce sur la responsabilité des dirigeants du Crédit Lyonnais, notamment pour vérifier s'il y a eu déficit de contrôle des filiales. Je souhaite que cette démarche globale fasse jurisprudence. Les dirigeants des grands groupes doivent se sentir responsables de chacune de leurs filiales. Et pas seulement de la gestion de la maison mère.
Paris Match : Certains voient dans cette offensive une attaque déguisée contre le gouverneur de la Banque de France, qui, en tant que directeur du Trésor, a été l'autorité de tutelle du Lyonnais de 1987 à 1993.
Jean Arthuis : Pas du tout. A aucun moment Jean-Claude Trichet n'est mis en cause dans le dossier. Il ne saurait donc être visé par ces investigations.
Paris Match : Allez-vous aussi demander que des poursuites soient engagées contre les anciens dirigeants du Crédit foncier de France ?
Jean Arthuis : Au Crédit foncier, la situation est différente. L'Etat n'est pas actionnaire de l'établissement, même s'il en nomme le gouverneur. J'ai cependant demandé à ce dernier de saisir la justice afin qu'elle recherche également les responsabilités antérieures.
Le Républicain Lorrain : 30 août 1996
Le Républicain Lorrain : Sur quels facteurs repose votre optimisme en cette période de rentrée ?
Jean Arthuis : Tout d'abord, nous venons de faire la démonstration que l'augmentation de la dépense publique n'est pas une fatalité. On peut parfaitement lutter contre un risque d'étouffement de l'économie par les dépenses publiques (...) Cette réduction des dépenses a deux conséquences favorables. D'une part, elle permet de réduire les déficits publics. D'autre part, elle ouvre la voie à des allégements d'impôt.
Le Républicain Lorrain : Ces deux objectifs ne sont-ils pas inconciliables dans une période marquée par une activité relativement faible ?
Jean Arthuis : Je ne le pense pas. Certes, l'exercice 1997 est compliqué par un niveau de croissance que l'on attendait plus soutenu. Je reste confiant à ce sujet, car je considère que toutes les conditions sont réunies pour un redressement de l'activité : une bonne compétitivité des entreprises, une inflation maîtrisée et des taux d'intérêt nettement plus favorables. Les bases de notre économie sont saines et c'est sur elles qu'il faut prendre appui pour aller de l'avant.
A cet égard, a-t-on bien mesuré la rupture qui s'est opérée par rapport aux années 1990-1992 marquées par des pratiques désastreuses ? On faisait de la croissance en construisant dans un marché immobilier qui n'existait pas. On maintenait l'apparence de l'équilibre par une présentation des comptes ne correspondant pas aux réalités. Aujourd'hui, nous assainissons les finances publiques, nous réformons, nous nous adaptons à une économie mondialisée. A partir de là, il faut admettre qu'il y a forcément une période transitoire, difficile et d'autant plus décevantes que nous avions pris l'habitude de réponses instantanées à nos différentes attentes, mais sans nous rendre compte que ces réponses étaient financées à crédit. C'est cela qui ne pouvait plus continuer. Le cap choisi est le bon.
Le Républicain Lorrain : Repartez-vous au combat sur les fonds de pension ?
Jean Arthuis : Non, je tiens mes engagements. Il existait une proposition de la loi UDF qui a fait l'objet d'un premier débat le 30 mai dernier à l'Assemblée nationale. Nous avons apporté quelques amendements à ce texte qui va être soumis à concertation en septembre. Il permettra aux salariés du privé qui le souhaitent de se constituer un complément de retraite dans un cadre collectif. C'est un système facultatif qui sera mis en place dans le cadre des entreprises. Les plans seront gérés à l'extérieur des entreprises par des sociétés créées à cet effet par les opérateurs compétents : institutions de prévoyance ou sociétés d'assurances.
Le Républicain Lorrain : Quel est l'intérêt de ces plans d'épargne retraite ?
Jean Arthuis : Jusqu'à présent, seuls certains salariés, les fonctionnaires indépendants depuis la loi Madelin pouvaient se constituer des compléments de retraite dans des conditions fiscales incitatives. L'objet du texte que nous préparons est de généraliser cet avantage à l'ensemble des salariés.
Le Républicain Lorrain : Pourquoi en restez-vous à une sortie en rente viagère ?
Jean Arthuis : Notre objectif n'est pas ici d'ajouter un produit d'épargne nouveau à une panoplie déjà bien fournie, mais de mettre en place un nouvel outil afin d'offrir aux salariés un moyen supplémentaire et facultatif d'améliorer leurs revenus durant leur retraite. Ceci sans remettre en cause, bien évidemment, les régimes par répartition.
Le Républicain Lorrain : Le développement de ce nouvel outil se fera-t-il au détriment de l'assurance-vie ?
Jean Arthuis : Le poids de l'assurance-vie dans l'économie est trop important pour qu'on ne réfléchisse pas à deux fois à ce qu'il convient de faire en matière fiscale dans ce domaine. Il s'agit de compléter les dispositions en vigueur, en aucune façon d'exercer une action au détriment de l'assurance-vie.