Texte intégral
Intervention de M. Jean-Claude Gaudin lors de la présentation au Sénat du projet de loi relatif à la mise en oeuvre du pacte de relance pour la ville - 8 octobre 1996
Monsieur le président,
Monsieur le président de la commission spéciale,
Monsieur le rapporteur,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Mes chers amis,
Le projet de loi que vous allez discuter et dont les dispositions sont, j’en conviens et m’en excuse par avance, bien souvent techniques, s’inscrit dans une perspective plus vaste que je souhaite en préambule vous exposer de façon à bien éclairer les enjeux, qui eux ne sont pas techniques mais politiques, au sens le plus noble du terme, de notre débat.
Cette perspective, c’est celle de la réduction de la fracture territoriale. Depuis 11 mois, toute mon action au sein du gouvernement, en tant que ministre de l’aménagement du territoire, consiste à lutter contre cette fracture territoriale qui éloigne de la République et de ses valeurs une partie de nos concitoyens et qui surajoute ses effets à ceux de la fracture sociale si justement dénoncée par le président de la République. Il est en effet, vous le savez, des parties de notre territoire dont les habitants sont, plus que d’autres, confrontés à l’exclusion.
Ainsi en va-t-il de certaines de nos campagnes. Là, les jeunes partent. Pour trouver un emploi mais aussi parce qu’ils se font des illusions sur la vie qui sera la leur en ville. Un processus cumulatif se met alors en marche, qui passe par le vieillissement de la population, la fermeture des commerces, la difficulté de maintenir des services publics, et débouche sur la désertification.
Ainsi, en va-t-il également des banlieues dont nous allons aujourd’hui parler, ces grands quartiers d’habitat social construits dans l’urgence au cours des années 60-70, à un moment où les familles qui venaient s’installer dans les villes, qu’elles soient issues du monde rural ou de l’immigration devaient, vaille que vaille, coûte que coûte, être logées.
À l’entassement trop précipité de populations trop hétérogènes pour cohabiter harmonieusement, la montée du chômage et le développement de la petite délinquance et des violences urbaines ont, ces dernières années, surajouté leurs effets avec pour conséquence l’aggravation du mal-vivre des banlieues, au point que les risques que se constituent des ghettos ne peuvent plus aujourd’hui être négligés. Carment d’ailleurs pourrait-il en être autrement lorsque le taux de chômage est, dans certains quartiers, deux fois plus élevé que celui de l’agglomération, trois fois plus élevé en ce qui concerne les jeunes, et lorsque le seul fait d’habiter dans tel ou tel quartier difficile constitue un obstacle supplémentaire sur le parcours d’obstacles qui mène à l’emploi.
Le Sénat, et notamment la mission sénatoriale d’information sur l’aménagement du territoire de 1994 ainsi que votre commission spéciale, ont mis en évidence le parallélisme et la simultanéité de la dégradation de la situation des banlieues et de l’espace rural, ainsi que la complémentarité des politiques de la ville et de développement de l’espace rural. Votre Assemblée a aussi excellemment souligné comment des banlieues et des cantons ruraux peuvent être victimes d’une économie de marché efficace mais trop négligente du long terme et des équilibres sociaux.
C’est pour répondre aux problèmes des banlieues que le Premier ministre a annoncé, le 18 janvier 1996, à Marseille, sur ma proposition et celle d’Éric Raoult, le pacte de relance pour la ville, programme d’ensemble et sans précédent au profit des quartiers en difficulté.
C’est pour répondre aux problèmes de certaines zones rurales que je soumettrai dans les mois qui viennent au Parlement, un plan pour le monde rural qui visera à porter remède aux difficultés de nos campagnes et sera le pendant, pour le monde rural, du pacte de relance pour la ville.
J’en viens plus directement au projet de loi qui nous occupe aujourd’hui.
Le pacte de relance pour la ville, qu’il traduit en termes techniques, se différencie des plans initiés depuis 20 ans en ce qu’il constitue un programme d’ensemble qui s’attache à traiter de tous les aspects de la vie quotidienne dans les banlieues, comme, bien évidemment, le logement et l’urbanisme mais aussi, et je sais que vous y êtes très attachés, la sécurité et le rétablissement de l’ordre républicain, l’égalité des chances à l’école, le renforcement des services publics de proximité, la vie associative…
Vous tenez aussi à la cohérence et à la continuité des actions de l’État.
C’est dans cet esprit que j’ai décidé, avec Éric Raoult, qu’il ne fallait rien supprimer de ce que mes prédécesseurs, quels qu’ils soient, avaient bâti, car à différentes époques, de bons dispositifs ont été imaginés si ce n’est toujours effectivement mis en place : à titre d’exemple, les contrats de ville sont poursuivis ; les opérations ville-vie-vacances sont renforcées. Mais il est vrai qu’elles toucheront en 1996 près de 800 000 jeunes contre 12 000 à l’origine.
Ces deux seuls chiffres, 12 000, 800 000, donnent la mesure de l’ampleur des moyens supplémentaires apportés par le pacte qui comporte 68 mesures et dégage plus de 12 milliards de prêts à des taux avantageux pour les collectivités et les organismes d’HLM et, près de 15 milliards de fonds budgétaires sur trois ans.
Mais l’originalité du pacte, c’est de mettre l’accent sur l’économique. Le Sénat, dans son rapport d’information sur la politique de la ville, avait d’ailleurs, dès 1992, souligné que « l’inactivité était stigmatisée contre le second mal, après la violence, qui frappait les banlieues les plus défavorisées et ajoutait à leur exclusion, malgré le travail accompli notamment par les entreprises d’insertion ».
Sont ainsi privilégiés, dans le pacte de relance pour la ville, l’emploi des habitants, le retour des activités économiques, l’exaltation de l’esprit d’initiative, tant il est vrai que le chômage est la cause essentielle de la dérive des quartiers difficiles.
Afin que leurs habitants sentent rapidement des améliorations concrètes dans leur vie quotidienne et retrouve l’espoir, le parti que j’ai retenu avec Éric Raoult, a été de préparer, dans les meilleurs délais, l’ensemble des textes législatifs et réglementaires nécessaires à l’application du pacte.
J’ai donc choisi de ne pas rassembler toutes les dispositions législatives nécessaires dans un cadre unique dont la mise au point aurait été subordonnée à l’attente de l’accord de la Commission européenne sur les mesures fiscales et sociales dérogatoires prévues par le pacte.
Certaines des dispositions du pacte ont donc été traduites dans d’autres textes législatifs que celui examiné aujourd’hui.
Cette méthode était manifestement la meilleure puisque neuf mois seulement après l’annonce du pacte, la plupart des textes législatifs sont votés et la majorité des textes réglementaires publiés. C’était mon ambition et je l’aurais avec l’aide du Parlement, d’Éric Raoult, concrétisé quel qu’ait été le scepticisme de ceux qui doutaient que nous obtiendrions le feu vert de Bruxelles sur les zones franches urbaines.
Ainsi, 5 lois sont d’ores et déjà promulguées : la réforme de la dotation de solidarité urbaine (loi du 26 mars 1996), l’exonération du supplément de loyer de solidarité pour les logements sociaux situés en zone urbaine sensible (loi du 4 mars 1996), la comparution à délai rapproché des mineurs délinquants multirécidivistes (« multiréitérants »).
Qui plus est, et grâce au vote de la loi portant réforme de l’apprentissage (loi du 6 mai 1996) et à la sortie rapide des deux décrets d’application, les premiers des 100 000 emplois de ville ont été signés dès le début de l’été :
– 3 décrets et 14 circulaires sont publiées ;
– 5 protocoles nationaux sont signés et trois appels à projet sont jugés dont deux sur des thèmes qui, je le sais, vous sont chers l’amélioration des transports publics avec 45 projets primés et l’amélioration des services publics dans les quartiers avec 52 projets de plates-formes de service publics sélectionnés.
Dès le vote de la loi que vous examinez aujourd’hui, les derniers textes d’application pourront être publiés.
Le Sénat me permettra à ce stade de m’arrêter un instant sur les emplois de ville. Je me suis battu, sachez-le, au sein du gouvernement, pour obtenir 100 000 de ces emplois qui offrent un formidable espoir aux jeunes. L’engagement qui a été le mien m’autorise aujourd’hui à dire qu’il est du devoir de tous de tout mettre en œuvre pour qu’un nombre conséquent de ces emplois soient rapidement signé : j’en espère 10 000 d’ici la fin de l’année pour que puisse être tenu le rythme des 25 000 emplois par an pendant 4 ans.
J’entends ici et là des critiques sur le dispositif. Si ces critiques sont constructives et si elles permettent d’améliorer le dispositif, de l’assouplir, je saurai en tenir compte. Mais de grâce, n’ayons plus de débat philosophiques sur le sujet, ne jouons pas avec l’emploi des jeunes, sortons du scepticisme.
Mesdames et Messieurs les sénateurs, je compte sur vous, qui avez souvent des mandats locaux, pour aider à la réussite de ces emplois de ville en faveur desquels j’ai déjà mené plusieurs actions concrètes :
– j’ai signé en mai un protocole avec les HLM pour la création de 4 000 emplois de ville en 4 ans ;
– j’ai signé, début septembre, un protocole avec les transporteurs publics et les autorités organisatrices de transport pour la création de 3 000 emplois de ville en 4 ans ;
– j’ai signé une convention avec le département du Val-d’Oise qui s’engage à financer 15 % des emplois de ville en sus des 55 % pris en charge par l’État. D’autres régions et départements ont pris des initiatives en ce sens et c’est pour renforcer ce mouvement que j’ai adressé, la semaine dernière, un courrier aux présidents de conseils généraux et régionaux, les incitant à s’engager sur l’emploi de ville ;
– j’ai aussi demandé aux préfets d’organiser dans tous les départements, le 5 septembre, une conférence de presse pour valoriser les emplois de ville.
Désormais, beaucoup de choses sont en place pour que de premiers résultats concrets soient ressentis sur le terrain. Des résultats sont déjà perceptibles, je mentionne, par exemple, un premier renforcement dans les quartiers des affectifs de police sans lesquels toute volonté d’améliorer la vie quotidienne serait vaine, l’augmentation du nombre d’appelés du contingent au service de la ville qui conduira à ce que 10 000 appelés soient affectés au 1er décembre 1996, l’extension des dispositifs « école ouverte » et « ville-vie-vacances » aux petites vacances scolaires , la mise en place de 8,5 milliards de francs de prêts aux collectivités locales et de 5 milliards de prêts aux organismes HLM.
Beaucoup a donc été déjà fait.
Mais, le projet de loi qui vous est aujourd’hui soumis, Mesdames et Messieurs les sénateurs, reste d’une considérable importance puisqu’il rassemble l’ensemble des mesures législatives restant à intervenir pour permettre la complète mise en œuvre du pacte.
Le projet de loi organise ces mesures en 5 titres :
1. Le titre Ier resserre tout d’abord .la géographie d’application de la politique de la ville.
Le pacte a, en effet pour ambition, d’adapter les dispositifs à la gravité des situations de façon à proportionner et à concentrer l’effort de l’État sur les quartiers les plus touchés par l’exclusion urbaine. Il organise ainsi des traitements d’autant plus puissants et dérogatoires du droit commun que les difficultés auxquelles sont confrontés les quartiers sont importantes.
Trois types de quartiers sont distingués :
D’abord, 744 zones urbaines sensibles, 709 en métropole et 35 outre-mer, dans lesquelles s’appliquent des mesures de nature sociale ; sachez que sur les 709 zones de métropole, près de 300 concernent des villes de moins de 30 000 habitants et 80 des communes de moins de 10 000 habitants. Vous le voyez, les villes moyennes et petites ne sont pas laissées pour compte.
Ensuite, 350 zones de redynamisation urbaine, choisies parmi les zones urbaines les plus sensibles, auxquelles se rapportent, outre les mesures sociales applicables dans les zones urbaines sensibles, des mesures de nature économique.
Ces quartiers sont désormais choisis en fonction de leur situation géographique dans l’agglomération et de la gravité de leur situation mesurée par un indice constitué du nombre d’habitants, du taux de chômage, de la proportion de non-diplômés, de la proportion de jeunes et du potentiel fiscal.
Enfin, une nouvelle catégorie de quartiers très difficiles, les zones franches urbaines, au nombre de 38 en métropole et 5 outre-mer, dans lesquelles s’appliquent un dispositif de complète exonération fiscale et sociale.
La liste de ces quartiers en très grande difficulté, qui ont été sélectionnés parmi ceux de plus de 10 000 habitants d’un seul tenant cumulant les difficultés les plus graves au regard des critères retenus pour les zones de redynamisation urbaine est annexée à la loi.
Notre ambition pour ces zones franches doit être à la mesure des difficultés auxquelles elles sont confrontées. Pour ma part, je ne souhaite rien moins qu’elles deviennent les vitrines de la politique de la ville et qu’elles démontrent que cette politique n’a pas simplement pour ambition de gérer, vaille que vaille, des situations dégradées, mais qu’elle peut aussi inverser complètement des tendances aussi longtemps subies qu’elles sont pourtant intolérables.
Les zones franches bénéficieront donc non seulement de dispositions fortes en faveur des entreprises, mais pourront aussi bénéficier de l’ensemble des mesures du pacte de relance, à un niveau d’intensité supérieur, et ce, dans tous les domaines de la vie quotidienne, qu’il s’agisse d’éducation, de sécurité, de service public, d’habitat, de soutien aux associations.
2. Le titre II du projet de loi traduit la priorité accordée à la revitalisation économique des quartiers les plus en difficulté que sont les zones de redynamisation urbaine et les zones franches urbaines.
Un régime fiscal et social puissamment dérogatoire destiné à favoriser le maintien et la création de l’activité y est donc mis en place.
Ces mesures, qui veulent agir sur le secteur marchand, complètent la création des 100 000 emplois de ville, dont j’ai déjà parlé et dont je ne dirai donc que très brièvement qu’ils sont réservés à des jeunes de 18 à 25 ans, d’un niveau de formation pouvant aller jusqu’au baccalauréat.
En ce qui concerne les zones de redynamisation urbaine, les deux apports du texte du gouvernement sont :
– d’une part, d’accorder aux entreprises existantes une exonération de taxe professionnelle afin de ne pas introduire de distorsions avec les entreprises nouvelles qui s’implanteront ;
– d’autre part, d’accorder une exonération de charges sociales patronales de 12 mois pour l’embauche des 50 premiers salariés. Je vous indique par la même occasion, que cette mesure vaudra aussi pour les zones de revitalisation rurale.
En ce qui concerne les zones franches urbaines, le dispositif prévu, et approuvé par le collège des commissaires européens est puissant à défaut d’être toujours simple.
Ainsi, les entreprises de moins de 50 salariés présentes dans les zones franches ou qui viendront s’y installer entre le 1er janvier 1997 et le 31 décembre 2001 seront exonérées d’impôts et de cotisations sociales pendant 5 ans. Cela permettra de sauvegarder les emplois existants, d’aider les rares commerçants ou artisans qui sont restés contre toutes difficultés dans les quartiers, mais aussi et surtout d’attirer de nouveaux emplois.
J’ai en outre et peut-être surtout souhaité que le dispositif dont les entreprises bénéficieront apporte un avantage direct aux habitants du quartier en terme d’emploi et c’est un des éléments qui a valu que Bruxelles me donne son accord sur un tel niveau d’aide. Ainsi, pour bénéficier des exonérations de charges sociales, l’entreprise devra-t-elle, dans le cas où elle recrute :
– soit embaucher au moins 1 habitant de la zone franche pour 5 embauches ;
– soit avoir au sein de ses effectifs, au moins 20 % d’habitants de la zone franche.
Dans ses propositions d’amendement, la commission spéciale du Sénat souhaite créer, dans chaque zone franche urbaine, un comité d’orientation et de surveillance, chargé d’évaluer les conditions de mise en œuvre des mesures dérogatoires et de prévenir les risques pouvant en résulter, notamment en ce qui concerne les équilibres économiques et sociaux de la zone et de lutter contre « les chasseurs de prime ».
J’avais déjà prévenu, vous le savez, une clause anti-chasseur de prime dans mon projet de texte. Je pense cependant que cette proposition de la commission est excellente et qu’elle permettra de renforcer le rôle de pilotage des maires et des préfets auquel nous sommes, vous et moi, très attachés.
Enfin, dans les zones franches urbaines, des mesures fiscales spécifiques sont prévues pour inciter des investisseurs à rénover des copropriétés en difficulté et à construire des logements locatifs.
3. Le titre III met en place, dans toutes les zones urbaines sensibles, de nouveaux moyens permettant de rénover le cadre de vie des quartiers et d’y recréer les conditions d’une plus grande mixité sociale.
Je mentionnerai brièvement les innovations suivantes :
– la création d’établissements publics de restructuration urbaine et d’associations foncières urbaines qui devra faciliter la mise en œuvre des grands projets urbains et des projets d’aménagements ;
– la création d’un établissement public national de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux qui pourra intervenir sur des opérations lourdes de restructuration d’espaces commerciaux et racheter des friches commerciales, les restructurer, les réhabiliter, puis les revendre au mieux disant. Les députés ont souhaité que cet établissement public puisse déléguer ses compétences à un établissement public de restructuration urbaine, ce qui est une bonne chose. Les propositions du Sénat vont dans le sens d’une plus grande déconcentration de son fonctionnement, ce qui reçoit tout mon soutien ;
– l’obligation faite aux communes ayant une zone urbaine sensible, de réaliser un programme local de l’habitat leur fournira l’occasion d’élaborer une stratégie de diversification des logements, qui pourra être discutée au sein d’une conférence communale ou intercommunale du logement, dont la mise en place est également obligatoire, et qui est chargée de déterminer avec toutes les parties prenantes les conditions d’attributions des logements HLM ;
– enfin, pour assurer la requalification de certaines copropriétés privées en difficulté, il est prévu que les préfets puissent prendre des mesures spécifiques de sauvegarde et que les crédits de l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat et du fonds de solidarité logement puissent appuyer les démarches des copropriétaires.
4. Enfin, dernier volet, les associations voient leur rôle renforcé et leur intervention simplifiée grâce à la possibilité de passer avec elles des contrats d’objectifs pluriannuels et de créer des fonds locaux associatifs.
Il devient, par ailleurs, possible de créer des comités d’initiative et de consultation des quartiers qui permettront d’assurer une meilleure participation des habitants au devenir de leur cité.
Fondé sur un principe de discrimination territoriale positive, destiné à compenser les nombreux handicaps auxquels certains quartiers sont confrontés, le pacte de relance pour la ville dont le projet de loi que vous allez examiner est la clé de voûte, constitue un effort sans précédent.
La rapidité de sa mise en œuvre souligne la priorité qu’accorde le gouvernement sous l’autorité du Premier ministre à la nécessaire réduction de la fracture sociale et territoriale dénoncée par le président de la République et comme les résultats des élections de juin des représentants des locataires ne vous ont sûrement pas échappé, je souligne que le projet qui vous est soumis entend rassembler et briser la logique d’exclusion sur laquelle prospèrent certains mouvements extrémistes.
Je ne doute pas pouvoir compter sur le Sénat pour tout à la fois, en respecter l’esprit qui est issu d’une très large concertation et en améliorer celles des dispositions qui vous paraîtront de voir l’être.
Intervention de M. Éric Raoult - Projet de loi relatif à la mise en oeuvre du pacte de relance pour la ville. Sénat – 8 octobre 1996
Monsieur le président,
Monsieur le président de la commission spéciale,
Monsieur le rapporteur,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Après Jean-Claude Gaudin, je tiens à m’associer à l’hommage qu’il a tenu à rendre à votre haute assemblée, et tout particulièrement à sa commission spéciale, présidée par Jean-Pierre Fourcade et, à son rapporteur Gérard Larcher.
Un travail approfondi a pu être mené avec votre commission, et je m’en félicite, à mon tour.
Pour ma part, je souhaite mettre en perspective le projet de loi qui vous est soumis, en répondant aux trois questions suivantes :
– qu’avons-nous voulu faire avec ce projet de loi ?
– quel est l’état d’avancement du pacte de relance pour la ville ?
– quel est l’apport du Parlement, spécialement du Sénat pour améliorer encore ce projet de loi ?
1. Jean-Claude Gaudin vous l’a dit, le pacte de relance pour la ville n’est pas réductible à ce seul projet de loi.
Nous avons fixé 68 mesures, qui ne nécessitent pas toutes une mise en œuvre législative. Un grand nombre a fait l’objet de réformes adoptées par le Parlement, et est déjà entré en application.
Je rappellerai la réforme de la DSU et du FSRIF (loi du 26 mars 1996), ainsi que la loi du 4 mars 1996. Cette dernière permet d’exonérer des suppléments de loyers, les logements sociaux situés en zones urbaines sensibles. Il y a encore la loi du 6 mai dernier, réformant le financement de l’apprentissage, qui a créé les emplois de ville.
Le Sénat avait d’ailleurs amélioré ce texte, et le gouvernement avait accepté d’amender le projet de loi, dans le sens voulu par le président Jean-Pierre Fourcade et votre haute assemblée. Il s’agissait alors d’assouplir la géographie applicable à ces emplois.
Pour ce qui nous concerne aujourd’hui, le texte s’articule autour de trois axes qui forment les titres du projet :
– le maintien et la création d’activités et d’emplois ;
– l’aménagement urbain et l’habitat ;
– la vie associative.
Je ne reviens pas sur l’esprit qui l’anime, qui est de donner une dimension économique à la politique de la ville.
Le texte tient compte, bien entendu, de l’expérience acquise en matière de politique de la ville. C’est à partir de 1990, et sous l’impulsion de Michel Delebarre, une approche globale et transversale.
C’est la nécessaire complémentarité entre la politique de la ville et l’aménagement du territoire voulu par le ministre d’État, Charles Pasqua, dès 1994.
C’est aussi l’initiative de mon prédécesseur, le ministre d’État, Mme Simone Veil, qui a rationalisé la procédure des contrats de ville.
Tous ces acquis, nous les confortons.
Il s’agit donc bien d’une relance de la politique de la ville et d’un nouvel élan. Mais une relance doit être rapidement mise en œuvre pour être efficace. C’est pourquoi, nous avons pris garde de ne pas trop renvoyer, dans la loi, à des décrets d’application. Je sais combien votre commission des lois et son président y sont particulièrement attentifs.
Dans le texte que nous vous soumettons, moins il y aura de décrets d’application, plus nous aurons de chance de le mettre en œuvre, avec succès.
Ayant été moi-même rapporteur du budget ville à l’Assemblée nationale, je n’oublie pas que la loi d’orientation pour la ville de 1991, avait nécessité près de 50 décrets d’application !
C’est pourquoi, avec Jean-Claude Gaudin, nous avons fait le choix de ne vous soumettre que des instruments très ciblés, des procédures claires, et sans excès de renvoi à des décrets d’application.
Objectivement, par-delà les clivages partisans, je pense réellement que ce projet de loi est un texte de maturité de la politique de la ville.
Il conforte l’existant, le remet en ordre, tout en le complétant.
Je tiens à le réaffirmer devant votre haute assemblée, aucun des volets de la politique de la ville existants, n’est, et ne sera remis en cause. Les contrats de ville ou encore les Grands projets urbains, continueront à disposer des moyens financiers appropriés.
Ce projet de loi répond aussi aux attentes de l’excellent rapport de Gérard Larcher sur la politique de la ville.
Avec le pacte de relance pour la ville, comme avec le projet de loi, le gouvernement a tenu le plus grand compte des analyses et propositions pertinentes de votre commission spéciale sur l’aménagement du territoire, présidée par le ministre Jean-François Poncet.
Gérard Larcher a eu raison de relever qu’« à force d’accuser le béton de tous les maux, on a trop oublié les hommes » ; notre pacte y répond en conjuguant désormais l’urbain et l’humain.
2. Aujourd’hui, à la cohérence historique, si je puis dire, nous apportons deux nouvelles cohérences géographique et économique.
Cette cohérence géographique, établie par le titre du 1er projet, se traduit par l’échelle des interventions qui va, en métropole, des 700 zones urbaines sensibles, aux 350 zones de redynamisation urbaines et aux 38 zones franches urbaines, sur lesquelles je ne reviendrai pas.
Cette loi va permettre d’harmoniser mieux encore la politique de la ville avec celle d’aménagement et de développement du territoire. C’est dans cette perspective, que nous vous proposons de modifier la loi Pasqua du 4 février 1995, qui a su relancer la politique d’aménagement du territoire dans notre pays.
S’agissant toujours de géographie de la ville, le gouvernement a parfaitement conscience des efforts qu’il reste encore à faire en matière d’harmonisation.
Je pense en particulier, aux zones d’éducation prioritaire.
Quant à l’économique, comme l’a souligné le président de la République, c’était le « chaînon manquant » de la politique de la ville. Nous souhaitons rééquilibrer la dépense sociale par des dépenses fiscales. C’est l’objet du titre II du projet de loi.
Mesdames et Messieurs les sénateurs, le caractère global et cohérent de la politique de la ville, ne doit pas rester un effet de langage.
Au Sénat, grand conseil des communes de France, l’on sait bien que dans les quartiers, là plus qu’ailleurs, c’est le chômage qui détruit la vie sociale.
Tous, quel que soit le banc où vous siégez, avez dénoncé le chômage comme la cause essentielle de la dérive des quartiers, et la destruction du lien social.
Eh bien, nous en tirons, aujourd’hui, pleinement les enseignements. Et j’ai été, personnellement, très sensible aux faits concrets, proches du terrain, qu’ont bien voulu évoquer devant votre commission spéciale, Mme Nelly Ollin, MM. José Balarelo, François Trucy, Alain Richard, Serge Franchis, Guy Fisher ou Philippe Marini.
À cela aussi nous répondons dans le titre III du projet. S’agissant de la mixité de l’habitat, 460 communes, situées dans les villes de plus de 20 000 habitants, et n’étant pas suffisamment pourvues de logements sociaux, sont désormais tenues d’engager un programme triennal de construction de ce type de logements. Ce dispositif est conforté par le projet de loi.
Vous noterez que nous prenons en compte le « logement social de fait », ce qui constitue une première en France, en proposant des mesures de sauvegarde, permettant de réhabiliter des copropriétés dégradées.
Enfin, le titre IV concerne la participation des habitants des quartiers et leur représentation. Se trouve ainsi posée une question de principe pour la démocratie.
Les associations sur le terrain expriment fortement le besoin d’une représentation démocratique formalisée des habitants des quartiers. J’ai encore pu le constater vendredi., au cours de mon déplacement au Mans, notamment dans le quartier des Sablons.
Aussi le projet de loi permet la création de comités d’initiatives et de consultations pour les quartiers en zones urbaines sensibles. Ces comités, s’ils sont mis en place, pourraient être utiles en matière de services publics de proximité et d’équipements de quartiers.
Bien entendu, la loi n’en fait aucune obligation. Elle permet simplement aux maires qui le souhaiteront, la possibilité de créer de tels comités.
Plus classiquement, nous confortons l’action des associations, en prévoyant la possibilité, pour les partenaires financiers des contrats de ville, d’instituer des fonds locaux associatifs.
Le Premier ministre a déjà signé la circulaire relative aux conventions d’objectifs passée avec les associations subventionnées par l’État.
C’est la concrétisation de l’engagement pris par le pacte de respecter la règle des « trois ans, trois mois », c’est-à-dire un objectif d’actions sur trois ans, et le versement de la subvention dans les trois mois qui suivent la signature.
Cette mesure est très attendue par les associations.
3. J’en viens à présent, à l’état d’avancement des mesures du pacte de relance pour la ville, qui ne sont pas contenues dans ce projet de loi. Cela me paraît important pour la bonne information du Sénat, et vous me pardonnerez donc cet inventaire à la Prévert !
C’est tout d’abord l’emploi.
Avec Jean-Claude Gaudin, nous signons actuellement dans les départements des emplois de ville. Ce dispositif étant récent, nous allons assister prochainement, à sa montée en puissance.
Déjà 4 régions et 10 départements ont décidé de s’engager aux côtés de l’État pour le cofinancement de ces emplois.
Des conventions d’objectifs avec des réseaux d’employeurs sont signées. On peut signaler les 4 000 emplois prévus avec les HLM, 3 000 avec les transporteurs, et d’autres partenaires vont s’y associer avec des associations telles que les régies de quartiers ; ou des grands délégataires de services publics.
Notre objectif est de mettre en place 10 000 emplois de ville d’ici la fin de l’année.
C’est l’école
2 000 appelés supplémentaires sont en fonction dans les établissements scolaires depuis la rentrée de septembre, en outre, 40 sites classés en zones urbaines sensibles ont déjà aménagé les rythmes scolaires ; les opérations « école ouverte » se tiennent dans la plupart des quartiers sensibles et sont depuis l’été 1996 en augmentation de 20 %. Enfin, le processus de rapprochement de la géographie des ZEP et des zones urbaines sensibles est lancé.
C’est la sécurité
1 000 policiers supplémentaires ont déjà été affectés dans les zones urbaines sensibles, et 1 000 policiers supplémentaires le seront avant la fin de l’année comme le gouvernement s’y était engagé.
C’est la justice
Les nouvelles mesures législatives concernant les mineurs délinquants sont entrées en application puisque seize unités d’éducation à encadrement renforcé sont en cours de création, la première ayant effectivement ouvert ses portes, voici quelques jours à Rouen. Cela doit permettre d’en finir avec le sentiment d’impunité qui est ressenti par nos concitoyens dans les quartiers.
C’est le Transport
De nouvelles lignes de desserte des quartiers sensibles ont été mises en place.
44 projets d’amélioration de la desserte, de la qualité et la diversité de l’offre, mais aussi en terme de politique tarifaire ont été retenus au cours du mois de septembre dernier pour favoriser le désenclavement de ces quartiers.
C’est le service national ville
10 000 appelés sont en poste au 1er octobre 1996. L’objectif du pacte sur trois ans a été atteint dès sa première année d’application.
Ce sont les prêts projets urbains
Le protocole a été signé le 7 mai 1996 avec la Caisse des dépôts pour un volume de prêts projets urbains porté à 2,5 milliards de francs par an et un taux abaissé à 5,5 %.
Un autre protocole a été signé le 14 mai 1996 avec le Crédit local de France qui ouvre ainsi une enveloppe de 1 milliard de francs pour les « prêts développement de quartiers » au taux variable de 5,3 à 5,8 %.
Un troisième protocole a été signé avec la Caisse des dépôts pour l’amélioration des logements sociaux, avec une enveloppe de 5 milliards de francs de prêts.
Leur montée en puissance est conforme aux prévisions, puisque les prêts projets urbains étaient en augmentation de 50 % au 31 août 1996.
Ce sont, enfin, les zones franches urbaines
Après la sélection de 44 zones franches urbaines, un projet de convention est actuellement soumis aux maires et aux partenaires locaux concernés. La délimitation exacte de ces zones sera fixée d’ici la fin de l’année par décret en Conseil d’État, pris pour l’application de la loi sur la mise en œuvre du pacte de relance pour la ville.
Cette délimitation interviendra après la finalisation des conventions locales. Elles doivent confirmer la mobilisation des partenaires sur l’accueil et le soutien économique aux entreprises qui s’installent, leurs efforts sur les emplois de ville, mais aussi sur les projets de restructuration et de requalification des quartiers.
À cet égard, je tiens à rassurer, nouveau, le sénateur Marini sur la concertation que gouvernement a entrepris avec les maires des zones franches urbaines, quant à la délimitation des futurs périmètres.
4. Le complément nécessaire du Sénat
Le projet de loi, qui est soumis à votre examen, doit donner une cohérence à cet ensemble. D’ores et déjà, l’Assemblée nationale a amélioré sensiblement le texte. Au total, ce sont 29 amendements qui ont été adoptés par les députés.
Je ne reviens pas sur ces modifications qui sont examinées dans le rapport écrit du sénateur Gérard Larcher. Jean-Claude Gaudin a eu l’occasion, avant moi, d’en faire état.
Au cours de l’audition du 3 septembre dernier, devant votre commission spéciale, j’ai pu mesurer combien le Sénat avait à cœur de défendre et représenter les territoires dans ce projet de loi ; ainsi que d’améliorer le dispositif des emplois de ville à l’issue de la contractualisation des cinq ans.
Ce texte contient des dispositions économiques, fiscales, sociales, parfois complexes. Aussi, votre haute assemblée a fait un choix judicieux en décidant d’instituer une commission spéciale, car cela permet effectivement une approche transversale du texte.
Avec Jean-Claude Gaudin, nous avons tenu compte, et nous tiendrons compte, au cours de l’examen des articles, de votre grande expérience notamment en matière de fiscalité locale.
Je veux souligner notamment vos propositions :
– sur le suivi des zones franches urbaines avec la création des comités d’orientation et de surveillance ;
– les améliorations proposées sur les investissements immobiliers, avec un renforcement notable du texte inspiré de la loi Malraux ;
– un coup de pouce donné au changement d’usage aux locaux d’habitation ;
– les souplesses proposées pour les DOM.
D’autre part, vos propositions ouvrent un débat important, notamment sur les exonérations de charges sociales pour les travailleurs indépendants et sur le dispositif d’assurance chômage pour les emplois de ville. Nous aurons l’occasion, au cours de l’examen du texte par votre haute assemblée, d’approfondir ces questions.
Nous savons combien le président Jean-Pierre Fourcade, qui est aussi le président du comité des finances locales, tient à ce que l’État respecte sa parole et sa signature avec les maires. Comme je l’ai fait devant votre commission spéciale, je tiens à réaffirmer cet engagement devant votre haute assemblée.
Le projet de loi de finances pour 1997, que vous allez étudier prochainement, contient bien les mesures de compensations financières, prévues par ce projet de loi, en matière d’exonération de taxe professionnelle notamment. À cet égard, l’audition par votre commission, de mon collègue Alain Lamassoure, a été sans ambiguïté.
Étant moi-même maire, je sais combien nos communes ont besoin non seulement de connaître les règles du jeu, mais surtout que ces règles soient pérennes. Je ne peux donc que partager la préoccupation du président Jean-Pierre Fourcade qui, je le sais, est aussi une préoccupation exprimée, au sein de votre haute assemblée, par le président de l’Association des maires de France, le sénateur Jean-Paul Delevoye, ainsi que par le Sénat tout entier.
Je voudrais enfin renouveler mes remerciements sincères aux administrateurs de votre commission spéciale, qui ont déjà effectué un travail remarquable, aux côtés du président et du rapporteur.
Je sais aussi combien l’expérience du sénateur André Diligent nous est précieuse, lui qui réfléchit depuis de nombreuses années sur ces problématiques urbaines et d’exclusion.
Toutes les conditions sont donc réunies pour que nous puissions engager l’examen du projet de loi, article par article, et pour que le travail du Sénat enrichisse ce texte.
Il est de notre intérêt à tous, je dis bien à tous, de travailler à la cohésion nationale. Ce que nous préparons, c’est une véritable intégration urbaine.
Qui aurait, en effet, à gagner d’une progression des facteurs d’éclatements qui existent dans les quartiers sensibles ?
Personne !
Ou plutôt si ! Chacun sait, ici, qui serait gagnant !
Mesdames, Messieurs les sénateurs, la politique de la ville est un sujet de société suffisamment complexe et grave pour que nous sachions, ensemble, dépasser nos clivages politiques traditionnels.
Il y va de l’intérêt national. Et je sais que le gouvernement peut compter sur le soutien et la compréhension du Sénat.
Je vous remercie.