Texte intégral
Libération : 3 septembre 1996
Libération : En Ile-de-France, des ménages payent parfois de 12 000 à 20 000 F d'impôts locaux pour un pavillon. Comment en est-on arrivé là ?
Dominique Strauss-Kahn : La région parisienne se caractérise par de profonds déséquilibres entre bassins de vie et bassins d'emploi. Nombre de collectivités territoriales ne peuvent vivre avec leurs recettes propres car elles ne disposent pas d'emplois et donc de taxe professionnelle. Du coup, elles compensent par une taxe d'habitation exorbitante alors que bien souvent leur population dispose de faibles revenus.
Les mécanismes de solidarité entre les communes instaurés au début des années 90 auraient dû monter en puissance pour que les transferts de ressources soient de plus en plus importants. Or, on a fait le choix politique de ne pas développer ce système. A titre d'exemple, Sarcelles reçoit près de 2,5 millions de francs en dotation de solidarité alors que l'écart de ses recettes avec des communes comparables est de 60 millions environ.
Libération : Des familles consacrent jusqu'à un mois de revenu au paiement des impôts locaux. Bien souvent, c'est plus que l'impôt sur le revenu prélevé par l'Etat…
Dominique Strauss-Kahn : Effectivement. Mais beaucoup de ménages modestes ou moyens ne paient pas d'impôt sur le revenu, ou très peu. 50 % des contribuables français en sont exemptés. Si bien que la fiscalité locale constitue le seul impôt direct qu'ils acquittent. Elle équivaut souvent à un mois de revenu, voire plus. En outre, il convient de ne pas oublier la TVA, un impôt indirect qui passe souvent inaperçu et qui correspond à 2 mois de leur revenu.
Libération : La forte progression des impôts locaux ne révèle-t-elle pas aussi une gestion peu rigoureuse des finances communales ?
Dominique Strauss-Kahn : La majorité des communes est plutôt bien gérée, mais on assiste à un désengagement de l'Etat avec des transferts de charges sans contrepartie. Il y a aussi sans doute des doublonnages d'équipement entre communes limitrophes. Il y a deux piscines là où une seule suffirait. La solution passe par le développement de l'intercommunalité qui permet une appréciation plus juste des besoins en équipements à l'échelle de plusieurs villes. Reste que, lors de changement de majorité, on découvre souvent des comptes communaux maquillés. A Sarcelles, nous avons trouvé un déficit proche de 110 millions de francs et la chambre régionale des comptes nous a imposé une hausse de la taxe d'habitation de 24 %.
Libération : Comment éviter les fortes disparités fiscales entre communes ?
Dominique Strauss-Kahn : Il faut envisager une répartition plus juste de la taxe professionnelle pour que chaque ville ait sa part du gâteau. Il n'est plus possible de continuer avec un système où les habitants de la banlieue nord ou est travaillent à Paris et à l'ouest. Ils y génèrent de la richesse et de la taxe professionnelle qui bénéficie aux seules communes d'activité. Il faut partager.
Libération : Mais les communes qui devront mettre au pot vont rechigner ?
Dominique Strauss-Kahn : Sans doute, mais c'est le seul moyen d'éviter à terme une crise majeure dans les banlieues. Les villes pauvres accueillent souvent des gens à faibles revenus et doivent faire face à des dépenses sociales considérables. Ces budgets sont actuellement en pleine exploration. Dans certaines communes, les parents n'ont plus les moyens de payer la cantine des enfants dont c'est parfois le seul vrai repas. Des familles défilent dans le bureau des services sociaux pour obtenir des bons alimentaires. Si construire un square fleuri de moins à Neuilly peut permettre de bâtir une école de plus à Gennevilliers, tout le monde sera gagnant.
Le Parisien : 22 octobre 1996
Le Parisien : Vous vous êtes prononcé pour une suppression pure et simple de taxe d'habitation. Pourquoi ?
Dominique Strauss-Kahn : La position officielle du PS est jusqu'à présent de remplacer la taxe d'habitation par un système basé sur le revenu. Ce qui corrigerait déjà beaucoup d'abus par rapport au système actuel basé sur la valeur locative. Ma position est plus radicale car elle consiste à supprimer cet impôt. Il est mauvais pour deux raisons : d'abord parce qu'il est inégalitaire et puis parce qu'il conduit à prélever beaucoup d'argent pour des villes qui n'ont pas de taxe professionnelle. On arrive alors au paradoxe où pour le même logement on paie plus cher à Sarcelles qu'à Paris n'ayant pas d'entreprises, elle est obligée de fixer une taxe d'habitation élevée contrairement à des villes riches comme Neuilly ou Courbevoie.
Le Parisien : Vous prônez la baisse des impôts locaux mais dans le même temps vous augmentez à Sarcelles la taxe d'habitation de 24,4 %. Comment expliquez-vous cette situation ?
Dominique Strauss-Kahn : La situation de Sarcelles est malheureusement simple. J'ai trouvé, et la chambre régionale des comptes l'a confirmé, un déficit de 108 millions. Contrairement à des communes confrontées à la même situation, on a refusé de voter un budget en déséquilibre et préféré une opération vérité. Lors de la préparation du budget, on a serré les boulons au maximum et on a réussi à contenir la hausse à 24,4 % pour la taxe d'habitation. La chambre régionale des comptes nous recommandait une hausse de 30 %. Cette situation reste hélas extrêmement difficile pour les habitants. Cet héritage est terrible et il faudra plusieurs années pour rattraper un déficit qui représente un tiers du budget.
Le Parisien : Mais les communes auront toujours besoin d'argent. Par quoi remplaceriez-vous alors l'actuel système ?
Dominique Strauss-Kahn : La part communal de la taxe d'habitation représente 65 milliards. La supprimer, ça veut dire que l'Etat verse ce même montant aux communes. C'est un choix politique. Plutôt que baisser l'impôt sur le revenu de 75 milliards comme le fait Alain Juppé, je propose à la place qu'on supprime la taxe d'habitation et ses 65 milliards. Ce serait une mesure de justice sociale sans comparaison. Ma proposition est très simple et la réforme peut s'appliquer demain. L'Etat prélève globalement l'impôt et reverse sur la base de ce que les communes encaissent actuellement. Si elles ont besoin de ressources supplémentaires, à charge pour elles, de prélever un petit impôt supplémentaire.
Le Parisien : Mais cela ne simplifie pas le système car la taxe d'habitation concerne aussi les départements et les régions ?
Dominique Strauss-Kahn : Ce n'est pas mon problème. Les Sarcellois, c'est la taxe d'habitation qu'ils ne peuvent plus payer. Du point de vue politique, c'est très clair. Les gens recevront des feuilles d'impôts départementales et régionales. On verra comme ça un peu mieux qui augmente le plus les impôts et, notamment que la région Ile-de-France, est gérée de manière catastrophique.