Interview de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, à France 3 le 29 octobre 1996, sur la loi de financement de la Sécurité sociale, les négociations entre la CNAM et les médecins pour limiter les dépenses de l'assurance maladie et la privatisation de Thomson.

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Média : France 3

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É. Lucet : Le fait que le seuil de dépense de la Sécurité sociale soit discuté pour la première fois à l'Assemblée nationale, c'est pour vous une avancée sociale, démocratique ?

M. Blondel : On pourrait croire que c'est une avancée sociale, c'est d'ailleurs ce que Monsieur Juppé voulait faire croire. La conception sociale est d'étatiser la Sécurité sociale. C'est la première étape. La seconde étape c'est qu'on dira qu'on ne peut pas limiter les déficits et ensuite on baissera le niveau des remboursements et on laissera la possibilité aux compagnies d'assurance de compenser les choses. On passera d'un régime collectif à une couverture individuelle. C'est une rupture avec notre tradition de Sécurité sociale.

É. Lucet : Cela veut dire qu'on essaie d'enlever aux acteurs sociaux leur pouvoir sur ce dossier pour pouvoir privatiser la Sécurité sociale ?

M. Blondel : Cela veut dire qu'on nous retire une partie de notre pouvoir, de la négociation que nous avions – et pas simplement avec les médecins, avec les patrons – à l'intérieur de la CNAM pour être contrôlés par le Gouvernement qui fait là du dirigisme et qui demain sera dans l'obligation, s'il veut respecter les critères de Maastricht, de dire qu'il ne peut plus consacrer autant à la Sécurité sociale et il réduira l'intervention de la Sécurité sociale. Le débat est très intéressant, c'est une première. Je note en tout cas qu'on a profité de l'occasion pour baisser de 1,5 % le budget affecté à la santé publique. Est-ce que vous trouvez ça normal ? On devrait au contraire développer le budget de la santé publique. Cela veut bien dire que maintenant le Gouvernement considère que les recettes sociales, les prélèvements que l'on fait, sont assimilables à l'impôt.

É. Lucet : Sur le terrain les médecins sont de plus en plus contre cette réforme. Comprenez-vous cette colère ?

M. Blondel : Je comprends leur colère. Lorsque nous dirigions la CNAM nous avions essayé de mettre debout cette fameuse convention qui devait limiter les dépenses, etc. Et maintenant on ne leur fait plus confiance, on ne discute plus avec eux.

É. Lucet : On est en train de discuter avec eux.

M. Blondel : Non. Qui discute ? Est-ce que c'est la CNAM ? Le Gouvernement ? Ou est-ce que la décision n'est pas en train de se prendre ? N‘est-ce pas le budget qui va fixer les conclusions ? Il n'y a plus de négociations possibles, c'est maintenant directement le budget qui décide.

É. Lucet : Les négociations vont être un échec ?

M. Blondel : Je ne pense pas. Je pense que cela va durer un bon moment mais qu'ils finiront par trouver une solution.

É. Lucet : Il y a encore une négociation possible.

M. Blondel : Oui, mais elle sera sous contrainte. C'est clair. Les partenaires et les médecins n'auront plus la possibilité de négocier aussi facilement que précédemment. Il y avait déjà une intervention de l'État.

É. Lucet : Pouvait-on laisser filer comme ça les dépenses d'assurances maladie ?

M. Blondel : Je suis persuadé que les dépenses vont continuer. Et je pense que cela n'est pas le problème. Le problème de la Sécurité sociale, ce ne sont pas les dépenses, ce sont les recettes. C'est ce que nous disions le 15 novembre 1995. C'est ce que dit maintenant même Monsieur Barrot, je l'ai entendu dire. Et j'ai entendu le président de la CNAM dire « le véritable problème, ce sont les recettes ». Effectivement. Ce sont les 3 200 000 chômeurs, c'est le million de RMIstes, c'est le fait que les salaires sont modérés en ce moment. Cela fait autant de recettes en moins. C'est cela le problème. Et quand on s'attaque aux dépenses, on parle toujours des dépenses de consommation médicale, il faudrait regarder l'ensemble de l'assurance maladie. En ce moment l'assurance maladie fait le budget des hôpitaux. C'est plutôt dans cette voie-là qu'il faudrait regarder les choses. Quand on joue sur un point de dépense d'assurance maladie cela fait 2 milliards. On annonce 29,7 milliards de déficit et on nous a donné des textes – qui sont modifiés depuis ce matin – on ne prévoit plus d'ailleurs de régler le contentieux de 3 milliards avec l'EDF. Cela ne fait plus partie des projets.

É. Lucet : D'une façon plus générale – vous citiez les chômeurs, les RMIstes, à chaque fois qu'on vous entend parler, vous dites que ça va exploser.

M. Blondel : Non, je ne dis pas ça. Vous savez très bien le terme que j'emploie.

É. Lucet : Que ça va péter !

M. Blondel : Non, je dis qu'il y a tous les ingrédients pour que ça pète. Ça veut dire que nous sommes dans une situation à peu près comparable à l'année dernière. Les gens sont mécontents, les salariés mais pas que les salariés.

É. Lucet : Mais on ne voit pas de mouvement de masse comme l'an dernier.

M. Blondel : Oh, écoutez, vous savez, la grève des fonctionnaires, contrairement à ce qu'on a dit, n'étais pas si mal barrée que ça ! Elle a eu un résultat qui était à mon avis positif. Enfin, le résultat non, la participation a été positive. Ensuite, nous sommes en train plus ou moins directement ou indirectement de discuter pour voir si on ne peut pas relancer les choses. Ce qui s'est passé en 95, c'est tout simplement que Monsieur Juppé, le 15, a annoncé sa réforme. Rappelez-vous, tous les députés ont applaudi. J'ai vu là qu'il y avait des députés qui commençaient à comprendre leurs responsabilités, et qui sont plus nuancés. Mais ça a été le détonateur de l'action. C'est lui qui a lancé l'action. Il a mis en quelque sorte de l'huile sur le feu. Alors nous avons pu lancer quelque chose de plus important, et notamment moi, je l'ai fait sur la Sécurité sociale. Cette fois, je n'ai pas encore le détonateur.

É. Lucet : A. Juppé a annoncé un débat parlementaire sur la privatisation du groupe Thomson.

M. Blondel : Il aurait pu le faire avant.

É. Lucet : L'attribution de Thomson Multimédia a été très contesté, puisque c'est attribué au coréen Daewoo. Est-ce que vous vous joignez aux voix de ceux qui critiquent cette privatisation ?

M. Blondel : Oui, d'une manière générale, je suis en désaccord avec les privatisations, et surtout de la façon dont elles sont faites. Et je suis de ceux qui pensent que pour régler les problèmes sociaux, ça ne serait peut-être pas mal d'utiliser le produit des privatisations. Mais dans le cas d'espèce, c'est un franc, on n'en ferait pas grand-chose, sauf que je crois que c'est un grand cadeau, un grand cadeau aux Coréens, dont je ne suis pas sûr de la crédibilité d'ailleurs – il faut savoir que c'est un homme tout à fait particulier. Pour des raisons diverses, on s'est focalisé sur la défense – et il le fallait –, et puis sur le côté commercial classique, eh bien je crois qu'on lui a rendu un grand service, on a été généreux avec lui. Je voudrais savoir s'il y a des contreparties.