Interviews de Mme Corinne Lepage, ministre de l'environnement, dans "Le Figaro Magazine" du 12, "Le Journal du dimanche" du 20, "Le Parisien" du 21 et "Les Echos" du 22 octobre 1996, sur le projet de loi sur l'air, les problèmes de l'amiante et de la couche d'ozone et le projet d'autoroute A 104 entre Cergy et Orgeval.

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Média : Energies News - Les Echos - Le Figaro Magazine - Le Journal du Dimanche - Le Parisien - Les Echos

Texte intégral

Le Figaro Madame - 12 octobre 1996

« L’impact de la pollution atmosphérique sur la santé est aujourd’hui établi de façon indiscutable. Ces problèmes sont d’ailleurs à l’origine de mon projet de loi. Dès les premières lignes, il reconnaît le droit de chacun à respirer un air qui ne nuise pas à sa santé. Toutes les études, que ce soit Erpurs en 1994, l’enquête du Réseau de santé publique de mars 1996 ou encore les travaux américains, montrent clairement une augmentation du risque de mortalité chez les personnes déjà malades. On a beaucoup écrit sur le sujet et on peut toujours contester les chiffres… N’étant pas scientifique, je ne me prononcerai pas là-dessus précisément, mais le problème des enfants me semble crucial. Le Pr Grimfeld, qui travaille auprès de moi, me l’a confirmé à plusieurs reprises : on constate un net accroissement des pathologies respiratoires enfantines, notamment chez les tout-petits. J’ai une fille de vingt ans. Dans son enfance, on n’entendait jamais parler de bronchiolite alors qu’aujourd’hui, elle est devenue monnaie courante. Nous devons tous faire un effort pour améliorer la situation. On ne change pas la vie par décret et je crois profondément que la société civile doit s’assumer. Le pouvoir politique doit bien sûr prendre des mesures, même contraignantes et incitatives, à propos des carburants, des véhicules propres, des transports ou des pistes cyclables, mais il ne peut pas tout faire. Si les Français ont envie de mieux respirer dans leurs villes, il faut qu’ils s’en donnent les moyens. Comment ? Tout d’abord en laissant plus souvent leur voiture au garage. Nous, les femmes, avons une responsabilité particulière à cet égard, à travers l’éducation que nous donnons aux enfants mais aussi par notre comportement. Nous devons jouer un rôle moteur et mobilisateur… comme nous l’avons déjà fait dans bien d’autres domaines. »

 

Le Journal du dimanche - 20 octobre 1996

C.L. : Je dis de la façon la plus claire que cette autoroute ne peut pas se faire au prix d’une nuisance imposée à près de 200 000 personnes. Le coût prévu est astronomique. Le préfet et les services de l’Équipement ne fournissent aucune précision sur les modalités de financement ; c’est pour le moins préoccupant. Et si on changeait le tracé, cette autoroute amputerait le parc naturel régional du Vexin.

JDD : Comment alors résoudre le problème des autoroutes en zone urbaine ?

C.L. : Il faut certes améliorer les déplacements vers Paris et les villes, mais on ne peut pas à la fois multiplier les « pénétrantes » et vouloir résoudre les problèmes posés par la circulation, notamment dans le domaine de la pollution.

JDD : On presse vos services d’accepter ce programme autoroutier, préparé sans concertation. N’est-il pas urgent de concentrer les moyens pour les transports collectifs ?

C.L. : Il faut non seulement améliorer les transports en commun, mais surtout les réhabiliter aux yeux de l’opinion. Il faut aussi éviter l’engrenage qui consisterait à prendre prétexte de leur fréquentation moindre pour diminuer l’efficacité des trains, des autobus et des métros.

Le ministère de l’Environnement a engagé une course contre la montre pour éviter la construction de l’A 12, de l’A 14 ou de l’A 16 qui auraient pour double conséquence de provoquer de nouvelles nuisances sonores et de diriger de nouveaux flots de voitures vers la capitale et dans les zones de banlieue déjà saturées. Applaudissant à la transformation des projets de TGV au profit de trains pendulaires, Corinne Lepage conclut : « Je rêve d’une solution aussi intelligente pour régler de façon définitive la question des transports en agglomération. »

 

Le Parisien - 21 octobre 1996

Le Parisien : À la surprise générale, vous avez fait part de votre opposition au tracé actuel de la future A 104 entre Cergy et Orgeval. Pourquoi ?

Corinne Lepage, ministre de l’Environnement : En tant que ministre de l’Environnement, je ne peux pas soutenir un projet qui va créer des nuisances inacceptables – sur le plan sonore et de la pollution – à 150 000 ou 200 000 personnes qui vivent déjà dans des conditions difficiles.

Le Parisien : Vous prenez une position différente, voire opposée à celle de votre collègue Bernard Pons, le ministre des transports, qui soutient ce projet.

Corinne Lepage : Je suis parfaitement solidaire du gouvernement dans cette affaire. Bernard Pons a dit lui-même qu’il souhaitait qu’on réfléchisse à un nouveau tracé. Sur le principe, je n’ai jamais été contre le bouclage de l’A 104. À partir du moment où il ne reste qu’un seul tronçon à réaliser, entre Orgeval et Cergy, il faut le faire.

Le Parisien : Comment construire ce nouveau tronçon sans pénaliser les riverains ?

Corinne Lepage : Première solution, prévoir un enfouissement. Mais cela coûtera évidemment très cher et il faudrait alors dès maintenant imaginer des modalités de financement. Pourquoi pas un système de péage comme celui de l’A 14 ? Seconde solution, trouver un tracé qui préserve l’environnement.

Le Parisien : Ces grands projets autoroutiers vers la capitale, comme le prolongement de l’A 16 Calais-Paris, risquent de coûter très cher à la collectivité…

Corinne Lepage : De manière générale, je suis très soucieuse du coût de plus en plus important de nos infrastructures routières. L’effort d’économies qui est en train d’être fait pour le train à grande vitesse – le train pendulaire moins cher pourrait remplacer le TGV Est – devrait s’appliquer à nos projets autoroutiers. Dans bien des cas, une route à deux fois deux voies serait très largement suffisante. Il faut aussi développer les transports collectifs.

Le Parisien : Comment selon vous financer l’enfouissement de la future A 104 ?

Corinne Lepage : Regardons ce qui s’est passé pour l’A 14 Orgeval-La Défense qui va être prochainement inaugurée. Instaurer le péage aux utilisateurs était la condition même de réalisation du projet. C’est une opération concédée et, pour assurer sa rentabilité, il fallait un financement. On pourrait imaginer le même principe pour la future A 104.

Le Parisien : Le péage urbain est-il selon vous une solution d’avenir pour favoriser le covoiturage et l’utilisation des transports collectifs ?

Corinne Lepage : Dans la période de difficultés économiques actuelles, demander aux banlieusards de payer pour avoir le droit de circuler et de rejoindre Paris me paraît très difficile. D’un autre côté, le péage urbain, en décourageant l’utilisation de la voiture individuelle et en encourageant l’usage des transports collectifs peut être une bonne solution. Sur ce sujet, on pourrait envisager de laisser une certaine liberté de choix aux collectivités locales. Tout est ouvert.

 

Les Échos - 22 octobre 1996

Les Échos : Votre projet de la loi sur l’air est examiné en seconde lecture au Sénat le 24 octobre prochain. Comment abordez-vous ce nouveau débat parlementaire ?

Corinne Lepage : De manière assez sereine, puisque, pour sa seconde lecture, de nombreux amendements proposés par le Sénat, mais non votés, ont été retenus par l’Assemblée nationale. Si le Sénat apporte peu de nouvelles modifications, je pourrai présenter courant novembre au Palais-Bourbon un texte proche de celui qui a été voté en première lecture. Le Premier ministre a considéré ce texte comme prioritaire. Il devrait d’ailleurs être un des deux seuls textes adoptés avant Noël, en dehors du projet de loi de finances.

Les Échos : Comment expliquez-vous que votre projet de loi ait été fortement critiqué et ait suscité tant de débats ?

Corinne Lepage : Nombreuses étaient les personnes n’ayant pas intérêt à ce que ce texte sorte. Ils se sont donc mobilisés contre. Pourquoi a-t-il été tant discuté ? Puisqu’il s’agit d’un débat de société, il est tout à fait normal que les parlementaires aient éprouvé le besoin de s’exprimer.

Les Échos : De nombreux amendements ont été adoptés. Le texte n’a-t-il pas perdu de sa force ?

Corinne Lepage : Absolument pas ! L’article premier de la loi affirme bien que chacun a le droit de respirer un air qui ne nuise pas à sa santé. Le principe reste très clairement édicté. L’économie générale du texte et sa construction n’ont pas été modifiées. Dans ses principes et dans ses outils, la loi a été considérablement renforcée. Une place plus importante a ainsi été donnée à l’impact sanitaire. Les députés ont par ailleurs tenu à réduire les déplacements des voitures en ville et ont amélioré ce que nous avions proposé. Les plans de déplacements urbains (PDU) sont désormais obligatoires pour les villes de plus de 100.000 habitants, alors que le projet initial l’imposait seulement aux très grandes agglomérations (de plus de 250.000 habitants). Des mesures d’autant plus importantes que le coût sanitaire de la pollution atmosphérique pour la collectivité a été récemment évalué à 5 milliards pour la seule région parisienne.

Les Échos : Quand les premiers textes entreront-ils en vigueur ?

Corinne Lepage : Le plus rapidement possible. Deux cents millions de francs ont déjà été débloqués, grâce à un décret, pour équiper de capteurs de pollution avant la fin de l’année les quatre dernières grandes agglomérations (Nice-Cannes-Antibes, Toulon, Valenciennes et Tours) qui ne l’étaient pas encore.

Les Échos : Mais ces 200 millions ne proviennent-ils pas d’un redéploiement budgétaire ?

Corinne Lepage : Pas du tout. J’ai bénéficié de 200 millions en plus du budget de l’État, conformément à l’article 22 du projet de loi sur la qualité de l’air. Ils m’ont été affectés par les ministères de l’Équipement et de l’Industrie. Je n’ai pas déshabillé Pierre pour rhabiller Paul, contrairement à ce qui a été dit.

Les Échos : Le Salon Pollutec sur les équipements, les technologies et les services liés à l’environnement s’ouvre aujourd’hui. Quelle est maintenant la place des éco-industries dans le paysage français ?

Corinne Lepage : Toutes les activités économiques liées à l’environnement (eau, déchets, bruit, protection de la nature, amélioration du cadre de vie…) sont en forte progression. Les prévisions pour 1996 font état d’une croissance de 12 % pour les sols, de 6 % pour les déchets, de 5 % pour l’eau.

Les Échos : L’environnement est-il réellement créateur d’emplois ?

Corinne Lepage : D’ici à dix ans, 150.000 emplois directs seront créés dans ce secteur. Pour la seule année 1995, 13.000 emplois directs ont vu le jour, dont 5.700 dans le secteur de l’eau et 4.200 dans celui des déchets. Quelque 5.300 emplois indirects ont également été créés dans le secteur de l’eau. Il faut par ailleurs rappeler que les parcs naturels régionaux emploient 800 personnes et qu’ils ont pu créer 30.000 emplois induits.

Le développement des éco-industries dépend aussi de leur dynamisme à l’exportation. Il est fondamental. En l’an 2000, le marché mondial des éco-industries s’élèvera à 300 milliards de dollars. Pour mieux rivaliser avec nos concurrents, nous devons absolument améliorer notre système d’expertises et d’audit, c’est-à-dire l’ingénierie de l’environnement, en amont. C’est dans cette optique que je mets en place un réseau d’experts français qui sera opérationnel en 1997. Il nous faut également renforcer la maîtrise d’ouvrage publique ou privée dans le domaine de l’environnement.

Les Échos : Pensez-vous que les sociétés sont aujourd’hui prêtes à investir dans l’environnement ?

Corinne Lepage : Les grandes entreprises sont incontestablement de plus en plus convaincues de la nécessité de faire du management environnemental. Cela marche plus ou moins bien selon les domaines. Par exemple, le secteur de l’électronique exerce aujourd’hui une vraie pression sur ses sous-traitants pour qu’ils s’engagent dans une telle voie.

En revanche, l’idée fait plus difficilement son chemin parmi les PME-PMI. Bien que Bretagne Environnement Plus, système mis en place pour la région, ait tout de même permis des investissements de 60 millions de francs et une amélioration de la compétitivité des entreprises concernées. Ce qui est primordial, c’est de persuader les entreprises que prendre en compte l’environnement ne représente pas une contrainte, mais le moyen de réaliser des économies et de se montrer plus compétitif. Tant au point de vue de la production qu’à celui de la conception même des produits.

Les Échos : On vous a peu entendue sur le dossier de l’amiante. Quel est votre champ d’action dans ce domaine ?

Corinne Lepage : La qualité de l’air est bien sûr de nature environnementale, mais, sur le plan administratif, le ministère est directement compétent seulement sur la question des déchets. Une circulaire en vigueur depuis août 1996 précise la manière dont doivent être gérés tous les centres de déchets recevant de l’amiante. Seul pour l’instant l’amiante-poussière est concerné, mais nous préparons un deuxième texte pour voir comment nous pourrons accueillir l’amiante-ciment, qui a récemment fait l’objet d’une interdiction.

Les Échos : On a récemment appris que le trou de la couche d’ozone s’était encore agrandi. La France compte-t-elle prendre des initiatives à ce sujet ?

Corinne Lepage : La France est plutôt bonne élève par rapport aux pays européens ou d’outre-Atlantique, puisque nous consommons 1,8 tonne de carbone par habitant quand les Allemands en consomment 3,5 tonnes, et les Américains 4,5 tonnes ! Nous avons déjà entrepris des efforts notables, mais il faudrait les accroître. Je serai probablement amenée à faire des propositions sur ce sujet dans les semaines à venir. L’enjeu principal de la huitième réunion des parties au protocole de Montréal, qui doit se tenir à la fin du mois de novembre, est la reconstitution des ressources du fonds multilatéral pour 1997-1999. La position de la France est d’admettre une augmentation de 5 % de ce fonds estimé à 475 millions de dollars. Quoi qu’il en soit, lors de la convention de Genève, en juillet dernier, tous les pays se sont prononcés pour des réductions quantifiées des gaz à effet de serre. Nous aurons réalisé en l’an 2000 des progrès considérables sur le dibromure de méthyle et sur le méthane. Il nous faut encore être plus performants sur le plan de l’économie d’énergie, de la réduction du CO2. Et, aujourd’hui, c’est largement un problème de transports. On en revient à l’objectif de la loi sur l’air.